Un océan d’amour, de Lupano & Panaccione
Signé Bookfalo Kill
Un petit pêcheur part travailler sur l’océan sur son chalutier, comme tous les matins, alors que l’aube point à peine. Alors que la récolte est plus que maigre, un incident déroute le petit bateau et le laisse à la dérive. Pendant ce temps, la femme du petit pêcheur, bigoudène pur beurre, attend le retour de son homme. Le soir arrive, puis la nuit : pas de mari. Le lendemain, elle apprend l’incident et entreprend de partir à sa recherche en embarquant sur un énorme navire de croisière, où ses crêpes faites maison ne vont pas tarder à faire fureur. Et bien d’autres aventures attendent les deux compagnons éloignés…
Difficile de parler d’une bande dessinée sans parole, dont tout passe de fait par le dessin. Tout semble alors reposer sur les épaules de l’illustrateur – ici, Grégory Panaccione, dont le travail merveilleux est exemplaire. Son sens des cadrages et du découpage, qui recourt souvent à de petites cases multipliant les mouvements et les actions des héros, est remarquable. Les couleurs, superbes, jouent souvent sur des unités de teinte variant subtilement au fil de l’album en fonction des situations (jour ou nuit, pays ou situations différents…) L’expressivité des personnages, enfin, est parfaitement réussie et transmet émotions et informations mieux que de longs discours, dans un style qui me fait penser à celui du réalisateur Sylvain Chomet (les Triplettes de Belleville).
Il serait cependant ingrat d’oublier le scénario de Wilfrid Lupano au seul profit des magnifiques images de Panaccione. Si celles-ci s’animent si bien, c’est qu’elles suivent une histoire qui commence tranquillement, dans la description d’un quotidien paisible, presque tristounet, pour mieux devenir virevoltante, pleine de rebondissements et de loufoquerie maîtrisée. On suit avec passion les péripéties des deux protagonistes, figures ordinaires que rien ne prédisposait à l’héroïsme, ce qui les rend d’autant plus attachants.
Sans oublier la mouette, bien entendu… mais je vous laisse faire la connaissance de cette sympathique bestiole en vous plongeant dans les deux cents pages de cette très jolie B.D. qui se dévore d’une traite, comme une bonne boîte de sardines !
Un océan d’amour, de Wilfrid Lupano (scénario) & Grégory Panaccione (dessin)
Editions Delcourt, coll. Mirages, 2014
ISBN 978-2-7560-6210-5
224 p., 24,95€
Atlas des préjugés, de Yanko Tsvetkov
Signé Bookfalo Kill
Bon, je le précise tout de suite, pour ceux dont le second degré est un peu lent à la détente : CECI EST DE L’HUMOUR.
Grand amateur de cartes devant l’éternel, Yanko Tsvetkov a un jour imaginé de transposer de cette manière les innombrables clichés que chaque peuple ou communauté entretient vis-à-vis de tous les autres, voisins proches ou non, souvent depuis des siècles.
Pour mieux asseoir sa démonstration, il commence par remonter aux temps anciens, depuis la perception du monde qu’avait sûrement l’homme préhistorique (au centre d’une série de cercles concentriques : « Moi », puis « les animaux qui veulent me manger », puis « les animaux que j’aimerais vraiment manger », et enfin, à l’extérieur des cercles, « le grand mystère du je-ne-sais-quoi ») jusqu’à notre époque, en passant par le Moyen Âge ou la Grèce Antique, dont voici ci-dessous la représentation du monde :
Pour ceux qui dormaient contre le radiateur bouillant au fond de la classe (oui, il fait vraiment froid aujourd’hui, le chauffage est à fond), je rappelle que cet exercice est humoristique.
Oui, mais pas que, forcément. Parce qu’il y a dans ce regard décalé de Yanko Tsvetkov un fond de vérité qui relève aussi de l’exercice sociologique. Ces préjugés ont évidemment du vrai, et il faudrait souffrir de la pire mauvaise foi pour ne pas l’admettre.
Oui, nous, les Français, quand nous pensons « Irlande », nous avons tendance à penser spontanément « catholiques » ; ou, pour « Pologne », « plombiers ». Oui, il est plus que probable que les Américains considèrent l’Irak comme « leur Vietnam 2.0 » ou qu’ils assimilent le Kazakhstan à… Borat, le personnage créé par Sacha Baron Cohen – qui avait valu d’ailleurs de nombreuses plaintes des Kazakhs, furieux d’être réduits à cet amas de clichés ne les faisant pas rire du tout (et on peut les comprendre).
S’il fait souvent mouche grâce à l’humour de ses textes de présentation ainsi qu’à un sens de la formule aiguisé, capable de saisir en un mot ou deux un préjugé et d’en faire quelque chose d’à la fois drôle et identifiable, Yanko Tsvetkov livre surtout avec cet Atlas une photographie de notre temps, car nombre de références, par exemple à Merkel ou Hollande, sont totalement contemporaines. Peut-être en rirons-nous encore plus dans dix ou vingt ans… ou pas !
Mais pour ricaner des autres autant que de soi-même, voici pour Noël un chouette cadeau à offrir – à des gens qui ont du second degré, évidemment.
Atlas des préjugés, de Yanko Tsvetkov
Traduit de l’anglais par Jean-Loup Chiflet et Christiane Courbey
Éditions les Arènes, 2014
ISBN 978-2-35204-359-1
80 p., 14,90€