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À première vue : la rentrée Zulma 2021


Intérêt global :


Comme d’habitude, le nom des éditions Zulma annonce la quasi fin de la rubrique « à première vue ».
Et comme d’habitude, les quatre titres proposés cette année sont à l’image de la maison : voyageurs, joueurs, érudits et ouverts sur le monde. De quoi embarquer pour des périples inattendus, sous les couvertures chatoyantes qui contribuent à la renommée de la marque dirigée par Laure Leroy.


Les Aventures d’Ibidem Serpicon, de René Haddad

Le monde et le quotidien étant ce qu’ils sont, pas souvent reluisants, mieux vaut les réinventer en les repeignant d’un regard neuf et en les parant de mots inattendus, qui jettent couleurs et cocasserie là où il en manque trop souvent.
Voici la vie d’Ibidem Serpicon, qui fait de Paris son terrain de jeux et d’observation, des bus aux bancs des squares, toujours en quête de rencontres sur lesquels il braquera son drôle de regard toujours en éveil.
« À mi-chemin entre le M. Hulot de Tati et le M. Plume de Michaux », dixit l’éditrice : pourquoi pas !

L’Anarchiste qui s’appelait comme moi, de Pablo Martín Sánchez
(traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu)
co-édition Zulma & La Contre Allée

Pablo Martin Sanchez découvre par hasard sur Internet un homonyme au passé héroïque, un anarchiste condamné à mort en 1924. Né en 1890 à Madrid, il s’exile à Paris où il devient imprimeur typographe puis fréquente des compatriotes anarchistes qui l’enrôlent dans leurs actions militantes.
Épique, virevoltant, joyeusement érudit et à l’imagination foisonnante, ce premier roman espagnol dresse le portrait à la fois réaliste et rêvé des utopies montantes du XXe siècle, dans l’esprit des grands romans populaires où l’amitié, la trahison, l’amour et la peur sont les rouages invisibles qui font tourner le monde.

L’Hôtel du Cygne, de Zhang Yueran

Yu-Ling s’occupe d’un enfant issu d’une famille aisée à Pékin. Dada est fils unique et gâté par ses parents qui sont souvent absents. Un grand pique-nique est organisé au bord du lac par M. Courge qui prévoit de simuler le kidnapping du garçon pour changer de vie grâce à l’argent de la rançon. Mais le plan échoue lorsque la radio annonce l’arrestation du grand-père et du père de Dada.

Ce que Frida m’a donné, de Rosa Maria Unda Souki
(traduit de l’espagnol (Venezuela) par Margot Nguyen Béraud et l’auteure)

Il faudrait relever tous les romans prenant pour sujet Frida Kahlo : je présume que la liste serait impressionnante…
En voici donc un de plus. Teinté d’autobiographie par ailleurs, puisqu’il s’agit d’une sorte de dialogue artistique entre Frida et l’auteure.
Tout commence alors que Rosa Maria Unda Souki attend l’arrivée du Brésil des tableaux destinés à son exposition à venir au Couvent des Récollets. Elle profite de ce temps de latence pour reconstituer le cheminement qui l’a conduit à cet accomplissement, consacrant cinq ans à la figure emblématique de Frida Kahlo en peignant sa célèbre Maison bleue et constituant une œuvre picturale d’une richesse saisissante.
Un livre illustré de dessins au graphite et des tableaux originaux de l’auteure.


BILAN


Lecture probable :
Les Aventures d’Ibidem Serpicon, de René Haddad

Lecture potentielle :
L’Anarchiste qui s’appelait comme moi, de Pablo Martín Sánchez

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À première vue : la rentrée Liana Levi 2021


Intérêt global :


Liana Levi fait partie de ces éditrices qui développent une belle relation de confiance et de fidélité avec ses auteurs. Ceux-ci la suivent et l’accompagnent durant de longues années, à l’image de Iain Levison ou Milena Agus, par exemple, et enrichissent son catalogue d’œuvres consistantes, solides et souvent éclairantes sur le monde.
Déjà tous publiés au moins une fois par Dame Liana, les deux Françaises et l’Américain qui constituent son programme de rentrée 2021 sont à l’image de cette collaboration fructueuse et d’une grande diversité.


Les étoiles les plus filantes, d’Estelle-Sarah Bulle

Son premier roman, Là où les chiens aboient par la queue, avait rencontré un franc succès en 2018. Estelle-Sarah Bulle était donc attendue, et elle a choisi de prendre une direction très différente de ses débuts largement autobiographiques en s’inspirant d’Orfeu Negro, film de Marcel Camus qui transposait le drame d’Eurydice et Orphée dans les favelas brésiliennes.
Elle imagine donc le débarquement de l’équipe de tournage dirigée par Aurèle Marquant dans une favela de Rio de Janeiro, qui entame une aventure autant humaine qu’artistique, sur fond de bossa nova, de passions débridées et d’intérêts contradictoires – car l’argent et la politique ne sont jamais très loin…

Le Mississippi dans la peau, d’Eddy L. Harris
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Pascale-Marie Deschamps)

En présentant l’année dernière Mississippi Solo, récit d’une descente solitaire du grand fleuve en canoë, je faisais le parallèle entre le projet de ce livre et certaines œuvres du gallmeisterien Pete Fromm.
Je ne croyais pas si bien comparer puisque, à l’instar de son collègue du Montana rééditant la même expérience à vingt ans d’intervalle (surveiller la croissance d’œufs de poisson) et les relatant dans deux livres miroirs (Indian Creek et Le Nom des étoiles), Eddy L. Harris décide de refaire trente ans après le voyage qui a changé sa vie.
C’est l’occasion, bien sûr, d’une réflexion sur lui-même, sur le temps qui passe, mais aussi sur le fleuve et la nature, et sur les États-Unis, ses mutations et ses tensions raciales plus fortes que jamais.

