Serena, de Ron Rash
Signé Bookfalo Kill
La fin de l’année arrive, et avec elle l’heure de faire quelques inévitables bilans. En voici un, personnel : en 2011, le polar aura été placé pour moi sous le signe de la femme fatale. Mon dernier coup de coeur de l’année s’appelait Betty, d’Arnaldur Indridason ; le premier, en janvier, se (pré)nommait Serena, de Ron Rash.
Deux prénoms féminins en guise de titre, pour deux romans noirs forts et marquants, écrits par des hommes et dominés par un personnage de femme fascinante, intense – bien que s’avérant très dangereuse à fréquenter… Après vous avoir glacé avec la mante religieuse islandaise, c’est à un voyage impressionnant dans une page d’histoire américaine que je vous invite.
Nous sommes en Caroline du Nord, au début des années 1930. Le krach boursier de 29 a plongé le monde dans la détresse, jeté des millions d’hommes dans la pauvreté. Si les Etats-Unis ne sont pas épargnés, le couple Pemberton ne semble pas en avoir conscience. Lui est exploitant forestier, capitaliste sans scrupule, guidé par un très sûr instinct de destructeur ; sa femme, Serena, abrite sous sa beauté sidérante une ambition dévorante servie par un coeur de pierre, redoutable attelage par lequel elle pousse son mari à aller toujours plus loin. Pour eux, la crise est une bénédiction, une pourvoyeuse infinie d’hommes prêts à risquer leur vie – et Dieu sait que le métier de bûcheron est dangereux – pour quelques dollars.
Avançant sans répit, ils dévastent tout sur leur passage, au mépris des vies humaines et de la Nature. Et gare à ceux – adversaires écologistes s’efforçant de créer un Parc National pour préserver la forêt, associés versatiles ou ennemis plus intimes – qui se mettront sur leur route…
Ne vous y trompez pas : s’il y a beaucoup d’histoires d’hommes dans ce roman – époque et contexte oblige -, c’est bien la figure de Serena, audacieuse, vénéneuse, envoûtante, destructrice, qui domine et subjugue le récit. Parvenir à attacher le lecteur à un caractère aussi violent n’est pas un mince exploit : rien que ce tour de force exige que l’on rende hommage à Ron Rash, formidable créateur de personnages à la fois crédibles et littéraires, d’une grande complexité psychologique, aussi bien les « héros » que les secondaires, tous parfaitement croqués, plantés dans l’histoire, reconnaissables d’un mot, d’une attitude, d’un détail.
De Serena, on entend le froissement des jupons, on sent la fragrance de son parfum, on admire les courbes parfaites de son corps, on craint le regard implacable… Une héroïne inoubliable.
Mais Rash va beaucoup plus loin. Son roman est extrêmement ambitieux, par la forme comme par le fond. Sa réflexion sur les dérives capitalistes des années 30, l’attitude des grands propriétaires, la détresse des gens de peu réduits à rien, offre un miroir saisissant à notre propre époque, sans jamais que l’auteur impose la comparaison à l’aide de métaphores ou d’allusions faciles. Non, Ron Rash raconte simplement son histoire, ancrée dans son propre temps, laissant le soin au lecteur de créer les connexions nécessaires. La marque des grands auteurs et des grandes oeuvres.
Puis il y a la manière dont il évoque la Nature, personnage à part entière, seul adversaire finalement à la hauteur de Serena. Les descriptions des décors impressionnants de la Caroline du Nord – montagnes, forêts, rivières, ainsi que les animaux sauvages qui les hantent, des serpents à l’aigle que Serena domestique – trouvent un écho dans le style dense et minéral du romancier et, encore une fois, dans les caractères rudes et bruts des personnages. Tout est lié, inextricablement.
