Lacryma Christi, de Carlo Fighetti
Signé Bookfalo Kill
Bon, ça y est, c’est officiel : je regrette Dan Brown et son Da Vinci Code.
La faute à qui ? La faute à Lacryma Christi et à son auteur, Carlo Fighetti, qui ne nous épargne rien. Voilà un thriller gloubiboulga comme on espérait ne plus en voir paraître. Hélas, les éditions Envergure, dont c’est la première publication, ont décidé d’en faire leur champion sous l’appellation aussi pompeuse qu’abusive de « roman noir ». Une tromperie sur la marchandise qui pourrait être malhonnête si elle n’était pas juste le résultat d’une méconnaissance manifeste du polar de la part de l’éditeur.
Lacryma Christi est donc un succédané de thriller à la sauce mystique. Honnêtement, je ne suis déjà pas fan à la base, mais là, c’est le pompon. Tout y est : des complots, une jeune héroïne courageuse, des mystères au Vatican, un nouveau Pape et son ambivalente âme damnée qui tire les ficelles dans l’ombre, des clefs, des symboles et des textes obscurs, des luttes ancestrales entre des groupuscules « religieux » – le tout tellement fumeux, tellement alambiqué que je vous souhaite bon courage pour vous y retrouver sans revenir en arrière toutes les trois pages.
Le pire, c’est que Fighetti est documenté – soit qu’il est connaisseur du sujet pour être « investi » dans la Franc-Maçonnerie ou tout autre mouvement de ce type, soit qu’il a mené de longues et minutieuses recherches. Mais encore faut-il savoir utiliser intelligement le matériau dont on dispose. Ici, l’auteur rebalance tout son savoir dans des dialogues indigestes, interminables, assortis de nombreuses notes en bas de page à visée explicative, qui flinguent toute tension dramatique. C’est long, c’est flou, c’est bavard : on s’ennuie. Suspense, sens du rythme, reposez en paix, amen.
Et le pire du pire – si si, il y a encore pire -, c’est le style de Fighetti. Dixit l’éditrice, histoire de convaincre que son poulain vaut mieux que Dan Brown et consorts : « c’est très bien écrit. » Je rectifie : c’est très bien écrit. Il manque le « bien », et c’est bien dommage. L’auteur fait des grandes phrases en pensant sûrement que c’est classe, et ainsi se démarquer des autres auteurs du genre. Hélas, ce n’est pas parce qu’on élabore des phrases complexes, dépassant le basique sujet-verbe-complément cher à trop d’auteurs de thrillers, qu’on a du style pour autant.
De style, Fighetti n’en a guère, sinon celui du coureur de fond se lançant dans un marathon chaussé de Doc Martens. Très lourd…
On atteint le summum du loufoque (involontaire) dans les dialogues, atteints du même mal. Si l’auteur s’exprime comme il fait parler ses personnages, j’adorerais le rencontrer car ce doit être un phénomène. Un petit exemple ? Avec plaisir, tant j’anticipe le fou rire qui va probablement vous secouer à la lecture de l’extrait que je vais vous proposer. (J’ai testé avec Clarice, ça marche très bien.)
Je vous replace le dialogue dans son contexte : un haut dignitaire religieux vient de manquer se faire assassiner par un exécuteur, qui a tenté de l’éliminer en lui jetant à la figure de l’acide, cachée dans un stylo, avant que les gardes du corps de la cible aient le temps de s’interposer. Le tueur rate son coup et est neutralisé, réaction immédiate du dignitaire :
« Le produit que j’ai été à deux doigts de recevoir dans la figure aurait pu m’être fatal ! Il s’agit de cyanure d’hydrogène ou plutôt de sa solution aqueuse plus connue sous le nom d’acide cyanhydrique. C’est un produit extrêmement toxique puisqu’il est capable de tuer par anoxie, soit par ingestion, soit par inhalation. Un simple contact avec la peau peut également suffire, d’autant plus que la dose nécessaire pour tuer un homme est infime. Dans ce stylo, il y en avait donc assez pour tuer dix d’entre nous. C’est un poison qui était utilisé autrefois par les services secrets des pays de l’Est. C’est son odeur d’amande amère qui m’a renseigné. » (p.146)
Bon, et puis, comme je suis sympa, je vous épargne la fin, d’un premier degré stupéfiant, hilarante à force d’être consternante. Non, sérieux, sur les mêmes sujets, il y a eu d’autres romans, excellents ceux-là ; donc, si ça vous tente, essayez plutôt Genesis de John Case ou La Peau du tambour d’Arturo Perez-Reverte, voire le Testament des siècles de Henri Loevenbruck (formidable auteur français de thrillers sur l’ésotérisme, à lire, lui !)
Lacryma Christi, de Carlo Fighetti
Editions Envergure, 2011
ISBN 978-2-9539855-0-4
301 p., 20€
M. CARLO FIGHETTI a demandé un droit de réponse par voie judiciaire. Le voici reproduit ci-dessous.
DROIT DE RÉPONSE DE CARLO FIGHETTI
« Il y a ceux qui subliment leurs pulsions agressives pour les transformer en des réalisations admirables et ceux pour qui le processus semble impossible. Quel magnifique exemple vous donnez de la pulsion de mort dirigée vers l’autre : votre haine de vous-même doit être grande ! Monsieur, je vous plains. Je vous plains très sincèrement.
Difficile en effet de ne pas être frappé par ce qui ressemble à un règlement de compte, une exécution d’où dégoulinent haine et agressivité. Malheureusement, à force de vouloir trop en faire, le comportement devient éminemment suspect et on s’interroge : quels sont donc les mobiles qui vous animent ? Et pourquoi les dissimulez-vous derrière un pseudonyme ? Vos frustrations vous sont-elles insupportables ? Ne craignez-vous pas qu’un jour votre haine se retourne contre vous ? Reconnaissons qu’il est beaucoup plus facile de s’en donner à cœur joie quand on se cache ! Je crains que la « qualification » que vous vous êtes octroyée en lisant vos polars ne vous ait un peu trop monté à la tête. Permettez-moi un conseil : prenez un peu de distance, cela sera certainement bénéfique pour votre santé.
