A première vue : la rentrée littéraire Albin Michel 2013
Hormis le sempiternel Amélie Nothomb (on y revient…), que nous réserve cette année la rentrée Albin Michel ? Avec sa volonté de toucher le plus grand nombre et son équilibre entre grosses pointures commerciales et auteurs plus littéraires, voilà un éditeur qui ne figure pas forcément parmi les lauréats des grands prix littéraires, mais qui offre souvent des bons moments de lecture. Petit tour d’horizon – toujours Cannibale, donc toujours aussi subjectif…
NOTRE FAVORI : Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre
Auteur célébré de romans noirs, Pierre Lemaitre change de genre mais ne lâche pas son sens de l’engagement social.
Au revoir là-haut évoque l’impossible réintégration des survivants de la Première Guerre mondiale, auquel on préfère les morts, célébrés à grands frais par l’Etat. Mais une poignée de rescapés imagine une parade qui va frapper les esprits…
…tout comme ce grand roman au souffle épique, dont la résonance contemporaine devrait troubler plus d’un lecteur !
LA BONNE SURPRISE : La nostalgie heureuse, d’Amélie Nothomb
Si l’on fait un panorama de son œuvre inégale, on réalise que la plupart des bons romans de la prolifique Amélie Nothomb sont liés ou ont lieu au Japon. La nostalgie heureuse ne fait pas exception à la règle et apparaît comme son meilleur livre depuis longtemps – voire l’un de ses meilleurs tout courts : superbement écrit, dépouillé de ses affèteries habituelles, lesté d’une réflexion sobre et touchante de l’auteur sur elle-même, ce qu’elle fut et ce qu’elle est devenue.
LES POINTURES :
– Petites scènes capitales, de Sylvie Germain : l’auteur du bouleversant Magnus raconte ses personnages au travers de moments clefs de leurs vies. A voir, pour son écriture délicate et sa sensibilité.
– Les perroquets de la place d’Arezzo, d’Eric-Emmanuel Schmitt : gros pavé pour le dramaturge et romancier à succès, qui se pose sur une place huppée de Bruxelles pour y livrer une réflexion sur l’amour et sur la sexualité via une galerie de personnages hauts en couleur.
LE PREMIER ROMAN : Haute époque, de Jean-Yves Lacroix
Une exploration de Guy Debord, le mythe et l’homme. L’auteur est libraire de livres anciens.
VOYAGE VERS AILLEURS :
– La Transcendante, de Patricia Reznikov : après l’incendie de son appartement, Pauline ne récupère qu’une chose, un livre : La Lettre écarlate, de Nathaniel Hawthorne. Elle décide de partir à Boston, sur les traces de l’écrivain…
– Concerto pour la main morte, d’Olivier Bleys : un pianiste français, dont la main se dérobe lorsqu’il veut jouer un concerto de Rachmaninov, s’exile dans un village russe perdu au milieu de nulle part, pour essayer de s’y retrouver.
INTIMISTES :
– Muette, d’Eric Pessan : une adolescente fugue et s’installe dans une grange, à deux heures de la maison de ses parents. Une façon différente d’essayer de trouver sa place dans le monde.
– La nuit en vérité, de Véronique Olmi : une histoire à trois personnages. Une mère, femme de ménage ; son fils Enzo, adolescent mal dans sa peau et maltraité à l’école, qui se réfugie dans la lecture ; et l’appartement luxueux dans lequel ils vivent, vers les jardins du Palais Royal, dont les propriétaires, qui emploient la mère, sont toujours absents.
Pour notre part, les romans de Lemaitre et Nothomb sont déjà lus et largement approuvés, celui de Sylvie Germain est en cours de lecture ; ce sera sans doute tout pour les Cannibales dans cette rentrée Albin Michel – mais on ne sait jamais !
Bruce, de Peter Ames Carlin
Signé Bookfalo Kill
Fans du Boss, dégainez vos Telecaster, ça va rocker ! Le catalogue musical des éditions Sonatine s’enrichit d’une énorme biographie de Bruce Springsteen, signée par le journaliste américain Peter Ames Carlin et préfacée pour l’édition française par l’inévitable Antoine de Caunes, supporter numéro 1 de l’enfant du New Jersey.
