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Pour mourir, le monde, de Yan Lespoux

1627, sur la route des Indes, dans la fureur d’une ville assiégée, dans le dédale des marais et des dunes battues par le vent, l’aventure est en marche et trois héros ordinaires verront leur destins réunis par une tempête dantesque… Il y a Marie sur la côte landaise. Pour échapper aux autorités qui la recherchent, elle s’est réfugiée dans une communauté de pilleurs d’épaves sous la coupe d’un homme brutal. La jeune fille à peine sortie de l’adolescence refuse pourtant de baisser la tête. Au Brésil, il y a Diogo, orphelin engagé dans la guérilla portugaise qui tente de reprendre Salvador de Bahia aux Hollandais. Et à Goa, il y a Fernando, engagé de force dans l’armée portugaise, qui met tout en œuvre pour échapper à sa condition.


Il y a trois ans, je vous avais dit tout le bien que je pensais de Presqu’îles, le recueil de nouvelles et premier livre de Yan Lespoux. J’attendais donc énormément de son deuxième, qui s’est matérialisé lors de la rentrée littéraire d’août 2023 sous la forme d’un gros roman de plus de 400 pages, nanti par son éditeur d’une magnifique jaquette parfaitement en phase avec son sujet.
Pour mourir, le monde (quel titre ! emprunté à un poète portugais contemporain de l’action du roman) est un immense roman d’aventures historique, prenant pour cadre un XVIIème siècle spectaculaire, avec ses combats pour la conquête des mers et des colonies lointaines, et ses affrontements épiques entre les empires portugais, espagnols, hollandais et britanniques. Au milieu de ce chaos savamment orchestré, les trois personnages principaux, Marie, Diogo et Fernando, dégagent trois arcs narratifs majeurs sur lesquels viennent se greffer d’autres personnages et d’autres problématiques, qui rendent le livre riche et foisonnant.

C’est une évidence confinant au cliché que de reconnaître la solidité des recherches de Yan Lespoux pour composer l’arrière-plan historique de son premier roman. C’est autre chose d’affirmer qu’une énorme documentation n’est rien sans un grand talent littéraire pour la mettre en valeur et la rendre digeste.
Par leur diversité et leur maîtrise impressionnante, les nouvelles de Yan signalaient déjà que le garçon possédait l’art de l’écriture et de la mise en scène. Dans Pour mourir, le monde, il s’engouffre dans la démesure de ses décors, de ses enjeux, de ses personnages, pour faire battre au vent la puissance et la variété de son style, épiçant le tout d’un humour bien senti, d’une luxuriance dans les descriptions, et d’une volonté de réalisme (la réalité de la vie à bord d’un navire ou de la violence d’un affrontement naval est rendue avec un faste de détails qui nous propulse au cœur de l’action) qui n’étouffent jamais la richesse des sentiments et la complexité humaine à l’œuvre.

Pour le dire autrement, et plus clairement, ce que fait Yan Lespoux ici, c’est oser le roman d’aventures dans toute sa splendeur. Oser aussi le roman narratif, le roman de personnages et d’histoire(s) – un geste qui, dans le paysage introspectif de notre littérature française, paraît toujours bizarrement anachronique, à mi-chemin entre l’audace absolue et la facilité un peu vulgaire. (Non mais franchement, raconter des histoires, quelle drôle d’idée !) Pour en trouver, généralement, il faut franchir la frontière menant à la littérature jeunesse, où flamboient des écrivains, Timothée de Fombelle et Pascale Quiviger en tête, à qui la virtuosité romanesque ne fait pas peur.
Fort heureusement, le Goncourt 2023 remis à Jean-Baptiste Andréa (quels que soient les motifs de ce choix), pour une œuvre de la même belle eau tumultueuse, et le splendide succès du récit historique de David Grann, Les naufragés du Wager, ont rappelé au plus grand nombre que cette veine-là était aussi de la grande littérature, et pas la plus aisée à réussir.

Merci donc et bravo à Yan Lespoux, pour son exigence, pour sa liberté, pour l’enthousiasme évident avec laquelle il a élaboré cette histoire éblouissante, en digne héritier d’un Arturo Perez-Reverte par exemple. Un enthousiasme qui se transforme en gourmandise de lecture, à laquelle je vous enjoins de céder sans aucune arrière-pensée.

Pour mourir, le monde, de Yan Lespoux
Éditions Agullo, 2023
ISBN 9782382460924
432 p., 23,50€

8 réponses à « Pour mourir, le monde, de Yan Lespoux »

  1. quelle très belle chronique pour honorer ce magnifique roman de Yan Lespoux ! Ca reste à ce jour mon seul gros coup de coeur de l’année ! un roman passionnant, qui m’a litteralement transporté sur les ponts de ces navires parcourants les océeans ! un roman d’aventures qui vous avale pour ne vous recracher qu’à la dernière page ! Un pur régal, servi par une très belle écriture ! et effectivement on sent tout le travail de recherche effectué par l’auteur pour offrir à son texte un écrin historique ! j’ai trop hâte de lire son prochain roman !

    1. Merci ! Ce roman mérite autant d’enthousiasme, merci de le partager !

  2. « Non mais franchement, raconter des histoires, quelle drôle d’idée ! » Aha ! bien dit ! Je suis complètement d’accord avec toi. Quel bonheur quand un livre (un écrivain) te prend pas la main pour te raconter une histoire, avec un début, un milieu et une fin… Quand il t’embarque et te fait voyager. Je ne connais pas cet auteur mais tu me fais envie, je le note ! Merci !

    1. Si je me souviens bien, tu n’es pas trop lectrice de nouvelles, donc tu ne te laisseras pas tenter par « Presqu’îles », qui est déjà en poche… Mais « Pour mourir, le monde » aura sans aucun doute sa version de poche, tu pourras embarquer à ce moment-là, si le cœur t’en dit toujours. Et merci de me soutenir dans ma défense acharnée de la littérature qui trouve plus digne que tout de raconter des histoires !

      1. Rien ne m’impressionne plus que l’imagination ! Celui des Tolkien, JRR Martin ou Salman Rushdie, les Joyce Carol Oates, etc., etc. C’est aussi pour ça que j’aime tant les polars. C’est pour ça que j’adule Pennac et Vargas. Leur capacité à inventer me laisse béate d’admiration. Capacité associée à un style, à une vraie écriture… et là c’est le bonheur ! Sinon c’est vrai que je ne suis pas très nouvelles, parce que quand j’aime, j’en sors frustrée, je veux toujours que ça dure plus, que l’histoire justement aille plus loin… Je viens de commencer Les frères Lehman, c’est vrai qu’on se met vite dedans. On en reparle bientôt ! :-)

      2. Ah oui, chouette ! Très curieux de voir ce que tu en penseras au final – sans aucune pression, bien entendu ! C’est un livre qui m’a étonné, ou plus exactement, j’ai été étonné d’être si emporté et séduit par sa lecture. J’espère que ça marchera aussi pour toi.
        Et Pennac… Tous ceux que tu cites, bien sûr, et tant d’autres encore, mais lui… Je l’aime tellement d’amour, lui !

  3. Merci pour ta chronique qui donne très envie ! :) je note !

    1. Avec plaisir, comme toujours ! Merci de ta lecture :)

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