Théâtre

Hier et après-demain, de Patrik Ourednik

Signé Bookfalo Kill

Trois hommes, Jean, Martin et Gilles, sont dans une maison. La maison est chichement meublée mais contient le nécessaire, y compris des réserves de nourriture. Heureusement, car le monde à l’extérieur de la maison est en train de disparaître – littéralement : gens, objets, maisons, paysages, tous noyés dans la brume et le vide.
Un quatrième homme survient, le docteur Delettre. Puis, un peu plus tard, un cinquième, Mario, retraité d’origine italienne. Ils discutent, échangent, se disputent, sur fond de fin de monde.

Bon sang, que voilà un livre étrange. Si j’ai bien compris, c’est l’habitude chez l’écrivain tchèque Patrik Ourednik. Quoi qu’il en soit, cette pièce de théâtre intrigue plus qu’elle n’éclaire, ne livrant aucune piste d’information formelle et jouant sur sa forme même, puisqu’il arrive aux personnages de prendre les spectateurs à parti, et que la fin inclut ces derniers dans le spectacle même.

Au début, il est difficile de ne pas songer au célèbre Huis clos de Jean-Paul Sartre : trois personnages réunis dans un espace unique, qui devisent en attendant la fin d’un événement vraisemblablement infini (chez Sartre la mort, chez Ourednik l’effondrement du monde). Sauf que, chez Ourednik, la discussion tourne très vite au dialogue de sourds, même lorsque les deux autres personnages apparaissent. Chaque caractère campe sur ses acquis – Martin le rêveur, Jean le pragmatique, Delettre le bavard philosophe… – que les échanges ne font guère évoluer, allant même jusqu’à se mélanger et s’entrechoquer.

Il en résulte une impression d’absurdité, renforcée par le contexte hors champ de la pièce (la fin du monde), que les préoccupations des personnages – préparer un réveillon du Nouvel An, passer le balai, savoir si la porte de la maison s’ouvre vers l’intérieur ou vers l’extérieur – renforcent autant qu’elles permettent d’alléger le propos, de le rendre moins plombant, même si une forme d’angoisse sourde habite tout le livre, aussi insaisissable et aussi insidieuse que la brume qui avale le monde. Une angoisse qui pourrait aussi être liée à l’absence de femmes, évoquée dans le texte même, et qui impose à cette confrontation virile le déséquilibre instinctif et naturel de la disparition féminine.
Il se dégage de tout cela des idées, des réflexions parfois brillantes, mais aucune démonstration nette et implacable. Au lecteur (transformé aussi virtuellement en spectateur) de se faire ses opinions, et de tirer ce qu’il peut de l’ensemble. De cette pièce au présent où le présent s’efface, coincé entre un « hier » connu et un « après-demain » incertain.

Hier et après-demain est donc un texte déconcertant, qui marque l’esprit sans pour autant le conditionner, ce qui en fait sans doute un livre à portée philosophique. A confronter avec le reste de l’œuvre de Patrik Ourednik, pour essayer de mieux comprendre la démarche de cet auteur inclassable.

Hier et après-demain, de Patrik Ourednik
Traduit du tchèque par Benoît Meunier et Patrik Ourednik
Éditions Allia, 2012
ISBN 978-2-84485-576-3
126 p., 6,20€


Golgotha picnic de Rodrigo Garcia

A l’origine de cette lecture, il y a tout le foin que les intégristes ont fait pour empêcher cette pièce d’être jouée au théâtre du Rond-Point, à Paris. Tout le foin, c’est vite dit! Je n’y étais pas, mais voici comment Le Monde décrit la situation. Après les tensions à Toulouse, les personnes manifestant leur mécontentement étaient ici, calmes, pacifistes, empêchant certes que la pièce soit jouée, mais sans gêner qui que ce soit d’accéder au théâtre. Depuis, les représentations ont continué et plus personne n’était devant le Rond-Point.

L’auteur, Rodrigo Garcia, est un étrange personnage. Désabusé, sans illusion sur le monde contemporain (ni même sur le monde passé) En bon publicitaire qu’il fut, il aime les phrases courtes, les accroches chocs comme les titres de ses ouvrages peuvent en témoigner C’est comme ça et me faites pas chier, Vous êtes tous des fils de pute ou encore, Fallait rester chez vous, tête de noeuds. Autant vous dire que voir ou lire une pièce de Rodrigo Garcia est une expérience intéressante qui ne laisse pas indifférent. 

