Moi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier
Déjà, tout est dans le titre. Moi d’abord, François Mitterrand après. Hervé Le Tellier nous offre un bijou de pure loufoquerie, un petit bouquin bidonnant sur l’idiotie de l’administration et des courriers-types rédigés par on ne sait quel rédacteur disposé dans un sombre bureau sous les toits du Palais de l’Élysée.
Le protagoniste écrit au Président de la République un jour de 1983 pour le féliciter de son accession au pouvoir… deux ans plus tôt. Déjà là, première bizarrerie. Surtout que sa lettre est en fait une carte postale envoyée d’Arcachon où l’auteur avoue avoir mangé des huîtres. Débute alors une formidable correspondance entre les deux hommes, où Le Tellier s’amuse à trouver mille et une nuances entre les mots stéréotypés d’une lettre type immuable, qu’il reçoit systématiquement en réponse à ses courriers plus ou moins loufoques.
Et les choses ne s’arrêtent pas là, puisque la correspondance se poursuit avec Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy (plus difficilement, on se demande bien pourquoi)…
Vous l’aurez compris, ce petit ouvrage est très drôle, complètement barré et on ne regrette qu’une chose. Qu’il soit si court!
Moi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier
Editions JC Lattès, 2015
9782709656269
89p., 10€
Un article de Clarice Darling.
RETOUR VERS LE FUTUR : Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Signé Bookfalo Kill
Quelque chose pour le week-end est paru initialement en 2011 aux éditions Baleine, et je m’étais autant régalé à le lire qu’à le chroniquer, déjà très fan de l’univers déjanté et hilarant de Sébastien Gendron. Depuis, je mets un point d’honneur à soutenir cet auteur iconoclaste, et la sortie en poche de ce roman me semble une belle occasion d’en reparler et, peut-être, d’augmenter le cercle de ses lecteurs convaincus.
Dans cette nouvelle rubrique « retour vers le futur », je vous propose donc de (re)découvrir l’article que j’avais écrit à l’époque, légèrement remanié (autant en profiter pour supprimer au passage quelques lourdeurs, hein, ça ne fait pas de mal !) En espérant vous donner envie de rencontrer les pingouins les plus cinglés de la galaxie !!!
*****
Il suffit de pas grand-chose pour changer radicalement le cours d’une vie. Prenez le cas de Lawrence Paxton. Retraité depuis peu, il a consacré sa vie à son métier d’agent de change chez Barclays et à sa femme Lynn, ainsi qu’à leur deux enfants désormais adultes et autonomes. Par-dessus le marché, il vit à Kirk Bay, petite ville anglaise hyper sécurisée où rien ne se passe jamais – d’ailleurs, il ne peut rien s’y passer.
Oui mais voilà. Un soir d’insomnie, notre ami Lawrence fait sur la plage une double rencontre décisive : avec une énorme cargaison de sacs de cocaïne d’une part, avec une armée de pingouins qui ont trempé leur bec dans la poudre blanche et sont déjà devenus dangereusement accros d’autre part. Rien d’exceptionnel, me direz-vous. Certes. N’empêche qu’après avoir imité les pingouins, Lawrence est pris d’une crise de lucidité exceptionnelle, et il comprend, il réalise enfin qu’il n’a qu’un seul but dans sa vie : éliminer sa femme qui, quand même, avouons-le, lui pourrit la vie depuis des années avec son obsession de trouver quelque chose à faire pour le week-end.
Et là, évidemment, c’est le début des ennuis.
Après avoir dynamité les codes du roman d’espionnage dans le réjouissant Taxi, Take Off and Landing, Sébastien Gendron s’en prend ici au célèbre nonsense britannique. Impossible de ne pas penser aux Monty Python. Lawrence Paxton, c’est John Cleese dans ses œuvres de grande pintade britannique, à la fois terriblement coincé et capable des pires horreurs.
Au meilleur de sa forme, le romancier mêle joyeusement des personnages en décalage systématique par rapport aux situations qu’ils affrontent – y compris les plus périlleuses -, des épisodes drolatiques et d’autres plus dramatiques, sans se priver d’exercer d’un ton badin son sens critique, lorsqu’il s’agit de dézinguer la lâcheté des politiques, l’irresponsabilité écologique, ou tout simplement les mesquineries ordinaires qui font notre quotidien.
