Archives de août, 2012

Le Jeu des ombres, de Louise Erdrich

Signé Bookfalo Kill

Gil est un peintre reconnu. Il a bâti sa renommée sur des portraits de sa femme, Irene, dans toutes les situations, y compris les plus osées, les plus dures, les plus intimes. Ensemble, ils ont eu trois enfants : Florian, Riel et le petit dernier, Stoney.
Irene découvre un jour que Gil lit en cachette son journal intime, qu’elle rédige dans un agenda rouge depuis des années ; il cherchait à découvrir si oui ou non elle le trompait. Ulcérée par cette marque de trahison, elle reprend son journal dans un autre carnet, bleu, qu’elle place en lieu sûr ; mais elle continue à écrire dans son agenda rouge une version différente de son histoire et de ses réflexions, afin de régler ses comptes à distance avec son mari…

Ça aurait pu n’être qu’une énième histoire de couple qui se déchire, sujet rebattu en littérature s’il en est (avec les histoires d’amour bien entendu, les unes n’allant naturellement pas sans les autres.) Mais comme c’est Louise Erdrich qui tient la plume, c’est cela, mais c’est aussi beaucoup mieux et beaucoup plus que cela.

Représentante et défenseur émérite de la culture indienne, cette grande figure des lettres américaines contemporaines ne déroge pas à ses habitudes. Ses personnages sont d’ascendance indienne, et se heurtent au problème d’un héritage culturel complexe à porter dans l’Amérique d’aujourd’hui. Tandis que Gil s’acharne à ne pas être considéré comme un simple peintre indien, sa fille Riel est fascinée par George Catlin, un artiste américain célèbre pour ses portraits d’Indiens – et dont le rapport qu’il avait avec ceux-ci s’avère aussi ambivalent que celui existant entre Gil et Irene, dans un subtil jeu de miroir.

Mais la question de l’identité indienne n’est pas le sujet du roman. Ou plutôt, elle n’en est qu’une des thématiques, ce qui donne sa richesse à ce superbe Jeu des ombres. Fondamentalement, il y est question de la famille et surtout du couple, avec tout ce que cela comporte de partage, de solidarité, d’attachement, mais aussi de difficulté, de compromission et de déchirement.
Ici, tout va plus loin car les protagonistes sont des artistes, des écorchés vifs, l’un comme l’autre. Des personnages fictifs qui s’appuient sur une inspiration personnelle, car c’est de la propre histoire de Louise Erdrich dont il est question ici, de sa relation tumultueuse avec Michael Dorris, romancier comme elle, dont elle finit par se séparer après bien des péripéties sordides.

L’inspiration est autobiographique mais le Jeu des ombres est bien un roman. Puissance de la fiction qui explose dans la construction – en miroir, encore -, alternance fluide d’extraits de l’agenda rouge, du carnet bleu, et d’un récit rapporté par un narrateur omniscient dont le regard bien renseigné éclaire en profondeur les zones d’ombre des protagonistes, jusque dans leurs réactions les plus obscures et les plus cruelles. Omniscient ? Peut-être pas si simple…
Pour tout saisir, il faut attendre la fin du livre, surprenante et forte. La conclusion sans concession d’un roman dont la brièveté dissimule une intensité et une complexité marquantes, qui font de Louise Erdrich un auteur majeur de la littérature américaine. A découvrir, si ce n’est déjà fait !

Le Jeu des ombres, de Louise Erdrich
Traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez
  ÉditionsAlbin Michel, 2012
ISBN 978-2-226-24307-2
253 p., 19€

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La réparation de Colombe Schneck

Je ne connaissais rien de Colombe Schneck si ce n’est qu’elle est jolie et qu’elle est journaliste. Dans son dernier opus, Colombe Schneck s’essaye à se donner une contenance, une profondeur. Ce livre, c’est l’histoire d’une femme insouciante, gâtée par la vie et la nature, exemple typique de Parisienne bobo qui se cherche. En se tournant vers les valeurs universelles de la famille. Et quand on sait qu’une partie de la sienne a été décimée dans les camps de concentration, ça fait réfléchir. 