Car, à vous lire, tout est mauvais : le type de livre (vous ne l’affectionnez pas, pourquoi l’avoir lu ?), l’écriture, sans oublier le style (dont vous êtes certainement un spécialiste !). L’éditrice n’est pas épargnée non plus, même si dans une réponse sur votre blog vous semblez le regretter puisque vous écrivez, non sans humour, que vous êtes ennuyé « de tirer un peu (sic !) sur une jeune boite qui se lance ». Illustration clinique et symptomatique de la dénégation. Du haut de votre toute-puissance, vous êtes donc détenteur de la Vérité ! Il n’existe dans vos propos ni nuance, ni subtilité, tout y est rigide, violent, définitif. Pour écrire une critique honnête, il faut avoir du recul et du talent ; et de ces qualités vous n’en n’avez aucune. Votre diatribe manque de consistance, tout comme votre démonstration qui n’est que tentative. Toute critique est légitime, mais encore faut-il savoir parler du fond. Le lecteur ne peut être dupe devant tant de violence.
Venons-en à l’extrait que vous citez et dont le contenu n’avait bien sûr par échappé à ceux dont la tâche était de corriger mon travail (notamment un spécialiste anglophone du polar, universitaire de formation). Remarque préliminaire : extraire un passage et le citer hors contexte sans plus de précisions que les vôtres relève de la malhonnêteté intellectuelle et de l’intentionnalité de nuire. Une rectification aussi : vous présentez le Père Général comme un « haut dignitaire religieux ». S’il est effectivement détenteur d’un grand pouvoir, il n’est en aucune façon un haut dignitaire. « La nature de sa tâche, comme me le soulignait son sous-secrétaire quand j’étais à Rome, n’est pas de servir le pape dans des fonctions de dignité ecclésiastique ». Une précision : tous les domaines dont je parle sont des spécialités que je maîtrise ; elles sont le résultat de formations poussées (postdoctorales) et d’études sur le terrain, par conséquent très éloignées de vos élucubrations… Je ne dépenserai donc pas mon énergie à légitimer ce à quoi vous n’avez manifestement pas accès : n’aborder aucune des thématiques qui constituent la trame de mon livre en est la preuve.
Pour revenir à la tentative d’assassinat du Père Général, vous occultez nombre d’éléments. Premièrement, je vous rappelle qu’il attendait de pied ferme son assassin, tout en étant protégé. Il était donc psychologiquement prêt. Deuxièmement, ceux qui sont — officieusement — ses gardes du corps vous apprendraient que tous les Pères Généraux qui se sont succédé avaient des qualités communes : « des hommes au sang-froid exceptionnel, capables de se défendre eux-mêmes si la nécessité l’impose ». Ce qui est le cas de mon personnage. La description précise que j’en fais pages 33-34 a des implications qui ont dû vous échapper… Vous critiquez enfin les dialogues. Je ris : si vous aviez fréquenté les lieux et personnalités que je cite, vous découvririez combien votre analyse est absurde.
Mais restons-en là. Les romans que vous lisez sont sûrement très bons, mais comme tous les esprits étroits bardés de certitude, vous vous en servez comme des références : c’est là où votre démonstration s’effondre.
J’allais oublier : vous pouvez me rencontrer quand vous voulez. Je doute cependant que vous ayez le courage de sortir de votre anonymat…
Carlo Fighetti »
Boris Vian de Philippe Boggio
Actuellement à la Bibliothèque Nationale de France a lieu une exposition fort intéressante sur mon chouchou Boris Vian. Non, pour une fois, je ne vous ferai pas l’éloge de L’écume des jours ou de L’herbe rouge. Mais au sortir de cette exposition, où se mêlent agréablement vidéos, musique, manuscrits et gidouille de ce grand bonhomme, je n’avais qu’une envie. Relire tout Vian. Les commissaires de l’expo ont réussi leur coup! Donner envie aux visiteurs de se plonger (ou replonger) dans l’univers étrangement poétique du trompinettiste et écrivain de talent.
Après avoir tout lu ou presque dudit Boris, il me fallait une biographie. J’ai choisi celle de Philippe Boggio, aux éditions Flammarion. Parue en 2009, soit 50 ans mois pour mois après la mort de Monsieur Vian. Pourquoi? Peut-être pour la photographie où on voit un Boris Vian de 33 ans courant allègrement en maillot de bain sur la plage. Mais pas que.
Dans ce livre, j’ai retrouvé l’auteur tel que j’avais envie de le revoir. Sa jeunesse dorée puis le paradis perdu, les débuts de la maladie, la mère Pouche possessive, les débuts dans la musique, etc. J’ai trouvé aussi un contexte, autant littéraire qu’historique et musical. J’ai vu Sartre, Le Castor, Henri Salvador, Raymond Queneau, Jean Paulhan, comme des vieux copains que je n’avais pas revus depuis que j’ai refermé le dernier tome des mémoires de Simone de Beauvoir. J’ai rencontré surtout un journaliste, au style délicat et empreint de poésie, ce qui ne pouvait que convenir à l’auteur qu’était Boris Vian.
Les recherches sont très poussées, les références s’accumulent, c’est un formidable travail qu’a fourni Philippe Boggio pour cette biographie. On sent que le journaliste a adoré travailler sur ce personnage haut en couleurs et pourtant si blafard qu’était Boris Vian. Au risque d’en oublier les côtés sombres de l’écrivain, notamment son goût pour les jolies bobby-soxers (les demoiselles peu farouches de son roman J’irai cracher sur vos tombes, signé Vernon Sullivan)
Mais Philippe Boggio nous présente un auteur vrai, mélancolique de son passé, qui cherchera sa vie durant à recréer la chaleur de son enfance, en s’étourdissant de musique et d’amis, au risque de ne plus entendre sa propre musique cardiaque.
Boris Vian est mort à l’âge de 39 ans, à 10h10, le 23 Juin 1959 au cinéma le Marboeuf et est enterré à « Vildavret ». Sur sa tombe, point d’inscription, de peur peut-être que le futur lui crache dessus.
Boris Vian de Philippe Boggio
éditions Flammarion, 2009
9782081200678
410p., 23€
Un article de Clarice Darling.
Betty, d’Arnaldur Indridason
Signé Bookfalo Kill
Il y a des romans, des polars surtout, dont on se demande bien comment on va faire pour en parler ; comment, même, on va réussir à en faire un résumé accrocheur en dévoilant l’intrigue au minimum – sachant que c’est essentiel pour ne pas en déflorer l’intérêt et la réussite.
