Vango, de Timothée de Fombelle
Signé Bookfalo Kill
Paris, 1934. Allongés face contre terre sur le parvis de Notre-Dame, quarante jeunes gens s’apprêtent à être ordonnés prêtres. Parmi eux, Vango, 19 ans, qui semble intéresser plusieurs personnes cachées dans la foule qui assiste à la cérémonie – ainsi que l’excentrique commissaire Boulard, qui débarque justement pour l’arrêter. Après avoir réussi une fuite spectaculaire en escaladant la façade de la cathédrale, Vango apprend que son mentor a été assassiné, et que la police le soupçonne d’être le meurtrier.
Devenu clandestin, traqué par les autorités ainsi que par de sinistres personnages qui ne lui veulent aucun bien, le jeune homme se lance dans une enquête effrénée pour découvrir la vérité sur ses mystérieuses origines, sources de tous ses maux et enjeu considérable pour beaucoup de gens, au-delà même de tout ce qu’il pourrait imaginer…
Déjà très remarqué pour un premier diptyque, Tobie Lolness, largement lu et apprécié des jeunes lecteurs, Timothée de Fombelle récidive avec ce superbe gros roman en deux parties, édité en un seul volume juste avant Noël. Et autant vous le dire simplement : Vango est une pure merveille. Allez, je dis le mot : un chef d’œuvre, du genre qui balaie les frontières et nie les étiquettes. Oui, ce livre est à destination des adolescents (à partir de 12-13 ans), mais en soi, cela ne veut rien dire.
Les romans de Fombelle, et celui-ci en particulier, sont de la trempe de ces œuvres qui considèrent les enfants comme des lecteurs à part entière, doués d’intelligence et de sentiments, et pas comme des êtres un peu simplets sous prétexte qu’ils mesurent moins d’un mètre cinquante, qu’ils n’ont pas encore mué ou qu’ils préfèrent encore jouer aux Lego ou se passionner pour les poneys plutôt que faire semblant de s’intéresser à la politique intérieure du Guatemala pendant les infos de 20 heures.
Et donc, Vango, qu’es-ce que c’est ? Un immense roman d’aventures, qui ressuscite avec panache l’esprit de Dumas ou de Jules Verne, avec ses voyages à travers le monde (entre les îles Éoliennes, la France, l’Écosse, l’Allemagne, les États-Unis et la Russie), ses enjeux dramatiques aussi puissants qu’universels (la quête de soi et de ses origines, l’héritage familial, l’amour, la vengeance, la peur…), ses engins fascinants (les zeppelins, qui hantent le récit jusque sur la magnifique couverture du roman), sa manière audacieuse de jouer avec l’Histoire et de la mettre en perspective, et ses personnages flamboyants, trop nombreux pour être tous cités ici. Qu’il suffise de savoir que, d’Ethel à la Taupe en passant par Boulard, le terrifiant Voloï Victor ou le père Zefiro – sans parler des personnages réels, notamment Hugo Eckener et Staline (rien de moins !!!) -, ils sont tous inoubliables.
Vango, c’est aussi le style de Timothée de Fombelle, plein de force, d’énergie et de poésie, qui manipule la grande gamme des sentiments humains avec finesse et clairvoyance, sans jamais céder au manichéisme ; personne, dans cette histoire, n’est tout blanc ou tout noir, et chaque personnage a sa profondeur et sa richesse, qu’il soit héroïque ou effroyable, important ou secondaire.
Puis il y a l’humour du romancier également, qui réserve de nombreuses scènes de comédie irrésistibles en jouant volontiers la carte de l’ironie, avec encore une fois une élégance et une intelligence confondantes.
Voilà, Vango, c’est tout cela, et bien d’autres choses encore, que vous pouvez mettre entre les mains de vos ados sans hésiter (pour peu qu’ils aiment se plonger dans un bon livre, bien sûr, car la taille du pavé a de quoi effrayer un lecteur rétif…), ou vous offrir, pourquoi pas. Après tout, les chefs d’œuvre n’ont pas de frontière.
