Archives de septembre, 2013

Tyler Cross, de Nury & Brüno

Signé Bookfalo Kill

Tyler Cross est un gangster, spécialisé dans les braquages. Un dur, un vrai de vrai. Sans foi ni loi, une machine à exécuter contrats et hommes sans pleurer sur quiconque. Di Pietro, un vieux mafieux sicilien, l’engage pour récupérer 20 kilos de cocaïne appartenant à son filleul. Commencée en fanfare, la mission tourne mal : Cross perd sa comparse et amante C.J. dans la bataille, avant de se retrouver paumé en plein désert, la dope sous le bras.
Il tombe alors sur un vieux garagiste aigri, rongé de haine à l’idée que sa fille, Stella, se marie le lendemain avec William, l’un des trois fils de Spencer Pragg, qui tient la ville du coin dans son poing avec ses deux autres rejetons, l’un shérif et l’autre banquier. Avec Tyler Cross dans les parages, nul doute que la noce a toutes les chances de mal tourner…

Nury & Brüno - Tyler CrossEntre le film noir et le western, la bande dessinée de Nury et Brüno est une superbe réussite à tous points de vue. Il y a d’abord le dessin de Brüno, tranchant et énergique, qu’une mise en image empruntant volontiers aux codes cinématographiques – enchaînement de petites cases pour les actions rapides, cases allongées évoquant le Cinémascope – rend hyper dynamique, bien aidé en cela également par les couleurs flamboyantes de Laurence Croix.
Proches de la caricature, ses personnages acquièrent leur personnalité dès leur première apparition, à commencer par Tyler Cross, dont le visage au front masqué par les bords du sacro-saint feutre de truand est souvent réduit à la plus simple expression de ses traits anguleux, assortis du trait fin d’une bouche qui ignore le sourire. Un bel hommage au genre autant qu’une réappropriation parfaitement assimilée.

Rien à redire côté intrigue non plus. La noirceur de l’histoire imaginée par Fabien Nury (auteur de l’excellente série Il était une fois en France) est assumée jusqu’à son terme, les balles pleuvent et les cadavres tombent innombrables, les méchants sont ignobles, les victimes encaissent un maximum, l’amour effleure le héros sans le toucher vraiment, et les rebondissements se multiplient dans un récit au rythme soutenu de bout en bout.

Tyler Cross est une aventure qui sent la poussière et le sang, vibre de bravoure et de haine, froide et implacable comme le crotale qui hante ses pages. Bref, c’est un excellent polar dessiné, jubilatoire dans son genre, donc à ne pas rater pour les amateurs !

Tyler Cross, de Nury (scénario) & Brüno (dessin)
Éditions Dargaud, 2013
ISBN 978-2-205-07006-4
92 p., 16,95€

Bonus : retrouvez dans Télérama une interview très instructive des deux auteurs, qui expliquent la réalisation de trois planches clefs de la bande dessinée.


Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, de L.C. Tyler

Signé Bookfalo Kill

En guise de crise de la quarantaine, Ethelred Tressider, un médiocre auteur de polar anglais, décide de mettre les voiles en Inde avec la première femme venue. Largué en plein voyage par sa dulcinée, il revient se faire oublier dans un hôtel miteux de Chaubord, la ville des bords de Loire flanquée d’un célèbre château (oui oui, Chaubord). C’est là qu’Elsie Thirkettle vient le chercher, bien décidée à le ramener à Londres et à le remettre dans le droit chemin, c’est-à-dire au boulot.
Malheureusement, l’un des pensionnaires de l’hôtel a la mauvaise idée de se faire assassiner, bientôt imité par un autre, dans des conditions qui laissent penser que le coupable est forcément l’un de ceux se trouvant là. Consignés sur place, Ethelred et Elsie en profitent pour confronter leur goût naturel pour le mystère à la réalité, et décident de débusquer le meurtrier. Une tâche qui pourrait s’avérer plus complexe et moins glamour que dans les livres…

Tyler - Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de LoireJe soupçonne qu’il y a quelqu’un, le traducteur ou un éditeur de chez Sonatine, qui prend un malin plaisir à imaginer les titres les plus loufoques pour les romans de L.C. Tyler. Après Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage, voici donc Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire – dont le titre original était tout de même Ten Little Herrings.
Rien à voir avec le pudding, donc, et si l’on y gagne en curiosité (un titre aussi long, forcément, ça intrigue), on y perd en subtilité, puisque traduire fidèlement le titre aurait donné Dix petits harengs… Ca vous rappelle quelque chose ?

Sans surprise, ce nouveau roman de Tyler est donc un hommage à l’œuvre d’Agatha Christie, dont on retrouve un certain nombre de situations fétiches : un huis clos dans un lieu partagé (ici un hôtel), un meurtre par empoisonnement, des personnages apparemment inoffensifs, étrangers les uns aux autres mais ayant tous quelque chose à cacher…
Un hommage appuyé et volontaire, dans la mesure où le romancier sème les allusions et les clins d’oeil aux intrigues de Christie, et où Ethelred cite souvent la reine du crime anglaise comme modèle, surtout pour tenter de faire avancer ses propres déductions.

