L’Arbre du pays Toraja, de Philippe Claudel
Signé Bookfalo Kill
Un cinéaste d’une cinquantaine d’années voit son meilleur ami, qui est aussi son producteur, être emporté en un an par un cancer foudroyant. Bouleversé par cette disparition, il s’interroge alors sur notre rapport à la mort et au vivant, tandis son existence, au point de bascule, est tiraillée entre un ancien amour qui finit doucement, et une fascination pour une voisine mystérieuse, dont la vie se déroule fenêtre sur cour en face de sa table de travail…
Oui, je sais. Ça pourrait être chiant. Ou déprimant, ce qui ne serait guère mieux, au bout du compte. Ça devrait être chiant ou déprimant, à vrai dire. Mais Philippe Claudel n’est pas le premier pékin venu – et heureusement, sinon je n’aurais probablement pas lu ce livre.
Pour tout dire, je ne sais pas bien comment parler de L’Arbre du pays Toraja, où la question de la mort occupe une place centrale sans pour autant plomber le livre – car il y est aussi question de création, d’amitié et d’amour, ingrédients tout aussi essentiels et attachés à la vie. Dans un drôle de numéro d’équilibriste littéraire, Claudel parvient à tracer un chemin fragile entre mélancolie et espoir, nostalgie des temps révolus et possibilité d’un avenir où l’amour cohabiterait avec l’absence. Sans être joyeux, son roman n’est pas triste. Il évolue d’un pas paisible mais décidé dans un paysage aux nuances de gris harmonieuses – une couleur qui réussit à Claudel, au point de s’être glissée dans le titre d’un de ses romans les plus puissants, le bien nommé Les âmes grises.
Il y parvient ici par la grâce d’un style totalement maîtrisé, jouant du rythme des phrases et des temps du récit sans avoir l’air d’y toucher – la marque des grands, bien sûr. La lecture se déroule sans effort parce que le récit laisse accroire qu’il n’en a fallu aucun pour le mener. Lire Philippe Claudel pourrait presque donner l’illusion qu’écrire est facile…
Roman bilan assez largement autobiographique (Claudel, devenu par ailleurs cinéaste, reste marqué par la mort de son éditeur emblématique, Jean-Marc Roberts, en 2013), L’Arbre du pays Toraja s’avère une ode à la vie, délicate et complexe, faisant la part belle à deux figures féminines émouvantes et sensuelles, tirant à elles seules le livre vers un côté lumineux qui ouvre grand la porte à un sentiment de réconfort inattendu. Un très joli moment de littérature.
L’Arbre du pays Toraja, de Philippe Claudel
Éditions Stock, 2016
ISBN 978-2-234-08110-9
209 p., 18€
Largement autobiographique ? Depuis Delphine de Vigan, je fuis.
11 février 2016 à 11:46
Attention, qui dit autobiographique ne dit pas forcément autofiction ! De Vigan est plutôt de ce deuxième côté, alors que Philippe Claudel puise dans sa vie, dans ses ressentis et ses émotions, pour un véritable roman qui ne raconte pas son histoire.
J’aurais aussi bien pu ne pas mentionner cet aspect personnel, qui n’est d’ailleurs pas indispensable à l’appréciation du roman.
13 février 2016 à 08:44