De ce fait, Rash ne cède en rien à la mode (facile) des chapitres courts et du rythme haletant. Si c’est son roman peut être qualifié de « noir », c’est avant tout une oeuvre littéraire, au style exigeant et travaillé au fil de longs chapitres aux paragraphes denses. Les dialogues, par exemple, reprennent le langage populaire des ouvriers sans sombrer dans la parodie, creusant mieux que tout les différences de niveau social avec les Pemberton et leurs alliés.
Quant à la structure générale du roman, elle évoque celle du drame élisabéthain, à la fois par sa route tracée droit vers la tragédie, que par l’intervention régulier d’un groupe de bûcherons qui assure certaines transitions (notamment les changements de saisons), commente des faits passés et annonce la couleur de ce qui va suivre, à la manière d’un choeur de théâtre antique.
Immense roman, Serena est une œuvre rare parce qu’elle repousse les limites des genres, brouille les pistes littéraires, empêche de cantonner le roman noir, et à travers lui le polar dans son ensemble, à un sous-genre (le cliché souffre mais a la vie dure.) Qu’elle ait été publiée par les éditions du Masque – éditeur sempiternellement associée à l’image surannée d’Agatha Christie mais dont le travail contemporain mérite largement le détour – est d’ailleurs un symbole qui me réjouit grandement…
Elle confirme également l’immense talent d’un écrivain américain dont la voix compte déjà, et comptera sûrement encore davantage dans les années à venir. Son nom est facile à retenir : Ron Rash.
Serena, de Ron Rash
Editions du Masque, 2011
Traduit par Béatrice Vierne
ISBN 978-2-7024-3402-4
404 p., 20,90€
Le Bal d’anniversaire, de Lois Lowry
Signé Bookfalo Kill
La princesse Patricia Priscilla s’ennuie. Elle a pourtant tout pour être heureuse : une chatte qu’elle idôlatre, des serviteurs aux petits soins, bref : une vie de château dont rêvent toutes les petites filles. Mais elle s’ennuie, et à un point !…
Sans compter que, d’ici quelques jours, elle va avoir seize ans – soit l’âge, à l’occasion d’une grande fête, de rencontrer ses prétendants et de choisir l’un d’entre eux afin d’en faire son époux. Problème : ses prétendants sont tous épouvantables. D’abord, il y a le duc Desmond de Dyspepsie, qui ressemble à un phacophère et a fait interdire tous les miroirs dans son royaume afin de mieux se persuader qu’il n’est pas hideux. Ensuite, le sombre prince Percival de Pustule, qui hait tout et tout le monde hormis lui-même, et dont le passe-temps favori est de se mirer dans tout reflet à proximité de sa personne. Enfin, les comtes joints Colin et Cuthbert, des siamois attachés par le flanc, qui n’aiment rien tant que se chamailler et dire des gros mots.
En discutant avec sa dix-septième femme de chambre, la princesse a l’idée d’échanger ses vêtements avec elle et de se glisser incognito à l’école du village, comme une simple manante. Là, elle fait la connaissance de Rafe, le maître d’école…
Auteur incontournable de la littérature jeunesse contemporaine, l’Américaine Lois Lowry signe avec le Bal d’anniversaire un conte de fées drôle et enlevé. On retrouve son habileté coutumière à planter en quelques mots des décors, des personnages et des atmosphères – ici, celle d’une vie médiévale de conte, avec sa princesse candide, ses roi et reine à côté de la plaque, ses princes pas charmants et ses villageois modestes mais généreux.
L’histoire est simple et racontée avec simplicité, dans le style fluide et sobre de la romancière. On rit beaucoup, surtout aux dépens des princes, superbement ridicules – mais, au final, dûment éduqués et « récupérés ». Au terme du récit, la morale est sauve et l’issue joyeuse, dans la bonne humeur et sans aucune mièvrerie.
Si, par le passé, Lois Lowry a emmené le roman jeunesse vers des sommets supérieurs (le Passeur, chef d’oeuvre du genre), son Bal d’anniversaire est un beau petit roman, frais et joyeux. A conseiller à partir de 9-10 ans !