Dans tout ça, les pingouins font figure autant de détonateurs que d’excellents artifices humoristiques. Gendron les glisse partout, sur la plage, en ville, sur les pelouses impeccables des jardins anglais (shocking !) comme près des poubelles dont ils dévorent le contenu sans retenue. Les pingouins de Gendron, ce sont les Gremlins d’aujourd’hui. Aussi dingues, aussi nuisibles, aussi drôles, et peut-être encore plus inquiétants parce qu’ils nous sont familiers. Bref, une belle idée qui anime le roman de bout en bout – jusqu’à une jolie pirouette finale, mais chut…
Pour résumer, vous aurez donc toutes les chances de passer un bon moment à sourire gaiement, voire à rigoler franchement, pour peu que vous soyez sensible à une large palette d’humour allant de l’absurde au potache.
Et donc, avec qui vous allez passer le week-end prochain ?
(Celui qui répond « un pingouin » a perdu.)
Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Éditions Pocket, 2016
(Édition originale : Baleine, 2011)
ISBN 978-2-266-24053-6
286 p., 6,80€
Zaï zaï zaï zaï, de Fabcaro
Signé Bookfalo Kill
Fabcaro est complètement dingo. Et tant mieux, parce que Fabcaro et dingo riment aussi avec rigolo. De toute façon, que pouvait-on attendre d’autre d’une bande dessinée intitulée Zaï zaï zaï zaï ?
Je ne vais pas me lancer dans un résumé, parce que ce serait impossible, mais je peux tout de même vous raconter comment ça commence : voilà notre héros, un dessinateur de B.D. (tiens tiens) prénommé Fabrice (tiens tiens) qui se présente à la caisse de son supermarché pour régler ses achats. La caissière lui demande s’il a la carte du magasin, il s’aperçoit qu’il l’a oubliée chez lui. Le vigile intervient… et tout dégénère à grande vitesse. Menacé d’une roulade arrière par le vigile courageux qui n’écoute que son devoir, le dessinateur prend la fuite, devient l’homme le plus recherché du pays et celui qui alimente toutes les conversations. Parce que ne pas avoir sur soi la carte du magasin, sous le prétexte fallacieux qu’on a changé de pantalon, ça en dit long sur ce dont est capable un individu pareil…
C’est là que la B.D. échappe à tout contrôle comme à toute tentative de résumé. Avec un flegme métronomique, Fabcaro enchaîne des strips d’une ou deux pages, alternant les étapes de la fuite du héros avec les commentaires de différentes personnes : spécialistes sur plateaux télé, piliers de comptoir au bistrot, gendarmes bas de plafond, journalistes… Des chanteurs « engagés » se réunissent pour interpréter ensemble un hymne (« La tolérance, c’est toi, c’est moi ») en l’honneur du fuyard, une institutrice interroge ses élèves sur les principes de tolérance et les valeurs de la République en empêchant un enfant prénommé Malek de répondre – et ainsi de suite. C’est difficile à évoquer en quelques lignes, mais croyez-moi sur parole si je vous dis que c’est très drôle !
Fabcaro égratigne joyeusement tout ce qui fait notre (pas toujours si) beau pays, jouant de l’absurde et du décalage entre des situations extrêmes et un ton impassible (renforcé par un dessin souvent statique et des cases répétitives, à la manière de Bastien Vivès dans les recueils thématiques tirés de son blog), pour appuyer une critique impitoyable qui passe d’autant mieux qu’elle est hilarante.
Bref, à 13 euros, ça sent le beau cadeau pour tous les potos. Ce qui rime aussi avec dingo, rigolo et Fabcaro. Ça tombe bien, non ?
Zaï zaï zaï zaï, de Fabcaro
Éditions Six pieds sous terre, 2015
ISBN 978-2-35212-116-9
72 p., 13€
Le Corps des libraires, de Vincent Puente
Signé Bookfalo Kill
Si vous fréquentez régulièrement ces hauts lieux de perdition (en tout cas pour qui aime vraiment les livres) que sont les librairies, vous n’êtes pas sans savoir que ceux qui les animent, ces drôles de bestioles dénommées libraires, sont pour la plupart des névropathes en puissance. Néanmoins, aucun de ceux que vous avez pu croiser durant vos pérégrinations ne peut être aussi bizarre ou iconoclaste que ceux présentés dans le Corps des libraires – qui, en dépit de son titre, n’est pas un essai d’anatomie commerçante, précisons-le d’emblée.