Vango, de Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard, 2013 (édition intégrale)
ISBN 978-2-07-065589-2
763 p., 25€
Romance de Blexbolex
Romance est un petit bouquin par sa taille, mais grand par son épaisseur. Le graphisme me rappelle quelque chose… Il s’agit de l’Imagier des gens, et Les saisons, les précédents ouvrages de l’auteur. L’histoire est plutôt sympathique, puisque c’est au lecteur de l’inventer. Tous les jours, un enfant rentre de l’école et découvre que son monde devient de plus en plus grand. Pour rentrer de l’école, au début, il n’y a que le chemin, la route, puis la maison. Mais chaque jour, de nouveaux éléments apparaissent. Jusqu’à faire apparaître sorcière, reine et farfadet.
Le concept est intéressant. Une image, un mot, à l’enfant de deviner et inventer l’histoire qu’il veut. Parfois même, il y a juste une image, pas de mot. Les chapitres s’étoffent de jour en jour et l’Oulipo n’est plus très loin. D’abord 3 images, puis 5, puis 9, etc… en ajoutant à chaque fois un multiple de 2.
En cela, j’ai aimé l’ouvrage. Mais je n’aime pas du tout le graphisme. Les couleurs choisies, pour ces sérigraphies, sonnent très old school et même si le vintage est à la mode, ces images me semblent d’un autre monde. Cependant, je conçois parfaitement que cela fasse un tabac auprès des petits. A vous de voir si vous aimez ou pas!
Romance de Blexbolex
Editions Albin Michel Jeunesse, 2013
9782226242341
280p., 15€
Un article de Clarice Darling.
Atlas des lieux maudits d’Olivier et Sybille Le Carrer
En 2010, les éditions Arthaud nous avaient offert le magnifique ouvrage Atlas des îles abandonnées de Judith Schalansky et récidivent cette fois avec Atlas des lieux maudits, d’Olivier et Sybille Le Carrer.
Les mêmes ingrédients sont là. Papier à l’ancienne, cartes du monde datant du 19ème siècle, textes qui font froid dans le dos. Olivier Le Carrer a recensé les endroits hantés, les lieux où il ne vaut mieux pas mettre les pieds. Cela va des plus communs, comme le Triangle des Bermudes ou Amityville, aux noms les plus exotiques, tels Eilean Mor, Aokigahara ou encore Cap Bojador.
Les histoires sont bien trouvées, mais les textes manquent parfois de finesse poétique et rendent certaines descriptions lourdes, je repense au texte sur le Golfe d’Aden, qui indique que le Pôle Emploi somalien n’a pas grand chose d’autre à proposer que l’option « piraterie ». Cependant, si les écrits sont bien moins rédigés que l’Atlas des îles abandonnées de Judith Schalandsky, cet ouvrage n’en reste pas moins d’une grande qualité qui fera son petit effet au pied du sapin.
Atlas des lieux maudits d’Olivier et Sybille Le Carrer
Editions Arthaud, 2013
9782081295529
135p., 25€
Un article de Clarice Darling.
Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dents ?, de Jerry Spinelli
Signé Bookfalo Kill
Dans la famille Tofer, je demande le frère et la soeur. Le premier, Greg, entre en troisième ; il a passé l’été à faire un régime drastique, de la musculation et à s’entretenir comme jamais pour se présenter à la rentrée en véritable canon. Objectif : séduire enfin Jennifer Wade, dont il est follement amoureux.
La seconde, Megin, est en cinquième ; elle aime passer du temps avec sa meilleure amie Sue Ann (sauf quand celle-ci fait une fixette sur une nouvelle qui arrive de Californie), est amoureuse du hockey sur glace et récupère en douce des donuts dans sa boutique préférée pour les offrir à une vieille dame qu’elle voit en cachette dans sa maison de retraite.
Ah oui, petit détail : Greg et Megin se détestent. Vraiment. Au point de prendre leur petit frère en otage, de se balancer des donuts à la figure ou de glisser un cafard dans les affaires de l’autre en sachant qu’il est phobique. En fait non, ils ne se détestent pas, ils se haïssent, au grand désarroi de leurs parents impuissants. Mais jusqu’où cette guerre peut-elle les mener ?