Revenons toutefois à nos harengs. Subtilité supérieure de la part de L.C. Tyler, en anglais, l’expression « that’s a red herring » signifie au figuré une fausse piste – une expression que l’on doit à un autre grand maître du suspense, Sir Alfred Hitchcock himself, qui semait de ces fameux poissons dans la plupart de ses films. Tiens, le « red » de Ethelred rejoint les « herrings » du titre, nous y voilà.
L.C. Tyler pousse pourtant la référence encore plus loin, puisque, s’il recourt à des fausses pistes, comme dans tout bon roman policier, c’est surtout parce qu’il y a de la part de ses personnages de fausses interprétations. L’hommage à Agatha Christie devient alors joliment parodique, et Homicides… s’avère un festival d’humour anglais, où le bizarre côtoie le ridicule, l’approximation et l’hilarant, avec ce ton pince-sans-rire que nos amis d’outre-Manche maîtrisent si bien. La scène où tous les personnages se retrouvent pour une confrontation finale censée dévoiler le coupable est ainsi une petite merveille de détournement du genre.

Bref, si vous avez envie d’un polar amusant, léger et décalé, appuyé tout de même sur une histoire solide que Lady Agatha n’aurait sans doute pas reniée (la révélation du mystère est alambiquée mais crédible, et la double fin du roman, excellente… mais je n’en dis pas plus !), Homicides… est pour vous !

Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, de L.C. Tyler
Traduit de l’anglais par Elodie Leplat
Éditions Sonatine, 2013
ISBN 978-2-35584-223-8
278 p., 18€



Faillir être flingué, de Céline Minard

Signé Bookfalo Kill

Entrelacs de plusieurs histoires racontées en parallèle avant qu’elles ne se croisent et convergent lorsque les différents personnages rejoignent une petite ville naissante de l’Ouest américain, Faillir être flingué est relativement impossible à résumer sans le déflorer. Tout juste peut-on alors évoquer certaines trajectoires, celle des frères McPherson, Jeffrey et Brad, qui traversent les plaines dans leur chariot pour escorter leur vieille mère mourante à son dernier voyage ; ou celle de Bird Boisverd, qui se fait voler son cheval par Elie Coulter, avant qu’un certain Zébulon s’empare un peu plus loin de l’animal au jeu.
Il y a encore Eau-qui-court-sur-la-plaine, la mystérieuse guérisseuse indienne, qui porte ses services à ceux dont elle devine le besoin – tel Gifford, l’ancien médecin à qui elle sauve la vie, et qui la suit depuis fidèlement ; et encore Sally, la tenancière de saloon, Arcadia la contrebassiste virtuose, Silas le barbier, Orage-Grondant le vieux chef Pawnee, ou Quibble, le chef de bande bête mais hargneux jusqu’à la mort…

Minard - Faillir être flinguéFaillir être flingué est un pur western. Pas un pastiche, encore moins une parodie, pas même un hommage, mais un vrai western dans les règles de l’art. Sa réussite brillante tient dans ce premier degré, qui relève du respect le plus absolu d’un genre littéraire s’enorgueillissant de quelques chefs d’œuvre, comme Lonesome Dove de Larry McMurtry ou Zebulon de Rudolph Wurltizer, pour n’en citer que deux.
Poursuivant son principe de changer de style et de terrain de jeu à chaque roman, Céline Minard épure sans l’apauvrir son écriture (qui a pu être plus évidemment virtuose par le passé, voir par exemple Bastard Battle) pour la mettre au diapason d’un récit volontiers organique, constitué de grands espaces, de boeufs et de chevaux, de coyotes et de buses, mais aussi du rapport très fort des hommes à la terre, à l’eau, au vent, à l’herbe et aux arbres. La poésie de cette nature vaste et sauvage enveloppe souvent la phrase de la romancière, la rend ouverte et chantante, musicale et concrète à la fois.

Il y a aussi beaucoup d’humour dans Faillir être flingué, et de l’action, et des duels, et des moments de folie virevoltante et d’autres d’inquiétude ou de suspense, et de l’alcool qui coule à flots. Tout y est, et en même temps, il y a une manière dans tout le roman qui le rend singulier, légèrement décalé tout en restant très fidèle au genre qui jamais n’est trahi. Éminemment minardien, en somme.
C’est surtout, et c’est le plus important, l’un des romans les plus beaux et originaux de la rentrée !

Faillir être flingué, de Céline Minard
Éditions Rivages, 2013
ISBN 978-2-7436-2583-2
326 p., 20€


Pur, d’Antoine Chainas

Signé Bookfalo Kill

Comment raconter Pur ? Son contenu est aussi riche que son titre est bref – et hautement ironique, car de pureté, il n’y en a pour ainsi dire pas dans ce nouveau roman d’Antoine Chainas ; ceux qui connaissent déjà l’auteur de Versus n’en seront pas étonnés. Il y a, au mieux, des « idéaux » de pureté, avec tout ce que cette expression peut véhiculer comme projets nauséabonds quand on l’applique à la politique ou à la société.
Racisme primaire ou ordinaire, suprématie de la race blanche, montée de l’extrême-droite, mouvances nationalistes dangereusement activistes, tout ceci est donc au programme de Pur, pour un polar glacé, d’une grande maîtrise, sans doute le plus accessible de son auteur, en dépit de sa dureté.

