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Rapport d’enquête #2 : King, Meyer

Après
Stephen King

Éditions Albin Michel, 2021
ISBN 9782226459763
329 p.
20,90 €

Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Marina Boraso


Jamie n’est pas un enfant comme les autres : il a le pouvoir de parler avec les morts. Mais si ce don extraordinaire n’a pas de prix, il peut lui coûter cher.
C’est ce que Jamie va découvrir lorsqu’une inspectrice de la police de New York lui demande son aide pour traquer un tueur qui menace de frapper… depuis sa tombe.

Si ce nouveau roman de Stephen King était un célèbre soda d’outre-Atlantique, ce ne serait certes pas du Zéro, mais du Light. Avec son idée de départ ouvertement pompée sur Sixième Sens de M. Night Shyamalan – un jeune garçon voit des gens qui sont morts -, Bruce Willis et le twist de folie en moins, le septuagénaire n’invente rien de neuf, mais il déroule avec facilité et efficacité une histoire bien dans son style.

Son jeune héros, narrateur de l’intrigue, est très attachant, tout comme sa mère qui l’élève seule. C’est une voix d’enfant comme King sait si bien les camper, avec empathie et tendresse, sans mièvrerie. En face, les méchants sont moches, le suspense tient la route sans excès de vitesse, il y a quelques scènes sanglantes mais pas trop – en dépit de l’insistance, d’ailleurs suspecte au bout d’un moment, avec laquelle notre Jamie affirme qu’il s’agit d’une « histoire d’épouvante »…

Clairement un King mineur – mais comme le disait l’ami Yvan Fauth dans un échange que nous avions récemment, ce qui est mineur chez Master Stephen reste bien souvent au-dessus du lot, et c’est finalement notre seule exigence vis-à-vis de son génie si souvent démontré qui nous rend parfois sévère avec lui.

Bref, un bon moment de lecture, ni plus ni moins, et c’est déjà bien.

La Femme au manteau bleu
Deon Meyer

Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2021
ISBN 9782072857805
192 p.
14 €

Traduit de l’afrikaans par Georges Lory


Le corps, soigneusement lavé à l’eau de Javel, d’une Américaine experte en peinture de l’âge d’or hollandais a été abandonné sur un muret au panorama du col de Sir Lowry, à soixante kilomètres du Cap.
Benny Griessel et Vaughn Cupido, tandem choc de la brigade criminelle des Hawks, se demandent ce qu’elle était venue faire en Afrique du Sud. Personne, dans son entourage, ne semble au courant. Mais lorsqu’ils découvrent que son travail consistait à localiser des tableaux disparus, et qu’elle avait contacté un professeur d’histoire retraité ainsi qu’un détective privé, des pistes inattendues s’ouvrent à eux…

On ne va pas se mentir ni se voiler la face : pour ce nouveau roman, Deon Meyer assure le service minimum, à tous les étages.

Minimum de personnages, pour un minimum de pistes et d’hypothèses qui débouchent logiquement sur une résolution minimaliste. Doublé d’un minimum de travail sur les personnages, à commencer par les principaux, et en particulier Benny Griessel qu’on a connu plus râpeux, plus fracturé (et donc plus intéressant) lorsque l’alcool faisait de lui sa chose et contribuait à l’égarer dans des enquêtes autrement plus complexes.
Minimum de recherche sur le sujet choisi, également. Si vous cherchez un bon polar sur le monde de l’art, il y a plein d’autres qui vous captiveront davantage que celui-ci, à peine digne de figurer en annexe d’une bibliographie sur le sujet.
Minimum de psychologie, encore – on a droit à un alignement de platitudes analytiques qu’on jugerait indignes chez n’importe quel débutant.
Minimum de style, enfin : narration expéditive, au présent et sans aucun relief, accélérée à grands coups de dialogues charclés à la machette.

Pas de quoi me convaincre de faire plus à mon tour que le strict minimum dans cette chronique.
Hormis vous conseiller, si vous êtes un inconditionnel de Deon Meyer, d’attendre la sortie poche d’ici un an ou deux, histoire de ne pas perdre 14€ pour une lecture, certes potable, mais qui n’en vaut pas autant. Et si vous ne le connaissez pas, ruez-vous toutes affaires cessantes sur L’Année du Lion. Là, vous ne le regretterez pas.

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Seule en sa demeure, de Cécile Coulon

Éditions de l’Iconoclaste, 2021

ISBN 9782378802400

333 p.

19 €


C’est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXe siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d’un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d’oiseaux la nuit, l’emprise d’Henria la servante.
Jusqu’au jour où apparaît Émeline.
Le domaine se transforme alors en un théâtre de non-dits, de désirs et de secrets enchâssés, « car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles ».


À 31 ans, Cécile Coulon devrait faire partie de ces jeunes plumes dont on s’extasie de découvrir le talent cette année grâce à leur premier roman.
Or, point du tout, comme vous devez tous plus ou moins le savoir : cette auteure surdouée, qui a publié son premier livre à 16 ans, compte aujourd’hui une dizaine de livres à son actif, parmi lesquels deux recueils de poèmes et sept romans, et joue également les éditrices à la tête de la collection Iconopop.
Ajoutez à cela quelques reconnaissances officielles (Prix des Libraires en 2017 pour Trois saisons d’orage, Prix littéraire Le Monde en 2019 pour Une bête au Paradis, prix Apollinaire de poésie en 2018 pour Les Ronces), et vous avez un tableau assez complet de sa biographie littéraire.

C’est donc en véritable auteure confirmée qu’elle se présente en cette rentrée, et cette solide assise se ressent dans la maîtrise narrative impressionnante de son nouveau livre, son deuxième aux éditions de l’Iconoclaste.
Dès les premières pages de Seule en sa demeure, on est saisi par l’élégance classique et adroitement surannée du style, autant que par la vision de cette vieille femme mourant subitement en pleine messe, au milieu de l’allée d’une église. Chaque phrase se déploie avec grâce mais aussi avec retenue, illustrant à la perfection l’époque de la narration, ce XIXème siècle où, par sens des convenances, on contient les élans du cœur alors même qu’on les éprouve avec fougue – d’autant plus lorsqu’on est une femme et qu’il est impératif de rester à sa place, dans l’ombre et au service des hommes.

Cécile Coulon compose pourtant une protagoniste qui échappe avec finesse aux clichés. Élevée avec son cousin, un jeune garçon hâbleur et solide, promis à une carrière d’armes, elle jouit durant ses années d’éducation d’une certaine liberté de pensée, de parole et d’attitude qui en fait une jeune femme un peu plus moderne que la moyenne. Mais pas moins innocente sur les choses de l’amour et du corps, qu’elle découvre après son mariage avec peine et fascination.
Seule en sa demeure est d’ailleurs un roman extrêmement charnel sous ses aspects corsetés. Qu’il s’agisse de raconter le difficile apprentissage du devoir conjugal, ou d’évoquer les émois troublants ressentis lorsque la main d’une autre femme (merveilleuse Émeline) s’emploie à libérer le corps de ses tensions, Cécile Coulon puise dans la langue de merveilleuses ressources pour cueillir la sensualité, pointer les douleurs, faire vibrer la peau et battre le cœur.

S’il n’était que ceci, une réinvention moderne d’une littérature des sentiments et des conventions que le foisonnant XIXème siècle nous a rendu familière, ce serait déjà une réussite. Mais Seule en sa demeure, au fil des pages, s’avère un roman autrement plus complexe et inattendu.
Un domaine prisonnier des forêts touffues du Jura, resserré autour d’une demeure vaste et froide, à peine peuplée d’un maître confit dans sa foi et son engagement rigide envers sa jeune épouse, d’une servante omnipotente et de son fils sauvage : Cécile Coulon semble d’abord nous piéger dans un huis clos étouffant, entièrement restitué par le regard d’Aimée, et que la découverte progressive de pages troubles du passé habille peu à peu de parements inquiétants qui tirent l’intrigue vers le roman gothique.
Mais voici qu’à mi-parcours, le récit bascule. On quitte l’ombre d’Aimée pour adopter d’autres points de vue, et le cadre étriqué du huis clos explose au fil de voyages et de rencontres qui recourent, de loin, aux codes du polar, mâtiné d’un effroi psychologique qui prend tout son relief lors des révélations finales, jusqu’à une chute assez déconcertante.

Œuvre dont la construction élaborée dissimule avec modestie ses effets et ses trouvailles, Seule en sa demeure joue d’habiles ruptures de rythme, d’une lente approche au cœur de son sujet et d’un formidable appareil de personnages puissants, pour happer son lecteur et ne pas le lâcher jusqu’à la fin.
Une réussite brillante, qui devrait assurer à Cécile Coulon une nouvelle large rencontre avec son public – et, pourquoi pas, la reconnaissance d’un prix littéraire majeur… C’est tout le mal qu’on lui souhaite.


Envie d’autres avis ? On en parle aussi chez Pamolico, A voir à lire, Benzinemag (avec quelques nuances), Anouk Library…


À première vue : la rentrée Sabine Wespieser 2021


Intérêt global :


La vie est un combat perpétuel dont on n’est jamais certain de sortir vainqueur. Tel pourrait être le résumé, un peu rapide certes, de la rentrée littéraire 2021 des éditions Sabine Wespieser. Des violences dont sont encore et toujours victimes les Noirs aux États-Unis à celles qui menacent d’embraser Belfast durant l’été 2014, en passant par la difficulté d’être femme, les trois romans du programme scrutent le monde avec sérieux et placent haut la barre de l’exigence.


Milwaukee Blues, de Louis-Philippe Dalembert

La mort traumatisante de George Floyd n’en finit pas, et c’est compréhensible, de provoquer stupeur, questionnements et profondes remises en question.
Elle inspire à Louis-Philippe Dalembert ce nouveau roman, qui débute par le décès brutal d’Emmett, un jeune homme noir asphyxié sous le genou d’un policier insensible à ses appels de détresse. Mais comment raconter le cheminement qui a conduit ce garçon sans histoire à une mort aussi atroce ?
L’écrivain choisit de reconstituer le portrait d’Emmett sous forme de puzzle, en convoquant tour à tour les voix de tous ceux qui l’ont côtoyé : son institutrice, ses amis les plus proches, mais aussi son entraîneur de football, son ex-femme ou sa mère. Une manière de remettre l’humain au cœur du fait divers, pour en chasser le sensationnalisme et essayer de saisir au mieux l’humain qui continue à vibrer dans une histoire aussi dramatique.

Sages femmes, de Marie Richeux

Parcours de combattantes.
Marie, la narratrice, décide de conjurer d’étranges rêves de chevaux fous et la question obsédante que lui pose sa fille – « Elle est où, la maman ? » en remontant le fil généalogique féminin de sa famille. Elle démêle l’écheveau de son héritage familial, cherchant à en savoir plus sur ses aïeules qui, sur plusieurs générations, depuis le milieu du XIXe siècle, ont accouché de filles sans être mariées et subsisté grâce à des travaux d’aiguille.
Interrogeant ses tantes, sa mère, fouillant les archives, elle remonte le fil de sa lignée, racontant l’histoire sociale des filles-mères.