Et ils dansaient le dimanche, de Paola Pigani

Remarquée dès son premier roman, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2013), l’auteure lyonnaise publie son quatrième en cette rentrée. Et nous ramène presque un siècle en arrière, aux côtés de Szonja, une émigrée hongroise qui arrive à Lyon et se trouve embauchée dans une usine de production de viscose. Postée plus de dix heures par jour à l’atelier, elle résiste grâce à Elsa, qui l’introduit dans un groupe d’Italiens actifs. La petite troupe fait la fête le dimanche, parle politique et participe aux manifestations, tandis que le Front populaire se renforce.


BILAN


Lecture probable :
Les étoiles les plus filantes, d’Estelle-Sarah Bulle

Lecture potentielle :
Le Mississippi dans la peau, d’Eddy L. Harris


À première vue : la rentrée Métailié 2020

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Intérêt global :

joyeux


Cette année, les éditions Métailié – qui explorent la littérature étrangère avec talent et diversité, notamment la littérature sud-américaine – abordent la rentrée littéraire avec trois romans, soit moitié moins que les années précédentes. Et ce n’est pas un mal ! D’autant que ces trois livres paraissent agités, vivants, délicieusement singuliers. L’un d’entre eux me rend violemment curieux et très, très impatient (enfin !!!)
À première vue, donc, une très belle rentrée !


Samir Machado de Machado - TupinilandiaTupinilândia, de Samir Machado de Machado
(traduit du portugais (Brésil) par Hubert Tézenas)

Ma longue expérience de libraire m’a enseigné que les bandeaux, en plus d’emmerder le monde (ils se déchirent, gênent durant la lecture, passent leur temps à glisser et à se barrer des livres), sont l’équivalent du miel pour les mouches : des attrape-gourmands, bien sucrés, bien collants, qui ne tardent pas à peser sur l’estomac pour peu qu’on en abuse, voire à vous écœurer.
Riche de ce savoir durement acquis, il ne me viendrait évidemment pas à l’idée de frétiller comme un goujon en lisant ceci : « Entre Orwell et Jurassic Park, un blockbuster littéraire ». Il y a dans cette accroche à peu près tout ce qui peut m’agacer. Des raccourcis invraisemblables, une formule qui ne veut pas dire grand-chose…
Bien entendu, je meurs d’envie de le lire. En vrai, hein. Sans blague.
Parce que, comme un crétin, quand on m’appâte avec du Jurassic Park et du Orwell, je n’ai qu’une envie, foncer tête baissée. Surtout quand on y ajoute une couverture magnifique – et même si le résultat, au bout du compte, ne ressemblera sans doute ni à l’un, ni à l’autre…

En voici le résumé, que je vous livre tel qu’il a été proposé par l’éditrice :
Tupinilândia se trouve en Amazonie, loin de tout. C’est un parc d’attractions construit dans le plus grand secret par un industriel admirateur de Walt Disney pour célébrer le Brésil et le retour de la démocratie à la fin des années 1980. Le jour de l’inauguration, un groupe armé boucle le parc et prend 400 personnes en otages. Silence radio et télévision.
Trente ans plus tard, un archéologue qui ne cesse de répéter à ses étudiants qu’ils ne vont jamais devenir Indiana Jones revient sur ces lieux, avant qu’ils ne soient recouverts par le bassin d’un barrage. Il découvre à son arrivée une situation impensable : la création d’une colonie fasciste orwellienne au milieu des attractions du parc dévorées par la nature.
À la tête d’une troupe de jeunes gens ignorant tout du monde extérieur qu’ils croient dominé par le communisme, il va s’attaquer aux représentants d’une idéologie qu’il pensait disparue avec une habileté tirée de son addiction aux blockbusters des années 1980.

Eduardo Fernando Varela - Patagonie route 203Patagonie route 203, d’Eduardo Fernando Varela
(traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry)

La Patagonie, en soi, n’est pas le territoire le plus hospitalier du monde. Alors, quand on l’aborde en empruntant uniquement ses routes secondaires, on s’expose à de drôles d’aventures. C’est pourtant ce que choisit de faire Parker, saxophoniste de son état, qui parcourt les paysages rugueux de la région au volant de son camion. Un périple qui l’amène à rencontrer la faune locale, tout aussi rêche et déglinguée que son environnement.
Dépaysement et extravagance sont au programme de ce premier roman argentin, promesse rafraîchissante de singularité et d’humour décalé.