La Réparation est l’histoire de sa famille, notamment celle de Salomé, née en 1937, morte en 1943. Salomé est la fille de Raya, elle-même soeur de Ginda, la grand-mère de Colombe (vous suivez?) Mais Salomé, c’est aussi la fille de Colombe. L’histoire n’est qu’une boucle sans fin. Pendant 212 pages, Colombe Schneck va faire revivre sa famille disparue tragiquement. Elle va parcourir Israël, les Etats-Unis pour retrouver les témoins de cette histoire, les descendants.  

Elle s’en sort plutôt pas mal, Colombe Schneck. Il y a vraiment des passages qu’on peut couper et qui ne nous intéressent pas (notamment ses considérations de Parisienne nombriliste), il y a des baffes qui se perdent (surtout quand elle préfère bronzer au bord de la piscine de son hôtel plutôt que de partir à la rencontre d’un cousin éloigné) mais c’est intéressant de recouper le cheminement de sa famille, entre Ginda, la soeur qui s’est exilée à Paris en 1926 (donc la grand-mère de l’auteur) et les deux autres soeurs, Raya, Macha et Nahum, le frère qui n’ont pas eu le réflexe de quitter la Lituanie quand il était encore temps. Mary, leur mère, était avec eux dans le ghetto de Kovno. Raya et Macha avaient chacune un enfant, Salomé et Kalmann. Ils vivaient tous dans cet enfer du ghetto jusqu’à ce jour fatidique d’octobre 1943.

Le coup poignant qui m’a serré le coeur est le retournement de situation. Toute la fratrie était condamnée, pourtant, certains s’en sont sortis. Et ce retournement de situation, je ne m’y attendais pas. Colombe Schneck non plus. Je ne peux rien vous dire sous peine de révéler l’intrigue, s’il en est une, mais cette décision a été surprenante et bouleversante.  Jusqu’à ce que la photographie de la petite Salomé ressorte des tiroirs. 

« Salomé, petite fille de ma soeur Raya, déportée, (…) petite cousine dont il ne reste rien. »

La réparation de Colombe Schneck
Editions Grasset, 2012
9782246788942
212 p., 17€

Un article de Clarice Darling.


Vanille ou chocolat ?, de Jason Shiga

Signé Bookfalo Kill

Au début était le choix : glace au chocolat ou glace à la vanille ?
Une décision anodine, n’est-ce pas… Mouais. La trouveriez-vous aussi insignifiante si je vous disais que, potentiellement, elle peut entraîner 3856 conséquences différentes – dont un voyage dans le temps ou tuer toute la population de la planète en un seul clic sur un bouton ?

La morale de cette histoire pourrait être que la gourmandise et la curiosité sont de vilains défauts – si l’on se souciait de morale dans cette histoire. Non, l’intérêt – et quel intérêt !!! – est ailleurs, dans la construction extraordinaire de cette bande dessinée unique.
Parce que, bon, il faut l’avouer, l’Américain Jason Shiga, déjà remarqué pour ses extraordinaires Bookhunter et Fleep, est aussi fou que génial. Et un peu mathématicien sur les bords. Il associe ces trois qualités dans Vanille ou chocolat ?, pour signer une œuvre furieusement originale : une B.D. interactive, dont VOUS êtes le héros.