Les lanceurs de feu, de Jan Carson
(traduit de l’anglais (Irlande) par Dominique Goy-Blanquet)

Belfast, 2014. C’est l’été des Grands Feux. Bien avant les feux de joie traditionnellement élevés à l’occasion de la grande parade orangiste du 12 juillet, de gigantesques foyers illuminent la ville cette année-là, malgré l’interdiction formelle des autorités.
Dans ce climat de forte tension où la fureur n’est jamais loin de s’embraser, deux pères de famille que rien ne lie s’interrogent en miroir sur le risque de transmettre à leurs enfants le germe de la violence que chacun croit porter en lui à sa manière.


À première vue : la rentrée de l’Olivier 2021


Intérêt global :


Je ne vous cache pas que j’ai pour les éditions de l’Olivier une affection durable, doublée bien évidemment d’une estime profonde pour leur catalogue riche et varié, aussi bien en littérature française qu’en étrangère.
2021 est une année particulière pour la maison fondée par Olivier Cohen, puisqu’elle fête cette année ses trente ans d’existence. Trente ans durant lesquelles elle aura publié Jean-Paul Dubois (Fémina 2004, Goncourt 2019), Richard Ford, Jonathan Safran Foer, Florence Aubenas, Cormac McCarthy, Olivier Adam, Jonathan Franzen, Véronique Ovaldé, Florence Seyvos, Valérie Zenatti, Cormac McCarthy, Jay McInerney… et tant d’autres qu’il serait fastidieux de les citer tous.
Parce qu’elle n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers, l’équipe réunie autour d’Olivier Cohen et Nathalie Zberro propose en cette rentrée une belle affiche mêlant deux textes américains servis par des traductrices exceptionnelles, des grands noms de la maison et des nouvelles plumes prometteuses.

L’un des programmes les plus séduisants de cette rentrée 2021, tout simplement.


Blizzard, de Marie Vingtras (en cours de lecture)

Honneur aux débutantes : Marie Vingtras propose un premier roman savamment élaboré, construit sur un crescendo concentrique d’une rigueur inexorable, et dont l’inspiration américaine est si franche et sincère qu’on en oublie souvent que ce livre est l’œuvre d’une auteure française.
Le blizzard du titre tombe sur un bled paumé de l’Alaska. Quelques maisons, des caractères bien trempés (pour ne pas dire épais au sujet de certains d’entre eux). Et une jeune femme, sortie de la tempête avec un enfant, qu’elle perd après lui avoir lâché la main quelques instants.
Tandis qu’elle affronte seule les éléments déchaînés, trois hommes se mêlent à leur manière aux recherches. L’espoir de retrouver le garçon sain et sauf télescope alors la vérité profonde des uns et des autres…

Memorial Drive, de Natasha Trethewey
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy)

Je connais un peu la traductrice Céline Leroy, mais ce n’est pas pour cela que je tiens à vous signaler un détail capital : quand son nom apparaît sur une couverture, vous pouvez être sûr(e) que le livre dont elle a assuré la traduction est tout sauf anodin, tant elle a le nez pour s’associer à des projets littéraires toujours singuliers.
Nanti de cette conviction, on peut donc aborder cette première publication en français de Natasha Trethewey avec confiance et curiosité.
Je parle de première publication, manière de souligner que, pour le coup, nous n’avons pas affaire à une débutante. Aux États-Unis, sa poésie lui a valu une renommée importante, ainsi qu’un prix Pulitzer en 2007.
Memorial Drive, le texte grâce auquel nous allons la découvrir, est un récit autobiographique, dans laquelle elle évoque l’existence tragique de sa mère, Gwendolyn, mais aussi le courage et la volonté d’indépendance qui vont servir de flambeau au propre parcours de poètesse et de femme de Natasha Trethewey.
Un texte dont on peut attendre beaucoup, sans craindre d’être déçu.

Rien à déclarer, de Richard Ford
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun)

Je vous le disais, cette rentrée étrangère de l’Olivier est marquée par la présence de traductrices remarquables. Pour nous transmettre ces nouvelles du grand Richard Ford (Indépendance, Canada, Un week-end dans le Michigan), c’est Josée Kamoun qui prête sa voix française, comme elle l’avait déjà fait pour Canada du même auteur, mais aussi pour la nouvelle traduction événement de 1984 il y a trois ans, ou pour Philip Roth, Jonathan Coe et John Irving, entre autres.
Les textes rassemblés ici ont pour point commun de mettre en scène des personnages ayant basculé dans le second versant leur existence, et qui examinent leur passé pour tenter de comprendre pourquoi leur présent se trouve fragilisé.

L’Éternel fiancé, d’Agnès Desarthe

C’est l’histoire d’une histoire d’amour qui dure toute une vie. Commencée à quatre ans, sur une promesse d’éternité comme s’en font les enfants qui s’aiment. Déçue à l’adolescence, quand elle aime toujours et que lui a oublié la promesse. Et qui se poursuit, tout au long des nombreuses étapes, moments forts, joies, déceptions, qui font une existence humaine.
Incontournable du catalogue de l’Olivier et auteure extrêmement attachante, qui navigue à l’envi entre folie douce et mélancolie, Agnès Desarthe propose un roman-puzzle dont la forme et l’ambition constituent un véritable objet de curiosité.

Une vie cachée, de Thierry Hesse

Qu’est-ce que le souvenir ? Pour Thierry Hesse, c’est d’abord une déambulation.
Du « quartier impérial » construit par Guillaume II aux forêts de la Meuse, de la guerre de 1870 à celle de 1939-45, cette enquête généalogique a pour terme une chambre dans le quartier des Loges, à Metz : celle où Franz/François aura passé une partie de sa vie, caché et pourtant bien visible.


BILAN


Quatre vraies envies de lecture sur cinq, qui dit mieux ? Pas grand-monde cette année (à part les Forges de Vulcain, mais ce n’est pas du jeu.)

Lecture en cours :
Blizzard, de Marie Vingtras

Lecture certaine :
Memorial Drive, de Natasha Trethewey

Lectures probables :
L’Éternel fiancé, d’Agnès Desarthe
Rien à déclarer, de Richard Ford


À première vue : la rentrée Mercure de France 2021


Intérêt global :


Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est aussi une première dans la rubrique « à première vue » pour les éditions du Mercure de France. Là encore, c’est simplement parce que leurs choix de publication me correspondent assez rarement – ou parce que ma curiosité ne me pousse pas assez dans leur direction, allez savoir…
Pour résumer la ligne qui tient ensemble les cinq romans de leur programme de rentrée, le mot-clef semble être : féminin. D’abord parce qu’on trouve quatre femmes pour un seul homme derrière les plumes de ces livres, ensuite parce les cinq titres se focalisent sur des personnages de femme, fictives ou réelles.


L’Enfant magnifique, d’Aimee Liu
(traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Hel-Guedj)

1942, Golfe du Bengale. Sous la menace des Japonais qui s’apprêtent à envahir les îles Adaman, les Anglais se préparent à fuir.
Ty, un petit garçon de quatre ans, est kidnappé par Naila, treize ans et native des îles, qui s’occupe de lui depuis des années. Refusant de briser le lien exceptionnel qui les unit, elle l’emmène dans la jungle, au sein d’une tribu primitive. Mais Claire, la mère de Ty, est prête à tout pour retrouver son enfant magnifique…
C’est la deuxième publication d’Aimee Liu en France après La Montagne aux nuages, paru en… 1998.


Alice et les autres, de Vinciane Moeschler
Le Split de Shyamalan revisité façon épouse modèle et mère de famille parfaite, une façade idéale dissimulant un trouble dissociatif qui impose à Alice d’adopter tour à tour différentes personnalités – des métamorphoses qu’elle ne maîtrise pas et dont elle n’a aucun souvenir après coup. Lorsque des séjours en hôpital psychiatrique s’imposent, Alice devient un objet de fascination pour son thérapeute.

Une femme remarquable, de Sophie Avon
Sophie Avon s’inspire de la vie de sa grand-mère pour raconter l’histoire de Germaine, dite Mime, mariée à Alger en 1925, mère de deux enfants dont la deuxième, Simone, meurt à cinq ans. Terrassée par le chagrin, Mime se relève pourtant et poursuit sa vie avec courage, puisant ses forces dans son métier d’institutrice, et affrontant vaille que vaille les soubresauts de l’Histoire.

Parle tout bas, d’Elsa Fottorino
Victime d’un viol à dix-neuf ans, la narratrice ne peut trouver de réconfort dans la justice car l’affaire, faute d’indices, est classée sans suite. Jusqu’à l’arrestation d’un suspect douze ans plus tard, et la promesse, enfin, d’un procès. L’occasion de faire la paix avec son passé et de poursuivre la reconstruction de son existence.

La Muse ténébreuse de Charles Baudelaire, de Raphaël Confiant
Quiconque s’est un tant soit peu intéressé à Baudelaire a forcément croisé le nom de Jeanne Duval, maîtresse et muse du poète. D’elle, on sait pourtant peu de choses. En cherchant à élucider son mystère et celui de sa passion flamboyante avec Baudelaire, Raphaël Confiant se lance dans un véritable roman d’aventures au cœur de la littérature du XIXème siècle, de Paris à Saint-Domingue, de Dumas à Nerval.


BILAN


Lecture potentielle :
L’Enfant magnifique, d’Aimee Liu


À première vue : la rentrée Lattès 2021


Intérêt global :


À première vue, ce n’est pas encore cette année que les éditions Lattès vont me faire faire des claquettes d’enthousiasme. Ce qui n’empêche sûrement pas leur programme 2021 de compter des arguments valables, dont un nouveau roman de Nina Bouraoui, auteure très suivie à chaque parution.
On saluera, en outre, la présence de quatre premiers romans (sur sept, pas mal !) – enfin, trois et demi (cf. Renaud Dély). Une prime à la jeunesse qui transparaît aussi dans le sujet de plusieurs titres de cette rentrée.


LES HABITUÉES


Satisfaction, de Nina Bouraoui
Après l’indépendance, madame Akli s’est installée à Alger par amour pour Ibrahim, son mari. Des années plus tard, dans leur maison sur les hauteurs de la ville, madame Akli passe ses journées à s’occuper de son jardin en guettant le retour de son époux de l’usine de papier qu’il dirige et de son fils, scolarisé à Hydra. Dans son carnet intime, elle confie ses doutes sur son existence.

La Femme et l’oiseau, d’Isabelle Sorrente
Une adolescente est exclue du lycée pour avoir menacé l’un de ses camarades. Sa mère décide alors de l’emmener chez son grand-oncle, en Alsace. Patiemment, la jeune fille tisse un lien singulier avec le vieil homme, ancien enrôlé de force dans l’armée allemande durant la guerre, puis emprisonné dans un camp. C’est là qu’il a développé de curieux dons : il sait communiquer avec les oiseaux et semble lire dans les pensées…

Un tesson d’éternité, de Valérie Tong Cuong
Décidément, la jeunesse a des problèmes chez Lattès cette année. Cette fois, c’est Léo, un lycéen sans histoire, qui se retrouve du jour au lendemain aux prises avec la justice. Sa mère, pharmacienne établie, propriétaire d’une belle villa surplombant la mer et à la tête d’une vie paisible et maîtrisée, voit soudain son univers se désagréger.