Approuvée par Springsteen lui-même, cette somme pénètre véritablement au cœur du phénomène et s’efforce de saisir dans toute sa complexité celui qui est sans doute l’un des derniers rockers authentiques de la scène mondiale. Le boulot de Carlin est si minutieux que l’on a l’impression de vivre dans les pas du Boss depuis sa naissance jusqu’au Wrecking Ball Tour, la tournée monstre (et toujours en cours) qui accompagne son dernier album en date.
Pas de cahier photo au milieu du bouquin pour faire joli ou attendrir avec des clichés de la star bébé, ce n’est pas le style de la maison. Les 653 pages de Bruce racontent en détail la vie et l’œuvre de l’auteur de Born in the USA, avec un luxe d’anecdotes et de précisions que les nombreuses interviews menées par Carlin auprès des proches de Springsteen (notamment Clarence Clemons, le géant saxophoniste décédé il y a deux ans) rendent encore plus précieuses.
On apprend ainsi tout du perfectionnisme affolant du chanteur, qui menace de rendre fous ses collaborateurs à chaque nouvel album. Le récit des sessions d’enregistrement marathon de Born to run, Darkness on the edge of town ou The River est, par exemple, hallucinant…
Carlin évoque aussi sans détour les relations complexes que Springsteen entretient avec son entourage, de la rupture amère avec son premier manager et producteur, Mike Appel, à l’abandon brutal de son mythique E-Street Band à la fin des années 80 (avant une reformation définitive en 1999), en passant par ses difficultés relationnelles avec son père et ses histoires amoureuses compliquées.
Parcours d’un homme autant que d’un musicien hors du commun, Bruce refuse l’hagiographie pour mieux expliquer pourquoi Springsteen, dans toutes ses nuances, avec sa puissance créatrice phénoménale mais aussi ses doutes, son intégrité artistique et morale sans failles mais aussi ses erreurs humaines, est devenu le mythe vivant qu’il est aujourd’hui.
Une biographie indispensable, qui donne envie de réécouter tous ses disques, même ses moins réussis, pour y trouver un nouveau sens – et pour le simple plaisir de vibrer au rugissement des guitares et de la voix rocailleuse de celui qui chante l’Amérique, et à travers elle le monde d’aujourd’hui, mieux que quiconque.
Bruce, de Peter Ames Carlin
Traduit de l’américain par Julie Sibony
Éditions Sonatine, 2013
ISBN 978-2-35584-190-3
653 p., 22€
A première vue : la rentrée littéraire Grasset 2013
Comme annoncé il y a quelque temps, nous allons commencer à dévoiler quelques aperçus de la rentrée littéraire, dont la première avalanche est prévue autour du 21 août… Et nous débutons par les livres à couverture jaune, reconnaissables entre tous, des éditions Grasset.
Attention, nous n’avons encore lu que peu de livres – nous ne les lirons d’ailleurs évidemment pas tous -, cette présentation est donc subjectivement cannibale !
LE PLUS ATTENDU : Le Quatrième mur, de Sorj Chalandon
L’auteur du magnifique Retour à Killybegs quitte l’Irlande pour un autre pays dont il a arpenté la guerre lorsqu’il était journaliste : le Liban. Il fut l’un des premiers à entrer dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila après les massacres (plusieurs milliers de morts) de septembre 1982, et il restitue cette terrible expérience avec son style puissant, à la fois lyrique et précis, tout en livrant une réflexion aiguë sur la violence et sur la fascination pour la guerre.
Nous l’avons déjà lu : le choc attendu aura bien lieu, ce sera l’un des grands livres de la rentrée.
LES PLUS PROMETTEURS :
– La Saison de l’ombre, de Léonora Miano : transfuge de Plon, la jeune auteur d’origine camerounaise aborde la traite négrière, non pas sous l’angle historique, mais en s’intéressant à ceux qui restent et cherchent à savoir ce que sont devenus leurs proches disparus.
– Voir du pays, de Delphine Coulin : dans la collection blanche de Grasset dirigée par Martine Saada, un roman au sujet original : deux femmes soldats reviennent d’Afghanistan et passent un long week-end dans un hôtel luxueux à Chypre, pour y effectuer un « sas de décompression » organisé par l’armée et y retrouver le sens et le goût de la vie normale. L’occasion pourtant de faire et de régler ses comptes…
– L’Invention de nos vies, de Karine Tuil : un gros roman sur le mensonge, la falsification identitaire, la trahison, sur ceux qui sont prêts à tout pour réussir. Prometteur.