Dans votre folle jeunesse, vous avez peut-être été accro aux « Livres dont vous êtes le héros », les séries Loup Solitaire, Dragon d’Or ou Défis et Sortilèges1. Si vous en gardez un souvenir ému, ce livre est pour vous. Et sinon, eh bien, ce livre est aussi pour vous – pour peu que vous soyez un peu  joueur et curieux.
A la première page, tout est encore très simple : le petit Jimmy est chez le marchand de glaces, et il hésite entre deux parfums, vanille ou chocolat. En bas de la page, c’est à vous de choisir pour lui – et ensuite, les ennuis commencent. Poussé par un besoin impérieux, Jimmy entre par hasard chez un savant, dont il va découvrir et pouvoir tester trois inventions potentiellement plus excitantes et dangereuses les unes que les autres…

A partir de là, je ne dis plus rien, car mieux vaut être préparé le moins possible pour profiter des innombrables surprises que réserve Vanille ou chocolat ?.
Techniquement, on évolue dans le livre à l’aide d’onglets qui nous entraînent dans le dédale des pages ; et à l’intérieur des pages, on se fraie un chemin entre les différentes cases en suivant des tubes de couleur. Aucune inquiétude, le principe s’assimile très vite, et au bout de deux ou trois pages, on peut profiter à plein régime de la B.D.

Je préciserai juste, pour rassurer les puristes de la bande dessinée, que le chef d’œuvre de Jason Shiga ne se limite pas à son aspect conceptuel. Il raconte une véritable histoire, ou plutôt plusieurs véritables histoires qui se recoupent, se décomposent, se complètent, se répondent, dans un jeu de miroirs et d’allers-retours vertigineux.
En fait, Shiga renouvelle même le plaisir de la lecture en y associant ce côté ludique si excitant. Il fallait y penser, et surtout il fallait y arriver. C’est chose faite, alors ne passez pas à côté de cette merveille, enfin disponible chez nous grâce aux éditions Cambourakis, qui ont eu le courage de s’atteler à la fabrication ô combien complexe de ce livre. Bravo à eux et merci !

Vanille ou chocolat ?, de Jason Shiga
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Madeleine Nasalik
Éditions Cambourakis, 2012
ISBN 978-2-916589-96-1
80 p., 18.50€

Pour en savoir plus :
– le site de Jason Shiga (en anglais)
– le site des éditions Cambourakis

Et sinon, on en dit déjà beaucoup de bien un peu partout : La Soupe de l’Espace, du9 (au sujet de la version anglaise, Meanwhile)

1 Pour les nostalgiques, une petite balade dans l’univers des « Livres dont vous êtes le héros » ici : http://livresdontvousetesleheros.pagesperso-orange.fr/

Orchidée fixe de Serge Bramly

Voilà encore un livre qui va me donner du fil à retordre pour écrire la chronique. Au bout de 50 pages, je me suis dit « Mouai, bof. Je ne sais pas si je continue. » J’ai reposé l’ouvrage, en ai lu d’autres, puis j’y suis revenue. Comme si le bandeau avec l’extrait de l’oeuvre de Marcel Duchamp, Etant donnés, 1° La chute d’eau, 2° Le gaz d’éclairage, m’appelait. Et j’avoue que je me suis laissée prendre au jeu. Pas au niveau de l’écriture, qui ne me plaît pas tant que cela, mais à l’histoire. 

Serge Bramly raconte l’histoire d’un Américain obsédé par Duchamp, une famille écartelée entre plusieurs pays et des vies chamboulées par une seule chose, l’Art, en la personne de Marcel Duchamp. Dans ce roman, on passe du Maroc à la France, d’Israël aux Etats-Unis au gré des péripéties des protagonistes, Tobie, l’universitaire chevronné, Makhlouf dit René, le majestueux arrière-grand-père, Daniel, le grand-père vieux loup de mer à qui on ne la fait pas et Nina, la jeune et naïve narratrice, sans parler bien sûr, d’Henry Robert Marcel Duchamp, qui est l’un des artistes les plus importants du XXe siècle. Il y tient un rôle important puisqu’accueilli en 1942 à Casablanca dans la famille Zafrani, dans l’attente de son départ vers les Etats-Unis. 

L’auteur a eu une très belle idée et tient son lecteur en haleine (sauf peut-être le début qui m’a paru long à mettre en place), distillant par-ci par-là des informations qui bâtissent peu à peu les fondations de ce livre. Orchidée fixe est un roman sympathique, qui se laisse volontiers lire à la terrasse d’un café. 