PREMIERS ROMANS


Quand la ville s’éteint, de Julia Pialat
Encore un jeune homme, mais décidé, celui-ci, à empoigner sa vie. C’est l’histoire de Cobra, gamin du quartier Strasbourg Saint-Denis à Paris, qui vivote entre l’épicerie de son père à qui il donne des coups de main, et le bar Chez Jeanette qui sert de quartier général à sa bande. Il a vingt ans, la musique est sa passion. Il décide de se donner un an pour percer dans le monde du rap. Tout bascule le jour où il rencontre un ancien producteur de raï qui accepte de lui prêter son studio.
Portraits croisés d’un quartier et d’un jeune homme en pleine mutation, dans un premier roman dont la réussite dépendra de l’énergie du style. À voir, pourquoi pas.

Le Grand saut, de Renaud Dély
Un livre présenté également comme un premier roman, ce qui n’est pas tout à fait exact puisque Renaud Dély avait publié un Poulpe en 2011. Du reste, l’auteur est un journaliste plutôt connu, passé entre autres par Libération, Le Nouvel Observateur et Marianne, et dont le nom a déjà orné la couverture de plus d’une dizaine d’essais en tous genres.
Pour cette première incursion en littérature « blanche », il s’intéresse à la figure de Pierre Quinon, médaillé d’or à la perche aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, qui finit par se donner la mort en se défenestrant en 2011. En parallèle, il esquisse le portrait d’un enfant, fasciné par la victoire de l’athlète, qui apprend à se construire en dépit d’une jeunesse difficile.

Cave 72, de Fann Attiki
Et encore un premier roman ! Il est l’œuvre d’un jeune auteur congolais, et la Cave 72 du titre est le nom d’un bar où aiment à se retrouver trois jeunes gens pour discuter, boire et parler littérature. Mais leur refuge doit fermer du jour au lendemain, accusé d’être l’épicentre d’un complot d’État dont ils seraient les artisans.

Les conversations, de Miranda Popkey
(traduit de l’américain par Julia Kerninon)

Et de quatre ! Le dernier premier roman du programme vient des États-Unis. Presque exclusivement composé de conversations entre femmes ou de monologues, sur des sujets allant de l’amour à l’infidélité, en passant par la désir, la maternité, l’art ou encore le féminisme, ce livre parcourt vingt ans de la vie d’une jeune fille devenue mère et avide d’expériences, qui se montre déterminée à bouleverser son existence.


BILAN


Lecture potentielle :
Quand la ville s’éteint, de Julia Pialat

Lecture hypothétique :
La Femme et l’oiseau, d’Isabelle Sorrente


À première vue : la rentrée Julliard 2021


Intérêt global :


Chez Julliard, tout est à refaire ou presque. En quittant la maison qu’ils animaient depuis 1995 pour créer leur propre marque, Betty Mialet et Bernard Barrault ne sont pas partis les mains vides, puisqu’ils ont embarqué la plus grande partie de leurs auteurs phares – et non des moindres : Philippe Jaenada, Yasmina Khadra, Jean Teulé, Lionel Duroy, Mazarine Pingeot, Fouad Laroui… Beaucoup de beau linge, gros vendeurs par-dessus le marché.
À la tête du label depuis 2019, Vanessa Springora doit donc tout rebâtir. Pour sa deuxième rentrée d’automne, elle comptera sur l’expérience d’un gone du Chaâba, sur un transfuge d’Actes Sud, et sur une primo-romancière.

À première vue, pas le programme le plus fou de l’année, on va donc faire vite (et remercier le logiciel professionnel Électre pour la qualité et la concision de ses résumés).


Les confluents, d’Anne-Lise Avril
Journaliste free-lance, Liouba parcourt le monde à la recherche de sujets liés au changement climatique. En Jordanie, où elle observe une communauté de Bédouins replanter une forêt native dans le désert, elle croise Talal, un photoreporter. Une amitié se noue, puis une attirance. D’année en année, le destin ne cesse de les ramener l’un vers l’autre puis de les séparer. Premier roman.

L’arbre ou la maison, d’Azouz Begag
À la mort de leur mère, deux frères franco-algériens, Azouz et Samy, retournent à Sétif après des années d’absence pour vérifier l’état de la maison familiale. Tandis que cette perspective n’enchante guère le second, le premier est impatient d’assister à la révolution démocratique qui secoue le pays. Mais sur place, ils ne reconnaissent plus rien et sont devenus des étrangers aux yeux des locaux.

Celle qui se métamorphose, de Boris Le Roy
Un matin, Nathan se réveille aux côtés d’une femme qui n’est pas exactement celle auprès de laquelle il s’est endormi. Tout en Anne est désormais plus affûté : ses traits semblent plus lisses, son corps plus musclé, sa bouche plus pulpeuse. Et c’est aussi sa supérieure hiérarchique. Entre comédie psychanalytique, fable surréaliste et digression philosophique, ce roman interroge la déroute masculine face aux mutations sociales du genre.


À première vue : la rentrée Grasset 2021


Intérêt global :


Après m’être dépatouillé sans trop de peine des présentations de rentrée Flammarion et Gallimard, je m’étais détendu, ravi d’aborder les programmes à la fois plus modestes en quantité et plus excitants en curiosité des petites et moyennes maisons. Hélas, j’avais oublié Grasset. (Et Stock, qui viendra plus tard – chaque peine en son temps.)
Grasset, donc. Grasset et ses quatorze nouveautés (eurk). Pour me consoler, je pourrais vous dire que nous sommes en 2021, et qui dit année impaire, dit nouveau roman de Sorj Chalandon. C’est le cas, et si les amateurs de son œuvre s’y retrouveront sans doute, je trouve ce livre curieusement schizophrène – on en reparlera en temps voulu.
On signalera aussi le transfert – étonnant à mes yeux – de Léonor de Récondo, en provenance des éditions Sabine Wespieser dont elle éclairait le catalogue depuis quelques années, et dont le nom sur la couverture jaune de Grasset me paraît anachronique. À suivre, donc.
Pour le reste… hé bien, c’est du Grasset. Soit un programme hétérogène mais assez prometteur, avec des habitués, de possibles belles curiosités (pensée émue pour Nicolas Deleau, dont j’avais adoré par surprise, l’année dernière,
Des rêves à tenir), et pas mal de titres promis à un effacement rapide des tables de librairie comme des mémoires. Le jeu classique des gros éditeurs en rentrée littéraire, en somme.


NOUS SOMMES TOUS LES ENFANTS DE QUELQU’UN


Enfant de salaud, de Sorj Chalandon (lu)

C’est du pur Chalandon. Je dirais même : sans surprise. Puisant comme souvent dans son expérience de journaliste, le romancier choisit cette fois de prendre comme cadre historique le procès de Klaus Barbie, qu’il couvrit à Lyon en 1987 pour Libération. À cette restitution souvent poignante et douloureuse, il mêle (à nouveau) l’histoire de son père, dévoilant peu à peu le passé très complexe, presque schizophrène, de ce dernier pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jusqu’à présent, Chalandon s’était toujours refusé à choisir un journaliste comme héros-narrateur, craignant le mélange des genres et préférant éviter les codes de l’auto-fiction. La décision était bonne, il aurait dû s’y tenir : mélange des genres il y a, et cette idée de mixer le procès Barbie (sans mise en perspective littéraire de l’événement) et la vie de son père ne fonctionne pas très bien. En tout cas, le dispositif m’a paru artificiel.
Ce qui n’empêche pas le roman d’être riche de belles pages, dures et émouvantes, dont Sorj Chalandon a le secret. Et fait regretter qu’il n’ait pas focalisé sur l’histoire de son père, tellement incroyable et fascinante qu’elle aurait mérité un livre à elle toute seule.
Pour moi, il manque à ce livre la mise à distance qui avait donné toute leur force au Quatrième mur, à Mon traître et au Retour à Killybegs. Mais les amateurs de la plume cœur battant de Chalandon s’y retrouveront sans aucun doute.

Mise à feu, de Clara Ysé (en cours)

Nine, six ans, et Gaspard, huit ans, vivent avec leur mère, l’Amazone, sous l’œil de leur pie Nouchka. Mais un incendie ravage leur maison, et les deux enfants se retrouvent confiés à leur oncle, l’inquiétant Lord, tandis que leur mère prend le large vers le sud. Tous les mois, elle leur écrit la promesse de se retrouver bientôt dans un nouveau refuge d’amour. Devenus adolescents, Nine et Gaspard décident de prendre leur destin en main…
Je crois beaucoup à l’instinct. Le mien me pressait de me pencher sur ce livre qui m’intriguait autant que m’avait attiré le merveilleux Pense aux pierres sous tes pas d’Antoine Wauters (Verdier, 2018). Bien entendu, de ce que j’ai lu de Mise à feu, les deux textes n’ont rien à voir, et ce premier roman est loin d’être aussi puissant, engagé et irradiant que Pense aux pierres. Néanmoins, il s’en dégage une atmosphère singulière, tressée par une écriture soignée, qui m’incite à pousser plus loin ma curiosité pour découvrir ce que Clara Ysé cherche à dire au final.
Là aussi, on en reparle à la rentrée.

Revenir à toi, de Léonor de Récondo (en cours)

Magdalena, une comédienne réputée qui se prépare à monter sur scène à Avignon pour jouer l’Antigone de Sophocle, apprend qu’on vient enfin de retrouver sa mère, disparue depuis trente ans. Toutes affaires cessantes, elle prend le premier train vers le sud-ouest, où se cache Apollonia, prête à mettre à nu sa vie toute entière dans ces retrouvailles si attendues.
Léonor de Récondo a donc quitté son éditrice historique, Sabine Wespieser. « Fin de route artistique en commun », d’après les deux protagonistes. Ce sont des choses qui arrivent.
À la lecture des premières pages (je ne suis guère avancé, ce n’est donc qu’une première impression), je crois comprendre pourquoi. Je ne reconnais pas le style de la romancière, sa manière poétique et musicale d’empoigner son histoire dès les premières lignes pour dérouler sa partition avec une évidence lumineuse. Cela viendra peut-être au fil des pages. Je croise les doigts pour que ce soit le cas. Avis complet à suivre à la rentrée.

La Carte postale, d’Anne Berest

En 2003, l’écrivaine reçoit une carte postale anonyme sur laquelle sont notés les prénoms des grands-parents de sa mère, de sa tante et de son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Elle enquête pour découvrir l’auteur de cette missive et plonge dans l’histoire de sa famille maternelle, les Rabinovitch, et de sa grand-mère Myriam qui a échappé à la déportation.

La France goy, de Christophe Donner

Henri Gosset, le grand-père de l’écrivain, arrive à Paris en 1892. Il rencontre Léon Daudet qui l’initie à l’antisémitisme et lui présente de professeur Bérillon, célèbre hypnotiseur. Henri devient professeur dans son École de psychologie. Il tombe amoureux de Marcelle Bernard, institutrice anarchiste.
Une saga familiale aux sources de l’antisémitisme en France et de la montée des nationalismes.