Golgotha Picnic ressemble aux autres pièces de l’Argentin. Vous prenez la politique, la religion catholique, les médias, les journalistes, vous mélangez le tout avec des insultes et vous obtenez une pièce de théâtre. Voici à priori ce qu’on peut penser à la première lecture ou première vision d’une pièce.

Mais, car il y a un mais, Rodrigo Garcia va beaucoup plus loin. C’est un auteur tourmenté, qui se réfère certes souvent aux mêmes maux de la société, mais c’est ce qui l’a gangréné étant petit. La religion catholique dans un pays d’Amérique Latine induit un facteur de contrition qui ne quitte pas les personnes ayant grandi dans cette foi. Cette foi dont veut se débarrasser l’auteur. 

Bien sûr, dans Golgotha Picnic, la religion catholique en prend pour son grade, mais au même titre que les journalistes et les médias. En fervente athée que je suis, j’ai rit. J’ai rit car le début de l’ouvrage est drôle et j’ai rit en me disant « Oh quand même, ils vont pas être contents les catholiques! » C’était exactement l’effet recherché par l’auteur, les catholiques ont donc bien joué le jeu. Le fils de Dieu est vu ici comme un inadapté à la vie quotidienne, incapable de boire des bières avec des potes et draguer les filles. Pourquoi, alors qu’il est Amour, on le représente souvent en train d’agoniser sur la Croix?  

« Personne ne devrait jamais avoir accès à ces épouvantables tableaux représentant des calvaires, des croix et des larmes, des plaies béantes et des doigts qui fouillent à l’intérieur, de la propagande pour la perversion, le tourment et la cruauté, résultat de techniques raffinées. » (p.18-19)

Rien que pour la diatribe sur les musées, ce passage m’a fait rire. 

Cependant, la deuxième partie de la pièce est nettement plus chiante. Excusez mon propos. Ce long monologue s’enfonce dans des digressions que le lecteur ne parvient plus à comprendre. De qui parle-t-il? Pourquoi? Je me suis perdue dans les méandres de la lecture. Et je me suis dit au final, que j’avais ressenti la même chose pour C’est comme ça et me faites pas chier, qui visait ici le domaine de la publicité et le porno à tout bout de champ. 

C’est ça mon problème avec Rodrigo Garcia. J’aime bien au début… Il faudrait vraiment que j’aille voir une pièce, voir une de ses mises en scène pour me faire ma propre opinion. Une pièce de théâtre, c’est décidément fait pour être vu, non pour être lu. 

Ils ont testé la pièce pour vous: Métro

Le résumé du Rond-Point : Golgotha Picnic

Golgotha Picnic de Rodrigo Garcia
Les Solitaires Intempestifs, 2011
9782846813297
78 p., 12€

Un article de Clarice Darling

 


Je disparais d’Arne Lygre

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le texte d’Arne Lygre déconcerte. Comme irréel. Comme si les mots et les gestes ne servaient à rien. Ne comptent que les émotions.

Une femme, appelée Moi, attend patiemment son mari chez elle. On comprend qu’il leur faut fuir (Un pays? Une ville? Pour quelles raisons? On ne saura pas). Mais au lieu de voir apparaître son mari tant attendu, la femme voit arriver son amie, avec ses valises, qui cherche elle aussi à fuir. Puis la fille de son amie. Toujours aucune trace du mari. Alors les trois femmes, comme en proie à une angoisse inextinguible, en viennent à jouer d’autres personnages, comme pour mieux patienter, elles créent des jeux de rôles. En attendant le mari.

Le texte est vraiment étrange  et à trop vouloir faire dans le contemporain, on peut perdre pied facilement. Mais comme me disaient mes professeurs, lire du théâtre, ça a toujours été un peu chiant, il faut vivre les œuvres. Qu’à cela ne tienne, je vais voir la pièce qui se joue en ce moment même au théâtre de la Colline, mise en scène par Stéphane Braunschweig.

Même mis en scène, le texte reste aride. C’est long, c’est lent et au bout d’un moment, c’est extrêmement chiant. On reconnait bien la patte d’un auteur nordique, c’est glacial, sans compassion pour les personnages, eux-mêmes perdus dans les méandres de ces fjords textuels qu’est Je disparais.

Dommage…

Je disparais d’Arne Lygre
Editions de l’Arche, 2011
9782851817617
74p., 11€

Un article de Clarice Darling.