Orchidée fixe de Serge Bramly
Editions JC Lattès, 2012
9782709633369
286p., 18€

Un article de Clarice Darling.


La Vie, de Régis de Sá Moreira

Signé Bookfalo Kill

Régis de Sá Moreira aime bien s’amuser quand il écrit. Dans Mari et femme, il imaginait qu’un homme et une femme se retrouvaient du jour au lendemain dans la peau l’un de l’autre. Narrée à la deuxième personne du singulier, l’histoire était rapportée du point de vue de l’homme coincé dans le corps de sa femme et vivant la vie de cette dernière, tout en demeurant conscient d’être un homme… (Vous suivez toujours ?)

Cette fois, il n’y pas un narrateur, mais des centaines. Véritable exercice de style, La Vie est une suite de paragraphes très courts, qui s’enchaînent selon le principe du « marabout de ficelle ». On saute ainsi d’un personnage à un autre, chacun n’existant que par une pensée, une action, un geste avant de passer le témoin au suivant. L’idée, bien sûr, étant que la fin du paragraphe précédent soit liée au personnage suivant, plus ou moins logiquement.

« Tous mes frères et sœurs me battent au baby-foot, c’est pas normal, je suis sûr que mes parents m’ont adopté…

C’est le seul que nous n’avions pas adopté. Des années plus tard il a tout découvert, il a quitté la maison et il ne nous a plus jamais parlé. C’est dur le silence pour une mère…

Pour un père ça n’existe pas. Entre ma femme et mes filles, j’ai entendu assez de paroles pour trois vies d’affilée. Reste encore la bonne… »

A l’arrivée, le livre compte 120 pages mais il pourrait aussi bien en avoir 350 ou 37. Du coup, habitués que nous sommes à une narration linéaire (début-milieu-fin), on peut en sortir un peu frustré (« oui mais c’est quoi l’histoire en fait ? »), tout en s’étant pris au jeu – parce que c’est un jeu avant tout, un jeu littéraire.

Le procédé a d’ailleurs une limite : il n’est pas évolutif. Les « personnages » se limitent à leur incarnation passagère, on ne les retrouve pas au fil des pages – ou alors, si c’est le cas, on ne s’en rend pas compte. Plus que des personnages, ce sont des fonctions : la femme trompée, le client casse-pieds à la boulangerie, le bébé en gestation, la vieille voisine qui vient de mourir… Des figures de vie telles que nous en connaissons tous, ou que nous pouvons nous-mêmes incarner, et qui se suivent dans le texte sans autre logique celle des enchaînements conçus par le romancier.

Les vignettes imaginées par Sá Moreira sont des tranches de vie, tour à tour drôles, décalées, émouvantes, inattendues. Certaines s’en limitent aux clichés. D’autres sont très bien vues. Il y a de tout. Comme dans la vie, tiens.

La vie, de Régis de Sá Moreira
Éditions Au Diable Vauvert, 2012
ISBN 978-2-84626-442-6
120 p., 15€


La mer, le matin de Margaret Mazzantini

Ami lecteur, je vais t’épargner une lecture insipide. Je serai brève, concise et sans appel. 

Je n’avais rien lu de Margaret Mazzantini et heureusement. Le mélo saupoudré de pathos culcul la praline, très peu pour moi. 

Vito vit en Italie avec sa mère, Angelina, et sa grand-mère, Santa. Toutes deux vivaient autrefois en Libye et ont été chassées par l’arrivée de Khadafi au pouvoir parce qu’elles étaient italiennes. 
Jamila vit en Libye et est contrainte de fuir les exactions commises dans son pays avec son petit garçon, Farid. Elle prend la mer sur une barque avec des dizaines d’autres réfugiés et se prend à espérer une vie meilleure pour son enfant. 