LE C(H)OEUR DES FEMMES


S’il n’en reste qu’une, de Patrice Franceschi

Une journaliste occidentale enquête sur deux membres d’un bataillon de femmes kurdes combattant Daech. Impossible, cependant, de comprendre et restituer leur dévouement inflexible à la cause, la pureté de leur engagement et la grandeur tragique de leur destin, sans se perdre à son tour. Dépassant son statut de journaliste, la narratrice se lance à corps perdu dans un voyage initiatique jusqu’au bout des plus grands idéaux, dans le chaos des guerres humaines.
Nouveau roman de l’écrivain voyageur doté d’une plume inspirée et envoûtante, et d’une finesse souvent confondante dans la compréhension de l’esprit humain.

Le Rire des déesses, d’Ananda Devi

Ce n’est pas parce que vous ne valez rien aux yeux des autres que vous n’êtes rien.
Veena est une prostituée d’une ville pauvre du nord de l’Inde. Elle a une fille de dix ans, Chinti, que toutes les femmes du quartier ont prise sous son aile – en particulier Sadhana, qui est une hijra, une femme née dans un corps d’homme.
Un swami (un homme de Dieu) tombe amoureux de la petite Chinti. Persuadé qu’elle est une réincarnation de la déesse Kali et qu’elle sera capable de le rendre lui-même divin, il la kidnappe et l’emmène en pèlerinage. Sans se douter que Veena et Sadhana, la prostituée et la hijra, les plus méprisées des créatures humaines, se lancent à sa poursuite pour le tuer et sauver Chinti…


Loin, à l’ouest, de Delphine Coulin
Le destin de quatre femmes d’une même famille sur plus d’un siècle : Georges qui porte un nom d’homme, Lucie, sa belle-fille détestée puis aimée, sa petite-fille Octavie, à la beauté étrange, et son arrière petite-fille Solange qui enquête sur son aïeule. Leurs histoires révèlent le poids qui pèse sur les femmes et comment la puissance de l’imagination peut être salvatrice.

Rien que le soleil, de Lou Kanche
Une enseignante mutée à Garges-lès-Gonesse traîne sa jeunesse sans relief. Jusqu’au jour où elle remarque l’un de ses élèves de première, et que ses s’embrasent. Affolée par l’interdit, elle finit par prendre la fuite, échoue à Marseille où elle retrouve un ami d’enfance qui lui fait découvrir les secrets d’un monde de violence dont elle ignorait tout. Jusqu’à ce que, sous le soleil brûlant de l’été, s’ouvre la perspective d’aller encore plus loin, de l’autre côté de la Méditerranée, vers la promesse d’Alger…
Comme je crains beaucoup le soleil, je vous laisse bien volontiers ce premier roman.

Jewish Cock, de Katarina Volckmer
(traduit de l’anglais par Pierre Demarty)

Je me vois déjà traduire le titre à mes clients non-anglophones… Bref, voici le monologue d’une jeune femme chez son gynécologue, où elle se livre sans détour sur sa vie sexuelle, son obsession pour les sex-toys et ses fantasmes, qui répondent aussi à une évasion loin du carcan familial et du poids de l’Histoire.


LE POIDS DE L’HISTOIRE


Delta Blues, de Julien Delmaire

Gros pavé (500 pages) que ce quatrième roman du slameur Julien Delmaire, dont j’avais lu sans grande émotion le précédent, Minuit, Montmartre.
Loin de Paris, il nous entraîne cette fois dans le delta du Mississippi en 1932, où un couple de jeunes gens noirs et pauvres s’efforce de sauvegarder la force de son amour dans une Amérique brûlée de soleil et dévorée par les flammes terrifiantes du Ku Klux Klan, sur fond de musique blues.

Les prophètes, de Robert Jones, Jr.
(traduit de l’anglais (États-Unis) par David Fauquemberg)

On reste au Mississippi mais on remonte encore un peu dans le temps, pour atterrir dans les champs de coton, ceux de la famille Halifax que cultivent des centaines d’esclaves. Si les conditions de vie sont sordides et le quotidien violent, Isaiah et Samuel ont la chance d’y échapper un peu car, responsables des chevaux de l’exploitation, ils ont le droit de dormir à l’écurie, à l’écart des autres. C’est aussi là qu’ils peuvent cacher leur amour.
Hélas, sous l’influence d’Amos, un autre esclave, la bonne parole des Évangiles se répand dans les rangs, stigmatisant plus que jamais la passion secrète des deux hommes… Et le retour du fils Halifax, qui s’intéresse bientôt de près à Isaiah et Samuel, les met encore plus en danger.
Ce premier roman vient s’ajouter à ceux, de plus en plus nombreux, qui s’emparent de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis. Preuve que cette blessure n’est pas près de se refermer – si elle peut un jour être soignée.

Le Dernier tribun, de Gilles Martin-Chauffier

On remonte encore dans le temps, radicalement cette fois, puisque nous voici à Rome, en pleine Antiquité.
Un philosophe grec, Metaxas, y relate l’affrontement épique entre Cicéron, héraut du peuple qui défend en réalité les intérêts du Sénat et de l’aristocratie, et Clodius, qui se fait élire tribun de la plèbe. Leur bataille devient plus acharnée encore lorsque le premier prend le parti de Pompée, et le second celui de César. S’ensuivent dix années de lutte féroce, jusqu’à la chute de la République romaine.
Un choix de sujet et d’époque qui a le mérite de changer radicalement de ce qu’on peut lire d’habitude.

Passage de l’Union, de Christophe Jamin

Étonnant premier roman. Il met un scène un avocat amené à défendre, lors d’un procès d’assises, un homme dont le crime s’explique par la disparition de sa sœur durant la Seconde Guerre mondiale, dans les mêmes circonstances qu’une certaine… Dora Bruder, rendue célèbre par un roman de Patrick Modiano.
Or, l’écrivain assiste lui-même au procès, et il décide d’aider l’avocat à retrouver la trace de la sœur de l’accusé. Une quête qui va les amener à s’intéresser à un certain Joseph Joanovici, un ferrailleur ayant fortune en collaborant avec l’Allemagne et plus connu sous le sobriquet de Monsieur Joseph…


BILAN


Déjà lu :
Enfant de salaud, de Sorj Chalandon

Lectures en cours :
Mise à feu, de Clara Ysé
Revenir à toi, de Léonor de Récondo

Lecture certaine :
S’il n’en reste qu’une, de Patrice Franceschi

Lecture potentielle :
Les prophètes, de Robert Jones, Jr.

Lectures hypothétiques :
La Carte postale, d’Anne Berest
Le Rire des déesses, d’Ananda Devi


À première vue : la rentrée Gallimard 2021


Intérêt global :


Coefficient d’occupation des tables des libraires :


Oubliés, les « seulement » treize titres de la rentrée 2020. Toutes collections confondues, Gallimard bombarde cette année 22 nouveautés sur les tables des libraires entre mi-août et mi-septembre.
Le fameux effet « monde d’après », sans doute.
Bon, c’est du grand n’importe quoi, bien entendu, où surnagent pourtant auteurs incontournables et quelques promesses intéressantes, comme d’habitude – on n’est pas Gallimard par hasard, aussi horripilant et arrogant soit-on.
Mais tout de même, vingt-deux… Faut pas déconner.

Donc je ferai un effort pour les titres qui m’intéressent le plus, les autres n’auront droit qu’à une copie bête et méchante du résumé Électre (merci Électre).


LE RETOUR DU NOBEL


Klara et le soleil, de Kazuo Ishiguro
(traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch)

C’est le premier roman du romancier britannique d’origine japonaise publié depuis qu’il a reçu le Prix Nobel. C’est aussi le premier édité chez Gallimard, après des années passées en France aux éditions des Deux Terres, disparues des écrans radar depuis 2018.
Ce retour, qui sera sûrement scruté de près, risque de décontenancer ceux de ses lecteurs qui en sont restés aux Vestiges du jour – un peu moins ceux qui, comme moi, ont adoré Auprès de moi toujours et son terrifiant sujet caché sous un vernis de bonne éducation classique.
Le résumé annonce en effet un roman futuriste, une sorte de variation sur le déjà bizarroïde (mais ô combien stimulant) A.I. : Intelligence Artificielle de Steven Spielberg. D’ailleurs, comme en clin d’œil à ce film, la Klara du titre est une A.A., une Amie Artificielle. Sa fonction : tenir compagnie et réconforter les enfants ou adolescents. Derrière une vitrine où elle se régénère à la lumière du soleil, elle observe le monde et les passants en espérant être bientôt adoptée. Lorsque l’occasion se présente, le risque est grand pourtant pour qu’elle déchante…
Rien de tel qu’un décrochage technologique pour parler avec pertinence de ce qui constitue l’essence de l’être humain. C’est un grand classique du forme de science-fiction humaniste, et l’empathie et la finesse psychologique d’Ishiguro ont tout pour faire éclore une fleur merveilleuse dans ce riche terreau.


LES DENTS DE LA MER CONTRE-ATTAQUENT


Au temps des requins et des sauveurs, de Kawai Strong Washburn
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé)

C’est d’abord le titre qui a attiré mon attention, puis le pitch de ce premier roman qui campe son intrigue à Hawaii.
Un petit garçon tombe à l’eau au cours d’une balade en mer. Des requins blancs l’entourent, on le croit perdu, mais l’un des squales le ramène sain et sauf à sa mère.
Par la suite, l’enfant développe d’étonnantes capacités de guérisseur, qui fascinent tout en mettant en danger l’équilibre de sa famille.
Une histoire intime qui éclaire en ombres chinoises l’histoire de l’archipel hawaïen : un classique du roman américain, dont le cadre inhabituel est le premier point fort.


UN NOUVEL ESPOIR ?


Temps sauvages, de Mario Vargas Llosa
(traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort)

On parlait de prix Nobel de littérature un peu plus haut, voici le nouveau roman du millésime 2010.
Un roman politique, articulé autour d’un fait historique véridique : en 1954, les États-Unis organisent un coup d’État militaire au Guatemala afin de renverser le président, Jacobo Arbenz. Ce dernier est un jeune militaire aux positions libérales et progressistes qui a notamment engagé une réforme agraire pour distribuer de la terre aux Indiens et partager les bénéfices de la culture bananière. La CIA et la puissante United Fruit Company agissent dans l’ombre.


DES HOMMES (ET DE LEURS PÈRES ET GRANDS-PÈRES…)


Le Fils de l’homme, de Jean-Baptiste Del Amo
Je n’ai jamais lu Jean-Baptiste Del Amo, et c’est sans doute un tort que je pourrais réparer avec ce nouveau livre.
Sur le papier, on dirait une variation sur Shining : après des années d’absence, un homme resurgit dans la vie de sa femme et de son fils, qu’il emmène dans une vieille maison isolée en pleine montagne. Il y assoit son emprise sur eux tout en sombrant lentement dans la folie.

La Volonté, de Marc Dugain
Grand nom et gros vendeur de la maison Gallimard, Marc Dugain délaisse les sujets historiques qu’il affectionne pour s’intéresser à son père. Un homme auquel il s’est violemment opposé durant une partie de sa vie, notamment durant l’adolescence, mais dont il a compris presque trop tard tout ce qu’il lui devait.
Un récit personnel qui, je l’avoue, n’éveille en rien ma curiosité.