Fiston Mwanza Mujila - La Danse du vilainLa Danse du Vilain, de Fiston Mwanza Mujila

Très remarqué grâce à son premier roman, Tram 83, Fiston Mwanza Mujila renoue avec sa langue bariolée pour nous entraîner dans une ronde infernale et joyeuse, entre l’Angola en guerre et le Congo qui devient Zaïre. On y croise des gamins des rues, dont Sanza, échappé de sa famille pour vivre à fond cette nouvelle vie d’aventures, entre menus larcins, escapades cinématographiques et voyages improbables. Mais aussi des chercheurs de diamants, un écrivain autrichien lesté d’une valise pleine de phrases… et d’autres figures, que l’on retrouve tous à la nuit tombée au « Mambo de la fête », une boîte de nuit où l’on abandonne à la furie de la Danse du Vilain…


BILAN


Lecture certaine :
Tupinilândia, de Samir Machado de Machado

Lectures probables :
Patagonie route 203, d’Eduardo Fernando Varela
La Danse du Vilain, de Fiston Mwanza Mujila


A première vue : la rentrée Actes Sud 2018

Comme l’année dernière, Actes Sud balance pas moins de treize livres dans la rentrée littéraire – merci beaucoup, chers amis arlésiens, mais nous n’en attendions pas tant. Au programme : un ancien Prix Goncourt, un deuxième roman très très très attendu, une belle brochette de grosses pointures, notamment dans le domaine étranger… Encore une fois, c’est copieux et on ne peut pas passer à côté. Quant à pouvoir ou vouloir tout lire… En tout cas, il y a matière à y trouver son compte !

Cercas - Le Monarque des ombresTALON D’ACHILLE : Le Monarque des ombres, de Javier Cercas
(traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon)
Grand maître de l’exofiction historique, Javier Cercas puise cette fois la matière de son nouveau livre dans le filon familial, revenant en même temps aux sources de son œuvre. Il s’intéresse en effet à son grand-oncle, Manuel Mena, qui a combattu dans les rangs de l’armée franquiste pendant la Guerre d’Espagne et est tombé au combat en 1938 à l’âge de 19 ans. La mythologie familiale le transforme en martyr, même lorsque les temps changent, que disparaît l’ombre pesante de Franco et que survient la démocratie.
Cercas s’interroge sur la possibilité de faire de ce jeune homme lointain le « héros » de son livre, ainsi que sur les moyens dont il dispose aujourd’hui pour enquêter sur Manuel Mena, déterminer ses convictions réelles alors même que les témoins de l’époque ont disparu, et confronte ses propres réticences envers son aïeul à une tentative de compréhension objective de son choix, qui épouse l’Histoire de l’Espagne elle-même. Bref, on attend un livre stimulant, puissant, dans la lignée des Soldats de Salamine.

Rushdie - La Maison GoldenWE ARE NOT WHAT YOU THINK WE ARE : La Famille Golden, de Salman Rushdie
(traduit de l’anglais par Gérard Meudal)
Le jour de l’investiture de Barack Obama en 2008, un millionnaire venu du lointain Orient et dénommé Néron Golden s’installe à Greenwich Village avec sa maîtresse russe et ses trois fils Petronius, Lucius Apuleius et Dionysos. Cette tribu aussi exotique qu’énigmatique excite la curiosité d’un jeune cinéaste vivant à proximité, qui se lie d’amitié avec les Golden afin d’en tirer la matière de son prochain scénario… À sa manière inventive et foisonnante, Rushdie relate les années Obama, leurs espoirs et leurs déceptions.

Aswany - J'ai couru vers le NilTAHRIR LA REVOLUTION : J’ai couru vers le Nil, d’Alaa el Aswany
(traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier)
Il l’a déjà prouvé dans L’Immeuble Yacoubian ou Automobile Club d’Égypte, Alaa el Aswany aime les livres kaléidoscopiques qui lui permettent de confronter les points de vue sur un même sujet. À travers les péripéties politiques et intimes d’une palette de personnages tous liés les uns aux autres, du chauffeur au haut gradé, de la domestique musulmane au bourgeois copte, El Aswany livre cette fois le roman de la révolution égyptienne, une mosaïque de voix dissidentes ou fidèles au régime, de lâchetés ordinaires et d’engagements héroïques.

Flanagan - Première personnePOLARAMA : Première personne, de Richard Flanagan
(traduit de l’anglais (Australie) par France Camus-Pichon)
Pour un jeune aspirant écrivain, se voir confier la mission de rédiger les mémoires d’un célèbre escroc manipulateur et paranoïaque peut ressembler autant à un tremplin qu’à une punition, surtout que le dit escroc prend un malin plaisir à ne rien dévoiler de sa vie. Pourtant Kif Kehlmann, qui s’est éloigné de sa Tasmanie natale et de sa femme enceinte pour cette mission, tombe peu à peu sous le charme insidieux de son « client », jusqu’à remettre en cause ses propres valeurs…

Hatoum - La Ville au milieu des eauxLE VENT SOUFFLE SUR LES PLAINES : La Ville au milieu des eaux, de Milton Hatoum
(traduit du portugais (Brésil) par Michel Riaudel)
Un recueil de nouvelles ayant toutes comme point d’attraction Manaus, ville brésilienne située aux portes de l’Amazonie.

SUÈDE 4, RESTE DU MONDE 0 : Les yeux ailleurs, de Jan Guillou
Quatrième tome de la grande saga historique de Guillou, Le Siècle des grandes aventures. Dans la famille Lauritzen, l’aîné, Lauritz, se voit obligé de choisir son camp alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage au-delà des frontières de la Suède. Mais pour qui s’engager ? D’un côté, il y a son attachement naturel à l’Allemagne, et le fait que son fils est désormais officier SS ; de l’autre, sa fille se bat dans la résistance norvégienne…

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Ferrari - A son imagePETITE SŒUR DE MES NUITS : À son image, de Jérôme Ferrari
Le Prix Goncourt 2012 revient avec une intrigue bien complexe et élaborée pour un « petit » livre de 224 pages : l’histoire d’une photographe qui, quelques heures après avoir retrouvé par hasard Dragan, un homme qu’elle avait connu pendant la guerre en ex-Yougoslavie, se tue accidentellement sur une route escarpée de Corse, dont elle était originaire. L’office funèbre est présidée par un prêtre qui n’est autre que son oncle. Ce dernier, décidé à maintenir la célébration dans le cadre précis de la liturgie, est néanmoins submergé par les souvenirs, et repasse dans le secret de sa mémoire les grandes étapes de la vie de sa nièce, depuis son approche du nationalisme corse jusqu’à son engagement en tant que photographe dans la guerre.