Ainsi, la librairie l’Ectoplasme, à Strasbourg, ne vend que des « fantômes », c’est-à-dire des faux livres destinés à faire joli dans une bibliothèque (ou à faire croire que vous êtes un gros lecteur alors que le dernier roman que vous ayez terminé était sans doute signé Enyd Blyton). Ou encore, à Saragosse, trois libraires affirment pouvoir deviner ce que vous souhaitez lire rien qu’en vous dévisageant ; ensuite ils vous imposent un livre, et malheur à celui qui refusera de l’acheter !
Une petite dernière ? Alors, pour le plaisir : à Ferrare, la librairie Maratoneta vous propose, soit d’acheter honnêtement votre livre, soit de tenter de le voler, la gageure pour le gagner officiellement étant d’échapper à la vélocité de libraires sévèrement formés à la course à pied ; en cas d’échec, il faudra s’acquitter de quatre fois le montant de l’ouvrage choisi…
D’une langue alerte et élégante, pleine de poésie et d’une délicieuse dérision, Vincent Puente (lui-même libraire, on ne se refait pas) dresse l’inventaire pince-sans-rire de ces magasins à nul autre pareil – et pour un certain nombre d’entre eux, heureusement… Son humour un rien dandy y fait souvent mouche, tandis que l’auteur joue des codes de l’érudition au fil de portraits loufoques ou de visites guidées dans des lieux aussi uniques qu’improbables.
Pas besoin d’être bibliophile pour apprécier cette exploration, c’est de l’insondable bizarrerie humaine dont il est question ici, et l’on se régale à chaque chapitre du coup d’œil fantasque de l’auteur.
Ah, tout de même, une dernière précision : Vincent Puente a précédemment écrit un livre intitulé Anatomie du faux.
Voilà.
Le Corps des libraires, de Vincent Puente
Éditions La Bibliothèque, 2015
ISBN 978-2-909688-71-8
122 p., 12€
Atlas des préjugés, de Yanko Tsvetkov
Signé Bookfalo Kill
Bon, je le précise tout de suite, pour ceux dont le second degré est un peu lent à la détente : CECI EST DE L’HUMOUR.
Grand amateur de cartes devant l’éternel, Yanko Tsvetkov a un jour imaginé de transposer de cette manière les innombrables clichés que chaque peuple ou communauté entretient vis-à-vis de tous les autres, voisins proches ou non, souvent depuis des siècles.
Pour mieux asseoir sa démonstration, il commence par remonter aux temps anciens, depuis la perception du monde qu’avait sûrement l’homme préhistorique (au centre d’une série de cercles concentriques : « Moi », puis « les animaux qui veulent me manger », puis « les animaux que j’aimerais vraiment manger », et enfin, à l’extérieur des cercles, « le grand mystère du je-ne-sais-quoi ») jusqu’à notre époque, en passant par le Moyen Âge ou la Grèce Antique, dont voici ci-dessous la représentation du monde :
Pour ceux qui dormaient contre le radiateur bouillant au fond de la classe (oui, il fait vraiment froid aujourd’hui, le chauffage est à fond), je rappelle que cet exercice est humoristique.
Oui, mais pas que, forcément. Parce qu’il y a dans ce regard décalé de Yanko Tsvetkov un fond de vérité qui relève aussi de l’exercice sociologique. Ces préjugés ont évidemment du vrai, et il faudrait souffrir de la pire mauvaise foi pour ne pas l’admettre.
Oui, nous, les Français, quand nous pensons « Irlande », nous avons tendance à penser spontanément « catholiques » ; ou, pour « Pologne », « plombiers ». Oui, il est plus que probable que les Américains considèrent l’Irak comme « leur Vietnam 2.0 » ou qu’ils assimilent le Kazakhstan à… Borat, le personnage créé par Sacha Baron Cohen – qui avait valu d’ailleurs de nombreuses plaintes des Kazakhs, furieux d’être réduits à cet amas de clichés ne les faisant pas rire du tout (et on peut les comprendre).