Mohican, d’Eric Fottorino
Au cœur du Jura, un père et son fils s’opposent sur la manière de s’occuper de leurs terres. Parvenu au terme de sa vie, le père s’échine à gommer son passé de pollueur en imposant une forêt d’éoliennes autour d’eux, tandis que son fils rêve de rétablir le lien naturel entre l’homme, la terre, les saisons et les animaux.
Un affrontement philosophico-agricole sur fond de réflexion sur la modernité.

Les enfants de Cadillac, de François Noudelmann
Pour son premier roman, François Noudelmann met en parallèle la figure de son grand-père, combattant de la Première Guerre mondiale, lors de laquelle il est gravement blessé avant de finir sa vie en asile psychiatrique, et celle de son père, déporté lors de la Seconde Guerre mondiale, qui affronte à la libération des camps un terrible périple pour revenir à pied de Pologne jusqu’en France.

(Vous êtes toujours là ? Non, parce que c’est loin d’être terminé. Allez, on passe aux dames maintenant.)


DES FEMMES


Mon amie Natalia, de Laura Lindstedt
(traduit du finnois par Claire Saint-Germain)

De l’intérêt des contrastes : voici un roman finnois chaud comme la braise (sur le papier en tout cas).
L’histoire d’une femme qui entame une thérapie pour se débarrasser de ses obsessions sexuelles et qui, loin de se recadrer, perd peu à peu toutes ses inhibitions tout en appréciant de plus en plus ses rendez-vous atypiques avec son thérapeute.

Rien ne t’appartient, de Nathacha Appanah
A la mort de son époux, Tara sent rejaillir le souvenir de celle qu’elle était avant son mariage, une femme aimant rire et danser dont le destin a été renversé par les bouleversements politiques de son pays.

La Définition du bonheur, de Catherine Cusset
Autre nom référence de la maison Gallimard, Catherine Cusset entrelace le destin de deux femmes, l’une à Paris, l’autre à New York, liées par un lien mystérieux qui se dévoile peu à peu.
Un roman qui interroge le rapport des femmes au corps et au désir, à l’amour, à la maternité, au vieillissement et au bonheur.

Soleil amer, de Lilia Hassaine
Après L’Oeil du paon, le deuxième roman de Lilia Hassaine s’attache aux pas d’une femme, Naja, mère de trois enfants qu’elle élève seule en Algérie tandis que son mari, Saïd, travaille en France dans les usines de Renault à Boulogne-Billancourt.
Lorsqu’ils le rejoignent enfin, Naja tombe enceinte, et le couple décide de confier l’enfant à Saïd, faute d’avoir les moyens de l’élever correctement. Mais Naja accouche de faux jumeaux, et décide de garder le plus fragile des deux…
En creux, le roman évoque l’intégration des populations algériennes en France entre les années 60 et 80.

Une nuit après nous, de Delphine Arbo Pariente
Histoire de famille et passé refoulé, épisode 648412.
Une femme tombe amoureuse, ce qui l’amène à exhumer un passé qu’elle occultait jusqu’alors, une enfance chaotique à Tunis entre une mère à la dérive et un père tyrannique.
Un premier roman qui, quelles que soient ses bonnes intentions, a une bonne tête de sacrifié de la rentrée pléthorique de Gallimard.

Laissez-moi vous rejoindre, d’Amina Damerdji
Un premier roman qui donne une voix à Haydée Santamaria, une révolutionnaire proche de Fidel Castro.


DES HOMMES ET DES FEMMES ENSEMBLE


Mon maître et mon vainqueur, de François-Henri Désérable
La voix forte de ce jeune auteur, érudite et singulière, s’affirme avec constance à chaque nouvelle parution. À première vue, son quatrième livre attise toutefois un peu moins ma curiosité que les précédents.
Un écrivain est convoqué par la police suite à l’arrestation de son meilleur ami. Pour éclairer la personnalité de Vasco et essayer de comprendre les poèmes retrouvés sur lui au moment de son interpellation, il entreprend de relater la passion de Vasco pour une certaine Tina.

Son empire, de Claire Castillon
J’aurais pu créer une rubrique « intrigues jumelles » et y associer ce roman et celui de Jean-Baptiste Del Amo, tant leurs sujets semblent proches (ce qui ne sera sûrement pas le cas de leurs traitements respectifs, bien entendu).
Ici, une petite fille de huit ans voit sa mère céder à l’emprise psychologique d’un homme pervers, paranoïaque et jaloux.

Une éclipse, de Raphaël Haroche
Enlevez Haroche, et vous avez Raphaël le chanteur. Voilà pour le côté « people », auquel il ne faudrait pas réduire les qualités du garçon, si l’on se souvient qu’il a reçu le Goncourt de la nouvelle en 2017 pour Retourner à la mer.
Son nouveau livre est encore un recueil de nouvelles, dans lequel il explore le destin de personnages au bord de la rupture. Un classique de la forme brève, particulièrement apte à saisir en quelques pages l’instant décisif lors duquel une vie peut basculer.

La Vraie vie de Cécile G., de François Caillat
Paris, dans les années 1960. Denis, le narrateur, est adolescent lorsqu’il rencontre Cécile. Ils doivent se retrouver à Plymouth mais Cécile ne vient pas. Denis construit sa vie sans elle mais ne peut s’empêcher de penser à cette femme. Il transpose ses histoires et s’imagine les vivre avec elle. Un jour, il croit la reconnaître dans un parc. Un premier roman dont je ferai joyeusement l’économie (comme beaucoup d’autres de ce programme, cela dit).


LÀ-HAUT


Sur les toits, de Frédéric Verger

Frédéric Verger continue à recourir à la Seconde Guerre mondiale comme toile de fond de ses intrigues.
Après le très remarqué Arden et Les rêveuses, son troisième roman nous entraîne à Marseille, en 1942. De peur d’être séparés pendant l’hospitalisation de leur mère, un adolescent de 14 ans et sa petite sœur se réfugient sur les toits du quartier du Panier. Ils découvrent qu’ils sont loin d’être les seuls à avoir eu la même idée : c’est toute une population marginalisée qui vit au-dessus des maisons de Marseille…

Les envolés, d’Étienne Kern

Pour son premier roman, Étienne Kern s’inspire de l’histoire vraie de Franz Reichelt, un tailleur parisien d’origine autrichienne qui rêvait de voler comme un oiseau.
En 1912, équipé d’un dispositif de son invention, sorte d’ancêtre du wingsuit, il s’élance du premier étage de la Tour Eiffel et s’écrase en direct devant les caméras.
Un récit tragique qui peut donner une belle matière romanesque, reste à voir ce que le néo-écrivain a à en dire, et comment.


EN BAS


Cave, de Thomas Clerc
(coll. l’Arbalète)
Thomas Clerc aime bien les espaces clos. Après avoir fait de son appartement (Intérieur) ou d’un arrondissement de Paris (Paris, musée du XXIe siècle : Le Dixième Arrondissement) des espaces littéraires dignes d’un entomologiste, le voici qui plonge dans les sous-sols d’un immeuble, dans cette cave aux murs délabrés qu’il explore en métaphore de sa vie sexuelle…


AILLEURS (LES AUTRES, QUOI)


La Vie d’Andrés Mora, de Claudine Desmarteau
(coll. Sygne)

Auteure réputée pour la jeunesse, Claudine Desmarteau récidive pour les « grands » (après Comme des frères, paru chez l’Iconoclaste en 2020) en concevant l’histoire d’un écrivain dont les dernières œuvres ont si peu marché que son éditeur refuse de publier son nouveau livre.
Vexé, il entreprend de se forger un double, à l’image de Romain Gary / Émile Ajar.

La Malédiction de l’Indien : Mémoires d’une catastrophe, d’Anne Terrier
(coll. Continents Noirs)

Encore un premier roman (le programme en compte six), qui prend cette fois la direction de la Martinique.
Au début des années 2000, Josepha Dancenis s’interroge sur la coïncidence entre l’éruption de la montagne Pelée en 1902 et plusieurs événements dramatiques qui ont secoué sa famille. Elle découvre que son oncle Victorin porte un lourd secret et met en évidence des failles qui ont conduit à la mort de milliers de personnes.


BILAN


Lecture certaine :
Klara et le soleil, de Kazuo Ishiguro

Lectures probables :
Au temps des requins et des sauveurs, de Kawai Strong Washburn
Le Fils de l’homme, de Jean-Baptiste Del Amo

Lectures potentielles :
Sur les toits, de Frédéric Verger
Mon maître et mon vainqueur, de François-Henri Désérable
Temps sauvages, de Mario Vargas Llosa


À première vue : la rentrée Flammarion 2021


Intérêt global :


Des sept parutions de l’année dernière chez Flammarion, on remonte à onze cette année (si j’ai bien compté).
Dommage.
Pour le reste, on trouve du médiatique (Angot, Djian), du vrai talent (Reverdy), mais aussi un drôle de pari : aligner cinq premiers romans sur la grille de départ (plus une première traduction). Et ce courage-là, mine de rien, mérite au moins d’être salué – en attendant de voir si les livres en question méritent autant d’attention.


UN PRÉFÉRÉ


Climax, de Thomas B. Reverdy

J’aime cet auteur. J’ai parfois le sentiment que son univers, sa force littéraire et la variété de ses sujets ne sont pas assez payés de retour, que ses livres ne rencontrent pas toujours le succès qu’ils mériteraient. C’est peut-être une fausse impression (d’autant qu’il collectionne les récompenses, dont le Prix des Libraires en 2016 et l’Interallié en 2018), je n’ai aucune donnée pour étayer cette sensation hormis mes propres ressentis de terrain ; et si je me trompe, tant mieux.
Toujours est-il qu’un nouveau roman de Thomas B. Reverdy est toujours pour moi un objet de curiosité. Cette fois, il nous emmène dans un village norvégien, menacé par un accident sur une plateforme pétrolière au large. Sans parler du glacier qui se fissure et des poissons morts qui s’agglutinent sur le rivage… Un ingénieur géologue, originaire des lieux, se présente au village pour se confronter autant à son passé qu’à la perspective d’un monde sur le point de s’effondrer.


À LA UNE


Double Nelson, de Philippe Djian

L’un des noms les plus solides de la maison Flammarion, habitué des rentrées littéraires et des unes de la presse spécialisée.
Djian revient avec le nom d’une prise de catch en guise de titre, pour raconter une rupture amoureuse suivie de drôles de retrouvailles : elle, membre des forces spéciales d’intervention de l’armée, vient se réfugier chez lui, écrivain en proie au doute, pour échapper à une troupe de mercenaires lancée à ses trousses. Commence alors une drôle de danse, où la nécessité d’apprendre à revivre ensemble s’accompagne d’une menace mortelle…
Drôle de pitch, qui propose un angle plutôt ludique pour détricoter l’éternelle question de la relation amoureuse.