– Georgia, de Julien Delmaire : premier roman d’un jeune slameur attachant, une histoire d’amour volcanique dont on attend beaucoup de l’écriture, poétique et rythmique.
LES « PILIERS » :
– Journal d’un écrivain en pyjama, de Dany Laferrière : en réponse à une demande de son neveu, l’auteur haïtien livre sa « Lettre à un jeune écrivain ». Humour, humilité et intelligence seront au programme.
– La Confrérie des moines volants, de Metin Arditi : autre transfuge, cette fois d’Actes Sud, l’une des figures du grand roman historique s’intéresse cette fois à la persécution religieuse dans la Russie stalinienne, et aux moines rescapés des massacres qui, malgré les menaces, s’organisèrent en confrérie secrète pour continuer à honorer leur foi et sauver des chefs d’oeuvre de l’art sacré russe.
ILS SERONT LÀ MAIS SANS NOUS :
– Naissance, de Yann Moix : 1300 pages d’égocentrisme pseudo-provocateur et non dilué. Définitivement, sans moi(x).
– Immortelles, de Laure Adler : premier roman plus ou moins autobiographique d’une des journalistes les plus désagréables du PAF. Elle a ses fans, nous n’en sommes pas.
– Le jour où j’ai rencontré ma fille, d’Olivier Poivre d’Arvor : une oeuvre autobiographique, où le frère de raconte son infertilité, puis son combat pour adopter sa fille. Un livre courageux, sans doute. Mais bon.
– Cent quarante signes, d’Alain Veinstein : un roman dont chaque phrase ne comporte au maximum que les 140 signes permettant de composer un post sur Tweeter. Un exercice de style par lequel l’auteur entreprend de renouveler son art romanesque. C’est une curiosité, mais pas forcément plus utile que Tweeter lui-même…
Surveillez aussi notre page Facebook, nous y sèmerons de temps en temps quelques indices sur nos lectures en avant-première…
Et à un de ces jours pour découvrir la rentrée d’un autre éditeur !
Balancé dans les cordes, de Jérémie Guez
Signé Bookfalo Kill
Tony vit en banlieue, du côté d’Aubervilliers, avec sa mère. Comme son pote Moussa, il aurait pu virer caïd, céder au fric facile et à la frime. Surtout avec cette rage qui gronde en lui, tout le temps. Mais son oncle est là, qui veille au grain. Tout en faisant bosser Tony dans son garage, il l’a poussé sur un ring, où le jeune homme s’exprime tout entier. Sans être un boxeur de génie, il s’apprête à passer pro – déjà une consécration pour quelqu’un comme lui.
Le jour où sa mère se fait tabasser par un de ses mecs, tout dérape. Tony veut se venger. Pour retrouver l’agresseur, il connaît la règle : il faut passer par Miguel, l’un des princes de la cité. Un type dangereux, qui peut vous donner ce que vous voulez, mais il faut en payer le prix…
Sorti en 2012 aux éditions La Tengo, Balancé dans les cordes refait parler de lui, et pas seulement pour sa parution récente en poche. Il vient en effet d’être récompensé du prix SNCF du polar, qui a gagné sa légitimité en couronnant des pointures comme Franck Thilliez, Mo Hayder, Caryl Ferey ou Karine Giebel. Outre le concert quasi unanime de louanges qui a salué ce livre, c’est cette distinction qui m’a finalement décidé à me pencher sur le deuxième roman du jeune Jérémie Guez.
Alors, même si le garçon a un talent intéressant, je sors de cette lecture un peu plus mesuré que d’autres. Côté points forts, il y a la description de la vie en banlieue, sans complaisance d’aucune sorte, qui ne déflore pas la réalité tout en collant aux codes du roman noir moderne. Il y a aussi des personnages forts, typés, qui envahissent la page et l’esprit du lecteur. Il y a le style de Guez enfin, sec, aussi affûté qu’un boxeur prêt au combat, qui crache les mots, la colère, la violence, dans une noirceur globale qui laisse peu de place à la lumière, fin comprise.