S’il fait souvent mouche grâce à l’humour de ses textes de présentation ainsi qu’à un sens de la formule aiguisé, capable de saisir en un mot ou deux un préjugé et d’en faire quelque chose d’à la fois drôle et identifiable, Yanko Tsvetkov livre surtout avec cet Atlas une photographie de notre temps, car nombre de références, par exemple à Merkel ou Hollande, sont totalement contemporaines. Peut-être en rirons-nous encore plus dans dix ou vingt ans… ou pas !
Mais pour ricaner des autres autant que de soi-même, voici pour Noël un chouette cadeau à offrir – à des gens qui ont du second degré, évidemment.
Atlas des préjugés, de Yanko Tsvetkov
Traduit de l’anglais par Jean-Loup Chiflet et Christiane Courbey
Éditions les Arènes, 2014
ISBN 978-2-35204-359-1
80 p., 14,90€
Les grands duels du cinéma, de Scott C. / Silhouettes de la culture pop, d’Olly Moss
Signé Bookfalo Kill
Quoi ?!? Novembre, déjà ! Et voici que se profile à l’horizon le spectre angoissant des fêtes de fin d’année, qui réveille la même éternelle question : quel cadeau offrir au cousin Jean-Gaston que vous ne voyez qu’une fois par an et à qui vous n’avez rien à dire, ou à votre amie Rodogune qui, certes, est une bonne copine, mais dont vous connaissez mal les goûts ?
Allez, détendez-vous, les éditions Cambourakis ont pensé à vous, et plutôt deux fois qu’une, en proposant deux livres présentés dans le même format carré et relié, joliment fabriqués, dont le contenu amusera surtout, précisons-le tout de même, les trentenaires et quarantenaires, voire les cinquantenaires branchés (et je suis sûr qu’ils sont nombreux !)
Commençons par Les grands duels du cinéma, dont le concept est compris dans le titre : sur chaque page, Scott C. s’amuse en mettre en opposition au moins deux « personnages » qui s’affrontent dans un film dont il faut reconnaître le titre. Si je mets le mot entre guillemets, c’est que, parfois, l’adversaire n’est pas forcément humain…
Le dessin de Scott C. adopte un style volontairement naïf, qui rappelle les peintures maladroites que nous faisions à l’école primaire, en donnant aux personnages des expressions souvent niaises, grands sourires à l’appui, qui cassent ironiquement le mythe des grands duels cinématographiques ainsi représentés, choisis massivement parmi des films cultes des années 70 à nos jours (d’où ma précision ci-dessus sur les 30-40 ans).
Le résultat est donc amusant, et l’on se prend très facilement au jeu. Un tuyau utile : certains films sont cités plusieurs fois…
Silhouettes de la culture pop joue aussi à fond sur le décalage entre la forme et le fond. Cette fois, une fois ouvert le livre dont la couverture toilée est du plus bel effet chic, il faut reconnaître des personnages par leurs silhouettes représentées dans un médaillon ovale, à la mode victorienne. Évidemment, le décalage provient du fait qu’il s’agit de héros de films, de bandes dessinées, de télévision ou de jeux vidéo, largement issus des mêmes années que précédemment.
Là encore, Olly Moss attrape rapidement notre curiosité grâce à un art du mimétisme confondant. Les moments de gamberge sont nombreux, et il faut parfois revenir plusieurs fois sur le même portrait avant d’en saisir un détail qui révèlera la vérité.
Dans les deux cas, pour des questions de droits, les solutions ne sont pas précisées dans les livres… Il faudra donc vous creuser la cervelle, ou mieux encore, mettre à contribution vos amis ou vos proches, pour une sorte de quizz improvisé qui vous fera passer à coup sûr un bon moment tous ensemble !
Les grands duels du cinéma, de Scott C.
Éditions Cambourakis, 2013
ISBN 978-2-36624-058-0
144 p., 14€
Silhouettes de la culture pop, d’Olly Moss
Éditions Cambourakis, 2013
ISBN 978-2-36624-063-4
144 p., 15,90€
Dark Vador et fils / Dark Vador et sa petite princesse, de Jeffrey Brown
Signé Bookfalo Kill
Star Wars n’en finit plus d’inspirer les hommages et les parodies en tous genres, preuve s’il en est encore besoin que George Lucas a créé avec sa galaxie cinématographique une véritable mythologie des temps modernes.