Le Voyage dans l’Est, de Christine Angot

Autant j’aime Reverdy, autant je déteste Christine Angot. Son style tout d’abord, que je trouve caricatural, creux et haché, faussement rythmé de répétitions obsessionnelles et plombés de dialogues terriblement plats, et dont je me demande comment autant de gens supposés savoir lire (je pense très fort à Bernard Pivot par exemple, qui ne s’est jamais caché d’aduler le travail de la dame) sont capables de chanter les louanges.
Je n’apprécie guère l’auteure non plus, et par l’auteure, j’entends la personnalité qui manque rarement une occasion de déverser sa morgue, son fiel et sa froideur dans les médias.
S’il y a une chose que je veux lui reconnaître en revanche, c’est la constance avec laquelle elle campe son œuvre autour du drame qui a façonné sa vie, drame dont elle est loin d’être la seule victime et auquel elle donne une voix et une visibilité essentielles depuis toutes ces années.
Pas de surprise : dans ce nouveau roman, Angot parle donc d’inceste. Elle aborde cette fois la question en creusant le point de vue de l’enfant, puis de l’adolescente et de la jeune femme victime de son père.


AH AH, BIOGRAPHIE !


Tout ce qui est beau, de Matthieu Mégevand
Matthieu Mégevand s’est fait une spécialité de capter en littérature des figures artistiques flamboyantes. Après le poète Roger-Gilbert Lecomte et Lautrec, le voici qui s’attaque au génie ultime : Mozart. 192 pages pour cerner l’une des figures les plus célèbres du monde, et trouver en mots l’équivalent des notes avec lesquelles le compositeur a créé sa renommée intemporelle.

Presque toutes les femmes, d’Héléna Marienské
Les ennemis de la vie ordinaire, roman délirant sur l’addiction paru en 2015, m’avait bien fait marrer. Le registre de ce nouveau titre sonne différemment, puisque la romancière y dresse le portrait des femmes de sa vie, qu’elles aient laissé une trace positive ou non sur son existence. Une autobiographie en creux, donc. Cela n’empêche pas l’humour, mais sans tirer du côté hirsute qui m’avait réjoui dans Les ennemis


PREMIERS ROMANS (5 + 1)


Le Chien, d’Akiz
(traduit de l’allemand par Bruce Germain)

Réalisateur et scénariste allemand, Akiz ajoute la corde de romancier à son arc.
Le Chien du titre, c’est un drôle de type, dont on ne sait rien hormis les rumeurs étranges qui courent sur son compte. Ce qui est sûr, c’est le gars est un prodige en cuisine. Son embauche dans le restaurant de luxe El Cion aurait pu être joyeuse. Mais c’est moins un palais raffiné qu’une grenade dégoupillée que le chef a engagé. Et quand ça va péter, ça va faire mal.
Petite curiosité pour ce titre au résumé intrigant, dont les premières lignes happent et interpellent.

L’Éblouissement des petites filles, de Timothée Stanculescu

Bon, déjà, histoire d’éviter les confusions, sachez que Timothée ici est une fille. Qui s’essaie au roman d’apprentissage adolescent, en racontant la fascination d’une jeune fille, Justine, à l’égard d’Océane. Ancienne copine d’enfance, devenue simple voisine de village et lycéenne comme elle.
Sauf qu’Océane a disparu, et dans ce coin de France où il ne se passe jamais rien, c’est plus qu’un fait divers.
Un événement assez troublant pour pousser Justine à vouloir, comme Océane, s’initier aux garçons, quitte à jeter son dévolu sur le jardinier de sa mère – qui est un homme, plus un garçon.
Bref. Tout ceci me rappelle un roman de Megan Abbott, La Fin de l’innocence, livre puissant et brillant. Si le sujet vous intéresse, celui-là, je vous le conseille sans hésiter. Pour celui-ci, dont on commence à causer un peu, je vous laisse juge.

L’Amour et la violence, de Diana Filippova

Le titre n’est pas fou, la couverture non plus, mais le pitch rattrape un peu (toutes proportions gardées).
Valentin vit dans une chambre de bonne d’où il observe la Cité, seul, pendant que sa mère, répétitrice auprès des familles illustres, s’absente le jour comme la nuit. Né de l’autre côté du mur, déchiré entre le rêve de se fondre dans les hauts milieux et la conscience aiguë d’une société au bord de l’implosion, il se débat avec le passé et la mémoire.
Selon l’éditeur, un premier roman entre dystopie, roman social et récit d’apprentissage.


Ce qui gronde, de Marie Petitcuénot
Sur le papier, elle a tout pour être heureuse : un mari, trois enfants, un boulot intéressant. Et pourtant. La jeune femme qu’elle fut avant cette vie bien rangée commence à protester, et lui enjoint de se rebeller contre le fait social établi. Bonne mère, bonne épouse, femme intégrée, une fin en soi ? Et faut-il pour autant renoncer à sa liberté ? Un plaidoyer féministe pour une autre façon d’être mère.

Buenos Aires n’existe pas, de Benoît Coquil
Marcel Duchamp arrive à Buenos Aires en septembre 1918 et y demeure neuf mois. De ce séjour, on sait peu de choses. Un terreau idéal pour un écrivain, qui permet donc à Benoît Coquil d’imaginer ce récit littéraire dont la ville est autant la figure principale que l’artiste.

Mississippi Driver, de Lee Durkee
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard)

C’est en réalité le deuxième roman de Lee Durkee, mais le premier traduit en français, alors bon, il a sa place dans cette rubrique consacrée aux débutants. Il y raconte la journée d’un chauffeur de taxi à Gentry, Mississippi, et ses différents passagers qui, tous à leur manière, racontent un peu de cette fameuse « Amérique profonde » qui fait tant causer au moment des élections présidentielles.


BILAN


Lecture certaine :
Climax, de Thomas B. Reverdy

Lecture potentielle :
Le Chien, d’Akiz

Lecture hypothétique :
L’Amour et la Violence, de Diana Filippova


À première vue : la rentrée Actes Sud 2021


Intérêt global :


Avec onze nouveautés (au lieu de neuf en 2020), on reste à peu près stable du côté d’Arles. En réalité, on montera à douze ici en ajoutant le nouveau roman de Richard Powers annoncé pour le 22 septembre, qui est un événement d’autant plus notable que le romancier américain quitte à cette occasion le Cherche-Midi, son éditeur français historique.
Vous connaissez mon opinion au sujet des gros volumes de parution. Onze (ou douze), c’est beaucoup trop, mais il faudrait vraiment un retour de la peste bubonique pour calmer les ardeurs des gros éditeurs français.
Sans surprise, quand on a des bagages aussi lourds, il y a des chances d’avoir embarqué quelques bidules superflus. On peut craindre que certains livres, pourtant potentiellement prometteurs, ne trouvent pas leur public, noyés par l’avalanche…


À L’AVENTURE !


Femme du ciel et des tempêtes, de Wilfried N’Sondé

Le romancier congolais poursuit dans la veine aventurière qui a notamment valu un joli succès à son précédent livre : Un océan, deux mers, trois continents (2018).
Tout commence ici par l’exhumation en Sibérie d’une sépulture datant de plus de dix mille ans, et abritant le corps d’une reine à la peau noire. Prévenu par le chaman qui a réalisé la découverte, un scientifique français s’associe à une docteure germano-japonaise et un ethnologue congolais pour tenter de protéger la précieuse tombe d’industriels sans scrupule qui souhaitent transformer le territoire en site d’exploitation gazière.
Le résumé semble un peu fourre-tout, mais N’Sondé est un excellent conteur, susceptible de transformer ce synopsis en bon roman d’aventures écologique.

Dernière oasis, de Charif Majdalani

En 2020, l’écrivain libanais avait quitté le Seuil, son éditeur historique, pour publier chez Actes Sud un journal en forme de réflexion sur l’état de son pays.
Il reste à Arles pour son nouveau roman, où il emmène un spécialiste d’archéologie orientale dans le nord de l’Irak pour y expertiser des pièces antiques. Arrivé sur place, il découvre une oasis paisible, quoique occupée par des militaires, car elle est encerclée par l’armée kurde d’un côté, et par des djihadistes de Daesh de l’autre… Quand l’effroi du monde percute les trésors de l’humanité.

Sidérations, de Richard Powers
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin)

Dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, un père conduit son fils souffrant de troubles du comportement à vivre une extraordinaire expérience neuroscientifique. Chaque roman de Richard Powers est une expérience nourrie par l’ambition intellectuelle et la puissance d’analyse de l’écrivain. On en parlera, comme d’habitude.


Le Mode avion, de Laurent Nunez
L’aventure ici est celle de la langue française, à travers l’affrontement épique entre deux linguistes, en quête de nouvelles théories du langage qui révolutionneraient toutes nos connaissances à ce sujet et leur permettraient de passer à la postérité.

Et pourtant ils existent, de Thierry Froger
Au cœur d’un roman historique serré entre l’assassinat de Jaurès et la guerre d’Espagne, Thierry Froger campe la figure de Florent Bordes, héros ambigu dont les possibles exploits sont passés au crible de points de vue contradictoires qui, en creux, questionnent les mirages de la fiction.

La Déesse et le marchand, d’Amitav Ghosh
(traduit de l’anglais (Inde) par Myriam Bellehigue)

Un sexagénaire accepte à contre-cœur de partir à la recherche d’un temple perdu dans la mangrove pour y découvrir une légende folklorique méconnue. Bien entendu, ce voyage entamé sans enthousiasme va bouleverser le regard du protagoniste sur le monde, la vie, tout ça.


AU CŒUR DU MONDE


GAV, de Marin Fouqué

Peut-être le titre à surveiller de près chez Actes Sud cette année. Après 77, c’est le deuxième roman d’un jeune auteur né en 1991 (grmpf), qui promet un gros coup de griffe sur la société française contemporaine. Marin Fouqué imagine d’en dresser une radiographie en réunissant, le temps d’une nuit commune en garde à vue, des émeutiers d’une manifestation, une jeune femme qui travaillait dans un entrepôt, un cadre en dégrisement et un jeune homme embarqué pour délit de faciès.


Pleine terre, de Corinne Royer
Après la jeunesse, l’effondrement du monde paysan. Pour son cinquième roman, Corinne Royer s’inspire d’un fait divers pour raconter la cavale d’un éleveur qui, n’ayant pas rempli toutes ses obligations administratives, se retrouve pourchassé par les gendarmes et considéré comme un criminel.

Furies, de Julie Ruocco
Le seul premier roman du programme. Il relate la rencontre d’une jeune archéologue devenue trafiquante d’antiquités et d’un pompier syrien devenu fossoyeur. L’occasion de célébrer les femmes qui ont animé le Printemps Arabe.

Avant les années terribles, de Victor Del Arbol
(traduit de l’espagnol par Claude Bleton)

Révélé par ses romans noirs profonds et émouvants, l’écrivain espagnol s’aventure en Afrique pour y raconter l’épopée d’un enfant-soldat.

Comme nous existons, de Kaoutar Harchi
Une quête autobiographique, entre récit d’amour filial et éveil de la conscience politique.

Madame Hayat, d’Ahmet Altan
(traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes)

Dans une ville où règne l’effroi, l’histoire d’une passion amoureuse, celle d’un jeune homme pour une femme d’âge mûr. Un roman sur les pouvoirs de l’imaginaire dans lequel la littérature se révèle vitale. (Dixit l’éditeur.)