Chainas - PurPresque mine de rien, le récit taquine les codes de l’anticipation sociale, dont Sauvagerie de J.G. Ballard constitue un exemple qui aura sans doute inspiré en partie Chainas. Le romancier plante le décor dans le sud-est de la France, le cadre dans un futur proche – si proche qu’il pourrait être demain, voire déjà aujourd’hui.
Tout commence par un accident de voiture dont est victime le couple Martin. Sophia, la femme, meurt ; Patrick, le mari et le conducteur, s’en sort quasi indemne, et accuse deux Arabes au volant d’une Mercedes de l’avoir envoyé dans le décor en tirant un coup de feu sur son véhicule. Rapidement médiatisé, le fait divers embrase les esprits de la région, déjà échauffés par une série de crimes perpétrés sur des immigrés par un tireur d’élite, rebaptisé « le sniper de l’autoroute », parce qu’il abat ses victimes le long des voies rapides du coin.
Chargé de ces affaires, le capitaine Durantal soupçonne pourtant vite Patrick Martin de ne pas être aussi clair qu’il le prétend. En s’intéressant à lui, il découvre l’existence des enclosures, ces villes hyper protégées et réservées à des élites triées sur le volet, qui auraient tout intérêt à voir disparaître certains types de population défavorisée encore trop proches à leur goût de leurs supposés paradis…

Il y a aussi Julien, un adolescent coincé entre son père, surnommé le « Révérend » parce qu’il dirige en ascète moral la plus grande communauté fermée de la région, et Amandine, dont le jeune garçon est amoureux alors qu’elle joue avec lui ; ou encore Alice Camilieri, adjointe métisse de Durantal, une ambitieuse qui croit pouvoir supporter le handicap supposé de sa peau en frayant avec le maire de la ville, très porté sur la droite…
Et d’autres personnages, qui ont tous un point commun : leur existence est déchirante d’isolement et d’incompréhension. C’est là que se trouve le cœur du roman, dans le récit de cette ultra-moderne solitude qui empêche toute communication, restreint l’intelligence et mène aux pires extrémités. Comme dans Versus, Antoine Chainas parvient à nous rendre ses protagonistes, non pas attachants (ils ont peu pour l’être), mais accessibles, parfois même touchants malgré leurs dérives – ainsi de Durantal, flic obèse qui s’auto-détruit en se goinfrant, ou de Julien, élevé dans un cadre idyllique mais incapable de trouver le bonheur.

Le reflet que le romancier nous renvoie de la société, et donc un peu de nous-mêmes, n’est pourtant pas flatteur ; c’est là qu’il est le plus marquant, parce qu’il nous confronte au mal que nous faisons, à la peine que nous créons, avec un regard d’une acuité impitoyable. Épuré, lui, pour le coup, le style de Chainas fait de chaque phrase un coup de couteau qui déchire le voile des conventions, tourne et retourne dans la plaie du mal. Il frappe d’autant plus fort qu’il est débarrassé des dérives inutiles qui encombraient ses précédents romans, allant droit au but, jusqu’à un final forcément terrible.

Sans chercher à délivrer de message, Chainas accomplit ce que le roman noir peut faire de mieux : scruter à distance le monde pour en révéler les troubles et les dangers que nous créons. A ce titre, Pur est une réussite aussi totale qu’effroyable, ancré dans son époque, et l’exemple même qu’un polar peut rayonner d’intelligence et s’avérer une lecture indispensable.
C’est enfin, et c’est la meilleure des nouvelles, le grand retour d’Antoine Chainas. Tant mieux.

Pur, d’Antoine Chainas
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2013
ISBN 978-2-07-014099-2
306 p., 18,90€

Ils ont aimé aussi et en ont beaucoup à dire : Hannibal le Lecteur, Unwalkers


Clichy de Vincent Jolit

CLICHY - Vincent JOLITEn 1932 sortent deux ouvrages qui vont se disputer les faveurs du Goncourt. Les loups, de Guy Mazeline et Voyage au bout de la nuit, de Céline. Le premier l’emportera mais c’est le second qui va marquer les esprits. Céline devient du jour au lendemain, un romancier reconnu et acclamé par le public. Mais dans l’ombre de l’écrivain, se cache Aimée. Secrétaire au dispensaire où travaille Louis-Ferdinand Destouches, Aimée Le Corre est une jeune femme sans ambition si ce n’est celle de se marier et de mener une vie convenable. Quand le docteur Louis lui demande de l’aider dans un petit travail qu’il vient d’écrire, elle ne se doute pas qu’elle va se retrouver embringuée dans une machine littéraire qui broie tout sur son passage. Pendant des jours et des nuits, elle va dactylographier le manuscrit, une fois, deux fois, trois fois. Une somme de travail colossal qui la laisse exsangue.