Dans la catégorie humour, Jeffrey Brown joue la carte inattendue de la tendresse, de la finesse et de la légèreté, en imaginant Dark Vador confronté à ses enfants… Comme dans les films, certes, sauf que là, Luke et Leia sont des bambins et qu’il doit les élever. Il en résulte un mélange de références à l’univers Star Wars parfaitement maîtrisées et de saynètes du quotidien, généralement tenues en une case ou une page.
Le décalage humoristique tient évidemment dans le fait de voir le terrible seigneur Sith essayer d’assumer son rôle de terreur de l’univers, tout en assurant l’éducation de ses enfants, comme n’importe quel papa normal.
Séance de dessins avec fiston, heurt avec Leia adolescente qu’il ne veut pas voir sortir avec ses amis en tenue affriolante (le même costume que celui porté, de force, par la princesse au début du Retour du Jedi, lorsqu’elle est prisonnière de Jabba !!!), entrevues avec l’Empereur interrompues par Luke, embarras des acolytes de Vador lorsque celui-ci leur demande de jouer les baby-sitters… Jeffrey Brown ne manque pas d’idées et les exploite joliment, tout en glissant de nombreuses allusions à des moments célèbres des films qui enchanteront les fans. Pas de quoi se taper les cuisses en hurlant de rire, ce n’est pas le but, mais la plupart des scènes qu’il imagine touchent juste et font sourire.
Un chouette cadeau original pour la fête des Pères qui approche, tiens. Ou pour se faire plaisir gentiment en retrouvant un univers que l’on aime toujours, en dépit de toutes les avanies que George Lucas lui a fait subir ces dernières années.
Dark Vador & fils
Éditions Huginn & Munnin, 2012
ISBN 978-2-36480-029-8
40 p., 9,90€
Vador et sa petite princesse
Éditions Huginn & Munnin, 2013
ISBN 978-2-36480-105-9
60 p., 9,90€
Emile Zola à l’usage des personnes pressées, de Henrik & Katarina Lange
Signé Bookfalo Kill
En passant dans votre librairie préférée, vous aurez peut-être déjà remarqué, aux rayons B.D., humour ou à la caisse, de drôles de petits livres vous proposant de découvrir 90 livres, ou 90 films à l’usage des personnes pressées. Réalisées par le suédois Henrik Lange, ces anthologies singulières offraient de résumer en trois cases dessinées quelques-unes des œuvres les plus emblématiques du cinéma ou de la littérature dans le monde.
Contre toute attente, le résultat était aussi amusant que percutant (surtout quand on connaissait les oeuvres en question, évidemment), les raccourcis utilisés par Lange pour résumer romans et films étant à la fois drolatiques et bien choisis.
Épaulé par sa femme Katarina, Henrik Lange entreprend désormais de cibler son travail sur des auteurs en particulier. Après le dramaturge suédois August Strindberg, c’est à un monument de notre littérature nationale qu’il s’attaque : Monsieur Mimile, Maître Zola himself.
On retrouve bien sûr ce qui fait la marque de fabrique du dessinateur, c’est-à-dire des résumés en trois cases de quelques œuvres phrases de l’auteur de Germinal, de son premier roman, la Confession de Claude, à une sélection des titres les plus importants du cycle des Rougon-Macquart (qui comprend vingt romans au total). Le procédé fonctionne toujours aussi bien, même si certains des romans retenus sont moins largement connus et lus que L’Assommoir.
Mais c’est à la vie toute entière de Zola que s’intéressent les Lange. Renonçant aux cases propres à la B.D., ils entreprennent de passer en revue la vie du romancier sur des doubles pages, depuis sa naissance en 1840 jusqu’à sa mort suspecte en 1902, asphyxié dans sa chambre, en passant par l’inévitable affaire Dreyfus et son retentissant « J’accuse ».
L’idée n’est bien sûr de livrer une biographie complète et détaillée de Zola ; on retrouve donc le ton léger et désinvolte de Henrik Lange dans les brefs textes qui accompagnent ses désormais célèbres dessins en ombre chinoise. Tout n’est pas forcément drôle, certaines choses sont trop survolées (Zola et la religion) pour être pertinentes, mais le résultat est largement assez convaincant pour le zolien averti que je suis – car, oui, Tonton Emile est sans doute mon maître en matière de littérature classique, ça tombe bien !