Betty, le nouveau roman de l’Islandais Arnaldur Indridason, est clairement de ceux-là. Je vais donc m’efforcer d’être aussi précis que possible avec un minimum de mots.
Si vous ne le connaissez pas, Indridason est l’un des auteurs majeurs du polar nordique contemporain. L’égal pour l’Islande du Suédois Mankell ou du Norvégien Nesbo. Il est célèbre pour sa série mettant en scène l’inspecteur Erlendur, flic taciturne et opiniâtre, lesté d’un passé obsédant (la disparition de son petit frère, dont il est partiellement responsable) et d’une famille problématique, dont les enquêtes permettent au romancier de mettre en lumière les aspects troubles d’une Islande moins idyllique qu’on voudrait bien le croire.
Indépendant de la série Erlendur, Betty apparaît comme une sorte de respiration dans l’oeuvre d’Indridason. Non pas que le ton y soit plus joyeux, au contraire ; mais parce qu’il s’agit d’un hommage de l’auteur au roman noir, avec l’un de ses ingrédients centraux : une femme fatale – la Betty du titre -, qui fascine et envoûte, le plus souvent pour leur plus grand malheur, tous ceux qu’elle croise : mari, amants, proches et policiers…
Simple hommage au roman noir ? Non, car Indridason illumine son roman d’une surprise phénoménale – et c’est là que je dois impérativement me taire. En dire plus serait criminel, sincèrement. Sachez juste que grâce à cela, ce qui ressemble de prime abord à une oeuvre très classique (mais bien menée) du genre, devient à mi-chemin de la lecture un roman fracassant, d’une maîtrise narrative aussi admirable que jubilatoire.
Et maintenant, chut ! Faites connaissance avec Betty. Tout comme les personnages de papier qui la croisent, vous aurez sûrement du mal à vous en remettre…
Betty, d’Arnaldur Indridason
Editions Métailié, 2011 (édition islandaise originale : 2003)
ISBN 978-2-86424-845-3
205 p., 18€
Je disparais d’Arne Lygre
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le texte d’Arne Lygre déconcerte. Comme irréel. Comme si les mots et les gestes ne servaient à rien. Ne comptent que les émotions.
Une femme, appelée Moi, attend patiemment son mari chez elle. On comprend qu’il leur faut fuir (Un pays? Une ville? Pour quelles raisons? On ne saura pas). Mais au lieu de voir apparaître son mari tant attendu, la femme voit arriver son amie, avec ses valises, qui cherche elle aussi à fuir. Puis la fille de son amie. Toujours aucune trace du mari. Alors les trois femmes, comme en proie à une angoisse inextinguible, en viennent à jouer d’autres personnages, comme pour mieux patienter, elles créent des jeux de rôles. En attendant le mari.
Le texte est vraiment étrange et à trop vouloir faire dans le contemporain, on peut perdre pied facilement. Mais comme me disaient mes professeurs, lire du théâtre, ça a toujours été un peu chiant, il faut vivre les œuvres. Qu’à cela ne tienne, je vais voir la pièce qui se joue en ce moment même au théâtre de la Colline, mise en scène par Stéphane Braunschweig.
Même mis en scène, le texte reste aride. C’est long, c’est lent et au bout d’un moment, c’est extrêmement chiant. On reconnait bien la patte d’un auteur nordique, c’est glacial, sans compassion pour les personnages, eux-mêmes perdus dans les méandres de ces fjords textuels qu’est Je disparais.
Dommage…
Je disparais d’Arne Lygre
Editions de l’Arche, 2011
9782851817617
74p., 11€
Un article de Clarice Darling.
Les enfants du cinéma de François-Guillaume Lorrain
Il y a des films qui irradient par la présence magique d’un enfant. Mes souvenirs datant plutôt des années 80 et étant plutôt américano-centrés, je vous parlerai bien volontiers de Barret Oliver (qui était mon grand amour de jeunesse) Oui mais voilà, Barret n’a plus jamais fait de films passé 1990. Pourquoi? Alors qu’il était si talentueux?
Dans Les enfants du cinéma, François-Guillaume Lorrain s’est concentré sur les films français, toutes époques confondues, qui comportaient des premiers ou seconds rôles d’enfants. Qu’est devenu le Petit Gibus de la Guerre des Boutons? (Reste à savoir si les nouveaux Petit Gibus des deux Guerres des Boutons précédemment sorties vont perdurer dans l’histoire du cinéma) Certes, dans la Boum, il y a Sophie Marceau mais que sont devenus ses copains? Et les gamins de Diabolo Menthe hein?
Vous apprendrez ainsi que Zazie a fait Sciences-Po, que certains se sont retrouvés facteurs, ouvriers ou génie mathématique (allant jusqu’à obtenir la Médaille Fields, l’équivalent du Nobel des maths)
C’est un vrai travail de journaliste que nous livre François-Guillaume Lorrain, bien écrit, plaisant et on retrouve avec délectation les histoires de ces gamins, fauchés par la gloire éphémère du cinéma français ou valeurs montantes de l’époque (pour Charlotte Gainsbourg et Sophie Marceau)
Les enfants du cinéma de François-Guillaume Lorrain
éditions Grasset, 2011
9782246790754
294p., 19€
Un article de Clarice Darling.
Jeu de pistes, de Marcel Theroux
Signé Bookfalo Kill
Quand Daniel March apprend par son père que son oncle Patrick vient de mourir, il en est d’autant plus surpris qu’il le croyait décédé depuis longtemps. Alors, lorsqu’il découvre en plus que Patrick l’a nommé légataire universel, lui laissant notamment la charge de conserver en état sa singulière maison à Cape Cod, Daniel y voit un signe : à 35 ans, célibataire et sans ambition, il végète depuis trop longtemps comme obscur grouillot à la BBC. Pourquoi ne pas tout quitter et partir vivre aux Etats-Unis ?
A la suite de fouilles hasardeuses, Daniel découvre un manuscrit mystérieux – son oncle était écrivain -, l’esquisse d’un roman historique mettant en scène Mycroft Holmes, le frère de Sherlock. Des échos troublants glissés dans l’oeuvre conduisent Daniel à se confronter autant à lui-même, à ce qu’il attend de la vie, qu’à son passé et à celui de sa famille…
Voilà un roman qui me donne à réfléchir.