Mais au final, qui se souvient d’Aimée Le Corre? Personne. Vincent Jolit rend hommage à Aimée et à son travail titanesque dont le médecin-écrivain, selon le roman, ne la remerciera qu’à peine et lui offrira seulement, pour bons et loyaux services, une page manuscrite et le livre imprimé et dédicacé. Une biographie très romancée puisque peu d’informations nous sont parvenus sur Aimée. Un ouvrage simple et sans prétention. 

Clichy de Vincent Jolit
Editions de la Martinière, 2013
9782732460260
137p., 14€90 

Un article de Clarice Darling.


La Méthode Arbogast, de Bertrand de la Peine

Signé Bookfalo Kill

A la suite d’un enchaînement de circonstances malheureuses, Valentin Noze chute d’une échelle. Ses blessures sont mineures, mais il commence à souffrir de maux de tête épouvantables. Son médecin l’envoie alors chez le docteur Arbogast, hypnothérapeute de son état, qui utilise notamment des grenouilles malgaches pour fabriquer un sérum particulièrement puissant et efficace.
Une rencontre, ainsi que celle de la belle Sybille, secrétaire d’Arbogast, qui va entraîner Valentin dans des aventures rocambolesques jusqu’à Madagascar…

De la Peine - La méthode ArbogastVoilà un roman qui commence bien mais qui s’essouffle vite. Le premier chapitre, qui nous amène à Valentin et à son accident, est plutôt drôle et bien mené. La suite, jusqu’à la rencontre avec Arbogast, tient encore la route. Et puis, petit à petit, le récit se met à partir dans tous les sens, au point de finir par perdre tout enjeu autre que celui de s’amuser. C’est déjà ça, me direz-vous.

Certes, La Méthode Arbogast offre une lecture vive et plaisante. Bertrand de la Peine joue avec les codes du roman d’aventures, qu’il tripatouille dans une histoire qui fleure bon la parodie – mais sans oser l’assumer tout à fait.
C’est en fait un peu le problème de ce roman : il donne l’impression d’effleurer son potentiel et son sujet. La faute peut-être à un style trop neutre pour faire vibrer la note ironique qui aurait donné un caractère beaucoup plus réjouissant à ces péripéties absurdes.

A l’arrivée, la Méthode Arbogast est un livre sympathique, assez rafraîchissant, parfois amusant, mais vite dissoluble dans l’oubli.

La Méthode Arbogast, de Bertrand de la Peine
Éditions de Minuit, 2013
ISBN 978-2-7073-2307-1
126 p., 13€


Les évaporés de Thomas B. Reverdy

évaporésAu Japon, en cas de déshonneur, de dettes, de démêlés avec la justice ou les yakuzas, on a tout intérêt à disparaître. C’est ce qui arrive à Kazehiro. Il abandonne sa femme et emporte trois cartons. En une nuit. Laisse sur la table son téléphone, ses clés, laisse tout derrière lui et part sans se retourner.

A San Francisco, Richard B. est un poète et détective privé, avec tout ce que cela induit de clichés. Vie amoureuse ratée, alcoolique sur les bords, vie sociale zéro.

Akainu est un ado de 14 ans, donc la vie a basculé le 11 mars 2012. Il se retrouve seul du jour au lendemain, perdu dans cette immensité dévastée. Pour survivre, il vit de petits expédients.

Yukiko, la fille de Kazehiro, ne peut se résoudre à voir son père disparaître sans donner de nouvelles. Elle quitte sa Californie d’adoption et embarque son ancien amant, Richard B., à la recherche d’une ombre.

Richard B. a vraiment existé. Il s’agit de Richard Brautigan, auteur de la Beat generation, adulé après la publication de La pêche à la truite en Amérique du Nord puis, tombé dans l’oubli, avant d’être redécouvert et considéré aujourd’hui comme l’un des grands écrivains américains du XXème siècle. Thomas B. Reverdy s’inspire de ses écrits lors de son voyage au Japon.

Sur fond de catastrophe naturelle et nucléaire, on pourrait croire que ce roman est un mélo sans fond. Fatal error. L’écriture de Thomas B. Reverdy est une véritable révélation. Poétique, aérienne, triste à la fois. L’auteur dépeint un Japon qu’il connaît bien, sans trop en faire, et malgré les aspects énigmatiques de cette culture. Un roman très réussi tant sur le fond que sur la forme.

Les évaporés de Thomas B. Reverdy
Éditions Flammarion, 2013
9782081307056
304p., 19€

Un article de Clarice Darling.


N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Paola Pigani

Wet Eye GlassesAttention! Ne pas confondre avec l’ouvrage du même titre, mais de la poétesse Natasha Kanapé Fontaine, jeune auteur québécoise.

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures est un proverbe manouche que Paola Pigani a admirablement mis en œuvre. En 1940, au camp des Alliers, près d’Angoulême, sont regroupés tous les gitans, les manouches, les tsiganes, les romanichels, que le gouvernement vichyste ne veut plus voir traîner sur les routes de France. Parias de la société, 687 personnes sont parquées dans ce camp d’internement. Même s’ils ne seront pas déportés, beaucoup mourront dans des conditions lamentables de dénutrition, de froid et de chagrin. 