Mathieu - Leurs enfants après euxIT’S FUN TO LOSE AND TO PRETEND : Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu
Celui-là, on peut dire qu’il est attendu ! Très remarqué grâce à son premier roman, Aux animaux la guerre, paru dans la collection Actes Noirs il y a quatre ans, Nicolas Mathieu ouvre enfin les portes de son deuxième, proposé cette fois dans la collection de littérature générale de la maison arlésienne. Il nous ramène dans l’est de la France, territoire du précédent livre, durant un été du début des années 90. Anthony, 14 ans, vole un canoë avec son cousin pour aller explorer une plage nudiste voisine. Il y fera l’expérience du premier amour, tordant le cou à son enfance finissante pour entrer de plain pied dans l’âge adulte et le monde réel.
Dixit l’éditeur (parce que c’est fort bien formulé) :  » Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. » Je fais volontiers le pari qu’on en causera pas mal.

Froger - Les nuits d'AvaLES DÉMONS DE MINUIT : Les nuits d’Ava, de Thierry Froger
Pendant un tournage à Rome, durant l’été 1958, Ava Gardner entraîne l’espace d’une nuit d’abandon le chef opérateur du film dans une séance photo sulfureuse, reproduisant quelques nus célèbres de l’histoire de l’art – dont le plus fameux d’entre tous, signé Gustave Courbet… Une réflexion sur notre rapport à l’image et aux stars.

Huston - Lèvres de pierreL’IMAGE MANQUANTE : Lèvres de pierre, de Nancy Huston
Si on le prononce à la française en omettant le « h » final, Saloth Sâr méritait bien ce prénom. Ce garçon cambodgien, auquel s’intéresse Nancy Huston dans ce nouveau livre, est en effet passé à la postérité sous le nom beaucoup plus sanglant de Pol Pot. Suivant une intuition singulière, la romancière canadienne met en parallèle sa propre jeunesse et le parcours initiatique du futur dictateur, dans lequel elle décèle des correspondances éclairantes.

Bofane - La Belle de CasaYEUX DE VELOURS : La Belle de Casa, de In Koli Jean Bofane
Une jeune femme est assassinée dans une ruelle d’un quartier populaire de Casablanca. Un Congolais arrivé en ville depuis peu, qui s’était lié avec la victime, enquête sur ce crime, et découvre que les suspects ne manquent pas… Plongée moderne et virevoltante dans la grande cité marocaine, dont le romancier congolais utilise le décor comme révélateur de turpitudes contemporaines : corruption, magouilles, exacerbation du désir masculin qui se mue en violence incontrôlable…

Garat - Le grand nord-ouestTAGADA TAGADA : Le Grand Nord-Ouest, d’Anne-Marie Garat
Belle invitation au voyage et à l’aventure en perspective sous la plume d’Anne-Marie Garat, qui nous entraîne dans les années 1930 sur les pas d’une femme et de sa petite fille, lancées depuis Hollywood vers l’Alaska en passant par les vieilles pistes indiennes et les chemins oubliés des conquérants d’hier. Armée d’un Colt, d’une carte mystérieuse et d’une sacoche pleine à craquer de vilains secrets, Lorna Del Rio affronte des péripéties épiques – mais pour quoi, vers où ? Fuit-elle ou poursuit-elle ? Voilà un roman qui pourrait méchamment dépoter !

Trouillot - Ne m'appelle pas CapitaineMOI SI J’ÉTAIS UN HOMME : Ne m’appelle pas Capitaine, de Lyonel Trouillot
Aude, jeune journaliste issue de la bourgeoisie blanche de Port-au-Prince, enquête sur le Morne Dédé, un quartier de la ville tombé en déshérence, ce qui l’amène à rencontrer Capitaine. D’abord réticent, le vieil homme se livre peu à peu sur son passé, tandis qu’Aude apprend peu à peu à remettre en cause ses certitudes et à jeter un œil neuf et critique sur le monde préservé dont elle vient.

On lira sûrement :
Le Monarque des ombres, de Javier Cercas
Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu

On lira peut-être :
Le Grand Nord-Ouest, d’Anne-Marie Garat
À son image, de Jérôme Ferrari
La Famille Golden, de Salman Rushdie


A première vue : la rentrée Julliard 2017

Cette année, sur la ligne de départ, pas de Yasmina Khadra, auteur phare de Julliard, mais Philippe Jaenada, autre écrivain vedette de la maison, répond présent à l’appel. Comme le garçon rencontre un succès certain depuis qu’il a fait évoluer son œuvre vers une forme d’exofiction mettant son auto-dérision coutumière au service de personnages réels et hauts en couleurs (Bruno Sulak, Pauline Dubuisson), cela justifie de causer de ce programme de rentrée, pas révolutionnaire par ailleurs – ce n’est pas forcément le genre.