Ce roman partait d’un bon sentiment. Deux mères, qu’une mer sépare et qui pourtant sont proches sans jamais se connaître. La fuite, l’angoisse, la peur sont des sentiments communs lorsqu’on vit dans un pays en guerre et plus encore quand on fuit, qu’on doit tout laisser derrière soi sans se retourner pour tenter de se trouver un avenir. L’histoire aurait pu être touchante, aurait pu être réaliste s’il n’y avait pas cette écriture… Quand j’ai lu La mer, le matin, j’avais l’impression de (re)lire du De Luca. C’est mièvre, pseudo-poétique, aux envolées lyriques. « Ah mon Dieu, regardez comme j’écris bien, que je fais de longues phrases poétiques! » 

Lecteur, passe ton chemin, il y a tant de magnifiques choses à lire… 

La mer, le matin de Margaret Mazzantini
Editions Robert Laffont, 2012
9782221131398
133p., 15€

Un article de Clarice Darling.


Géographie de la bêtise, de Max Monnehay

Signé Bookfalo Kill

Un jour, Pierrot, un idiot, décide de créer une communauté pour y rassembler toutes les cervelles boiteuses comme lui. Les abrutis, les vrais, les sincères. Les imbéciles de compétition. Les authentiques mous du bulbe. Bref, au lieu que chacun souffre à être l’idiot de son village, il propose que tous vivent entre eux et en harmonie dans le village des idiots.
Et le pire, c’est que ça marche. Au point que ça crée des envieux. Des intelligents, des sûrs d’eux, qui tentent de se faire passer pour les débiles qu’ils ne sont pas pour réussir à investir les lieux. Nos idiots, qui n’en sont pas la moitié d’un quand il faut distinguer les vrais stupides des simulateurs, arrivent à les repousser en les soumettant à leur arrivée à un test infaillible.
Jusqu’au jour où Bastien, l’un des villageois, falsifie le test. Il vient de rencontrer Elisa, il est tombé amoureux, et il ne veut plus qu’une chose : faire l’idiot avec elle au village des idiots. Une idée idiote, forcément.

Même si je me suis bien amusé à écrire le résumé ci-dessus, je préfère vous prévenir : cette Géographie de la bêtise entre tout droit dans la catégorie « roman-avec-une-bonne-idée-de-départ-et-puis-pas-grand-chose-après ». Oui, c’était séduisant, cette idée de village des idiots. Ça aurait pu constituer un bon roman, à la fois drôle et satirique, avec ce qu’il faut de critique sociale pour donner un air intelligent à l’ensemble. J’imagine que c’était d’ailleurs l’objectif de Max Monnehay. Et qu’il y aura des critiques pas trop exigeants (pléonasme ?) pour y trouver tout ça. On peut se contenter de ce qu’on a.
Ou pas.

Comme souvent avec une bonne idée de départ, ça commence plutôt pas mal. La romancière nous présente son héros narrateur, Bastien, dans son quotidien d’idiot humilié par sa mère castratrice et ignoré par son père transparent ; puis le projet de Pierrot. C’est parfois drôle, cruel, plutôt pas mal écrit. O.K.

Il y a pourtant déjà des trucs un peu agaçants. Par exemple, Monnehay s’amuse avec le titre de ses chapitres. Un coup c’est « Anti-leçon », un coup « Leçon de géographie », avec un numéro et un sous-titre pseudo-savant (c’est fait exprès). On ne saisit pas toujours bien le rapport entre le titre et le contenu.
Puis il y a les chapitres « La médecine pour les nuls », quand le narrateur raconte sa vie de grand brûlé à l’hôpital. Car, oui, c’est annoncé dès les premières pages, toute cette histoire a mal fini pour Bastien. Un jour, il s’est transformé en feu de joie. Il n’en est pas mort, mais pas loin. Pourquoi, comment, on le saura à la fin.