Parmi ces ombres, une lueur. Elle s’appelle Alba, a 14 ans, et vit avec ses parents et ses frères et soeurs dans une roulotte, bientôt confisquée. Peu à peu, la jeune fille voit son monde se réduire à mesure qu’augmentent les lois raciales. Mais à son âge, on n’a pas envie de mourir, on doit vivre. On veut vivre. 

Paola Pigani nous offre une bonne claque avec son premier roman, délicatement écrit. Pas de pathos ici, juste des émotions vibrantes qui nous entraînent dans le sillage d’Alba et nous font partager les dures conditions de survie des Manouches durant la guerre. L’écriture est intense, forte, l’histoire remue une période injustement (ou volontairement?) oubliée de la France, une période qui fait écho à l’actualité du moment. Grâce à cet ouvrage, Paola Pigani fait revivre ces oubliés de la guerre, leur redonne ce qu’ils avaient perdu. Leur nom et leur liberté. 

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Paola Pigani
Editions Liana Levi, 2013
9782867466885
224p., 17€50

Un article de Clarice Darling


Pietra Viva, de Léonor de Récondo

Signé Bookfalo Kill

En 1505, le pape Jules II commande au sculpteur Michelangelo Buonarroti le tombeau fastueux qui accueillera sa dépouille après sa mort. L’artiste de trente ans, déjà réputé pour une sublime pietà et pour une statue gigantesque de David érigée à Florence, saisit l’occasion de fuir Rome, où la mort d’un jeune moine dont il était épris l’a plongé dans le deuil. Il s’installe durant quelques mois à Carrare, célèbre pour ses carrières de marbre blanc de la plus belle qualité qui soit.
Dans ce village reculé, entouré des carriers fiers et respectueux, encouragé par l’amitié bizarre de Cavallino, l’homme qui se prend pour un cheval, bousculé par l’affection spontanée du petit Michele, le sculpteur n’a d’autre choix que de se confronter enfin aux démons de son enfance orpheline, de ses passions brûlantes, de son caractère ombrageux mais aussi à son art…

Recondo - Pietra VivaPietra Viva, c’est l’histoire d’un homme solitaire, taciturne, « souvent perdu au milieu des autres » (p.141), confit dans un ancien malheur, et qui va apprendre à s’ouvrir aux autres comme à lui-même. Ce pourrait être une histoire anodine si ce n’était celle de Michel-Ange.
Léonor de Récondo s’empare de la figure de l’un des plus célèbres artistes au monde avec une liberté totale, loin de vouloir faire de son livre un roman historique figé et codifié. D’ailleurs, hormis l’évocation de l’époque à travers certains détails (une conception archaïque de l’hygiène, des références aux personnalités de l’époque telles Laurent de Médicis ou Savonarole), Pietra Viva recherche moins la véracité historique que celle, poétique, des hommes et des âmes.

Car c’est là que le roman s’avère magnifique. Épousant celui de l’artiste, le style épuré de Léonor de Récondo va à l’essentiel de la phrase et des sentiments. En quelques mots simples mais toujours judicieusement choisis, elle interroge le mystère du génie artistique, plonge au cœur de la mémoire, sonde l’obscurité des souffrances du passé. Elle livre également une belle expérience du deuil sans plomber son texte de chagrin, lui renvoyant comme un miroir apaisant un éloge de l’enfance et de la folie douce qui parfois sont les mêmes.

Pietra Viva est aussi un hymne à la nature ; puis un réveil de tous les sens, au fil d’un poème qui, en se dévoilant strophe par strophe au fil des chapitres, scande le réveil des souvenirs de Michel-Ange et son retour à la vie : c’est l’une des très belles idées formelles du roman.
Délicat et d’une grande sensibilité, Pietra Viva est tout ce que j’ai dit, et reste pourtant une lecture fluide, légère, lumineuse, susceptible de toucher le plus grand nombre par sa grâce et son évidence. Il suffit d’avoir un cœur pour en faire, comme moi, un coup de cœur.

Pietra Viva, de Léonor de Récondo
Éditions Sabine Wespieser, 2013
ISBN 978-2-84805-152-9
228 p., 20€


Petites scènes capitales de Sylvie Germain

petites-scenes-capitales-1370523-616x0Je ne me suis jamais autant ennuyée dans un livre. Bon, comme c’est Sylvie Germain, j’ai continué. Parfois, les personnages, l’intrigue mettent un peu de temps à se mettre en place et ensuite, le roman me captive jusqu’à la fin où il me laisse l’impression d’un ouvrage formidable. Cf Magnus ou Tobie des Marais.

Mais Petites scènes capitales est long. Très long. C’est l’histoire de Barbara, ou plutôt Lili, puisque tout le monde l’appelle ainsi. Petite fille, elle vit sans sa mère, disparue. Son père l’élève avec sa grand-mère, jusqu’au décès de celle-ci. Puis son père va se remarier avec une ancienne mannequin, qui a déjà 4 enfants de plusieurs mariages. La cohabitation va se faire bon an mal an et la famille recomposée va retrouver un semblant d’unité jusqu’au drame suivant. 