Jaenada - La SerpePALME D’OR : La Serpe, de Philippe Jaenada
En 1941, après une vie déjà passablement agitée, Henri Girard est accusé d’avoir assassiné à coups de serpe son père, sa tante et leur bonne dans leur château près de Périgueux. Promis à la peine capitale, il obtient pourtant l’acquittement, et en profite pour s’exiler en Amérique latine. Il en revient quelques années plus tard pour publier sous le pseudonyme de Georges Arnaud Le Salaire de la peur, rapidement adapté au cinéma par Clouzot avec succès.

Laroui - L'Insoumise de la porte de FlandreWONDER WOMAN : L’Insoumise de la porte de Flandre, de Fouad Laroui
Chaque jour, Fatima sort de chez elle protégée par son hijab, passe par un immeuble dont elle ressort vêtue à l’occidentale, et s’aventure dans l’Alhambra, un quartier mal famé de Bruxelles. L’un de ses voisins finit par remarquer son manège et la suit, intrigué… L’œuvre de Fouad Laroui s’irrigue souvent d’un humour salutaire pour contrer les extrémismes, c’est donc sur ce ton qu’on l’imagine raconter ce choix d’une jeune femme éprise de liberté.

Marty - Être, tellementTO BE OR NOT TO BE : Être, tellement, de Jean-Luc Marty
En attendant le guide qui va le conduire dans le Sertao, région aride du Brésil, Antoine rencontre Louise, qui n’a pas rejoint son mari et son fils à Sao Paulo comme prévu. Emmenés par Everton, le guide, ils se lancent dans une exploration autant géographique qu’intime.

Bénégui - La Part des angesJOAN OF ARC (JEANNE D’ARC AHOU) : La Part des anges, de Laurent Bénégui
Un homme erre sur le marché de Saint-Jean-de-Luz avec, dans son cabas, l’urne contenant les cendres de sa mère. La voix de cette dernière commente cette drôle de promenade et les rencontres que fait son fils.


A première vue : la rentrée Grasset 2017

Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.

Chalandon - Le Jour d'avantAU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.

Le Bris - KongSKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.

Delmaire - Minuit, MontmartreFABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.

Guez - La Disparition de Josef MengeleTODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.

Dreyfus - Le Déjeuner des barricadesSOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.

Rondeau - Mécanique du coeurBABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.

Coulin - Une fille dans la jungleÀ L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.

Ionesco - InnocenceREBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.

Vilain - La Fille à la voiture rougeCRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.

Caron - Tous les âges me diront bienheureuseMAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).

Brault - Les Peaux RougesDUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.

*****

Evjemo - Vous n'êtes pas venus au monde pour être seulsJE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.

Baird - Demain sans toiSHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.


A première vue : la rentrée Stock 2016

À première vue, chez Stock comme chez la plupart des éditeurs, on voit arriver une rentrée sérieuse comme un premier de la classe, mais manquant clairement de fantaisie (à une exception près peut-être). C’est déjà pas mal, me direz-vous. Mouais, mais on n’aurait rien contre un peu d’excitation et d’inattendu. Pas sûr de les trouver sous la couverture bleue de la vénérable maison désormais dirigée par Manuel Carcassonne, qui aligne de plus beaucoup (trop) de candidats sur la ligne de départ : neuf auteurs français, deux étrangers, ça sent la surchauffe…

Pourriol - Une fille et un flingueAUCUN LIEN : Une fille et un flingue, d’Olivier Pourriol
Elle est sans doute là, la touche de folie de la rentrée Stock ! Ancien chroniqueur littéraire muselé du Grand Journal (expérience amère dont il a tiré un récit décapant, On/Off), mais aussi et surtout spécialiste de cinéma, Pourriol met en scène deux frangins, Aliocha et Dimitri, fans de cinoche et obsédés par le désir de réaliser un film. Comment y parvenir quand on est fauché et inconnu ? En appliquant à la lettre le précepte d’un grand maître du Septième Art : « Un film, c’est un hold up » (Luc B.) Un « braquage » que les deux frères vont tenter de réussir avec l’aide de Catherine D. et Gérard D., en plein Festival de Cannes… Annoncé comme une comédie délirante, Une fille et un flingue est le genre de bouquin qui passe ou qui casse, sans juste milieu. Pourriol a tout le talent médiatique nécessaire pour défendre son livre sur les plateaux de télévision, mais son livre saura-t-il se défendre tout seul ?

Lang - Au commencement du septième jourGENÈSE II, LA REVANCHE : Au commencement du septième jour, de Luc Lang
Je n’ai jamais rien lu de Luc Lang, auteur emblématique de Stock, faute d’avoir réussi à m’intéresser à son travail jusqu’à présent. Cela changera peut-être avec ce nouveau roman, récit d’une vie trop parfaite pour être honnête et qui s’écroule brutalement lorsque la supercherie est dévoilée. Cette vie, c’est celle de Thomas, dont la femme Camille a un jour un terrible accident de voiture à un endroit où elle n’aurait jamais dû se trouver. Tandis que Camille reste plongée dans le coma et que tout s’écroule autour de lui, Thomas entame une vaste enquête qui va lui faire passer en revue toute son existence, sa relation avec son père, ses frère et soeur, ses enfants… Luc Lang revendique l’inspiration de Cormac McCarthy (rien de moins) pour ce roman présenté par son éditeur comme son plus ambitieux.