Le problème, c’est que le chemin pour y arriver, à cette fameuse fin, est plutôt longuet. Une fois le village établi et l’histoire d’amour lancée, ça patine. Le cap de la bonne idée de départ est franchi, il faut maintenant naviguer ; sans vent dans les voiles, c’est compliqué. (J’assume la métaphore moisie.)
Monnehay n’a plus grand-chose à raconter ensuite, elle brode, divague, essaie à la fois d’être drôle et tragique – sans y arriver, à bout de souffle stylistique. Avant de pondre cette chute venue de nulle part et qui ressemble à un aveu d’impuissance.

Un roman dont la bonne idée de départ n’est pas transformée, ça peut énerver. Je vous conseille donc amicalement d’éviter celui-là.

Géographie de la bêtise, de Max Monnehay
Éditions du Seuil, 2012
ISBN 978-2-02-107383-6
225 p., 17€


La vie rêvée d’Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia

Jean-Michel Guenassia ou comment me faire lire des pavés de 534 pages en aussi peu de temps. Si je devais participer aux J.O de la lecture, Guenassia serait mon fidèle entraîneur dans l’épreuve du souffle romanesque. Après Le Club des incorrigibles optimistes, il remet le couvert avec une saga, que dis-je, une fresque! qui s’étale sur un siècle. On voyage, on danse, on aime, on pleure, on s’émeut, on rit. Il y a de tout dans Guenassia. Et même s’il reprend les mêmes ingrédients que son précédent opus, on replonge avec bonheur dans cette recette qui fait son succès. 

On suit l’histoire du médecin juif Joseph Kaplan (peut-être cela vous évoque-t-il quelque chose?), de sa naissance à Prague, ses études à Paris, sa cachette secrète pendant la Seconde Guerre mondiale en Algérie, son retour en Tchécoslovaquie et sa mort, inexorable, dans la ville qui l’a vu naître. Joseph Kaplan, c’est l’histoire d’un type qui vit dans un siècle tourmenté (mais quel siècle ne l’est pas me direz-vous!) et qui mène sa barque dans les méandres de ce que la vie lui réserve. Une femme, des enfants, des amis à profusion et vers le milieu de sa vie, un météore. Son existence croise celle d’Ernesto G., jamais précisément nommé mais que nous reconnaissons aisément sous le pseudonyme du Che. Mais diable que faisait le chef de la guérilla cubaine en Tchécoslovaquie??? Pourquoi avait-il besoin de Joseph Kaplan? 

C’est un secret que je ne peux bien sûr vous révéler mais croyez-moi, vous adorerez La vie rêvée d’Ernesto G., un livre où l’on ne s’ennuie pas pourvu qu’on aime les grandes sagas familiales. En prime, pour le prix du livre, un voyage en Europe et en Afrique vous est offert à travers ces lignes. Magique non? La vie rêvée d’Ernesto G. nous fait oublier, l’espace de quelques heures, la nôtre. 

La vie rêvée d’Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia
Editions Albin Michel 2012
9782226242952
533p., 22€90

Un article de Clarice Darling.


Barbe Bleue, d’Amélie Nothomb

Signé Bookfalo Kill

Tiens, c’est le début de la rentrée littéraire 2012 ! Vous savez comment je le sais ? Hé oui, gagné.
Il y a un nouveau Amélie Nothomb.
Barbe bleue, ça s’appelle. Et comme vous vous en doutez, c’est une variation nothombienne et contemporaine sur le conte de Charles Perrault.

Il était une fois (donc) Don Elemirio Nibal y Milcar. Il avait 44 ans et vivait seul dans sa grande maison de maître du VIIe arrondissement de Paris, ce qui l’arrangeait parce qu’il n’appréciait pas la compagnie des hommes. Mais cela l’embêtait quand même un peu parce qu’il aimait beaucoup la compagnie des femmes. Surtout les jeunes. Il passait donc des petites annonces pour proposer de partager ses appartements en colocation. Bon, il devait en passer souvent parce que ses colocataires avaient une fâcheuse tendance à disparaître.
Saturnine Puissant, elle, ignorait tout de cette histoire. Jeune Belge en exil à Paris (hum), elle voulait juste déserter le canapé que lui prêtait une amie à Marne-la-Vallée depuis des mois. Cette offre trop belle pour être honnête lui convenait donc parfaitement.
Don Elemirio et Saturnine commencèrent donc à cohabiter, plus ou moins harmonieusement. Sauf qu’entre eux se dressait un secret. celui que Don Elemirio dissimulait dans une chambre noire, la seule pièce à laquelle Saturnine n’avait pas le droit d’accéder et qui n’était pourtant pas fermée à clef…