Voici encore un roman jeunesse qui ne sombre pas dans l’angélisme ! Ainsi qu’un livre qui aidera peut-être certains parents dépassés par les disputes incessantes de leurs enfants. Dans sa description des rapports explosifs entre Greg et Megin, Jerry Spinelli se montre effectivement intraitable, dépeignant ses héros à tour de rôle avec le même réalisme vachard. S’ils se montrent souvent humains, drôles, fragiles, chaleureux, amicaux avec les autres, dès qu’ils sont confrontés l’un à l’autre, les deux adolescents sont sans limite dans la méchanceté. Au point d’en devenir parfois détestables, y compris pour le lecteur !
Au-delà de ce sujet extrêmement bien traité par le romancier, Qui a mis des cheveux… raconte joliment les années collège, avec ses amitiés puissantes, ses jalousies, ses passions. Il saisit fort bien les préoccupations des deux héros en fonction de leur âge : Greg, véritable ado, obnubilé par son corps qui mute et à la recherche du mode d’emploi des filles ; et Megin, à peine préado, tiraillée entre son ébullition intérieure et ses instincts de petite fille, entre les câlins à la peluche de sa meilleure amie (ou à sa crosse de hockey) et son envie de grandir. Un double portrait équilibré que permet la construction du roman, en donnant en alternance la parole aux deux héros à chaque chapitre.
Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dents ? est donc un roman très réussi sur les guerres fratricides, parfois cruel mais aussi souvent drôle (grâce aux personnages des parents, surtout du père, assez irrésistible quand il s’y met), en tout cas plein de finesse, d’intelligence et, au final, de tendresse jamais nunuche. De quoi refermer le livre le coeur serré d’une émotion sobre mais sincère, et donner à réfléchir aux jeunes lecteurs qui, parfois, s’agacent de leurs frères et sœurs sans trop savoir pourquoi.
A partir de 12 ans.
Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dents ?, de Jerry Spinelli
Traduit de l’américain par Laura Brimo
Éditions École des Loisirs, coll. Médium, 2013
ISBN 978-2-211-20112-4
277 p., 11,50€
La Propriété de Rutu Modan
Regina Segal est une vieille dame très âgée vivant en Israël. A la mort de son fils, elle décide de retourner dans son pays natal, la Pologne. Sa petite-fille, Mica, l’accompagne dans ce qu’elle croit être un retour aux sources afin de récupérer la propriété qui leur a été spoliée pendant la guerre. Mais visiblement, Regina est en Pologne pour tout autre chose…
Le trait de Rutu Modan est directement influencé de la bande-dessinée belge, à tel point que j’avais l’impression d’avoir sous les yeux du Hergé. Je n’ai pas aimé les personnages secondaires, trop encombrants, envahissants et qui n’apportent pas vraiment à l’histoire. Mais j’ai apprécié Regina et sa petite-fille, l’une déterminée à retrouver son passé, l’autre à comprendre cette grand-mère irascible et imprévisible. J’ai aimé les phrases choc employées par-ci par-là, qui font mouche et interpellent, notamment celle d’un Israélien habitué des voyages sur les lieux de commémoration qui précise qu’il préfère Majdanek à Auschwitz, car c’est plus « effrayant ». (Et pour avoir vu moi-même ces charters de personnes qui utilisent des tours-opérateurs pour visiter les lieux de recueillement, sans aucun respect et en moins de 5 mn, je peux vous dire que c’est effarant.)
L’histoire est belle, cela aurait pu être plus intime, certains personnages sont complètement inutiles, comme le jeune Polonais amoureux de Mica. Au final, je suis mitigée sur cette bande-dessinée qui avait tout pour être au top et qui, finalement, se perd un peu. Dommage!
La Propriété de Rutu Modan
Editions Actes Sud, 2013
9782330022334
220p., 24€50
Un article de Clarice Darling.