Le Bal d’anniversaire, de Lois Lowry
Editions Ecole des Loisirs, collection Neuf, 2011
Traduit par Agnès Desarthe
ISBN 978-2-211-20337-1
224 p., 11€
Microfilms, de Julien d’Abrigeon
Signé Bookfalo Kill
Voilà une chouette idée : dans Microfilms, Julien d’Abrigeon s’amuse à imaginer cinq cents pitchs compilant actualité politique, people et références cinématographiques ou télévisuelles connues. Le résultat est un mélange loufoque, gentiment drôle ou moqueur, qui dénote un sens de l’observation aigu et un esprit habile à manier de solides connaissances en matière de cinéma.
J’aime particulièrement ses gimmicks, notamment sur Bambi :
Rambi III
Le jeune faon, devenu un cerf puissant et musclé, décide de venger la mort de sa mère. Il monte une armée d’animaux surentraînés prêts pour un combat qui s’annonce sanglant.
auquel répond une page plus loin :
Bambo
Un cerf qui s’est bien battu revient dans sa forêt. Mais il a du mal à se réadapter à la vie normale et un dérapage sur la glace le fait vite déraper.
D’autres exemples que j’aime bien :
Chanter droit
Fils de Fernand et Jackie, le petit Michel repasse ses leçons en chantant et, par conséquent, rate lamentablement son brevet des collèges. Jackie, sa maman, lui explique : « C’est la faute de ces connards de gauchistes de feignants de profs de merde, mon canard ! » Michel fait la gueule et décide de se lancer dans la chanson engagée…
Des pales dans le sable
La performance de Clovis Cornillac est saisissante dans ce biopic de Daniel Balavoine.
Bien sûr, sur cinq cents scénarii, tout n’est pas toujours réussi ni très subtil. Puis cela finit vite par devenir répétitif et lassant si l’on s’y plonge plus de dix minutes. A coup sûr, c’est un livre dans lequel picorer, de temps à autre, pour le plaisir d’un petit sourire.
En revanche, gros reproche au sujet du prix : 12€ pour un livre de 108 pages qui tient à l’aise dans une poche arrière de jeans, c’est carrément trop, et sans doute injustifié d’un point de vue éditorial. Entre 5 et 8€, je l’aurais bien distribué autour de moi, en petit cadeau clin d’oeil pour Noël – mais à ce tarif, hors de question ! Dommage…
Microfilms, de Julien d’Abrigeon
Editions Léo Scheer, collection Laureli, 2011
ISBN 978-2-7561-0357-0
108 p., 12€
Golgotha picnic de Rodrigo Garcia
A l’origine de cette lecture, il y a tout le foin que les intégristes ont fait pour empêcher cette pièce d’être jouée au théâtre du Rond-Point, à Paris. Tout le foin, c’est vite dit! Je n’y étais pas, mais voici comment Le Monde décrit la situation. Après les tensions à Toulouse, les personnes manifestant leur mécontentement étaient ici, calmes, pacifistes, empêchant certes que la pièce soit jouée, mais sans gêner qui que ce soit d’accéder au théâtre. Depuis, les représentations ont continué et plus personne n’était devant le Rond-Point.
L’auteur, Rodrigo Garcia, est un étrange personnage. Désabusé, sans illusion sur le monde contemporain (ni même sur le monde passé) En bon publicitaire qu’il fut, il aime les phrases courtes, les accroches chocs comme les titres de ses ouvrages peuvent en témoigner C’est comme ça et me faites pas chier, Vous êtes tous des fils de pute ou encore, Fallait rester chez vous, tête de noeuds. Autant vous dire que voir ou lire une pièce de Rodrigo Garcia est une expérience intéressante qui ne laisse pas indifférent.
Golgotha Picnic ressemble aux autres pièces de l’Argentin. Vous prenez la politique, la religion catholique, les médias, les journalistes, vous mélangez le tout avec des insultes et vous obtenez une pièce de théâtre. Voici à priori ce qu’on peut penser à la première lecture ou première vision d’une pièce.