BILAN


Rien qui me chatouille vraiment la curiosité dans tout ça, même s’il y a de quoi faire, et pour tous les goûts.

Lecture potentielle :
Sidérations, de Richard Powers

Lectures hypothétiques :
GAV, de Marin Fouqué
Femme du ciel et des tempêtes, de Wilfried N’Sondé


Ce genre de petites choses, de Claire Keegan

Éditions Sabine Wespieser, 2020

ISBN 9782848053721

120 p.

15 €

Small things like this
Traduit de l’anglais (Irlande) par Jacqueline Odin


En cette fin d’année 1985 à New Ross, Bill Furlong, le marchand de bois et charbon, a fort à faire. Aujourd’hui à la tête de sa petite entreprise et père de famille, il a tracé seul sa route : élevé dans la maison où sa mère, enceinte à quinze ans, était domestique, il a eu plus de chance que d’autres enfants nés sans père.
Trois jours avant Noël, alors qu’il livre le couvent voisin, il découvre dans la réserve une très jeune femme, qui y a vraisemblablement passé la nuit. Lui reviennent alors les rumeurs entendues au sujet de ces « femmes de mauvaise vie », que les sœurs recueillent et exploitent sans vergogne…
Que faut-il faire ? Ne rien dire, comme tout le monde, par crainte du pouvoir que possèdent les religieuses dans la région ? Ou bien écouter son cœur, et tenter d’agir, surtout en cette période de Noël où interroger sa conscience sur le sens de sa vie prend encore plus de relief ?


Je découvre (enfin) Claire Keegan avec ce nouveau roman, dont la brièveté rappelle qu’elle est aussi une nouvelliste très réputée. Étant amateur de nouvelles, il faudra vite que j’aille explorer cet aspect de son œuvre, car cette première lecture me donne envie d’en lire plus.

Habituée à condenser beaucoup d’éléments en peu de pages, l’auteure irlandaise perpétue ce talent précieux lorsqu’elle allonge quelque peu le récit pour le tirer vers le roman. En dépit de leur aspect dépouillé, les 120 pages de Ce genre de petites choses sont en effet pleines d’humanité, dans toute la complexité du terme.
Générosité, partage, égoïsme, aveuglement plus ou moins opportuniste, hypocrisie, cruauté, lâcheté, altruisme, reconnaissance : autant d’attitudes, de choix et de sentiments captés avec subtilité par la romancière, dans lesquels tout lecteur peut plus ou moins se reconnaître, ou auxquels il est nécessaire de se confronter.

Pour habiller ces réflexions essentielles, Claire Keegan choisit une forme proche du conte de Noël – un conte réaliste, sans gros bonhomme barbu en rouge ni rennes et lutins, mais avec le froid, la neige, les préparatifs rituels pour le réveillon, les heures passées en famille à la cuisine…
Il se dégage de ces pages une chaleur étonnante, alors même que la plupart des personnages s’avèrent rugueux – caractères bruts de la campagne irlandaise dans les années 80 -, et que le véritable sujet du roman est d’une violence innommable.

Entre les lignes, Claire Keegan évoque en effet le scandale des institutions religieuses, tenues d’une main de fer par des sœurs n’ayant de bonnes que l’expression consacrée, et dans lesquelles des jeunes femmes considérées comme immorales étaient enfermées et réduites en esclavage.
L’acteur et cinéaste Peter Mullan l’avait notamment fait connaître de tous grâce à son film, The Magdalane Sisters (2002). Claire Keegan choisit, pour sa part, d’aborder le sujet par la bande. Elle évite le choc frontal, préférant suggérer de quoi il est question au fil d’allusions subtiles, d’images entraperçues par le protagoniste et de rumeurs évoquées.

Suggérer ne voulant pas dire édulcorer, le propos reste d’une force et d’une douleur terribles. Mais la forme littéraire choisie par la romancière, ainsi que la lumière intérieure qui guide Bill Furlong, permettent d’en saisir la cruauté tout en y opposant espoir et possibilité de rédemption.
Un texte magnifique, où il y a beaucoup à apprendre, et qui confirme que la valeur n’est pas affaire de nombre de pages. L’une des lectures hautement recommandées de cette fin d’année, largement défendue et mise en avant par les libraires.


À première vue : la rentrée Stock 2020

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Et on repart avec un paquet de dix grâce (?) aux éditions Stock, qui font partie des maisons habituées à dégorger leur trop-plein plus ou moins intéressant à chaque rentrée littéraire. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stock qu’il faut plomber celui des libraires, merci bien.
De plus, faut-il vous le cacher ? Dans tout ceci, à première vue, pas grand-chose à garder.
Bref, pour reprendre le titre d’un de ces livres, ne tardons plus et affrontons cette grande épreuve, histoire d’en finir au plus vite.


Intérêt global :

mécontent


Emmanuel Ruben - SabreSabre, d’Emmanuel Ruben

Obsédé par le souvenir d’un sabre accroché au mur chez ses grands-parents, le narrateur part en quête de l’arme disparue, qui l’amène à remonter le temps et les branches de l’arbre de la famille Vidouble, dans un grand tourbillon mêlant explorations géographiques, éloge de l’imaginaire contre les déceptions du réel, plongées historiques et passions picaresques.

Florent Marchet - Le monde du vivantLe Monde du vivant, de Florent Marchet

Et nous revoilà à la campagne. Depuis que la prise de conscience écologique s’accélère dans la société, il semblerait que certains romanciers décident de replonger en nombre dans les racines de la terre… Sinon, on peut presque reprendre le pitch du prochain roman de Marie Nimier à paraître chez Gallimard, et l’adapter jusque ce qu’il faut. Soit l’histoire d’une famille, installée à la campagne pour réaliser le fantasme fermier du père. Au grand dam de Solène, sa fille de 13 ans, qui du coup le déteste. Pendant ce temps, Madame, qui entend mettre la main à la paille, se blesse avec une machine agricole. Un jeune woofeur vole à leur secours. Il est jeune, il a du charme, et des idées radicales. Ca va swinguer chez les apprentis laboureurs.
C’est ce qui s’appelle creuser un sillon.

Hervé Bel - Erika SattlerErika Sattler, d’Hervé Bel

Il ne lui faut qu’un discours, l’un de ces fameux discours enflammés qui ont fait sa réputation et contribué, pour une bonne part, à mener l’Allemagne sur la route du désastre. En écoutant Hitler, une adolescente se prend de passion pour la cause nazie. Au point d’y croire jusqu’au bout car, même lorsque la débâcle menace début 1945, Erika croit encore pouvoir vivre son idéal national-socialiste. Un portrait de femme dérangeant, cliché des dérives de l’Histoire.

Tobie Nathan - La société des belles personnesLa Société des belles personnes, de Tobie Nathan

« Les Nazis. Je hais ces gars-là. » (Indiana Jones)
Les revoilà dans le nouveau roman de Tobie Nathan, en train d’infiltrer l’armée égyptienne – sans parler de l’ombre maléfique de leurs actes inhumains, encore prégnants en cette année 1952 où commence le roman. Un jeune homme nommé Zohar Zohar arrive en France, fuyant l’Égypte à feu et à sang. Avec Aaron, Lucien et Paulette, il fonde la Société des Belles personnes, communauté unie par le désir de vengeance et par les démons de leur histoire personnelle, décidée à riposter par l’action contre les bourreaux du passé. Plus tard, son fils François découvre cette histoire, et décide de la poursuivre.

Nazanine Hozar - AriaAria, de Nazanine Hozar
(traduit de l’anglais (Canada) par Marc Amfreville)

Téhéran, 1953. Une nuit, Behrouz, humble chauffeur de l’armée, découvre dans une ruelle une petite fille qu’il ramène chez lui et nomme Aria. Alors que l’Iran sombre dans les divisions sociales et religieuses, l’enfant grandit dans l’ombre de trois figures maternelles. Quand la révolution éclate, la vie d’Aria, alors étudiante, comme celle de tout le pays, est bouleversée à jamais.

Olivia Elkaim - Le Tailleur de RelizaneLe Tailleur de Relizane, d’Olivia Elkaim

La romancière sonde ses origines familiales, remontant à l’histoire de ses grands-parents, Marcel et Viviane, forcés de quitter l’Algérie pendant la guerre et de s’exiler en France, où on les accueille par la force des choses, sans sympathie ni la moindre aide. L’occasion pour l’auteure d’explorer sa part juive et algérienne.

Etienne de Montéty - La grande épreuveLa Grande épreuve, d’Étienne de Montety

L’auteur s’empare d’un fait divers sordide dont vous vous souvenez sans doute, hélas : le meurtre, dans son église de Saint-Etienne du Rouvray, d’un prêtre, tué par un extrémiste islamiste. Par la fiction, Montety entend comprendre le caractère inéluctable des faits.
Attention, terrain miné.

Alexandra Dezzi - La colèreLa colère, d’Alexandra Dezzi

Un roman consacré à la domination à travers la relation qu’entretient la narratrice à son propre corps, des coups qu’elle reçoit lors de ses entraînements de boxe à la question du désir et des relations sexuelles, entre agression et jouissance.

Caroline de Bodinat - Dernière cartoucheDernière cartouche, de Caroline de Bodinat

Un aristocrate de province, dont la vie semble taillée dans le marbre des convenances (une femme, trois enfants, une maîtresse, un labrador, une entreprise), échappe de plus en plus à la réalité, sous la pression des attentes des autres. Jusqu’à décider d’en finir avec tout ça.
(Oh oui, finissons-en.)

Simon Libérati - Les démonsLes démons, de Simon Liberati

« Un roman d’une ambition rare, mêlant l’intrigue balzacienne à l’hymne pop », dixit l’éditeur. Je vous laisse là-dessus ?


BILAN


Sans surprise, aucune envie pour moi dans ce programme. Hormis, peut-être, Sabre, mais ce sera loin d’être une priorité.


À première vue : la rentrée Seuil 2020

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Intérêt global :

ironie


Avec onze titres au programme, les éditions du Seuil font presque jeu égal avec Gallimard en terme de quantité. Pour ce qui est de la qualité, il faudra lire, bien sûr. Cependant, à première vue, le schéma est en dents de scie. Il y aura des trucs dont on va causer, d’autres qui peuvent valoir le coup, et des bricoles sans lesquelles on vivrait tout aussi bien.
Une vraie rentrée littéraire de grosse maison, décidée à continuer comme si de rien n’était.