D’un autre côté, ces qualités ne permettent pas encore à Jérémie Guez de sortir des cordes. Si elles sont prometteuses, elles le cantonnent pour l’instant à un roman noir classique, un peu déjà lu (ou déjà vu), qui sent bon son David Goodis ou son Martin Scorsese. La boxe, la cité, les deals foireux, les hommes aveuglés de violence et les femmes au tapis, il y a du passage obligé dans tout ça, qui m’empêche de considérer Balancé dans les cordes comme un roman marquant du genre.
Néanmoins Jérémie Guez a quelque chose d’authentique, de puissant, dont je surveillerai l’épanouissement dans ses prochains romans. Jeune talent à surveiller !
Balancé dans les cordes, de Jérémie Guez
Éditions J’ai Lu, 2013
(Première édition : La Tengo, 2012)
ISBN 978-2-290-05435-2
188 p., 5,60€
Le Rêve de Madoff, de Dominique Manotti
Signé Bookfalo Kill
Si l’économie mondialisée vous intéresse mais que vous n’y comprenez pas grand-chose lorsque les médias en parlent ; si vous avez envie de comprendre comment peuvent se montrer des escroqueries se chiffrant à plusieurs milliards de dollars, alors ce petit livre de Dominique Manotti – oui, l’auteur de polars – est fait pour vous. (Sinon passez votre chemin, vous allez périr d’ennui.)
La romancière se glisse dans la peau de Bernard Madoff, célèbre financier américain qui s’est avéré un fraudeur inouï, et qui purge actuellement une peine de 150 ans de prison. (Ah, en Amérique, la justice sait s’amuser, y’a pas à dire.)
Détournant sa voix pour la mettre au service d’une fiction hyper documentée, elle raconte en termes plutôt simples l’ascension d’un type parti de rien, visionnaire dans les années 70 (il est l’un des initiateurs du NASDAQ, le deuxième indice boursier américain après celui de Wall Street) et manipulateur hors pair – des chiffres et des gens.
Certaines explications économiques s’avèrent néanmoins ardues pour qui est une bille en la matière ; et le choix d’un style quasi documentaire rend le texte un peu aride à la longue – alors que, justement, il n’est pas long.
On sent tout de même la fascination de Manotti, écrivain social, auteur de polars réalistes qui dénoncent toutes les malversations possibles du système, pour un personnage hors du commun, dont elle restitue l’inconscience, voire le mépris pour ceux qui perdent tout parce qu’ils ne sont pas armés pour lutter contre des organisations aussi complexes et décomplexées. Le jugeant du même coup avec froideur, s’il en était besoin.
Le Rêve de Madoff est une nouvelle curiosité de la mini-collection des éditions Allia, souvent riche en étrangetés littéraires. Pour lecteurs engagés !
Le Rêve de Madoff, de Dominique Manotti
Éditions Allia, 2013
ISBN 978-2-84485-675-3
47 p., 3,10€
Polarama, de David Gordon
Signé Bookfalo Kill
Écrivain approximatif de romans de genre qu’il signe de divers pseudonymes fleuris, Harry Bloch reçoit un jour la lettre d’un fan pas comme les autres : Darian Clay est en effet un tueur en série de femmes, enfermé dans le couloir de la mort dans l’attente de son exécution prévue trois mois plus tard. Le meurtrier, qui n’a jamais reconnu ses crimes, lui propose un étrange marché : il lui racontera toute sa vie en détail si, en échange, Harry va rendre visite à quelques-unes de ses admiratrices, puis lui écrit des nouvelles érotiques les mettant en scène ensemble.
En dépit du caractère glauque de cette demande, de l’opposition de presque toutes les familles des victimes, et de la méfiance affichée du F.B.I. et de l’avocate de Clay, Bloch décide d’accepter. Mauvaise idée, Harry, mauvaise idée…
Si vous aimez les polars qui laissent beaucoup de place aux personnages, à leur profondeur, leur complexité et leur intelligence, sans toutefois se prendre au sérieux, Polarama devrait vous plaire. Pour son premier roman, David Gordon s’attache avant tout à rendre vivante la voix riche et singulière de Harry Bloch, narrateur écrivain par lequel il prend régulièrement le temps de développer des réflexions très justes, que ce soit sur l’art d’écrire ou sur celui de lire.