Bon, j’arrête là, vous connaissez tous plus ou moins l’histoire de Barbe-Bleue. Amélie Nothomb l’adapte tout de même à sa sauce, faisant de Don Elemirio un Barbe Bleue désacralisé, avec des motivations et une forme de « morale », comme tous ses « monstres » habituels, pour lesquels elle garde toujours la même affection. On pourrait même lui en faire une sorte de devise.
Le freak, c’est chic, le glauque, c’est choc.
Quant à Saturnine, c’est une jeune femme d’aujourd’hui, indépendante, forte tête, loin de la cruche trop curieuse du conte original. Et les deux vont s’affronter, dans un mélange familier d’admiration et de répulsion . Le schéma est connu, il était déjà en place dans le premier roman de Nothomb, Hygiène de l’assassin. C’était il y a vingt ans. Cela n’a guère varié depuis.

Pour le reste, c’est du Nothomb sans surprise. Une fois passée l’exposition, le roman se résume à une suite de dialogues plutôt brillants (hormis quelques facilités occasionnelles), articulés autour de dîners à fleurets mouchetés. Au menu, provocation, séduction, champagne et discussions érudites sur des sujets aussi divers que le féminisme, les origines espagnoles du Christ ou la photographie.
Ça fait 170 pages, ça se lit en deux heures maxi et ça s’oublie aussitôt. Comme d’habitude depuis quelques années, quoi.

Et sinon, la rentrée littéraire commence. Avec des vrais morceaux de littérature dedans. On vous en reparle bientôt !

Barbe bleue, d’Amélie Nothomb
  Éditions Albin Michel, 2012
ISBN 978-2-226-24296-9
170 p., 16.50€


L’Ile des chasseurs d’oiseaux, de Peter May

Signé Bookfalo Kill

Terrassé par la mort de son fils, Fin MacLeod traîne sa dépression chez lui depuis des semaines, et se demande s’il veut véritablement reprendre son métier de policier. Son supérieur ne lui laisse pas le choix : un crime vient d’être commis sur l’île de Lewis, crime qui présente des similitudes troublantes avec un meurtre sur lequel Fin a enquêté récemment à Édimbourg. Il doit se rendre sur place pour vérifier s’il pourrait s’agir ou non d’un tueur en série.
Le voyage est loin d’être anodin pour Fin : il est né et a grandi sur cette île située au nord de l’Écosse, petit bout de terre rugueux et battu par les vents, où l’on se chauffe à la tourbe et où la pression de la religion et des traditions est encore extrêmement forte. En arrivant sur place, Fin MacLeod réalise que c’est moins une investigation policière qu’une enquête sur son propre passé à laquelle il s’apprête à se confronter.
Un passé d’où pourraient bien émerger de sombres vérités…

Cela faisait un moment que j’entendais parler en bien de ce roman de Peter May, premier d’une trilogie consacrée à l’île de Lewis. Cela faisait également un moment que je tournais autour de cet auteur écossais, sans réussir à trouver un titre qui me donne envie de découvrir son œuvre. Sa série précédente, qui se déroulait essentiellement en Chine, m’inspirait assez peu. Mais là, avec cette histoire ancrée en Écosse, j’ai été tout de suite beaucoup plus attiré ; et les nombreuses critiques très élogieuses glanées ici et là sur Internet ont fini par me convaincre de tenter l’expérience.