Sagnard - BronsonALLÔ PAPA TANGO CHARLIE : Bronson, d’Arnaud Sagnard
Premier roman qui met en parallèle une ligne autobiographique et la vie du comédien Charles Bronson, depuis une jeunesse misérable durant la Grande Dépression jusqu’à la gloire hollywoodienne, renommée et richesse dissimulant la hantise quotidienne d’un homme rongé par la peur. Ce genre d’exercice a déjà donné de fort belles choses, notamment sous la plume de Florence Seyvos (Un garçon incassable, autour de Buster Keaton), alors pourquoi pas ?

Bied-Charreton - Les visages pâlesC’EST UNE MAISON BLEUE : Les visages pâles, de Solange Bied-Charreton
Les trois petits-enfants de Raoul Estienne se retrouvent dans la vieille demeure chargée de souvenirs du vieil homme qui vient de s’éteindre. Faut-il vendre la maison ou la garder ? La question agite les héritiers autant que la Manif pour Tous, au même moment, déchire la société française, et oblige les uns et les autres à faire le point sur leurs existences… Je ne sais pas s’il faut attendre grand-chose d’un roman dont les personnages se prénomment Hortense, Charles ou Alexandre, mais bon. Il paraît que c’est « caustique » (dixit l’éditeur).

Berlendis - MauresC’EST L’AMOUR A LA PLAGE (AOU CHA-CHA-CHA) : Maures, de Sébastien Berlendis
Les vacances d’été, la mer, les dunes, le camping, le dancing, l’adolescence, la découverte des filles… Tout ceci est follement original, n’est-ce pas ? Déjà vu, déjà lu, il faudrait vraiment une plume exceptionnelle ou un point de vue extrêmement singulier pour distinguer un tel récit. Toujours possible, mais on n’y croit guère…

Cloarec - L'IndolentePOKER FACE : L’Indolente, de Françoise Cloarec
En 2008, Françoise Cloarec avait signé un succès surprise avec La Vie rêvée de Séraphine de Senlis (qui avait donné une adaptation cinématographique non moins triomphale, Séraphine, avec Yolande Moreau). Elle revient au milieu de la peinture avec cette enquête littéraire sur Marthe Bonnard, dont on découvre après le décès de son peintre de mari, Pierre Bonnard, qu’elle n’était pas du tout celle qu’elle avait toujours prétendu être.

Chambaz - A tombeau ouvertDANS DEUX CENTS MÈTRES, TOURNEZ A GAUCHE : À tombeau ouvert, de Bernard Chambaz
Le 1er mai 1994, le pilote Ayrton Senna se tue au volant de sa Formule 1, en ratant un virage et en allant s’écraser contre un mur à 260 km/h. A partir de ce drame diffusé en direct et en mondovision télévisuelle, Bernard Chambaz tire un roman sur la fascination pour la vitesse, croisant le destin de Senna avec ceux d’autres pilotes célèbres mais aussi avec ceux de ses proches, dont son fils mort dans un accident de la route.

Papin - L'EveilL’AMANTE DU VIETNAM DU NORD : L’Éveil, de Line Papin
Stock lance une auteure de 20 ans dans l’arène, avec un premier roman sous forte influence de Marguerite Duras, une histoire d’amour torride dans la touffeur de Hanoï, la capitale du Vietnam (où est née Line Papin). On annonce une jeune prodige, il faudra voir si elle est authentique.

Gras - AnthraciteAU CHARBON : Anthracite, de Cédric Gras
Dans un décor de guerre, une tragi-comédie sur fond de pays qui s’écroule – ce pays, c’est l’Ukraine, violemment divisée après la sécession en 2014 de la région minière du Donbass qui décide de rejoindre la Russie. Parce qu’il s’est obstiné depuis l’événement à y faire jouer l’hymne national ukrainien, un chef d’orchestre est obligé de prendre la fuite avec son ami d’enfance à bord d’une bagnole aussi décrépite que les paysages industriels qu’ils traversent… Premier roman.

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L’ÉNERGIE EST NOTRE AVENIR, ÉCONOMISONS-LA : Un travail comme un autre, de Virginia Reeves
Alabama, années 20. Avec l’aide de son ouvrier agricole, un fermier détourne une ligne électrique de l’Etat pour augmenter le rendement de son exploitation. Tout roule jusqu’à ce qu’un employé paye de sa vie cette installation sauvage. Wilson, l’ouvrier, écope des travaux forcés dans les mines, tandis que son patron est envoyé au pénitencier. Confronté à la violence extrême de la prison, il tente tout de même d’envisager l’avenir… Premier roman de l’Américaine Virginia Reeves.

POÉTER PLUS HAUT QUE SON… : Ce qui reste de la nuit, d’Ersi Sotiropoulos
En 1897, Constantin Cavafy n’est pas encore le grand poète grec qu’il est appelé à devenir. Écrasé par l’affection de sa mère, tourmenté par son homosexualité, à la recherche de son style et de sa voix, il fait un séjour de trois jours à Paris qui va tout changer pour lui. La romancière grecque Ersi Sotiropoulos dresse un portrait littéraire de Cavafy en s’interrogeant sur le lien entre création et désespoir, dans un livre dense et exigeant (une manière polie de suggérer autre chose, je vous laisse deviner quoi).


A première vue : la rentrée Zulma 2015

L’année dernière, les éditions Zulma nous avaient mis K.O. de bonheur avec L’Île du Point Némo, l’extraordinaire roman d’aventures de Jean-Marie Blas de Roblès. Rien d’aussi affolant en perspective (quoique…) dans cette rentrée 2015, mais de possibles jolies choses tout de même, avec deux romans français – signés du même auteur – et trois étrangers.