Émile Zola à l’usage des personnes pressées, de Henrik et Katarina Lange
Traduit du suédois par Fanny Törnberg
Éditions Çà et Là, 2013
ISBN 978-2-916207-85-8
162 p., 9€
Mais qui a tué Harry?, de Jack Trevor Story
Signé Bookfalo Kill
Ah, Sparroswick ! Une charmante petite bourgade perdue en pleine campagne anglaise, avec ses fougères, ses hérissons et ses lapins, ses bungalows aux noms bucoliques, sa minuscule épicerie fourre-tout, ses habitants gentiment excentriques, ses adultères forestiers… et son cadavre. Surgi sans crier gare au pied d’un arbre, il va sérieusement perturber la journée de ses voisins vivants, révéler nombre de leurs petits secrets, et surtout faire se poser sans relâche LA question : mais qui a tué Harry ?!?
Comme beaucoup de gens en ce moment (et on peut le comprendre), vous cherchez désespérément un livre drôle ? Ne cherchez plus, vous l’avez trouvé. Véritable mode d’emploi de l’humour anglais publié en 1949, Mais qui a tué Harry ? est un festival de gags, de répliques qui tuent et de nonsense, ce ton si typiquement british qu’on envie depuis des siècles à nos voisins d’outre-Manche.
Les personnages étant nombreux, Jack Trevor Story prend d’abord le temps de les camper les uns après les autres. En résulte une série de portraits hilarants, dessinés en quelques traits mordants avec un sens épatant de la concision ironique.
Allez, pour le plaisir, un exemple :
« [Le nouveau capitaine] était un petit homme grassouillet, aux cheveux noirs et raides comme les poils d’un balai, au visage brun et sillonné de rides : une figure de loup de mer avec les yeux candides d’un bébé de trois mois ; un homme à inspirer protection à une femme, confiance à un enfant, frayeur à un lâche et inquiétude à un homme d’affaires ; un homme qui connaissait le monde comme sa poche, sans en avoir vu davantage que les reflets dans les tavernes au bord de la Tamise. (…) Le nouveau capitaine était Mr Albert Wiles, gabarier en retraite des péniches de la Tamise. » (p.13)
Déroulée sur une journée et une nuit, l’intrigue multiplie les rebondissements, les réflexions absurdes et les réactions inattendues. Simple prétexte de départ, le cadavre de Harry sert de catalyseur à une étude de mœurs provinciale, si grinçante et joyeusement macabre qu’on comprend pourquoi elle a inspiré à Alfred Hitchcock l’adaptation cinématographique de ce roman en 1955 (et ceci, même si son public ne l’a pas suivi à l’époque).
Comme dans un vaudeville de haute volée, J.T. Story le bien-nommé tient aussi le suspense jusqu’à la fin (car, oui, qui a tué Harry, bon sang ?!?), qu’il dénoue sur un ultime retournement de situation réjouissant.
Formidablement servi par la traduction de Jean-Baptiste Rossi (alias Sébastien Japrisot !), qui réussit à saisir le ton caustique si singulièrement anglais du romancier, Mais qui a tué Harry ? est un petit bijou de cocasserie, bienvenu en ces temps moroses. Plus efficace qu’une grosse boîte d’antidépresseurs et à seulement 9€, ce livre devrait être prescrit à haute dose et remboursé par la Sécurité Sociale !
Mais qui a tué Harry ?, de Jack Trevor Story
Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Rossi
Éditions Cambourakis, 2013
ISBN 978-2-36624-027-6
157 p., 9€
L’Invention de la course à pied (et autres trucs), de Jean-Michel Espitallier
Signé Bookfalo Kill
Le livre dont je veux vous parler aujourd’hui faisant 45 pages, je vais m’efforcer de ne pas tirer à la ligne en vain à son sujet. En revanche, si vous avez envie de rigoler un peu, je ne peux que vous encourager à le lire.
Le sujet est dans le titre et pourrait tenir en une question fondamentale : mais pourquoi, POURQUOI les hommes courent-ils ? Je dis « les hommes » au sens général du terme, il y a aussi plein de femmes qui courent, même que j’en connais, c’est dire.
