La Tour Noire, de Louis Bayard
Signé Bookfalo Kill
Dans son premier roman, Un oeil bleu pâle, Louis Bayard faisait d’Edgar Poe, alors jeune élève de l’école militaire américaine de West Point, l’assistant de l’enquêteur-narrateur. Cette fois, dans la Tour Noire, c’est à deux figures mythiques de l’Histoire de France qu’il s’attaque : Vidocq, l’ancien bagnard devenu chef de la Sûreté, et Louis XVII, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, dont la mort en détention à l’âge de dix ans a suscité beaucoup d’interrogations et de fantasmes.
Le premier et le plus persistant de ces fantasmes : celui que l’on a surnommé « l’enfant du Temple » ne serait en fait pas mort en prison… Comme d’autres avant lui, Bayard s’empare de l’idée pour jouer avec tout au long du récit. Sans chercher à faire oeuvre d’historien ni à offrir une nouvelle théorie révolutionnaire sur la question, il tisse sa toile de romancier autour de ce mystère et lui offre une variation intelligente et poétique, qui s’avère suffisamment plausible pour satisfaire le lecteur.
L’autre intérêt du roman, c’est bien sûr le personnage de Vidocq. Sa manière de le mettre en scène est parfaitement crédible : hâbleur, provocateur, malin, grossier, manipulateur, fascinant, extrêmement brillant ; en un mot, grandiose, tel qu’on se représente cette figure marquante et bien réelle du XIXe siècle. Pour autant, Vidocq n’est pas le héros du roman, et finit même par devenir secondaire au fil des pages : c’est l’un de mes petits regrets, car chacune de ses apparitions apporte du spectacle et de la folie au récit.
Comme son nom ne l’indique pas, Louis Bayard est américain. Le détail est d’importance, car on pouvait dès lors craindre une reconstitution de l’époque « à l’américaine », avec son lot de facilités et de clichés sur la France. Il n’en est heureusement rien. Bayard s’est documenté avec sérieux, et il a su mettre le fruit de ses recherches au service de son histoire, sans chercher à rendre son récit « exotique » ou clinquant.
Puis il y a son style, assez singulier, qui présente un rythme particulier auquel il faut s’habituer durant les premières pages. C’était déjà le cas dans Un Oeil bleu pâle, signe que l’auteur a déjà un coup de patte, une manière bien à lui de raconter ses histoires, et qu’il ne nous livre pas un énième roman historique sans originalité ni saveur.
Si vous cherchez donc un bon polar historique, pas prise de tête mais sérieux, bien mené et agréable à lire, la Tour noire est une excellente option !
La Tour noire, de Louis Bayard
Editions Pocket, 2011 (édition originale : le Cherche Midi, 2010)
ISBN 978-2-266-18890-6
442 p., 7,90€
La Femme et l’ours, de Philippe Jaenada
Signé Bookfalo Kill
Le jour où sa femme, dans un de ses mauvais jours, lui crie : « Connard ! Dégage ! » pour conclure une dispute domestique relativement anodine, Bix Sabaniego prend la mouche et la porte, bref, il prend Madame au mot et dégage. Commence alors, pour cet écrivain au maigre succès, une errance désordonnée, depuis des bars parisiens où il a des attaches de comptoir, jusqu’à Monaco où il échoue en quête d’une jolie conquête potentielle, en passant par le bar du Lutetia et une cave sordide où il joue à expérimenter la vie d’un SDF.
Jaenada aime la dérision et le dérisoire. Ne vous y trompez pas : cette histoire de chute libre et volontaire est tout sauf déprimante. Narrateur de sa propre plongée en indignité, Bix a la langue bien pendue de ces losers magnifiques pour qui perdre est un art de haut vol. Son récit est souvent amusant, parsemé de trouvailles et de situations drolatiques qui, si elles n’arrachent pas de furieux éclats de rire, amènent régulièrement un sourire bienveillant sur votre visage.
Dommage alors que l’auteur cède à une sorte de grand-guignol sexuel vers la fin, histoire de parachever la déchéance de son « héros ». Pataude, parfois vulgaire (dans les dialogues), la scène de sexe violente et misérable qu’il nous inflige, assortie d’une allusion pédophile d’une facilité navrante (histoire de décrédibiliser les adversaires de Bix et de justifier la manière douteuse dont il s’en sort), transforme le sourire en rictus désagréable.
Par ailleurs, une précision si vous ne connaissez pas encore le style caractéristique de l’auteur : Philippe Jaenada adore les apartés. Son écriture est truffée d’incises et de parenthèses, voire de parenthèses dans les parenthèses. Le résultat est parfois un peu usant à lire, certaines phrases nécessitant d’être décomposées et relues pour être comprises dans leur ensemble.
Conséquence ou non du procédé, le texte patine au bout d’un moment, et on attend parfois un peu trop longtemps que le récit, englué dans ses bifurcations sauvages, avance vers une nouvelle péripétie. L’auteur est virtuose en la matière, mais parfois, il faudrait savoir ne pas abuser des bonnes choses.
Bref, une lecture dont je sors partagé. Pas encore enclin à rejoindre le clan des adorateurs de Philippe Jaenada (parmi lesquels des gens très estimables), mais curieux de découvrir ce qu’il a pu écrire avant. La cause n’est pas perdue !
La Femme et l’ours, de Philippe Jaenada
Editions Grasset, 2011
ISBN 978-2-246-75841-9
311 p., 19€