LaSolutionEsquimauAWCOUP DOUBLE : Corps désirable et Ma, d’Hubert Haddad
Écrivain fort productif, Hubert Haddad truste à lui seul la rentrée française Zulma avec deux textes très différents. Corps désirable envisage les conséquences morales et éthiques d’une greffe de tête, tout en plongeant à corps perdu dans les sensations de ses personnages.
Quant à Ma, il ramène Haddad sur le territoire familier, japonais et spirituel, du Peintre d’éventail, l’un de ses plus gros succès : après une histoire d’amour brève et intense avec une universitaire spécialiste du poète haïkiste Santoka, Shoichi se lance dans les pas de trois grands maîtres du haïku, dont Basho.

LeVieuxJardinAW+CONTES DES SEPT JOURS ET SEPT NUITS : Le Jardin des Sept Crépuscules, de Miquel de Palol
(traduit du catalan par François-Michel Durazzo)
Si un roman Zulma pouvait cette année égaler l’extase procurée par L’Ile du Point Némo, ce pourrait être ce somptueux pavé de 1152 pages ! Construit sur un principe de narration connu mais virtuose (quelques personnages réunis par une nécessité majeure dans un lieu clos se racontent des histoires pendant sept jours et sept nuits), il permet à Miquel de Palol un enchâssement de récits extraordinaires menant à la révélation d’un mystère final… Pour la taille de la bête et sa construction, une sacrée aventure de lecture en perspective !
(en librairie le 1er octobre)

LaSolutionEsquimauAWMICROCOSMOS : Les nuits de laitue, de Vanessa Barbara
(traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec)
Le premier livre de cette jeune romancière brésilienne nous plonge dans une communauté de délicieux doux-dingues, entre le facteur qui échange les courriers pour favoriser le lien social, un centenaire japonais convaincu que la Seconde Guerre mondiale n’est pas terminée, un passionné de romans noir paranoïaque ou une propriétaire de chihuahuas hystériques… Un petit roman que l’on attend plein de chaleur, d’humour et d’humanité.

love-is-power-ou-quelque-chose-comme-caLAGOS CLUB : Love is Power, ou quelque chose comme ça, de A. Igoni Barrett
(traduit de l’anglais (Nigeria) par Sika Fakambi)
Zulma est aussi l’une des rares maisons à proposer régulièrement des auteurs africains contemporains. Démonstration avec ce roman qui, à travers l’histoire d’un policier abusif et de sa famille, donne à voir le Lagos d’aujourd’hui.


Un mensonge explosif, de Christophe Reydi-Gramont

Signé Bookfalo Kill

On a beau être un gros lecteur, on ne lit jamais assez, et il arrive souvent de laisser sur le bord de la route un livre dont on soupçonne pourtant qu’il pourrait nous plaire (je suis sûr que vous êtes familiers de ce sentiment). Pourtant, parfois, une circonstance heureux, ou le hasard, permet de se rattraper. Vous l’aurez compris, c’est ce qu’il vient de m’arriver avec Un mensonge explosif, un polar superbe et captivant.

Reydi-Gramont - Un mensonge explosifAvec une belle audace, Christophe Reydi-Gramont y revient sur l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001. Une explosion que l’enquête officielle a certifiée accidentelle, ce dont certaines personnes doutent pourtant – parfois non sans raison, puisqu’ils détiennent des informations susceptibles de leur faire croire à d’autres hypothèses. C’est le cas de Stéphane Dexieu, un journaliste tombé sur des documents si sensibles qu’il a dû partir en cavale avec femme et enfant, sous de fausses identités -jusqu’à ce qu’une mort assez horrible les rattrape à Rio de Janeiro.
Alerté par cette disparition suspecte, Clovis Lenoir, commissaire à l’Antiterrorisme, songe que finalement, il faudrait tout de même creuser la piste de l’attentat, qui n’arrangerait pas grand-monde. Appuyé par Magne, son supérieur, il se lance dans des investigations tortueuses, qui vont l’amener à reconsidérer bien des choses et à découvrir que la vérité, si elle existe sous une forme précise, est beaucoup plus complexe que tout ce qu’il a imaginé…

Je vous dirais bien que ce premier polar de Reydi-Gramont est une bombe, mais j’aurais peur de faire une blague d’un goût douteux… Ah, trop tard, c’est fait. Bon, tant pis, je la garde. Et puis de toute façon, c’est vrai. Coup d’essai, coup de maître pour ce romancier bordelais, qui mêle réalité et fiction avec une aisance de vieux grognard du crime de papier, exploite une documentation volumineuse sans jamais nous étouffer (alors que certains passages techniques auraient pu être arides, ce n’est jamais le cas), s’amuse avec les théories du complot avec la distance nécessaire pour ne pas donner l’impression de tomber dans le panneau, lance des pistes et jette des ponts entre les continents, de la France à l’Amérique du Sud en passant par la Russie, comme dans les meilleurs polars inspirés par la mondialisation économique et politique, et ses conséquences interminables.