Mais, car il y a un mais, Rodrigo Garcia va beaucoup plus loin. C’est un auteur tourmenté, qui se réfère certes souvent aux mêmes maux de la société, mais c’est ce qui l’a gangréné étant petit. La religion catholique dans un pays d’Amérique Latine induit un facteur de contrition qui ne quitte pas les personnes ayant grandi dans cette foi. Cette foi dont veut se débarrasser l’auteur.
Bien sûr, dans Golgotha Picnic, la religion catholique en prend pour son grade, mais au même titre que les journalistes et les médias. En fervente athée que je suis, j’ai rit. J’ai rit car le début de l’ouvrage est drôle et j’ai rit en me disant « Oh quand même, ils vont pas être contents les catholiques! » C’était exactement l’effet recherché par l’auteur, les catholiques ont donc bien joué le jeu. Le fils de Dieu est vu ici comme un inadapté à la vie quotidienne, incapable de boire des bières avec des potes et draguer les filles. Pourquoi, alors qu’il est Amour, on le représente souvent en train d’agoniser sur la Croix?
« Personne ne devrait jamais avoir accès à ces épouvantables tableaux représentant des calvaires, des croix et des larmes, des plaies béantes et des doigts qui fouillent à l’intérieur, de la propagande pour la perversion, le tourment et la cruauté, résultat de techniques raffinées. » (p.18-19)
Rien que pour la diatribe sur les musées, ce passage m’a fait rire.
Cependant, la deuxième partie de la pièce est nettement plus chiante. Excusez mon propos. Ce long monologue s’enfonce dans des digressions que le lecteur ne parvient plus à comprendre. De qui parle-t-il? Pourquoi? Je me suis perdue dans les méandres de la lecture. Et je me suis dit au final, que j’avais ressenti la même chose pour C’est comme ça et me faites pas chier, qui visait ici le domaine de la publicité et le porno à tout bout de champ.
C’est ça mon problème avec Rodrigo Garcia. J’aime bien au début… Il faudrait vraiment que j’aille voir une pièce, voir une de ses mises en scène pour me faire ma propre opinion. Une pièce de théâtre, c’est décidément fait pour être vu, non pour être lu.
Ils ont testé la pièce pour vous: Métro
Le résumé du Rond-Point : Golgotha Picnic
Golgotha Picnic de Rodrigo Garcia
Les Solitaires Intempestifs, 2011
9782846813297
78 p., 12€
Un article de Clarice Darling.
L’Invention de Hugo Cabret, de Brian Selznick
Signé Bookfalo Kill
Avant d’être un film de Martin Scorsese – dans les salles dès demain, histoire d’égayer notre Noël 2011 – L’Invention de Hugo Cabret est un excellent roman pour enfants signé Brian Selznick. Les éditions Bayard venant opportunément de le publier en poche, c’est l’occasion d’en dire quelques mots… avant de le glisser sous le sapin à l’intention de vos chers bambins, cela va sans dire !
Paris, 1931. Hugo Cabret a une dizaine d’années, il est orphelin depuis la mort de son père dans l’incendie du musée où il travaillait. Il vit caché dans une grande gare parisienne, dont il remonte les pendules avec l’aide de son oncle alcoolique qui l’a recueilli bon gré mal gré. Héritier du don familial pour l’horlogerie, le jeune garçon n’a qu’une obsession : faire fonctionner un automate très élaboré que son père n’a pas eu le temps de réparer avant de mourir. Pour cela, il dérobe des pièces de mécanisme dans la boutique de jouets de Georges, un vieil homme bourru et étrange.