Un petit exemple au sujet des lecteurs acharnés de littérature de genre :
« Les fans de genre – amateurs de vampires, geeks de la science-fiction, accros au suspense – sont en quelque sorte une espèce atavique, une race pure mais anormale. Ils continuent à lire comme des enfants, à la fois puérils et graves, ou comme des adolescents, pétris de désespoir et de courage. Ils lisent parce qu’ils en ont besoin. » (p.175)
Puisqu’on parle de littérature de genre, David Gordon s’amuse aussi beaucoup en faisant de son héros un écrivain stakhanoviste dans différents domaines, du roman de détective à la S.F. érotique en passant par le bonnes vieilles histoires de vampires, dont il maîtrise les codes pour en livrer des parodies réjouissantes et crédibles.
Les amateurs et connaisseurs souriront des pseudonymes débiles choisis par Bloch, des noms de ses personnages ou encore des extraits de ses oeuvres disséminés dans Polarama – titre français assez malin, mélange de polar et de panorama, même s’il n’est pas aussi subtil que l’original, The Serialist, dont les différentes nuances en anglais sont impossibles à traduire (« serial » comme « serial killer », mais ce terme fait aussi référence à un certain cinéma de genre, souvent décliné en longues séries avec héros récurrents).
Côté suspense, Gordon tient bon la barre, sur un rythme assez lent. Au bout du compte, l’intrigue est ténue, mais le romancier parvient à la garder vivante grâce à des rebondissements bienvenus, et notamment une accélération explosive en plein milieu du livre, qui le fait enfin basculer dans le polar pur. Quelques indices discrets semés çà et là trouvent un écho dans le dernier tiers, qui tient ses promesses sans se montrer révolutionnaire.
Polarama est un chouette premier roman et un très bon polar pour l’été : à la fois prenant et amusant, agréable à lire et intelligent. 405 pages de petit bonheur pour caler votre valise !
Polarama, de David Gordon
Traduit de l’américain par Laure Manceau
Éditions Actes Sud, coll. Actes Noirs, 2013
ISBN 978-2-330-01993-8
405 p., 22,80€
Pourquoi un enfant de 5 ans n’aurait pas pu faire cela de Susie Hodge
ou comment je suis déçue par un livre sur l’art qui s’annonçait prometteur. L’idée est très intéressante. Qui n’a jamais râlé devant une toile en disant « Ouais ben tu me files un pinceau et j’te fais la même chose! » Mais cet ouvrage se veut surtout un ouvrage de sensibilisation grand public. Une double page présente une oeuvre, une courte biographie de l’auteur, une description et un court paragraphe de remise dans le contexte. La véritable question du Pourquoi un enfant de 5 ans n’aurait pas pu faire cela est relégué à 5 lignes. Evidemment qu’un enfant de cet âge ne peut pas reproduire un Magritte parce que le travail est très « minutieux » ou qu’il ne peut pas réaliser une oeuvre de Richard Long comme Genève Cercle II parce que les dalles de béton sont trop lourdes… Je m’attendais à ce qu’on détaille vraiment la psychologie des enfants et leur rapport à l’art. J’attendais un ouvrage scientifique basé sur des rapports de pédopsychiatres et d’artistes quand il n’y a qu’un ouvrage de vulgarisation à l’art contemporain. Alors pour les réfractaires à l’art, cet ouvrage est fait pour les convaincre du contraire. Mais pour les historiens de l’art, cet ouvrage est une frustration!
Pourquoi un enfant de 5 ans n’aurait pas pu faire cela? de Susie Hodge
Editions Marabout, 2013
9782501086882
220p., 14€99
Un article de Clarice Darling
La pendue de Londres de Didier Decoin
Albert Pierrepoint n’est pas un homme comme les autres. A sa femme, il dit qu’il est livreur à l’épicerie du coin. En vérité, il fait partie de la célèbre famille de bourreaux anglais. Nous sommes en 1945 et en cette fin d’année, Albert Pierrepoint est sollicité par les pays alliés pour exécuter les criminels nazis, à commencer par Irma Grese, l’une des plus célèbres Aufseherin d’Auschwitz. Mais Albert n’aime pas exécuter des femmes. Ca l’a toujours dégouté. A son retour à Londres, il se jure de déléguer à son adjoint les tâches ingrates comme exécuter une femme. Mais seulement…
Ruth Ellis est, en 1945, une très belle jeune femme. Fille-mère de 18 ans, elle est contrainte, pour survivre, de travailler dans un bar à hôtesses. C’est là qu’elle tombe dans la prostitution et son lot de personnages interlopes. Elle épouse en 1950 un dentiste avec qui elle aura une fille. Mais son mari, comme autrefois son père, la bat et elle demande le divorce rapidement. En 1954, elle croise le regard de David Blakely et en tombe follement amoureuse, mais seulement…
Albert Pierrepoint et Ruth Ellis ne se seraient jamais croisés si cette dernière n’avait pas assassiné son amant. En 1955, elle fut la dernière femme condamnée à mort et pendue. Albert Pierrepoint prendra sa retraite le lendemain.