Un mensonge explosif s’appuie sur une multitude de personnages tous très solides, une maîtrise admirable du rythme et un style sans faiblesse, aussi bien dans le récit que dans les dialogues. Polar emblématique des parutions du genre aux éditions Liana Lévi (qui en publient peu, mais avec un goût certain et suivant une véritable ligne éditoriale), il associe plaisir de lecture, suspense et intrigue intelligente, sans oublier une pointe d’humour toujours bienvenue et un bon paquet d’originalité. En bref, de quoi s’éclater.
(Désolé.)

Un mensonge explosif, de Christophe Reydi-Gramont
  Éditions Liana Levi, 2014
ISBN 978-2-86746-729-5
363 p., 19€


Danse noire, de Nancy Huston

Signé Bookfalo Kill

Le scénariste Milo Noirlac est mourant, cloué sur son lit d’hôpital. A son chevet, son ami et amant, le réalisateur Paul Schwartz, se prend alors à imaginer un dernier projet commun : écrire une vaste fresque qui retracerait la vie de Milo, mais également celle de ses ancêtres sur les deux générations précédentes, en suivant en particulier la vie misérable de sa mère Awinita, une prostituée indienne, et celle de Neil Kerrigan, fabuleux grand-père quasi chassé de son Irlande natale où il avait rêvé trop fort d’indépendance – un crime contre les Anglais tout-puissants au début du XXème siècle.
L’espace d’une nuit fiévreuse, au rythme de la capoeira que Milo dansait si bien, le rêve d’un grand film se dessine peu à peu…

Il y a certains livres que l’on commence à lire par plaisir et que l’on termine par devoir. Je ne prétendrai pas être un spécialiste de l’œuvre foisonnante de Nancy Huston, mais les trois romans que j’avais lus d’elle auparavant m’avaient plu, voire totalement emballé (Lignes de faille et Instruments des ténèbres). C’est donc avec peine que j’ai dû lutter pour achever la lecture de Danse noire, en ayant à chaque page vaincue la même pensée : « ce livre n’est pas mauvais, c’est juste qu’il me résiste et que je le trouve ennuyeux. »

Huston - Danse noireIl y a plusieurs raisons à cela, la première est formelle et bizarrement paradoxale : la plupart des dialogues des chapitres consacrés à Awinita, ainsi que certains de Neil et Milo, sont écrits en anglais. Le procédé fait totalement sens, dans la mesure où le roman aborde la question de l’identité, à la fois personnelle, historique et nationale, une problématique fondamentale au Québec et au Canada ; le choix de la langue est dans cette perspective un enjeu très important, ainsi que le fait de devoir lutter pour s’approprier une existence linguistique que l’on n’a pas forcément envie d’adopter.
Puis Danse Noire est en partie sous l’influence de James Joyce, dont le monstre littéraire Finnegans Wake mélange lui aussi les langues (mais à un niveau beaucoup plus complexe).
Néanmoins, ce jonglage permanent entre français et anglais est difficile à soutenir, en tout cas mon cerveau n’a jamais pu s’y habituer – et ce ne sont pas les traductions en québécois rustique (!), livrées par Nancy Huston elle-même en note de bas de page, qui peuvent vraiment aider… Du coup, la lecture est souvent laborieuse, hachée, alors même que l’on sent toute l’importance de ce qui se joue à travers ce choix narratif osé.

Puis la construction du livre manque d’évidence, de transparence, alors même que la narration est linéaire pour chacun des trois personnages. Le mélange des trois histoires a cette fois quelque chose d’artificiel, brouille l’ensemble du récit et ne lui apporte pas grand-chose. Surtout que Danse Noire est censé suivre l’écriture sur le vif du scénario, comme l’indiquent les fréquents « ON COUPE » à la fin des scènes, où certaines parenthèses où Paul Schwartz envisage la réalisation ou discute la pertinence de telle ou telle séquence) : le déroulé du film s’avère énigmatique, et j’aurais franchement peur de m’endormir au cinéma si je devais aller voir le résultat final sur grand écran.

Sans parler du fait que certaines histoires sont plus intéressantes que d’autres : celle d’Awinita tourne ainsi très vite en rond, répétant les scènes où la prostituée couche avec ses clients et celle où elle se dispute avec son amant Declan, futur père de Milo, sans que cela nourrisse l’intrigue. Comme ce sont les passages où il y a le plus de jonglage entre l’anglais et le français, cela n’aide pas… Et une fois de plus, j’ai eu l’impression de passer à côté de quelque chose, puisque avec ce personnage, Huston évoque la situation particulière des « Natives », les Indiens du continent nord-américain, privés de tout droit et de tout respect aussi bien aux Etats-Unis qu’au Canada. Encore un sujet essentiel, pourtant pas assez explicité.

Enfin, si l’enfance et la jeunesse de Milo font partie des plus beaux passages du livre, le personnage perd de sa force en grandissant, réduit à une caricature droguée et baisant à tout-va qui méritait mieux que cela – d’autant que l’auteur esquisse quelque chose avec sa découverte du Brésil et de la capoeira, dont les mouvements sont censés rythmer l’ensemble du récit, mais finit par bâcler cet aspect, dans une conclusion expéditive, assortie d’une surprise, certes, mais qui manque de crédibilité et de force.

Bref, si les sujets sont présents dans le roman, palpables mais pas totalement saisissables, si certaines idées ou certains passages parviennent à emporter le lecteur, Danse Noire a quelque chose d’inachevé qui m’a laissé sur ma faim et plus ennuyé qu’autre chose. Une demie-déception.

Danse Noire, de Nancy Huston
Éditions Actes Sud, 2013
ISBN 978-2-330-02265-5
348 p., 21€