Il faut admettre que c’est une bonne question, surtout si l’on écarte rapidement la réponse bateau : « parce que ça permet de se tenir en forme », qui ne satisfait évidemment personne.
Avec un style enlevé, beaucoup d’humour, quelques pincées d’absurde et de mauvaise foi, Jean-Michel Espitallier commence par réfléchir en général à ce phénomène qui consiste à « s’agiter la viande » (sic), seul ou à plusieurs. Puis il remonte à l’Antiquité et nous invite à nous faire voir les Grecs en pleine création de la compétition de course à pied.
Comme de juste, le fil de sa réflexion est irrégulier, part en circonvolutions drolatiques tandis que surgissent remarques loufoques et idées amusantes, sur le dopage, les avantages d’un corps puissant et attrayant dans le processus de séduction, ou les bénéfices sociaux du footing. Avant de déboucher sur une conclusion sur les différentes fonctions des stades ; une chute plus grave, donc inattendue voire déconcertante, mais qui ne manque pas de justesse.
L’ensemble de ce texte est évidemment à prendre au minimum au second degré, condition sine qua non pour se réjouir à la lecture de ce bref opuscule anecdotique, et donc relativement indispensable – surtout si vous avez des coureurs dans votre entourage. Peut-être les comprendrez-vous mieux après cela !
L’Invention de la course à pied (et autres trucs), de Jean-Michel Espitallier
Éditions Al Dante, 2013
ISBN 978-2-84761-802-0
45 p., 9€
Joconde jusqu’à 100 et plus si affinités, de Hervé Le Tellier
Signé Bookfalo Kill
Dans ses Exercices de style, Raymond Queneau s’était amusé à décliner de 99 manières différentes la même brève histoire, en s’imposant une contrainte différente à chaque fois, soit stylistique, soit thématique, soit comportementale. Hervé Le Tellier reprend la même idée, avec le même bonheur, mais avec une autre base d’inspiration : cette fois, il ne s’agit pas d’un texte, mais… de la Joconde.
En tant que membre émérite de l’OuLiPo, Le Tellier est plus que familier avec la notion de contrainte littéraire. Le résultat de son travail est tout simplement hilarant. La pauvre Mona Lisa, qui n’en demandait sûrement pas tant en posant pour Léonard de Vinci, se retrouve passée à la moulinette humoristique de plus de 200 manières différentes – ce livre regroupant en fait deux précédents ouvrages de Le Tellier, Joconde jusqu’à cent et Joconde sur votre indulgence.
On ne peut qu’admirer la maestria stylistique de Hervé Le Tellier, dont la verve et l’imagination s’emparent du tableau mythique, de son sujet et de son peintre, pour les métamorphoser à coup de burlesque, d’absurde ou de jeux de mots qui n’ont peur de rien (cf. le titre du livre !!!)
Comme chez Queneau, les textes sont plus ou moins drôles, mais il s’en trouve un nombre largement suffisant pour passer souvent du sourire à la franche rigolade, ce qui n’est pas désagréable en ces temps de morosité ambiante…
Un exemple vous donnera sûrement plus envie que mes longs discours de vous plonger dans Joconde jusqu’à 100 et plus si affinités :
Le point de vue du tonton flingueur
– Ta Mona, elle m’est sympathique, mais elle commence à me les briser menu avec son sourire d’oie sacrée. Ou elle s’arrête de poser, la Madone, ou je te lui en colle une à lui faire envisager le panorama qu’elle a dans le dos.
– Calme-toi, Riton, tu te fais du mal.
– Tiens, si c’était pas la gonzesse à Léo, c’est en plusieurs colis que je te la réexpédierais à Florence et à ses gondoles.
– Fais zexcuse, Riton, mais sans vouloir te vexer, y’a gourance, les gondoles, c’est Venise, pas Florence.
– Oh , mais c’est que je vais me le décalquer aussi, le petit singe savant.
Et si celui-ci ne vous convainc pas, pensez qu’il y en a plus de 200 autres… impossible que certains ne vous arrachent pas au moins un rictus de gaieté – ou alors, c’est que vous êtes de mauvaise foi, ou bien un indécrottable grognon !
Joconde jusqu’à 100 et plus si affinités, de Hervé Le Tellier
Éditions Castor Astral, 2012
ISBN 978-2-85920-888-2
236 p., 16€