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Le Festin, de Margaret Kennedy

Cornouailles, 1947. Comme tous les étés, le révérend Seddon rend visite au père Bott. Hélas, son ami n’a pas de temps à lui accorder cette année, car il doit écrire une oraison funèbre : l’hôtel de Pendizack, manoir donnant sur une paisible crique, vient de disparaître sous l’éboulement de la falaise qui le surplombait. Et avec lui, sept résidents…
Dans cette maison reconvertie en hôtel par ses propriétaires désargentés étaient réunis les plus hétéroclites des vacanciers : une aristocrate égoïste, une écrivaine bohème et son chauffeur-secrétaire, un couple endeuillé, une veuve et ses trois fillettes miséreuses, un chanoine acariâtre et sa fille apeurée… Le temps d’une semaine au bord de la mer dans l’Angleterre de l’après-guerre, alors que les clans se forment et que les pires secrets sont révélés, les fissures de la falaise ne cessent de s’élargir…


Si Jonathan Coe devait citer Margaret Kennedy parmi ses influences, je n’en serais aucunement surpris. On retrouve en effet chez cette romancière du milieu du XXème siècle une même habileté à manier une ironie à fleuret moucheté, à manipuler avec subtilité une vaste gamme de sentiments, une capacité impressionnante à nous faire passer du sourire au drame en quelques mots. Tout ceci, rédigé il y a donc plus de quatre-vingt ans dans une langue d’une modernité saisissante (et le fait d’avoir révisé la traduction d’origine n’y est sans doute pas pour rien, sans pour autant trahir l’élégance et la fluidité du style de Margaret Kennedy).

Comme Coe, l’écrivaine se sert de ses personnages et de son intrigue pour saisir l’Angleterre de son époque. En l’occurrence, dans Le Festin, celle du lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui peine à se relever d’un conflit ayant laissé des traces profondes, violentes et durables dans tout le pays, en dépit de la fierté légitime que peuvent éprouver les Britanniques d’avoir résisté à l’Allemagne nazie avec une opiniâtreté qui a sans doute permis à l’Europe de ne pas s’effondrer totalement.
La pension de famille où se déroule presque intégralement le roman fournit ainsi un cadre idéal pour établir un microcosme rassemblant une galerie de personnages représentatifs de la société anglaise d’alors. Une capture d’écran d’autant plus saisissante qu’elle fut établie sur le vif, le roman étant paru à la fin des années 40. Pour citer un exemple plus récent, la technique rappelle aussi l’immense réussite de la série Downton Abbey, où un imposant groupe de personnages permet d’illustrer avec pertinence l’évolution de la société britannique entre les deux guerres.

Ces personnages sont la grande force du Festin. Détestables, émouvants, ridicules ou attendrissants, ils sont tous irréprochables. En particulier les enfants, caractères toujours difficiles à manipuler, que Margaret Kennedy campe en profondeur, en leur donnant une véritable importance dans l’intrigue.
Intrigue : puisque j’utilise le terme, il faut ajouter la construction impeccable du roman, qui s’ouvre sur l’annonce d’une tragédie (on sait d’emblée que l’hôtel a été broyé par la falaise qui le surplombait), créant ensuite une forme de suspense aussi pervers qu’efficace puisque, si l’on sait que la catastrophe a fait des victimes, on ignore qui. Or, le roman avançant, le lecteur se crée des favoris à sauver ou à sacrifier, sans avoir la moindre certitude sur l’issue du drame avant les toutes dernières pages… Un rythme de faux roman policier s’établit qui, mêlé d’une analyse sociologique, économique et historique parfaitement dosée, construit un roman réjouissant et profond, d’une lecture paisible mais tenace.

Un grand merci aux éditions La Table Ronde, à l’origine de cette redécouverte particulièrement inspirée, qui s’est poursuivie depuis avec la parution de Divorce à l’anglaise (très réussi lui aussi) et des Oracles. Le roman anglais à son tout meilleur.

Le Festin, de Margaret Kennedy
(traduit de l’anglais par Denise Van Moppès)
Éditions La Table Ronde, 2022
ISBN 9791037110251
480 p., 24€

Disponible en poche chez Folio depuis août 2023 :
ISBN 9782073017345
576 p., 9,90€

4 réponses à « Le Festin, de Margaret Kennedy »

  1. Je trouve que c’est son meilleur. Un délice cruel !

    1. Des deux que j’ai lus, sans aucun doute, même si « Divorce à l’anglaise » ne manque ni d’originalité, ni d’à-propos, ni de finesse. Mais « Le Festin » est parfait, oui :)

  2. J’avais déjà noté ce livre lors d’une précédente chronique. Merci pour ce rappel…. Il me tente vraiment ! :)

    1. Quand on aime la littérature britannique « typique », on ne peut pas être déçu, je pense !

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