Didier Decoin met en parallèle la descente aux enfers d’une jeune fille qui croyait en l’amour et en la vie et la petite vie rangée et tranquille du bourreau. C’est remarquablement écrit, il n’y a aucun temps mort. On s’attache à cette jeune fille dont on imagine à chaque page le terrible destin. Et pourtant, on se prend au jeu d’une remise de peine. On aimerait que sa peine soit commuée, voire annulée. Mais dès les premières pages du roman, Didier Decoin a mis en marche la terrible machine de la justice.
La pendue de Londres de Didier Decoin
Editions Grasset, 2013
9782246783909
333p., 18€
Un article de Clarice Darling
Lastman t.2, de Balak, Sanlaville & Vivès
Signé Bookfalo Kill
On l’attendait, il est enfin arrivé : le tome 2 de Lastman, l’excellent manga de Bastien Vivès, Balak et Sanlaville ! (Pour ceux qui ont raté le premier épisode, un petit coup d’œil sur ma chronique précédente vous renseignera en détail sur ce beau gros projet de manga à la française.)
Les affaires reprennent précisément là où on les avait laissées : faute de réfléchir et de faire preuve de vigilance et de subtilité, Richard Aldana vient bêtement d’être sorti du ring, et la qualification pour le tour suivant repose désormais sur les frêles épaules de son jeune partenaire, Adrian.
Je ne spoile pas grand-chose en révélant que le gamin va s’en sortir, mais ceci n’est que le début. Il reste encore bien des combats à mener – et pas seulement sur le ring, car on s’intéresse de près au très mystérieux Aldana, y compris en haut lieu…
Ce deuxième volume se concentre en grande partie sur les combats, ce qui donne l’impression de prime abord qu’il est moins fouillé et plus convenu que le premier – même si certaines péripéties de ces affrontements s’avèrent pour le moins rocambolesques, plutôt décalées pour le genre.
Mine de rien, entre deux raclées, le trio continue néanmoins à approfondir l’intrigue principale, centrée sur Richard Aldana, et promet déjà de nous emmener dans de nouvelles directions sans doute plus inattendues à partir du troisième tome, en s’éloignant de la ville où se déroulait le tournoi.
Pour le reste, on retrouve bien sûr le graphisme manga à la sauce Vivès, très réussi, mêlant découpage dynamique et sens des petits détails visuels qui tuent, de l’humour dans les dialogues comme dans les situations, et un goût certain pour la gaudriole qui reste néanmoins soft – laissant la série accessible aux lecteurs ados.
Et donc, vivement le tome 3, forcément !
Lastman t.2, de Balak, Sanlaville & Vivès
Éditions Casterman, collection KSTR, 2013
ISBN 978-2-203-06880-3
204 p., 12,50€
Les soeurs Brelan, de François Vallejo
Signé Bookfalo Kill
Elles sont trois. Trois sœurs, dont deux encore mineures, mais qui parlent d’une seule voix. Et cette voix, déterminée, surprend tout le monde à la mort de leur père, lorsqu’elles exigent, au juge qui les reçoit pour décider de leur sort, de les laisser libres ; de ne pas les soumettre à la tutelle de leur tante et de leur oncle, qui veulent, plus que leur bonheur, mettre la main sur la petite fortune familiale.