Pris un jour en flagrant délit, Hugo est obligé de donner le carnet de son père au marchand de jouets. Furieux, décidé à récupérer son bien par tous les moyens, le jeune garçon va alors découvrir les secrets et le passé prestigieux du vieux Georges…
Avec ses personnages attachants, son suspense, ses rebondissements et surtout son sujet – les débuts du cinéma, à travers notamment le destin d’un des plus grands réalisateurs et inventeurs français du genre… je vous laisse deviner qui, si ce n’est déjà fait ! -, ce roman avait déjà beaucoup pour plaire. Mais sa mise en forme fait toute la différence et le classe très haut parmi les romans pour enfants les plus originaux sortis depuis longtemps.
En effet, l’histoire est racontée à l’aide de séquences dessinées intercalées entre des passages de texte. Les superbes dessins en noir et blanc, oeuvres de Selznick lui-même, ne se contentent donc pas d’illustrer l’histoire, mais ils contribuent entièrement à la raconter, en empruntant d’ailleurs leurs cadrages et leurs enchaînements à l’art de la narration cinématographique.
Le résultat est un magnifique roman-cinéma, qui présente au passage un autre avantage : avec ses 530 pages très faciles et très rapides à lire, il peut contribuer à aider des jeunes lecteurs (dès 9 ans) à dominer leur éventuelle peur des gros livres… Ca, c’est le cadeau bonus !
L’Invention de Hugo Cabret, de Brian Selznick
Editions Bayard, 2008 (2011 pour l’édition de poche)
ISBN 978-2-7470-3886-7
533 p., 12,90€
Adieu, de Jacques Expert
Signé Bookfalo Kill
A Châtenay-Malabry, on retrouve une famille décimée : la mère égorgée, les enfants étouffés ; le père, lui, a disparu. Chargé de l’enquête, le commissaire Hervé Langelier, flic laborieux et sans envergure, est persuadé que le coupable est tout désigné, ce ne peut être que le paternel évaporé dans la nature. Quand un crime identique est commis un mois après jour pour jour et que ses supérieurs commencent à crier au tueur en série, Langelier reste arc-bouté sur ses certitudes. Au point d’être déchargé de l’enquête et de voir son chef et ami, le commissaire divisionnaire Ferracci, réussir à neutraliser le tueur deux mois et deux autres crimes plus tard, tué au terme d’une course-poursuite.
Mais Langelier est toujours persuadé d’avoir eu raison ; et c’est seul contre tous, et surtout contre Ferracci, qu’il va tout faire pour en apporter la preuve…
Journaliste, directeur adjoint de Paris Première, Jacques Expert était déjà l’auteur de trois polars publiés par Anne Carrière. Rien de transcendant, voire de franches déceptions (la Théorie des Six : bonne idée, traitement pas à la hauteur) – en résumé, rien qui permît de comprendre l’arrivée en fanfare de cet auteur chez Sonatine, l’un des éditeurs du genre les plus appréciés du moment.
(A part imaginer que cet ancien de TF1 et M6 ait fait jouer ses relations – sachant que Sonatine travaille avec des « conseillers éditoriaux » nommés Pierre Lescure ou Jean-Pierre Lavoignat -, mais ça, c’est pas bien, non non non. En plus, ça n’existe pas dans l’édition, mais non voyons, qu’allez-vous imaginer, espèce de jaloux.)
Après lecture de la chose, je ne comprends pas davantage. Adieu est un polar peu sympathique, à l’image du commissaire Hervé Langelier, un personnage imbu de lui-même, sûr d’avoir raison et paranoïaque. Rien que pour le fun, j’aurais dû compter le nombre de fois où il traite ceux qui s’opposent à lui de crétins ou d’imbéciles. Oser un « héros » pareil peut être courageux : au moins est-il un homme ordinaire, avec ses faiblesses et ses défauts… Mais de là à le rendre aussi détestable, il y a un pas qu’Expert aurait pu se retenir de franchir. N’est pas Antoine Chainas qui veut, capable de faire du héros de Versus, le pire fumier de tous les temps, un personnage finalement « attachant »…
On passe sur l’aspect irréaliste du procédé de narration qui tient les deux tiers du livre : le jour de son départ en retraite, devant ses invités, Langelier se lance dans un discours interminable pour raconter les dix années qui se sont écoulées depuis son échec initial, durant lesquelles il s’est acharné à poursuivre son enquête sur les pères disparus, histoire de prouver qu’il avait raison… On n’y croit pas, mais bon, au moins, on peut faire abstraction, c’est un détail, poursuivons.