Alors, oui, Peter May écrit très bien. Ses descriptions de l’île de Lewis sont riches et invitent au voyage – un voyage aride et sauvage, certes, mais d’autant plus intéressant qu’il nous immerge dans une contrée préservée et peu connue, loin des clichés sur l’Ecosse. L’évocation des traditions séculaires qui rythment la vie de l’île est d’ailleurs assez fascinante. Enfin, le romancier prend le temps de camper ses personnages, dont il détaille aussi bien le passé que la psychologie, avec une grande justesse.

Mais bon sang, que tout ceci est long !!! J’en ai lu, des polars lents, plus littéraires et atmosphériques que frénétiques ; et il y en a beaucoup qui figurent parmi mon panthéon du genre (Seul le silence de R.J. Ellory, pour n’en citer qu’un). Seulement, là, il arrive un moment où il devient nécessaire de sauter des passages, notamment des descriptions interminables, histoire de ne pas s’endormir complètement. Le moindre petit caillou sur le bord de la route est évoqué, le moindre oiseau détaillé du bec à la dernière plume.

Il faut préciser aussi que l’enquête policière sur le crime qui ramène Fin sur l’île est totalement secondaire. Elle sert tellement de prétexte initial qu’elle disparaît parfois de la trame pendant des dizaines de pages. En contrepartie, Peter May propose une alternance narrative intéressante : les chapitres centrés sur le retour de Fin et ses investigations sont racontés par un narrateur omniscient, alors que d’autres, évoquant l’enfance et l’adolescence de Fin, sont racontés par ce dernier. J’ai d’ailleurs trouvé que c’étaient souvent les chapitres les plus justes et les plus émouvants du roman.

Au bout du compte, L’Île des chasseurs d’oiseaux est un roman d’ambiance, bien écrit, noir ce qu’il faut et pas déplaisant, mais qu’il ne faut pas lire pour l’aspect policier, plutôt décevant (les révélations finales manquent un peu d’originalité, même si elles sont mises en scène avec panache), et qu’il faut surtout aborder avec patience, sous peine de le refermer au bout de cinquante pages.

L’Île des chasseurs d’oiseaux, de Peter May
Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue
Éditions Actes Sud, collection Babel Noir, 2011
(Première édition : Le Rouergue, 2009)
ISBN 978-2-330-00133-9
425 p., 9,70€


L’Origine de la violence de Fabrice Humbert

L’Origine de la violence de Fabrice Humbert est un ouvrage étrange. Puissant, sobre, terriblement humain. C’est l’histoire d’un jeune prof en voyage scolaire en Allemagne qui va découvrir, lors de la visite du camp de Buchenwald, une photographie qui changera le cours de sa vie. Sur cette image noire et blanche surannée, il distingue un détenu qui ressemble étrangement à son père Adrien. Or son père est bel et bien vivant, en ce moment même, à Paris. Qui est cet homme sur la photographie? Son grand-père naturel. Le protagoniste mène une véritable quête identitaire pour connaître son grand-père biologique et pourquoi on lui a menti pendant si longtemps. Adrien est-il au courant que Marcel n’est pas son père? Quelles vont être les conséquences de cette découverte?

L’auteur nous raconte plusieurs vies imbriquées les unes aux autres, percutées de plein fouet par la guerre. La famille Fabre, la famille Wagner, le tout sur fond dramatique d’un camp de concentration. L’écriture de Fabrice Humbert est d’une rare puissance et d’un haut niveau intellectuel. Les libraires ne se sont d’ailleurs pas trompés, le roman a obtenu en 2009, le prix Orange. Si l’ouvrage est sombre, il n’en demeure pas moins un espoir, une lumière, la lumière de la liberté, de la connaissance et l’espoir de pouvoir être soi, au delà de l’Histoire. 

L’Origine de la violence de Fabrice Humbert
Editions Le Passage, 2009
Editions Livre de Poche, 2010
9782253129462
344p., 6€95

Un article de Clarice Darling.