L’écriture de Sylvie Germain est son point fort. C’est beau, c’est poétique et les mots ronronnent sous sa plume. Parfois, c’en est usant. Mais le fond de l’intrigue m’a complètement assommée. Le personnage de Lili/Barbara n’est pas du tout attachant, je n’ai éprouvé aucune empathie pour elle. Alors évidemment, difficile ensuite de se plonger dans le roman. 

Pas grave, Sylvie, sans rancune! J’attends votre prochain roman avec impatience!

Petites scènes capitales de Sylvie Germain
Editions Albin Michel, 2013
9782226249791
256p., 19€

Un article de Clarice Darling.


L’Ambition, de Iegor Gran

Signé Bookfalo Kill

José a de l’ambition, il veut devenir le nouveau Mark Zuckerberg. Mais entre son mi-temps minable  dans un magasin d’informatique et les plans foireux dans lesquels il s’égare (revendeur de fèves de galettes des rois sur Internet, par exemple), il est loin du compte. Si loin que sa copine Cécile, employée d’une galerie d’art, finit par le quitter, lassée de ses grands discours qui n’aboutissent à rien.
Et les voici donc, chacun de leur côté, à chercher leur voie. Des milliers d’années auparavant, au néolithique, l’éminent chasseur-cueilleur Chmp est confronté aux mêmes réflexions avec sa tribu nomade, dont les femmes, lassées de se balader en vain, appellent à la sédentarisation et au développement de l’élevage…

Gran - L'AmbitionL’hilarant prologue, qui divise l’ambition en deux catégories – Lego ou Playmobil – donne le ton du nouveau roman de Iegor Gran, où l’on retrouve l’ironie pétillante et le sens de la caricature sociale qui font le sel de ses livres. C’est drolatique, léger, un peu foutraque mais pas trop – au début, on se demande ce que les chapitres néolithiques viennent faire là-dedans…
Bref, c’est du Gran, avec son revers de la médaille : L’Ambition se lit vite et promet de s’oublier tout aussi rapidement. J’en ai déjà fait l’expérience avec Thriller, paru en 2009, qui m’avait plu mais dont je ne me souviens absolument pas.

Après, on n’a pas toujours l’occasion de lire un Goncourt en puissance (et encore, vu la plupart des prix Goncourt…) Mais on n’a pas non plus si souvent celle de passer un bon moment avec un roman amusant, fin et intelligent, dans lequel l’auteur finit par se mettre en scène avec un sens de l’auto-dérision réjouissant. Alors, si vous cherchez ce genre de livre sympa et malin, ayez de l’Ambition !

L’Ambition, de Iegor Gran
Éditions P.O.L., 2013
ISBN 978-2-8180-1755-5
211 p., 16,50€


Le Rire du grand blessé, de Cécile Coulon

Signé Bookfalo Kill

Bienvenue dans un monde où la lecture est devenue un outil d’asservissement du peuple. La littérature telle que nous la connaissons, celle des auteurs libres penseurs et inventeurs de leurs propres histoires, a été mise à l’index, au profit de textes fabriqués sur mesure par des Ecriveurs, auteurs spécialisés de Livres Frissons, ou de Livres Fous Rires, ou de Livres Tendresse. Ces romans calibrés sont dispensés à la foule lors des Manifestations à Haut Risque, grands-messes organisées dans des stades où des milliers de gens peuvent, ensemble et sans la moindre retenue, se laisser aller à leurs émotions les plus primaires, au rythme des mots lancés du haut de son estrade, intouchable, par le Liseur.

Bienvenue dans un monde où l’analphabète est roi. Tenez, tel 1075. Cette montagne de muscles, incarnation de la discipline et de la rigueur, est Agent de Sécurité – ces gardes surentraînés qui protègent le Liseur et gardent la foule sous contrôle pendant les Lectures. Inflexible, incorruptible, incapable de lire la moindre lettre, il est le meilleur de tous.
Jusqu’au jour où, à la suite d’un accident, il se retrouve cloué dans un lit d’hôpital. Il suffit alors de pousser une porte pour que tout bascule…

Coulon - Le rire du grand blesséJ’ai déjà dit tout le bien que je pensais de Cécile Coulon qui, à 23 ans, en est déjà à son quatrième roman. Ce n’est certes pas avec ce nouveau livre que je vais me dédire. Cette demoiselle a une facilité de plume évidente, du talent et beaucoup de culot – celui, par exemple, de venir chasser sur les terres de l’anticipation où Ray Bradbury, avec Fahrenheit 451, et George Orwell, avec 1984 (mais aussi Daniel Keyes, dont le sublime Des fleurs pour Algernon est évoqué dans le livre) ont posé de sérieux jalons.
Sans complexe, Cécile Coulon se mesure à ces références ; et si je suis obligé de reconnaître qu’elle n’est pas tout à fait à la hauteur, ce n’est pas par manque de talent mais parce que son roman est beaucoup, beaucoup trop court. Ses premières pages esquissent un monde futuriste aussi foisonnant qu’inquiétant, et contiennent des promesses que la brièveté du texte empêche de développer. D’où une certaine frustration, inévitable.