Je l’ai lu avec plaisir, assez vite séduit par le rythme nonchalant et le ton partagé, entre humour doux-amer et mélancolie, du narrateur Daniel. Le personnage est immédiatement attachant, délicat loser à la recherche d’un but à sa vie, et dont l’immersion dans l’univers singulier de son oncle lui offre le miroir dont il a besoin – même s’il lui reflète beaucoup d’inattendu…
Si jeu de pistes il y a, comme le titre l’indique, ce n’est pas tant sous forme de suspense ou d’une enquête dans les règles de l’art, que dans la façon dont l’apprentissage du héros avance peu à peu, par étapes subtiles, au fil de rencontres, de souvenirs et de réflexions saisies presque par hasard.
Tranquille, le style de Marcel Theroux (qui est anglais, comme son nom l’indique) imprime un rythme lancinant à une intrigue faite de petits riens – sauf lorsque le romancier s’amuse à pasticher la lourde plume propre aux fresques historiques, ou celle de Conan Doyle. Mine de rien, il nous conduit au fil des pages,sans fausse note ni ennui, jusqu’à la conclusion de son histoire, peut-être prévisible mais néanmoins touchante.
Bref, est-ce un bon livre ? Je crois. Est-ce un livre marquant ? Je ne pense pas – d’où ma réflexion sur ce roman.
Evidemment, tous les livres que l’on lit ne peuvent pas frapper autant notre imaginaire à chaque fois. Mais il y en a qui s’effacent sitôt refermés, quel que soit le plaisir que l’on a pris à les lire. Des livres parmi d’autres, qui ne laissent aucune trace, qui n’ajoutent pas de brique à notre vécu, et dont est bien en peine de parler quelques jours, quelques semaines après les avoir lus – quand on se rappelle les avoir lus.
Je glisse Jeu de pistes dans cette catégorie. Que cela ne vous empêche pas de le lire si le sujet vous plaît, vous ne le regretterez pas. Et peut-être en garderez-vous davantage que moi… Chacun son expérience !
Jeu de pistes, de Marcel Theroux
Editions Plon, 2011
ISBN 978-2-259-21295-3
238 p., 21€
Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Signé Bookfalo Kill
Il suffit de pas grand-chose pour changer radicalement le cours d’une vie. Prenez le cas de Lawrence Paxton. Retraité depuis peu, il a consacré sa vie à son métier d’agent de change chez Barclays et à sa femme Lynn, ainsi qu’à leur deux enfants désormais adultes et autonomes. Par-dessus le marché, il vit à Kirk Bay, petite ville anglaise hyper sécurisée où rien ne se passe jamais – d’ailleurs, il ne peut rien s’y passer.
Oui mais voilà. Un soir d’insomnie, notre ami Lawrence fait sur la plage une double rencontre décisive : avec une énorme cargaison de sacs de cocaïne d’une part, avec une armée de pingouins qui ont trempé leur bec dans la poudre blanche et sont déjà devenus dangereusement accros d’autre part. Rien d’exceptionnel, me direz-vous. Certes. N’empêche qu’après avoir imité les pingouins, Lawrence est pris d’une crise de lucidité exceptionnelle, et il comprend, il réalise enfin qu’il n’a qu’un seul but dans sa vie : éliminer sa femme qui, quand même, avouons-le, lui pourrit la vie depuis des années avec son obsession de trouver quelque chose à faire pour le week-end.
Et là, évidemment, c’est le début des ennuis.
Après avoir dynamité les codes du roman d’espionnage dans le réjouissant Taxi, Take Off and Landing, Sébastien Gendron s’en prend ici au célèbre nonsense britannique. Impossible de ne pas penser aux Monty Python. Lawrence Paxton, c’est John Cleese dans ses œuvres de grande pintade britannique, à la fois terriblement coincé et capable des pires horreurs.
Au meilleur de sa forme, le romancier mêle joyeusement des personnages en décalage systématique par rapport aux situations qu’ils affrontent – y compris les plus périlleuses -, des épisodes drolatiques et d’autres plus dramatiques, sans se priver d’exercer d’un ton badin son sens critique, lorsqu’il s’agit de dézinguer la lâcheté des politiques, l’irresponsabilité écologique, ou tout simplement les mesquineries ordinaires qui font notre quotidien.
Dans tout ça, les pingouins font figure autant de détonateurs que d’excellents artifices humoristiques. Gendron les glisse partout, sur la plage, en ville, sur les pelouses impeccables des jardins anglais (shocking !) comme près des poubelles dont ils dévorent le contenu sans retenue. Les pingouins de Gendron, ce sont les Gremlins d’aujourd’hui. Aussi dingues, aussi nuisibles, aussi drôles, et peut-être encore plus inquiétants parce qu’ils nous sont familiers. Bref, une belle idée qui anime le roman de bout en bout – jusqu’à une jolie pirouette finale, mais chut…
Pour résumer, vous aurez donc toutes les chances de passer un bon moment à sourire gaiement, voire à rigoler franchement, pour peu que vous soyez sensible à une large palette d’humour allant de l’absurde au potache.
Et donc, avec qui vous allez passer le week-end prochain ?
(Celui qui répond « un pingouin » a perdu.)
Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Éditions Baleine, 2011
ISBN 978-2-84219-506-9
292 p., 18€
Smog, de Jérôme Harlay
Signé Bookfalo Kill
Smog n’est pas une ode au brouillard londonien mais le nom d’une curiosité architecturale : une maison en forme de bateau, suspendue au-dessus de Marseille. Elle appartenait à Johan Verbeeke, un inventeur belge fantasque, et à son épouse Susan, qui viennent de mourir dans un accident d’avion. Leur avocat et ami, Pierre Roubault, se rend sur place pour s’occuper de la succession, l’étrange maison-navire revenant par testament à son propre fils Fergus, âgé de neuf ans. Ce sont les vacances d’été, le petit garçon est également du voyage.
La propriété des Verbeeke est entretenue par Marc et Aude Labeyrie, un couple d’apparence affable qui qui dissimule un lourd secret. Obligé de repartir rapidement pour s’occuper d’autres aspects de la succession, Pierre Roubault décide de confier son fils aux Labeyrie, Marc semblant en particulier s’enticher du jeune garçon ; dans le même temps, Joël, le fils aîné de Roubault né d’un premier mariage, rejoint le Smog pour y passer quelques jours de vacances et – espère en tout cas son père – apprendre à connaître son petit frère moitié plus jeune que lui.