En fait, la situation est d’autant moins crédible que la fin est censée reposer sur un twist – eh oui, encore un auteur persuadé qu’un rebondissement final inattendu peut sauver tout un livre… – ; lequel twist s’avère contredire le récit, ce qui revient, non pas à manipuler, mais à abuser, à duper le lecteur. La nuance est importante, car une manipulation est jouissive quand elle est habilement conduite (cf. Betty d’Indridason), tandis qu’une tromperie constitue une rupture du contrat de confiance qui lie le lecteur à l’auteur. En gros, c’est tricher.
De plus, le twist doit être surprenant et masqué jusqu’au bout. Là, c’est assez prévisible, en tout cas l’avais-je anticipé d’assez loin, car c’était une solution plutôt évidente et, à vrai dire, médiocre. Pour me contenter, Expert aurait dû surpasser mon attente de simple lecteur : raté.
Quant au style, il est au mieux inexistant, au pire chargé de maladresses, notamment encore une fois en ce qui concerne la concordance des temps, régulièrement malmenée (mais qu’est-ce que ces futurs de l’indicatif viennent faire ici ?!?) Journaliste, Jacques Expert a un style journalistique, et ce n’est pas un compliment. C’est pénible, factuel, sans âme.
Bref, ce n’est pas avec ce roman que Sonatine marquera le polar français. Du coup, on attend beaucoup de la suite, et notamment du prochain auteur hexagonal à paraître chez eux. Un certain Fabrice Colin… L’espoir, cette fois, est permis !
Adieu, de Jacques Expert
Editions Sonatine, 2011
ISBN 978-2-355-84084-5
327 p., 20€
Lettres d’engueulade de Jean-Luc Coudray
Cher Monsieur,
Je constate avec grand regret que votre livre n’est pas à la hauteur de mes attentes. On me vend cet ouvrage comme étant un livre qui va me permettre, je cite, « de calmer (nos) amères ruminations et, si (nous retrouvons notre) bourreau, d’espérer crucifier sa basse conscience, réveillant chez (nous) cette sérénité que procure le rééquilibrage du monde. « Rien que ça.
Je m’attendais donc à des lettres pleines d’humour et d’esprit, répondant à des situations données, comme « un jeune me traite de vieux » ou « mon patron prétend que les caisses sont vides pour me refuser une augmentation. » J’attendais des réponses drôles et relevées. J’ai souvent vu des lettres pleines de méchanceté, de moqueries et d’humiliation.
Il est bien sûr évident que votre ouvrage permet de coucher sur le papier tout ce qu’on ne peut pas (ou qu’on n’ose pas!) dire à l’oral. Et cela aurait pu être drôle. Mais vraiment, Monsieur Coudray, répondriez-vous à une jeune fille qui demande du feu à votre voisin de plage, jeune et beau, plutôt qu’à vous, que « sa beauté (…) est enrégimentée dans la banalisation d’un maquillage outrancier (…) » et qu’une fois « débarrassée de (sa) pulsion, (elle verra) que le beau jeune homme n’était qu’un adipeux adolescent, incestueusement dépendant, qui (vous) a utilisé pour sa masturbation parce qu’il manquait d’imagination. »?
C’est ce qu’on appelle de la jalousie, de la médiocrité, de la méchanceté. Et vous savez comme moi que la méchanceté rend laid, médiocre et jaloux. Bref, un peu comme votre livre Monsieur.
Littérairement vôtre.
Lettres d’engueulade de Jean-Luc Coudray
Editions de l’Arbre Vengeur, 2011
9782916141770
185p., 13€
Un article de Clarice Darling.