En dépit de cette réserve, Le Rire du grand blessé est tout de même très brillant. Paradoxalement, sa brièveté est aussi une force, elle le rend précis et percutant. Cécile Coulon a choisi de se concentrer sur 1075, un personnage remarquablement taillé et pensé de bout en bout, mais aussi sur Lucie Nox, la créatrice du Programme des Liseurs et des Ecriveurs qui porte son nom.
Leurs trajectoires croisées composent un nœud inextricable, d’une grande acuité psychologique, où l’auteur serre son véritable sujet, celui de l’amour de la lecture et de la nécessité d’une défense de la diversité culturelle, pour empêcher nos sociétés modernes de sombrer dans le conformisme et le nivellement intellectuel par le bas.
Une démonstration ancrée dans notre temps, indispensable et d’une grande justesse, qui se joue entre les lignes d’une critique féroce de la société de consommation culturelle telle qu’on tente de nous l’imposer en ce moment, soumise à la globalisation et une volonté insupportable de contrôle de la pensée et de la diversité intellectuelle.

Cécile Coulon est l’une des jeunes et nouvelles voix de la littérature française parmi les plus intéressantes et prometteuses. Même incomplète, cette nouvelle pierre de son œuvre en est une preuve qui mérite largement le détour, en attendant la suite, forcément excitante.

Le Rire du grand blessé, de Cécile Coulon
Éditions Viviane Hamy, 2013
ISBN 978-2-87858-584-1
132 p., 17€


Esprit d’hiver, de Laura Kasischke

Signé Bookfalo Kill

Le 25 décembre, Holly se réveille plus tard que d’habitude, tenaillée par une angoisse sourde et tenace. Tandis que son mari, Eric, part précipitamment à l’aéroport où ses parents l’attendent déjà, elle s’attelle à la préparation du déjeuner pour la bonne douzaine d’invités que le couple reçoit rituellement le jour de Noël.
En fin de matinée, une tempête de neige imprévue s’abat sur la ville, obligeant les convives à se décommander et retardant le retour d’Eric. Holly se retrouve seule chez elle avec Tatiana, sa fille adolescente adoptée des années auparavant en Sibérie, dont le comportement s’avère vite inhabituel. Sans parler de ce sentiment d’inquiétude qui, loin de quitter Holly, ne cesse de peser sur elle alors que s’égrènent les heures d’une journée pas comme les autres…

Kasischke - Esprit d'hiverL’Américaine Laura Kasischke a le chic pour vous planter en quelques mots une atmosphère bien poisseuse et vous y engluer jusqu’à la fin. Elle le fait de manière insidieuse, par strates successives qui, mine de rien, au détour parfois d’une phrase anodine, ajoutent peu à peu des informations décisives sur les enjeux de l’intrigue et le comportement des personnages.
Ce qui, au début, ne paraît être qu’un jeu de répétitions de mots et de phrases (dont l’obsessionnelle « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux » qui ouvre le roman), devient un système de construction circulaire dans lequel le lecteur se retrouve enfermé jusqu’à l’asphyxie. Laura Kasischke écrit comme un boa constrictor étouffe sa proie, lentement mais sûrement.

Ce huis clos inquiet trouve pourtant des échappées grâce à des flashbacks nous ramenant soit en Sibérie, au moment où Eric et Holly sont allés chercher Tatiana encore bébé pour l’adopter, soit dans des épisodes de la vie familiale. Des souvenirs parsemés de signes et de symboles jouant sur le registre de l’horreur sourde (une petite tombe dans un jardin, une porte fermée sur une pièce interdite…), qui ne font rien pour alléger l’atmosphère, et amènent eux aussi à la terrible conclusion de l’histoire.

Chantre de l’étrangeté quotidienne, où l’objet le plus anodin peut devenir vecteur de mystère ou de menace pour peu qu’on le regarde sous un angle différent, Laura Kasischke signe avec Esprit d’hiver un drame psychologique retors, doublé d’un roman d’angoisse terriblement obsédant, qui laissera des traces dans votre imaginaire bien longtemps après avoir refermé le livre. Redoutable.

Esprit d’hiver, de Laura Kasischke
Traduit de l’américain par Aurélie Tronchet
Éditions Christian Bourgois, 2013
ISBN 978-2-267-02522-4
276 p., 20€


Kinderzimmer de Valentine Goby

kinderzimmer-1393211-616x0Voilà un livre ambitieux et qui laisse songeur. Mila vient d’être raflée par la police et déportée au camp de Ravensbrück. Quelques temps après son internement, elle ressent ce qu’elle pense être des signes de maladie. Il s’avère finalement que Mila est enceinte. Comment vivre sa grossesse, comment accoucher quand on est interné? J’ai découvert l’existence des Kinderzimmer grâce à l’ouvrage de Valentine Goby. Pour moi, toute femme, un tant soit peu enceinte, finissait directement assassinée, afin d’éviter aux SS de s’encombrer avec des nourrissons. Mais pas à Ravensbrück. 
Dans ce camp quasiment exclusivement féminin, une sommaire salle d’accouchement à été aménagée à partir de 1943, étrange lieu de mort où l’on donne la vie. 