Une fois l’avocat reparti, les caractères se tendent et s’exacerbent, des figures menaçantes apparaissent, et les zones d’ombre de chacun s’apprêtent à refaire surface…
Smog porte bien son titre : au début, le lecteur navigue à vue dans le brouillard d’un récit qui commence sans prévenir, par une scène dans un aéroport où les avions sont cloués au sol par les intempéries. Puis, petit à petit, les personnages, les destins, les histoires se dessinent. Jérôme Harlay recourt à une construction polyphonique pour mieux parcourir le spectre des sentiments et des conflits psychologiques qui agitent tous les personnages sans exception. L’un après l’autre, ils prennent la parole, suivant la linéarité du récit et en dévoilant petit à petit les enjeux.
Mais que tout ceci traîne en longueur… Roman paradoxal, Smog entreprend de sonder les noirceurs de l’âme avec une application quasi scolaire dans la forme. C’est bien écrit, presque trop. Le reproche peut paraître exagéré, surtout à une époque où le style ne semble plus la priorité des auteurs ni des éditeurs ; pour autant, il faut qu’il y en ait, du style, pour singulariser un auteur – et je mentirais en affirmant que celui de Jérôme Harlay m’a frappé. Peut-être est-ce dû au choix du changement de narrateur à chaque chapitre, exercice complexe s’il en est. Ici, l’auteur peine à investir pleinement chacune de ses voix, hormis peut-être celle de Joël, le grand frère.
Puis, pour retarder le temps des révélations, le récit emprunte des tours et détours qui finissent par désamorcer la montée de la tension (même si certains lecteurs y ont été sensibles), tout en s’appuyant sur des personnages secondaires un peu lourds, prévisibles. Le premier roman de Harlay, Le Sel de la guerre, était un polar, et on sent ici qu’il a souhaité s’affranchir du genre sans y arriver tout à fait, d’où l’aspect parfois bancal d’un roman qui hésite entre suspense et récit psychologico-intimiste sans parvenir à concilier les deux.
Harlay a cependant l’art et la manière de créer une atmosphère poisseuse, irrespirable, et de camper des décors frappants – à ce titre, le Smog est une superbe idée de cadre. De quoi espérer le voir franchir un cap et se lâcher davantage prochainement ? A voir.
Smog, de Jérôme Harlay
Editions Belfond, 2011
ISBN 978-2-7144-5134-7
308 p., 20€
D’autres lecteurs ont aimé ce livre : Benjamin Berton (fluctuat.net), Laurence (Biblioblog)
Et si vous voulez voir et écouter l’auteur défendre son roman : la Fringale littéraire
Freedom de Jonathan Franzen
Je n’ai qu’un mot à dire. OUF.
Trois mois que je suis sur ce pavé. Trois mois que je me force. Vraiment. A me dire : « bon, allez, je vais tenter d’avancer, lire trois ou quatre pages. Allez Clarice, tu peux le faire. »
Et finalement, j’ai triomphé. Ce n’est pas le nombre de pages qui est en cause dans l’histoire, j’ai lu des ouvrages bien plus épais en dix ou quinze jours. Le problème, c’est l’histoire…
Patty Berglund est une pauvre femme blanche, américaine, riche, aimé d’un mari, Walter, on ne peut plus formidable, avec des enfants (Jessica et Joey) au départ tout à fait charmants, maman à plein-temps et plus ou moins épanouie.
Mais. Fatalement, il y a un mais. On apprend au fur et à mesure du texte qu’elle est (et qu’elle a toujours été) amoureuse de Richard, musicien à la Lou Reed raté, meilleur ami de Walter. Et c’est là que les choses se compliquent.
Freedom et ses 720 pages retracent l’histoire de cette famille, sur une période de trente ans, où les tentatives de suicide se mêlent aux matchs de basket, où la survie des petits oiseaux dans les champs est plus importante que le divorce d’un couple, où un gamin peut gagner beaucoup beaucoup d’argent en étant encore étudiant, où la guerre en Irak fait des ravages, etc… etc…
Dit comme ça, ça a l’air pas mal. C’est très bien écrit même, mais on s’ennuie. Patty n’est rien d’autres qu’une emmerdeuse-née, une sorte d’Emma Bovary du XXIe, qui passe son temps à se lamenter sur sa vie ratée. Carrière de basketteuse professionnelle ratée, amours avec Richard ratés, vie commune avec Walter ratée, éducation de ses enfants ratée, bref, la totale.
Et en plus, 720 pages pour en arriver à une fin rocambolesque, expédiée en 6 pages maximum, c’est franchement rageant. Jonathan Franzen n’avait sûrement plus d’idées pour terminer son oeuvre et ça se sent.
Ca aurait pu être bien, c’est pas terrible. Dommage.
Freedom de Jonathan Franzen
Editions de l’Olivier, 2011
9782879296579
720 p., 24€
Un article de Clarice Darling.
Les secrets de Fantômette de Georges Chaulet.
En voyant arriver ce livre, quelle ne fut pas ma surprise! Un livre sur Fantômette? Mais pourquoi donc, Fantômette n’existe plus depuis belle lurette!
Mais si! Georges Chaulet, après une interruption d’au moins 20 ans (!), s’est remis à écrire des épisodes de Fantômette. Je me demande si Enid Blyton écrit encore des Oui-Oui…
Bref, voici donc une sorte de dictionnaire ou encyclopédie à la gloire de Fantômette, qui fête ses 50 printemps. Cet ouvrage ne vaut que pour les jeunes (et moins jeunes!) filles qui ont lu, que dis-je, dévoré les aventures de la belle Françoise Dupont. Très largement inspiré du site Mille Pompons, (dont il faut remarquer le travail de fourmis réalisé par les contributeurs, que Georges Chaulet remercie chaleureusement), ces Secrets de Fantômette comportent plusieurs volets. L’univers d’abord, avec les inspirations, les idées de l’auteur, la naissance des différents personnages. La biographie de l’auteur ensuite, avec un entretien exclusif. Une troisième partie concernant les aventures et les succès de Fantômette à la Bibliothèque Rose, les différents illustrateurs, les nombreuses rééditions (et le massacre graphique orchestré par les éditions Hachette au fur et à mesure des rééditions). Pour quatrième volet, on trouve les autres vies de Fantômette, à l’étranger notamment, mais aussi en dessin animé, en série télé et sur le site internet. Puis, la cinquième partie retrace tous les ouvrages publiés de Fantômette, avec les couvertures, le résumé de chaque ouvrage et la date de parution.