VIOLENCES DE L’HUMAIN


Sandra Lucbert - Personne ne sort les fusilsPersonne ne sort les fusils, de Sandra Lucbert

On devrait parler de ce livre. Il faudrait qu’on en parle. De mai à juillet 2019, Sandra Lucbert a couvert le procès France Télécom, dont sept dirigeants ont été envoyés devant le tribunal pour des faits de maltraitance, de harcèlement moral, ayant entraîné le suicide de plusieurs employés. Les débats ont permis de faire étalage de l’arrogance sans limite de Didier Lombard et de ses acolytes, de leur cynisme assumé, celui de gens parfaitement conscients qu’ils n’ont pas grand-chose à craindre de la justice, parce que la justice parle la même langue qu’eux. Que peut-on attendre d’un homme qui affirme à la barre, sans trembler : « Finalement, cette histoire de suicides, c’est terrible, ils ont gâché la fête » ?
En 156 pages, Sandra Lucbert ramasse toute la colère légitime que l’on peut (que l’on doit) éprouver à l’encontre de cette barbarie moderne qu’est l’exercice du capitalisme débridé. C’est en écrivain, et non en journaliste, qu’elle empoigne les mots comme des fusils pour tirer en rafale sur l’effroyable machinerie du libéralisme et de la logique économique, négation absolue de l’humain.

Irène Frain - Un crime sans importanceUn crime sans importance, d’Irène Frain

Le mur du silence, Irène Frain s’y heurte sans trêve depuis l’assassinat d’une vieille dame, tuée dans sa maison au fond d’une impasse, en banlieue parisienne, dont on peine à connaître les motivations et encore plus l’auteur. Cette vieille dame, c’était sa sœur. Et le mur, c’est celui de la police, de la justice, qui traitent l’affaire comme un dossier, au mépris de l’humain. C’est aussi le silence de la famille, contre lequel la romancière s’élève dans ce récit-enquête.

Xabi Molia - Des jours sauvagesDes jours sauvages, de Xabi Molia

Les hasards de l’actualité percutent parfois la littérature… Quand on connaît le temps nécessaire à la maturation et à l’écriture d’un roman, on ne pourra pas soupçonner Xabi Molia d’opportunisme avec son nouveau roman, pourtant étrangement en phase avec ce que nous vivons depuis le début de l’année. Il imagine, en effet, qu’une grippe foudroyante ravage l’Europe. Pour fuir l’épidémie, une centaine de personnes embarque à bord d’un ferry, mais une tempête fait naufrager le navire sur une île inconnue. Vient alors le temps des choix. Certains veulent repartir, d’autres profiter de l’aubaine pour construire une société nouvelle sur l’île et en garder jalousement le secret… Un dilemme digne de Sa Majesté des mouches, sauf que les enfants ont grandi.


LA VOIX DES FEMMES


Lucy Ellmann - Les lionnesLes lionnes, de Lucy Ellmann
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro)

C’est une femme, mère au foyer, seule dans sa cuisine. Elle pense aux tâches ménagères qui l’attendent, mais aussi à la folie de la politique qui a conduit un Trump à la présidence du pays, aux fusillades dans les lycées qui deviennent routine, au patriarcat, à la précarité causée par des logiques économiques effarantes, à la maladie… Tous les sujets y passent, ratissant large le monde tel qu’il va, du plus intime au plus large.
Le tout en une seule phrase longue de 1152 pages.
Le bazar est traduit par Claro, qui ne sort plus de sa retraite de traducteur que pour des projets hors norme. Le précédent, c’était Jérusalem, d’Alan Moore. Ça vous donne une idée du livre de Lucy Ellmann, finaliste du Booker Prize et, évidemment, phénomène littéraire chez nos amis anglo-saxons.

Chloé Delaume - Le coeur synthétiqueLe Cœur synthétique, de Chloé Delaume

Rompre à quarante-six ans et entreprendre de refaire sa vie est, pour une femme (beaucoup plus que pour un homme), un parcours du combattant. C’est ce que découvre Adélaïde, l’héroïne du nouveau roman de Chloé Delaume, dont le regard féministe est plus acéré que jamais, en y mêlant l’humour nécessaire pour garder de la hauteur sur le sujet.

Rachid Benzine - Dans les yeux du cielDans les yeux du ciel, de Rachid Benzine

C’est le temps des révolutions. Une femme interpelle le monde. Elle incarne le corps du monde arabe. En elle sont inscrits tous les combats, toutes les mémoires douloureuses, toutes les espérances, toutes les avancées et tous les reculs des sociétés. Plongée lumineuse dans l’univers d’une prostituée qui se raconte, récit d’une femme emportée par les tourments de la grande Histoire, Dans les yeux du ciel pose une question fondamentale : toute révolution mène-t-elle à la liberté ? Et qu’est-ce finalement qu’une révolution réussie ? (résumé de l’éditeur)


EN VRAC (faute d’inspiration…)


Antonio Munoz Molina - Un promeneur solitaire dans la fouleUn promeneur solitaire dans la foule, d’Antonio Muñoz Molina
(Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon)

Grand romancier espagnol, l’auteur se fait cette fois observateur des petites scènes du quotidien, ces détails infimes qui font le monde tel qu’il est. À Paris, New York, Madrid ou Lisbonne, il arpente les rues armé d’un crayon, d’un carnet, d’un enregistreur et d’une paire de ciseaux, et collecte au hasard bruits volés, bouts de papier, affiches…
Un projet original, par un très écrivain espagnol, dont la finesse d’analyse et d’observation pourrait s’épanouir dans cet exercice singulier.

Sarah Chiche - SaturneSaturne, de Sarah Chiche

La narratrice reconstitue le portrait d’un père mort si jeune, à 34 ans, qu’elle n’en garde aucun souvenir. En rencontrant une femme qui l’a connu enfant, en Algérie, elle tire un fil noueux qui découvre un homme amoureux des étoiles, exilé d’Algérie au moment de l’indépendance, contribuant à rebâtir l’empire médical que sa famille de médecins avait édifié de l’autre côté de la Méditerranée, puis cédant à une passion furieuse qui va tout faire voler en éclats…

Vinca Van Eecke - Des kilomètres à la rondeDes kilomètres à la ronde, de Vinca Van Eecke

Dans un village perdu de la campagne française, rencontre à 14 ans entre des gamins qui grandissent là tant bien que mal, et une fille qui vient juste y passer ses vacances. Elle, « la bourge », eux, « les autres ». Vient le premier amour, les amitiés brûlantes de l’adolescence, et les tragédies qui les accompagnent inévitablement.
(Voilà voilà.)

Mary Costello - La captureLa Capture, de Mary Costello
(Traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik)

Un professeur de lettres spécialiste de Joyce (forcément, il est irlandais) n’arrive pas à écrire le livre dont il rêve sur son mentor littéraire. Et en plus, il est malheureux en amour. Réfugié au fin fond de la campagne (mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec la campagne ?!?), il a un coup de foudre pour sa voisine. Hélas, lorsqu’il la présente à sa tatie, celle-ci se fâche tout rouge et lui interdit de la revoir. Ah, tiens, il y a anguille sous roche.

Stéphane Malandrin - Je suis le fils de BeethovenJe suis le fils de Beethoven, de Stéphane Malandrin

Confession épique d’un vieil homme enfermé dans sa bibliothèque, d’où il entend révéler qu’il est le fils caché d’un Ludwig qu’on a toujours cru mort sans descendance. Une fantaisie littéraire, hymne à la joie héroïque et pastoral.
(Oui, bon, on fait ce qu’on peut.)


BILAN


Lecture probable :
Personne ne sort les fusils, de Sandra Lucbert

Lecture hypothétique :
Des jours sauvages, de Xabi Molia
Un promeneur solitaire dans la foule, d’Antonio Muñoz Molina


À première vue : la rentrée Plon 2020

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Intérêt global :

inexpressif


Je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas un spécialiste du catalogue des éditions Plon, ni de leur manière d’aborder la rentrée littéraire, ni de leur ligne éditoriale en littérature (pour peu qu’il y en ait une). Cette maison fait partie de celles qui n’ont jamais réussi à m’intéresser, de quelque manière que ce soit. Donc, me voilà bien embêté pour vous raconter quelque chose d’un tant soit peu captivant à son sujet.
Restons-en donc aux faits : la rentrée Plon se compose de cinq titres francophones, quatre romans et un recueil de chroniques. Et puis voilà.


Camille Pascal - La chambre des dupesLa Chambre des dupes, de Camille Pascal

Le haut fonctionnaire Camille Pascal a été l’invité surprise de la rentrée littéraire 2018. Avec L’Été des quatre rois, son premier roman récompensé du Grand Prix de l’Académie française et très large succès public, il a récolté un plébiscite auquel personne ne s’attendait vraiment, surtout pour un roman historique racontant la succession express de quatre souverains durant l’été 1830.
Pour son deuxième, il retourne au même genre, mais cette fois à la cour de Louis XV, dont il narre la passion pour Marie-Anne de Mailly-Nesle, marquise de La Tournelle. Passion si brûlante qu’il en fait sa favorite principale et la titre duchesse de Châteauroux (à l’époque, ça devait être classe). Mais le roi, en pleine campagne militaire, tombe gravement malade à Metz, et la position privilégiée de la duchesse se trouve menacée par la raison d’État…
Je ne suis pas un grand adepte de roman historique. Mais il faut reconnaître que le sujet est très bien choisi. Le style élégamment classique de Camille Pascal devrait parfaitement convenir pour raconter cette page d’histoire, et convaincre les adeptes du genre.

Faïza Guène - La discrétionLa Discrétion, de Faïza Guène

Avec Kiffe kiffe demain, son premier roman paru en 2005 alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans, Faïza Guène a connu un succès immédiat autant que fulgurant (traduit en 26 langues quand même). Après trois romans chez Hachette et deux chez Fayard, elle arrive chez Plon avec un roman consacré à une femme de 70 ans qui vit en toute discrétion à Aubervilliers. Née en Algérie lorsque le pays était encore une colonie française, adolescente au moment de l’indépendance, elle a tenté de transmettre son goût de la liberté à ses enfants tout en réfrénant ses colères, ses souffrances et la peine née de l’exil. C’est à eux, désormais, de mettre en lumière son histoire, et de révéler la vérité de cette femme discrète.

Sophie Blandinières - La chasse aux âmesLa Chasse aux âmes, de Sophie Blandinières

Durant la Seconde Guerre mondiale, trois femmes, une Polonaise, Janina, et deux juives, Bela et Chana, organisent un réseau clandestin pour faire sortir des enfants juifs du ghetto. Ils changent alors d’identité, trouvent un nouveau foyer et deviennent des polonais catholiques afin de survivre dans la zone dite aryenne.

Thibault de Montaigu - La grâceLa Grâce, de Thibault de Montaigu

Suite à une dépression, le narrateur, athée, relate comment il a été touché par la grâce, une nuit, dans la chapelle d’un monastère. Afin de comprendre cette révélation soudaine, il renoue avec Christian, son oncle et frère franciscain, qu’il connaît peu et qui décède après leurs retrouvailles. Il découvre que cet homme a connu le même parcours spirituel que lui à l’âge de 37 ans.

Alain Mabanckou - Rumeurs d'AmériqueRumeurs d’Amérique, d’Alain Mabanckou

Un recueil de chroniques par l’auteur franco-congolais, qui vit aux USA depuis une quinzaine d’années. Il évoque l’opulence de Santa Monica, les conditions de vie des minorités de Los Angeles, le désespoir des agglomérations environnantes, le rêve américain, la guerre des gangs, la musique, les habitudes politiques, entre autres.


BILAN


Aucune lecture en vue dans ce programme en ce qui me concerne. À vous de voir !