Storyteller, de James Siegel
Signé Bookfalo Kill
Qu’est-ce qu’un bon journaliste ? Un raconteur d’histoires ou un rapporteur de faits ? Pour avoir oublié de se poser la question et truqué 56 articles, le brillant Tom Valle a été viré du prestigieux quotidien dont il était censé être la plume vedette. Du jour au lendemain, il n’est plus qu’un paria, le type auquel personne ne peut plus se fier. Une situation qu’il assume avec humilité et clairvoyance, tout heureux de pouvoir encore exercer son métier dans l’obscure feuille de chou de Littleton, Californie, chargé des inaugurations de centre commercial, des délits routiers ou des anniversaires à la maison de retraite.
Et c’est d’ailleurs ainsi que tout commence : par la rencontre d’une centenaire persuadée que son fils mort depuis quarante ans vient de lui rendre visite ; et par un accident de voiture mortel dont la victime n’est pas forcément celle que l’on imaginait… Deux faits anodins – mais qui une fois reliés, vont mettre Tom Valle sur la piste d’un énorme secret, l’enquête complexe, dangereuse et prestigieuse dont rêve tout journaliste.
Oui, mais s’il dévoile la vérité, qui voudra le croire, lui, le menteur compulsif ?
Chouette idée de départ que celle de ce polar. Un narrateur ayant un passé de manipulateur avéré, voilà de quoi faire ! D’emblée, Tom Valle explique qu’il écrit dans l’urgence, traqué par de mystérieux poursuivants qui n’ont aucun intérêt à ce que son récit soit connu de quiconque. Véritable menace ou délire de persécution ? Malheureusement, il n’y a aucun suspense de ce point de vue. Personnage attachant, porté sur l’auto-dérision et la repentance, Valle n’a pas la carrure des grands héros de thrillers paranoïaques. Il est trop lisse, trop gentil, trop résigné, pas Fox Mulder pour un sou. On est loin des Hommes du Président (le film magistral reprenant l’histoire de Woodward et Bernstein, les journalistes ayant dévoilé le scandale du Watergate), référence ambitieuse qu’avance imprudemment l’éditeur sur sa quatrième de couverture.
Cela n’empêche pas de suivre avec intérêt l’enquête de Valle et de tourner allègrement les pages d’un thriller clairement « à l’américaine » : phrases courtes, retours fréquents à la ligne, chapitres pas trop longs (4-5 pages en moyenne) ponctués quasi systématiquement d’un cliffhanger, histoire de pousser le lecteur à avoir envie de lire la suite au plus vite. La recette est connue, elle reste efficace quand l’auteur est suffisamment doué. James Siegel l’est, comme nombre de ses confrères d’Outre-Atlantique ayant tous été formés dans le même moule.
Revers de la médaille, l’ensemble n’a pas cette saveur particulière que savent apporter les grands auteurs, ceux qui ont une patte immédiatement identifiable. En bon faiseur, en bon « storyteller », Siegel s’en sort bien parce que son histoire est bonne, qu’il en maîtrise à la perfection le fil conducteur, le sujet, le ton et les rebondissements.
Sans être trop conventionnel, Storyteller est donc un polar U.S. classique, que j’ajoute à la catégorie « romans que je me rappelle avoir lus mais dont j’ai oublié le contenu ». Un bon moment de lecture, sans fausse note. C’est déjà pas mal, et ça fait plaisir à lire de temps en temps !
Storyteller, de James Siegel
Editions le Cherche-Midi, 2011
ISBN 978-2-7491-1029-5
461 p., 21€
P.S.: mention spéciale tout de même à l’éditeur pour sa couverture, originale, totalement adaptée au sujet et visuellement attirante. C’est d’ailleurs d’abord pour elle que je me suis intéressé à ce roman… Comme quoi, une bonne couverture, c’est important !
Veuf de Jean-Louis Fournier
Décidément, Jean-Louis Fournier n’a pas de chance. Mais vraiment pas de chance. Après ses deux garçons poly-handicapés dont l’un est décédé et l’autre survit en institut spécialisé, voici que sa seconde épouse décède comme ça, du jour en lendemain, sans prévenir.