Jusqu’ici, tout va bien Madame la Marquise. L’ouvrage est sympathique, agréable, à la gloire de l’héroïne de notre enfance. Fantômette continue d’être un vrai succès en librairie, les mères ayant lu cela enfant et l’achetant d’office à leur progéniture. Il est vrai que Fantômette était audacieuse, dans les années 60-70. Une pré-ado (orpheline?) qui se déguise, sort seule le soir, combat (sans autre arme que son cerveau!) des méchants tous plus méchants les uns que les autres, sur sa trottinette pétaradante, accompagnée d’Oeil-de-Lynx, Boulotte et Ficelle, c’était peu visible dans la littérature enfantine de l’époque. Outre les « qualités » littéraires (sur lesquelles je ne préfère pas m’attarder tant elles sont pauvres, mais à 7-8ans, peut-on vraiment juger de la qualité littéraire de ce que l’on lit?), Georges Chaulet avait réussi à créer un univers loufoque, hors du temps, aux personnages attachants et aux situations cocasses.
Seulement voilà. Le drame de ce livre est dans la sixième partie, intitulée « L’inédit ». Un inédit dans lequel Françoise Dupont a aujourd’hui, entre 25 et 30 ans. Fantômette adulte? Pas possible! Et pourtant si! Georges Chaulet l’a fait, et j’avais hâte de voir le résultat. Mal m’en a pris.
En refermant cet inédit Fantômette amoureuse, je me suis sentie déçue. Trahie. Certes, toujours aucune qualité littéraire (mais bon, je n’en demandais pas tant non plus, je savais que c’était assez mal écrit), mais une histoire abracadabrante, qui prend le lecteur pour un débile (d’ailleurs, à qui est adressé cet opus? Aux enfants? Aux adultes en mal de Fantômette?). J’avais un goût amer dans la bouche en me rendant à l’évidence que Georges Chaulet est un vieux monsieur réactionnaire (avec ses notes d’auteurs après chaque mot anglicisant du style « poster: affichette pour ceux qui savent parler français » p.206), qui peut dénigrer ses lecteurs (notamment sur les goûts musicaux, oui, les lectrices de Fantômette ont grandi et j’imagine que plusieurs aiment le rock’n roll Monsieur Chaulet), voire les traiter de stupides (p.244 « C’est Françoise qui s’est chargée des paroles qu’elle a voulues particulièrement tartes, puisque c’est ce qui plaît en ce moment. »)
En bref, quitte à savoir le contenu de cet inédit, j’aurais préféré ne pas le lire. Parce que cette Fantômette ne me plait pas mais alors pas du tout. Les clichés surabondent dans cet opus. Georges Chaulet a tout fait pour garder ses personnages prisonniers des années 60, sans aucune perspective d’évolution.
Dommage pour vous Monsieur Chaulet, mais Fantômette grandit désormais en chacune de ses lectrices. La Fantômette 2011, la voici:
Fantômette est maman, elle travaille dans la mode, joue dans un groupe de musique (et pas un orchestre, Monsieur Chaulet), adore faire du vélo et a même fait du cinéma!
Alors s’il vous plaît Monsieur Chaulet, laissez Fantômette grandir en paix et contentez vous plutôt de raconter ses aventures de jeunesse! Merci pour elle.
Les secrets de Fantômette de Georges Chaulet
Editions Hachette, 2011
9782012021570
255p., 25€
Un article de Clarice Darling.
Paris vs New York de Vahram Muratyan
Chouette! Un livre qui parle de Paris et New-York, mes deux villes préférées au monde après San Francisco et Toulouse (ben quoi?)
Plus sérieusement, un livre qui, je cite, propose « un match visuel amical entre ces deux villes ». Le concept est plaisant. Voyons ce qu’il y a dans le ventre. En fait, il s’agit de l’adaptation papier du blog http://parisvsnyc.blogspot.com/.
L’auteur Vahram Muratyan, graphiste talentueux à la David McCandless (Datavision), retrace sur chaque double page, un combat, parfois couru d’avance, mais sympathique. Le crooner parisien n’est autre que Charles Aznavour alors que chez nos voisins new-yorkais, il s’agit bien sûr de Franck Sinatra. Pareil pour les marches, qui voient s’opposer Montmartre et les brownstones (les immeubles de deux étages auxquels on accède par un perron de quelques marches, mouai, bof me direz-vous), les macarons vs les cupcakes, Quasimodo vs King-Kong, Amélie Poulain vs Carrie Bradshaw (qui ça? mais si, la fashion-blonde de Sex and the City), Paris-Plage vs Coney Island, les apparts vs les lofts, etc… etc…
Bon, entre nous, c’est pas mal. Le concept est drôle. Les raccourcis sûrement un peu facile, mais amusants. En bref, un petit cadeau de Noël que vous pourrez envoyer à vos camarades d’outre-Atlantique si vous en avez. Mais honnêtement, 12€90 pour un bouquin lu en 5mn dont 90% des illustrations sont en accès libre sur le blog, ben… Après tout, vous faites comme vous voulez! Mais 12€90, c’est le prix d’un bon pastrami chez Kat’z, les meilleurs à mon humble avis. Reste à économiser pour payer le billet d’avion!
Paris vs New York de Vahram Muratyan
éditions 10 18, novembre 2011
9782264056306
150p environ, 12€90.
Un article de Clarice Darling.
Dictionnaire Spielberg, de Clément Safra
Signé Bookfalo Kill
Agé de 24 ans, récemment diplômé de l’Université Paris VII en études cinématographiques, Clément Safra va marquer d’emblée l’esprit des cinéphiles en publiant un Dictionnaire Spielberg tout à fait remarquable, au moment même où le réalisateur américain révolutionne le cinéma d’animation avec un Tintin en images de synthèse tout simplement bluffant.
Sous forme d’entrées encyclopédiques, le jeune auteur parcourt en détail l’oeuvre de l’un des cinéastes majeurs de notre époque. S’il sait se faire critique (voir par exemple les articles « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal » ou « Le Monde Perdu : Jurassic Park »), on sent qu’on a affaire à un véritable passionné du travail de Steven Spielberg.