Valentine Goby vient de rédiger un ovni littéraire. Le style est froid, percutant, aride, comme un hiver en Allemagne. Beaucoup de phrases sont nominatives, pas de verbe, ce qui rend la lecture particulièrement stressante, oppressante. Pas besoin de s’épancher sur des explications. Tout est dit en quelques mots et le roman entier est une course folle vers l’horreur. 

Ce livre m’a laissée dubitative. Je l’ai rapidement lu, et je n’arrive pas à me faire un avis, plusieurs jours après. Je suis incapable de dire si j’ai apprécié ou non ce roman. Qui n’en est pas un, puisque la Kinderzimmer a véritablement existé et que la grande résistante Marie-Jo Chombart de Lauwe, à qui cet ouvrage est dédié, y a oeuvré tant qu’elle a pu pour sauver les vies de ces bébés de la mort. Trois enfants français sont nés et ont survécu à Ravensbrück. Deux garçons et une fille, qui ont maintenant entre 69 et 70 ans. Personne n’est mieux placé qu’eux pour nous donner un résumé de cet ouvrage fort. Car personne d’autre qu’eux ne peut dire ce qu’il s’est réellement passé, dans la Kinderzimmer de Ravensbrück. 

Kinderzimmer de Valentine Goby
Editions Actes Sud, 2013
9782330022600
218p., 20€

Un article de Clarice Darling.


Jason Murphy, de Paul Fournel

Signé Bookfalo Kill

Tous les lecteurs de la Beat Generation connaissent les poèmes de Jason Murphy, mais le bruit court qu’il aurait composé un roman, écrit sur un rouleau avant même le célèbre Sur la route de Jack Kerouac. Certains affirment que le professeur Marc Chantier l’aurait eu un moment en sa possession.
Un éditeur et une étudiante s’envolent sur la trace du fameux « scroll » de Paris à San Francisco. Chacun a ses raisons, chacun a ses chemins, chacun a ses moyens et c’est à qui arrivera le premier…

Contrairement à mes habitudes, le résumé ci-dessus n’est pas de moi mais de l’éditeur. Pourquoi ? Histoire de démontrer qu’on fait dire ce qu’on veut à une quatrième de couverture. Sans être mensonger, ce pitch est assez trompeur, puisqu’il donne l’impression d’une véritable chasse aux trésors à San Francisco, doublée d’une lutte à distance entre deux rivaux prêts à tout pour s’approprier l’objet de leur quête.
Or il n’en est rien. Le passage de l’éditeur sur place est expédié en un chapitre, et celui de Madeleine, l’étudiante, s’il est plus détaillé, ne survient qu’ensuite et à la fin du livre.

Fournel - Jason MurphyMaladresse ou malhonnêteté commerciale, peu importe, revenons au livre lui-même. Jason Murphy est un roman plutôt plaisant, avec des personnages vite attachants, bien que le tout soit écrit avec une nonchalance, voire parfois un dédain pour la langue qui ne satisfera pas le lecteur exigeant en la matière. Dès le premier chapitre, Paul Fournel aligne les dialogues (séparés d’espaces blancs, histoire d’augmenter le nombre de pages) et en fait l’essentiel du corps de son texte, ce qui en rend la lecture rapide et légère – pour ne pas dire souvent superficielle.
S’ajoutent à cela quelques clichés embarrassants (« Il la regarda intensément, droit dans les yeux, et la bouscula de son regard noir », p.54) et des tournures familières ou orales (« Elle la tenait enfin sa Tour Eiffel locale », p. 155), voire incorrectes (« Toute cette bande-là ne sont pas de très grands écrivains », p.84 – à qui le dites-vous…)
Bref, si certains passages sont nettement plus inspirés, heureusement, on ne lit pas Jason Murphy pour la plume de son auteur.

Reste le sujet. S’il semble sur le papier réservé aux fans de la Beat Generation, pas forcément les plus nombreux, il permet au néophyte (j’en suis) d’apprendre un certain nombre de choses sur ce mouvement littéraire américain, notamment grâce à une longue rencontre fictionnelle entre Madeleine et Lawrence Ferlinghetti, co-fondateur de la célèbre librairie City Lights à San Francisco et éditeur de Ginsberg, Kerouac et compagnie.
D’ailleurs le passage à San Francisco s’avère le meilleur du roman – coup de chance, il arrive dans le dernier tiers du livre et permet de quitter celui-ci dans des dispositions assez aimables. Fournel raconte joliment la ville du Golden Gate Bridge, du Panhandle au quartier mythique de Haight & Asbury, et en profite pour s’emparer enfin de son histoire. Il fait même preuve de subtilité en concluant presque entre les lignes, sur un joli pied de nez, l’histoire de Murphy et de son fameux rouleau.

Ah oui, quand même, une dernière chose avant que j’oublie. Jason Murphy n’existe pas. En dépit d’une sympathique tentative de mystification sur Wikipédia, une recherche basique sur le site de City Lights permet vite de s’en assurer. Hé oui, Paul Fournel fait partie de l’OuLiPo, il est donc joueur.

Jason Murphy, de Paul Fournel
Éditions P.O.L., 2013
ISBN 978-2-8180-1765-4
191 p., 16€