Obtenant satisfaction, c’est donc sous la charge de Marthe, l’aînée à peine majeure, que les trois filles se lancent dans la vie, la vraie. Avec ses surprises, ses rencontres, sa cascade de vie et de douleur – et la puissance de l’amour qui les unit, envers et contre tous…
Il y a du Zola dans ce très beau roman de François Vallejo. Oui, carrément ! Certes, il ne s’agit pas de comparer de pied en cap l’auteur du génial Ouest (Prix Millepages 2006, Livre Inter 2007) à l’illustre défenseur du capitaine Dreyfus et père des Rougon-Macquart.
L’analogie cependant s’impose en deux points. L’écriture, tout d’abord : comme Zola aimait à le faire, Vallejo use avec brio dans ce roman du style indirect libre, procédé qui nous immerge conjointement dans les pensées et les propos des personnages, tout en dotant le récit d’un dynamisme percutant et d’une énergie très particulière.
Ensuite, Vallejo excelle ici à saisir des personnages, une époque, et des personnages dans leur époque. En l’occurrence, la seconde partie du XXème siècle, au cours duquel le statut des femmes était encore extrêmement codifié, encadré, et tout manquement à ces us considéré comme une indécence. Un état d’esprit archaïque que les trois sœurs Brelan vont s’acharner à dynamiter, par leur volonté de vivre leurs vies en toute indépendance, seules à trois, chacune avec leur caractère propre, mais solidaires quoi qu’il arrive.
Formidable ode à la liberté, à la résistance morale, à la volonté d’échapper aux carcans, à la vie tout simplement, Les Sœurs Brelan forment un tourbillon littéraire enthousiasmant, marquant aussi une forme de révélation pour un auteur adepte jusqu’alors du huis-clos et des environnements sombres, et qui livre son roman le plus lumineux.
Les soeurs Brelan, de François Vallejo
Éditions Points, 2013
(première édition : Viviane Hamy, 2010)
ISBN 978-2-7578-3348-3
284 p., 7,20€
Oh, my dear ! de T.J. Middleton
Signé Bookfalo Kill
Chauffeur de taxi dans une petite ville côtière en Angleterre, Al Greenwood aurait la belle vie s’il ne devait pas en passer chaque journée à la merci de sa femme Audrey, qu’il ne supporte plus. A la faveur d’un jour de tempête, il conçoit alors le crime parfait : il s’embusque sur le parcours de la promenade dominicale de sa compagne, la surprend à l’endroit le plus escarpé du chemin et la pousse du haut de la falaise. Par un temps pareil, tout le monde croira qu’elle est tombée par accident, et Al sera tranquille, enfin.
Sauf que, problème, quand le vilain mari rentre chez lui son forfait commis, c’est pour y trouver Audrey en pleine forme… Qui Al a-t-il donc tué par erreur ?
Entre ce résumé, la couverture et le titre (français, qui n’a rien à avoir avec le titre original, Cliffhanger, assez dur à traduire dans toute sa subtilité britannique), on pourrait croire que ce livre est une comédie. Et, effectivement, au début, il en a tout l’air, avec des poussées d’humour pas toujours légères d’ailleurs. Du genre, sous la ceinture, et bien gras.
Mais cela ne dure pas. T.J. Middleton est anglais et, en bon auteur d’outre-Manche, il s’intéresse autant, voire plus, aux personnages qu’aux situations. Passée l’énergie des premières pages, Oh, my dear ! devient alors un peu bavard, voire longuet. Le romancier est empêtré dans son excellente idée de départ et il a du mal à la développer. Certes, ses héros sont intéressants, voire attachants, aussi bien Al le narrateur (en dépit de son monstrueux projet, on parvient à épouser le cours de son esprit et à l’apprécier) que sa drôle d’épouse, mal embouchée mais généreuse à sa manière, et tous ceux qui gravitent autour d’eux.
Petit à petit, l’humour devient plus subtil, quoique toujours noir et cynique, tandis que l’intrigue évolue vers plus de gravité, évoquant des sujets comme la paternité et la filiation, la vieillesse. Le suspense s’installe dans le dernier tiers du roman pour déboucher sur une fin inattendue, assez cruelle.
Oh, my dear ! se lit sans passion excessive mais jusqu’au bout, surtout pour la voix mi-sarcastique mi-mélancolique du narrateur, et parce qu’on a envie de savoir comment cette histoire finalement plus tragique que comique va se terminer. Un premier roman à moitié abouti seulement, qui ne me laissera pas un grand souvenir.