Fan, certes, mais tout à fait capable d’analyser les motifs de son intérêt pour le réalisateur américain. Loin de se cantonner à ce que de nombreux exégètes ont déjà fort bien expliqué dans de précédents essais, Safra avance de nouvelles pistes et pousse au maximum des réflexions aussi passionnantes qu’accessibles. La lecture de l’entrée « Jurassic Park » en surprendra ainsi sûrement plein d’un…
Outre des articles consacrés à chacun des films du cinéaste, on trouve dans ce dictionnaire des entrées sur les acteurs ayant travaillé sous les ordres de Spielberg, d’autres sur ses influences (David Lean, Alfred Hitchcock…) ou ses collaborateurs – fidèles, comme le compositeur John Williams ou le monteur Michael Kahn, réguliers comme George Lucas, ou occasionnels comme Quincy Jones.
Plus intéressant encore, les entrées thématiques dégagent les nombreuses lignes de force du travail de Spielberg. De E comme « Enfant », »Eau » ou « Effets Spéciaux » à L comme « Lumière », « Lune » ou « Langage », en passant par le H de « Histoire », le F de « Femmes, le Q de « Quotidien » ou le S de « Shoah », Safra démontre avec méthode que le réalisateur est à la tête d’une véritable oeuvre, consistante, construite, savant mélange d’exigence et d’ouverture au grand public.
Le livre comporte en outre un livret central de photographies, qui permet de mettre en relief certaines obsessions visuelles de Spielberg – les machines, les figures circulaires, sa manière de filmer les visages ou les regards, son travail sur la lumière « blanche » ou « divine », cet aura lumineux en contre-jour qui constitue l’une de ses signatures les plus célèbres…
Bref, Clément Safra livre une étude complète, intelligente et intelligible pour n’importe quel lecteur – pas la peine de lire les Cahiers du Cinéma ou de sortir d’une école de cinéma pour comprendre ce dont il est question ici. De quoi satisfaire les connaisseurs de Spielberg, aussi bien que les « novices » désireux de découvrir une filmographie beaucoup plus complexe que ce que les détracteurs du papa d’E.T. voudraient continuer à faire croire.
Dictionnaire Spielberg, de Clément Safra
Editions Vendémiaire, 2011
ISBN 978-2-363-58010-8
359 p., 25€
On en parle aussi ici : Ecran large, Steven Spielberg Collection (blog)
La Cité t.1 : la lumière blanche, de Karim Ressouni-Demigneux
Signé Bookfalo Kill
Hormis le fait que sa mère est morte en le mettant au monde, Thomas est un ado normal. Il vit à Paris avec son père, il a quinze ans, des amis et une passion intense pour la magie qu’il partage avec son oncle Louis. Pourtant, son existence sage et tranquille bascule le jour où il découvre la Cité : un jeu vidéo en ligne totalement révolutionnaire, d’un réalisme visuel inouï, et si mystérieux que ses joueurs en ignorent même le but – s’il y en a un…
D’abord fasciné, Thomas – alias Harry dans le jeu – explore une ville qui semble illimitée, se fait des amis et découvre avec eux les étranges pouvoirs qu’ils sont capables de développer ensemble dans la Cité. Mais rien n’est si simple, des rumeurs commencent à circuler, certains joueurs ont des comportements étranges, et une menace indistincte semble peser sur les habitants virtuels – à commencer par cette lumière blanche, dont personne n’est sûr qu’il s’agisse d’une légende du jeu ou bien d’une terrifiante réalité…
Attention, ce roman rend dangereusement accro ! De la même manière que Thomas et ses compagnons profitent du moindre instant libre pour se connecter à la Cité, je n’ai pas pu faire autrement que de lire ce roman de bout en bout, presque sans m’arrêter. Karim Ressouni-Demigneux a l’art et la manière d’installer tout de suite une atmosphère électrique, à la fois excitante et inquiétante, et de nous rendre attachants ses personnages ; si bien qu’on n’a plus qu’une envie : explorer avec eux la Cité, en découvrir les nombreux secrets et savoir ce qui va arriver à Thomas et à ses amis.
L’univers inventé par l’auteur est vaste, ambitieux et riche de possibilités dont j’ai hâte de découvrir d’autres facettes dans les volumes à venir. On sent qu’il est loin d’avoir tout dit sur la Cité, qui récèle sûrement encore bien des mystères et des périls… Il a surtout un vrai talent d’écrivain, qui lui permet en quelques mots bien choisis de nous donner à voir sa ville imaginaire et de nous promener sans jamais nous y perdre dans ses rues, ses magasins, ses quartiers et ses passages secrets. Une réussite qu’il est loin d’être facile à obtenir.
Pour autant, KRD a l’intelligence de contenir son histoire dans un cadre familier. Ses personnages vivent des vies normales, évoluent dans un Paris contemporain très bien restitué, ont des références bien connues, en particulier des ados d’aujourd’hui (Harry Potter, World of Warcraft, le Seigneur des Anneaux…) Du coup, l’immersion du lecteur dans le roman est garantie, y compris – surtout, même – lorsqu’on bascule côté virtuel.
Du suspense, du mystère, de l’émotion, de l’action, de l’intelligence et de la réflexion : bref, il y a tout ici pour plaire ! Pour conclure, en trois mots : vivement la suite… (prévue en avril 2012).
La Cité tome 1 : la lumière blanche, de Karim Ressouni-Demigneux
Editions Rue du Monde, 2011
ISBN 978-2-355-04184-6
240 p., 16€
On en parle aussi ici : Le Fauteuil (blog).
Les Facebookiens peuvent également en savoir plus là : http://www.facebook.com/pages/LA-CIT%C3%89-le-livre/291350254226162
Et enfin, pour info, l’auteur sera présent au Salon du Livre Jeunesse de Montreuil, le samedi 3 décembre 2011, entre 15h et 17h, sur les stand des éditions Rue du Monde (E21).
Du domaine des murmures de Carole Martinez
J’ai décidé de lire cet ouvrage suite au Prix Goncourt des Lycéens qu’il a raflé. Généralement, les Prix Goncourt des Lycéens (et pas le Prix Goncourt « normal ») est pour moi signe de qualité. Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel, Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, Magnus de Sylvie Germain, Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma (pour ne citer que ceux que j’ai lus)
Bon, comment vous dire… Je ne cache pas ma déception. Je suis même à la limite de la colère. Je vous fais d’abord un bref résumé et ensuite, des explications.