Dans cet ouvrage, l’écrivain fait son travail de deuil, apprend (ou ré-apprend) à vivre malgré la perte d’un être cher. Alors bien sûr, c’est drôle, parce que c’est raconté à la sauce Fournier. De l’humour, des petites pointes d’amertume, parfois du chagrin, mais rien qui ne laisse présager la dévastation du « tsunami » qui vous saute à la gorge quand vous perdez votre conjoint, votre enfant, votre parent, votre meilleur(e) ami(e).
Bien sûr, c’est triste, mais Jean-Louis Fournier nous a fait déjà le coup du bouquin mi-grinçant/mi-tendre/mi-amer dans Où on va, Papa? Bien sûr, ça marche à tous les coups, parce qu’on veut tous croire qu’on peut survivre au chagrin. Et que Jean-Louis Fournier nous remonte le moral à sa façon. Il est déjà passé par là, il est encore en vie, drôle, touchant, on va donc logiquement survivre quand ça nous arrivera, à nous.
Mais je reste profondément et sincèrement persuadée que Jean-Louis Fournier peut faire mieux que cela. Mieux que ce style d’écriture derrière lequel il se cache, derrière sa « desprogerie », pour mieux masquer ses émotions. Sauf que j’aimerai lire un jour du vrai Jean-Louis Fournier, sans fioriture, sans blague pour auto-défense.
Alors, oui, Veuf est un livre plein d’espoir, parfois drôle, souvent émouvant et est un magnifique hymne à l’amour pour sa chère Sylvie, mais à traiter toutes les personnes et toutes les émotions sur la même tonalité littéraire, cela perd peut-être un peu de sa saveur.
Veuf de Jean-Louis Fournier
Editions Stock, 2011
9782234070899
157p., 15,50€
Un article de Clarice Darling.
Jayne Mansfield 1967 de Simon Libérati
Bon. Euh… comment dire… Je vais être brève.
Simon Libérati est un de ces écrivains parisiano-parisiens qui aiment les paillettes, le blush et les filles. Quoi de plus naturel dans ce cas que de prendre une jolie fille qui a fait parler d’elle, souvent en des termes vulgaires, dans sa vie comme dans sa mort. En voilà un bon sujet de roman! Ah mince, Marilyn, on a déjà fait? Pas grave, on en prend une autre! Une ex-jolie femme, Jayne Mansfield, actrice en déclin, reconvertie dans les photos et spectacles dénudés qui font scandale dans les Etats-Unis des années 50-60. Elle meurt dans un grave accident de voiture, mais trois de ses (très jeunes) enfants présents à l’arrière du véhicule au moment du choc vont survivre. Parfait.
Allez, on recueille sur internet des photos, des articles, on s’intéresse aux blogs qui font référence dans ce domaine comme ici, un article spécial sur sa mort (avec maintes photos à l’appui), sur ce site également, et sur beaucoup d’autres, la bimbo blonde ayant encore, 43 ans après sa mort, de nombreux fans dans le monde entier.
En bref, cet ouvrage est une resucée de blogs, de coupures de presse, appliquée à la sauce « roman » ou plus c’est trash, mieux c’est. C’est voyant, c’est clinquant, cela rend Jayne Mansfield encore plus vulgaire, et ça ne rend pas hommage du tout à cette femme qui, pour en arriver là, a dû vivre bien des cauchemars (alcool, drogue, flirt avec une secte satanique, alopécie précoce), le tout avant ses 35 ans. Vivement que Paris Hilton décède dans des circonstances horribles, Simon Libérati nous pondra un bouquin sur cette greluche de paillettes et obtiendra avec un peu de chance le Goncourt!
Jayne Mansfield 1967 de Simon Libérati
Editions Grasset, 2011
9782246771814
196p., 16€
Un article de Clarice Darling.