Oh, my dear !, de T.J. Middleton
Traduit de l’anglais par Héloïse Esquié
Éditions Cherche-Midi, 2013
ISBN 978-2-7491-2307-3
304 p., 18,50€
Comme moi, Bouch’ n’a été qu’à moitié charmée par ce roman. L’enthousiasme est plus net en revanche chez Démosthène par exemple… A vous de vous faire votre avis !
Dark Vador et fils / Dark Vador et sa petite princesse, de Jeffrey Brown
Signé Bookfalo Kill
Star Wars n’en finit plus d’inspirer les hommages et les parodies en tous genres, preuve s’il en est encore besoin que George Lucas a créé avec sa galaxie cinématographique une véritable mythologie des temps modernes.
Dans la catégorie humour, Jeffrey Brown joue la carte inattendue de la tendresse, de la finesse et de la légèreté, en imaginant Dark Vador confronté à ses enfants… Comme dans les films, certes, sauf que là, Luke et Leia sont des bambins et qu’il doit les élever. Il en résulte un mélange de références à l’univers Star Wars parfaitement maîtrisées et de saynètes du quotidien, généralement tenues en une case ou une page.
Le décalage humoristique tient évidemment dans le fait de voir le terrible seigneur Sith essayer d’assumer son rôle de terreur de l’univers, tout en assurant l’éducation de ses enfants, comme n’importe quel papa normal.
Séance de dessins avec fiston, heurt avec Leia adolescente qu’il ne veut pas voir sortir avec ses amis en tenue affriolante (le même costume que celui porté, de force, par la princesse au début du Retour du Jedi, lorsqu’elle est prisonnière de Jabba !!!), entrevues avec l’Empereur interrompues par Luke, embarras des acolytes de Vador lorsque celui-ci leur demande de jouer les baby-sitters… Jeffrey Brown ne manque pas d’idées et les exploite joliment, tout en glissant de nombreuses allusions à des moments célèbres des films qui enchanteront les fans. Pas de quoi se taper les cuisses en hurlant de rire, ce n’est pas le but, mais la plupart des scènes qu’il imagine touchent juste et font sourire.
Un chouette cadeau original pour la fête des Pères qui approche, tiens. Ou pour se faire plaisir gentiment en retrouvant un univers que l’on aime toujours, en dépit de toutes les avanies que George Lucas lui a fait subir ces dernières années.
Dark Vador & fils
Éditions Huginn & Munnin, 2012
ISBN 978-2-36480-029-8
40 p., 9,90€
Vador et sa petite princesse
Éditions Huginn & Munnin, 2013
ISBN 978-2-36480-105-9
60 p., 9,90€
James Joyce, l’homme de Dublin, d’Alfonso Zapico
Alfonso Zapico s’attaque à un monstre de la littérature anglophone, James Joyce, l’auteur des Gens de Dublin et de Finnegans Wake, sans oublier Ulysse. Le dessinateur admire l’auteur, ça se ressent à chaque page. Peut-être est-ce parce qu’Ulysse est inadaptable en bande-dessinée que Zapico s’en est pris à la vie de Joyce? Si le dessin est sobre, tout de noir et nuances de gris, l’histoire décrypte la vie de ce génie, de ces premiers vagissements à sa mort. Parfois même dans des détails qui peuvent sembler insignifiants.
J’imagine un travail titanesque en amont! Zapico a voulu être le plus fidèle possible à la vie de l’écrivain. Si j’ai aimé la façon dont le personnage est traité, sans être enjolivé, sans mensonge, j’ai eu l’impression de passer d’un évènement de sa vie à un autre, d’un personnage à un autre de façon très superficielle. Certes, c’est de la bande dessinée, on ne peut pas s’appesantir pendant des pages et des pages sur un personnage, mais c’est la sensation que j’ai eu en refermant l’ouvrage. Pourtant, le livre contient 220 pages, ce qui est assez conséquent! J’aurais aimé en savoir plus sur l’écrivain, ses amitiés, sa vie de famille… James Joyce, l’homme de Dublin est un très bon moyen de découvrir Joyce, de mettre le pied à l’étrier et de commencer à lire Finnegans Wake!
James Joyce, l’homme de Dublin d’Alfonso Zapico
Editions Futuropolis, 2013
9782754808934
239p., 27€
Un article de Clarice Darling.