En l’an 1187, Esclarmonde, fille du seigneur des Murmures, décide de dire non à l’autel où l’archevêque s’apprête à ordonner le mariage. Elle n’épousera pas Lothaire, ce gros lourdaud violeur de jeunes filles, bête comme ses pieds et dangereux qui plus est. Plutôt que le mariage avec cet abruti, elle choisit de devenir une recluse. Les reclus, ce sont ces moines ou moniales qui décident de rester enfermés dans une cellule leur vie (ou une partie de leur vie) durant pour faire pénitence et prier pour les pêchés des autres. Ainsi donc, Esclarmonde se retrouve emmurée pour l’éternité, avec simplement une petite ouverture sur le monde, pour passer la nourriture et s’entretenir avec les personnes qui désirent parler à Dieu par son intermédiaire. Mais elle pensait entrer seule dans cette cellule. Elle ne s’attend pas à ce qui va lui arriver.
Je ne peux pas en dire plus sous peine de dévoiler l’intrigue (mince) du roman. Du domaine des murmures est un ramassis de clichés contemporains calqués sur ces temps moyenâgeux et l’écriture pseudo-poético-médiévale alambiquée n’arrange rien à l’affaire. Vous aurez donc pêle-mêle, un chevalier éconduit qui finit par devenir troubadour et vient chanter des chansons d’amour à son ex-fiancée, un père autoritaire et pas très sympa, une pauvre fille pratiquement persuadée d’être la réincarnation de la Vierge, des gens avec les stigmates, des croisés en Terre-Sainte qui se font massacrer…
On sent le travail historique effectué par Carole Martinez, mais ce style adopté pour l’occasion (je n’ai pas lu Coeur cousu, qui est, paraît-il est très bien.) m’a profondément ennuyé et même parfois éclater de rire. A propos du fameux jeune amant éconduit qui devient ménestrel, une réplique m’a fait bien rire : « Montfaucon (le père du jeune homme, ndlr) (…) te dit sorcière et t’accuse d’avoir noué l’aiguillette de son fils. » C’est joliment dit.
Mais on voit venir les choses gros comme un camion et j’imaginais déjà la fin du roman avant d’avoir lu les vingt premières pages. Ca tourne en eau de boudin assez rapidement et les apostrophes d’Esclarmonde à l’intention du lecteur sont vraiment fatigantes. « Certes, ton époque n’enferme plus si facilement les jeunes filles, mais ne te crois pas pour autant à l’abri de la folie des hommes. (…) Quant à la mort, que puis-je t’en dire sinon que je n’ai pas atteint depuis ma fin la légèreté qui me permettrait, échappant à ces pierres, de rejoindre l’éther (…). »
Bref, un roman heureusement court, mais dont j’attendais beaucoup plus, du fait de son statut de Prix Goncourt des Lycéens. Quand j’aurai le temps, je lirai Coeur cousu, histoire de voir ce que peut vraiment écrire Carole Martinez.
Du domaine des Murmures de Carole Martinez
Editions Gallimard
9782070131495 2011
200 pages, 16€90
Un article de Clarice Darling.
Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan
A force d’entendre parler de ce livre, j’ai sauté le pas. Il le fallait. Au moins pour vous, chers Cannibales Lecteurs. Je n’avais jamais lu Delphine de Vigan, j’arrivais donc en terrain vierge de toute idée préconçue. Au début, j’étais tout de même assez sceptique. Encore un écrivain qui raconte l’histoire de sa mère. Décidément, les mères, c’est tout un poème. Ou un roman de 400 pages dans ce cas précis. Delphine de Vigan nous raconte l’histoire de sa mère, récemment décédée. En accord avec les membres de sa famille (soeur, oncles, tantes), elle va se plonger dans la vie maternelle pour apprendre à connaître vraiment cette mère mystérieuse, souvent prise de crises de démence et internée à de plusieurs reprises, avant de l’amener à un suicide.
Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pleuré en fermant un livre, que je n’avais pas envoyé tout valser pour plonger au plus vite dans ma lecture, que je vivais, respirais, pensais comme l’auteur.
Rien ne s’oppose à la nuit est un livre magnifique. On pourrait se croire dans un polar. Une fratrie nombreuse, un enfant mort, des suicides, des non-dits, des rebondissements inattendus, des secrets qui hantent et finissent par ressurgir des années après… Qui a fait quoi à Lucile, la mère de Delphine de Vigan pour qu’elle devienne ainsi? Ainsi donc, ma propre famille serait normale? Rien que pour ça, ça rassure l’égo du lecteur et on devient comme des voyeurs, avec une volonté avide d’en savoir toujours plus. Car forcément, même de manière inconsciente, on fait la comparaison.
Et puis il y a le style. Delphine de Vigan a une plume d’une fluidité déroutante. Son écriture est empreinte de pudeur, comme si elle avançait sur des oeufs. Parfois, la boîte d’oeufs cède, car l’auteur n’oublie pas de poser les questions qui fâchent et parle sans détour des zones d’ombres intra-familiales. Elle avance, parfois à tâtons, pour ne pas blesser, pour ne pas gêner les membres encore vivants de cette fratrie dans laquelle sa mère n’a pas su trouver sa place. Delphine de Vigan se mêle de façon intelligente à ce récit, retraçant sa propre autobiographie dans cette histoire romancée de sa mère.
On s’attache à Delphine, on la regarde se débattre avec la maladie de sa mère, avec sa propre maladie aussi (Delphine de Vigan a souffert d’anorexie, période de sa vie plus ou moins racontée dans Jours sans faim), on assiste impuissant à leurs multiples déménagements, on se demande ce que deviennent tous ces oncles et tantes, on a envie de les rencontrer, de comprendre pourquoi cette famille au début parfaite en est arrivée là, on cherche à comprendre, à savoir.
Et la fin du roman est là, noire mais écrit de manière lumineuse. Oui, la mère de Delphine s’est suicidée. C’est l’auteur qui découvre le corps. Et pendant que Delphine hurle et pleure son désespoir au téléphone dans la cuisine, on lui pose la main sur l’épaule ou on est penché sur le corps sans vie de Lucile et on pleure nous aussi, notre mère perdue ou à perdre un jour. Hélas.
Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan
éditions Jean-Claude Lattès
9782709635790
19€ 400 pages.
Un article de Clarice Darling.