Impossible, de Erri De Luca


Éditions Gallimard, 2020
ISBN 9782072860829
176 p.
16,50 €
Impossibile
Traduit de l’italien par Danièle Valin
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme donne l’alerte. Or, ce ne sont pas des inconnus. Compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier avait livré le second et tous ses anciens camarades à la police.
Rencontre improbable, impossible coïncidence surtout, pour le magistrat chargé de l’affaire, qui tente de faire avouer au suspect un meurtre prémédité…
M’étant montré longuet lors des dernières chroniques du blog, je vais me rattraper avec le nouveau roman d’Erri De Luca. D’abord parce qu’il est bref, comme la plupart de ses livres. Ensuite parce qu’il contentera sans doute les tiffosi du grand écrivain italien, fidèles à la cohérence de son œuvre, à sa sensibilité, son engagement et son dépouillement visant à l’essentiel. Enfin parce que je n’en ai pas apprécié la lecture plus que cela.
Impossible est un livre brillant dans son propos, où l’on retrouve justement une réflexion riche et stimulante sur l’engagement, politique et citoyen. Dans ce livre, elle prend la forme d’un dialogue, rapidement plus philosophique que judiciaire, entre le magistrat chargé d’une chute suspecte en haute montagne, et l’homme qu’il soupçonne précisément d’être l’auteur d’un crime déguisé en accident.
Éliminant descriptions et mises en situations, la forme dialoguée permet d’aller à l’essentiel de la pensée, d’où le choix de De Luca, qui a beaucoup à dire sur le sujet. Il est donc question des années de plomb, du sens de l’engagement politique et citoyen, de combat, de fraternité, de responsabilité. Mais aussi du passé et du présent, de ce qui les constitue, les réunit ou les oppose. Mais encore de montagne, de nature, du rapport de l’homme à ces vastes espaces.
Bref, tout un ensemble de thèmes et de préoccupations que les habitués du romancier italien ont l’habitude de croiser dans ses livres, tandis que ceux qui le découvriront peut-être avec ce livre trouveront sans doute de quoi stimuler leur intelligence.
C’est brillant, donc. Mais, dois-je l’avouer dans les termes les plus directs, c’est aussi un peu chiant.
Désolé, je ne trouve pas meilleur terme. (Je n’ai pas tellement cherché non plus, car celui-ci s’est imposé.) En dépouillant la forme romanesque sans pour autant basculer dans la forme théâtrale, Erri De Luca assèche l’approche du texte et le rend froid, désincarné, réduit au pur débat d’idées au détriment de la chair qu’apportent les décors et les personnages, lorsqu’ils sont approfondis.
Et ce ne sont pas les lettres qu’écrit le suspect à la femme qu’il aime, intercalées entre deux séances d’interrogatoire, qui arrangent les choses. Censées compenser en sentiment l’aridité de l’interrogatoire (et aussi allonger le texte), ces missives à sens unique tirent souvent en longueur et n’ajoutent pas grand-chose à l’ensemble.
Intéressant dans le fond, parfois ennuyeux en raison de sa forme, Impossible est un livre un peu schizophrène. Impossible de l’apprécier totalement, impossible de le dénigrer. Il porte bien son titre, le bougre.
Bref, pas un livre marquant de cette rentrée pour moi.
Lastman t.4, de Balak, Sanlaville & Vivès
Signé Bookfalo Kill
Gros retour aux affaires pour l’équipe gagnante de Lastman! Après un tome 3 passablement foutraque, aussi bien par le dessin que par l’histoire, mais nécessaire à la réorientation du récit, ce quatrième volume recadre le tout avec un nouveau grand décor, de nouveaux personnages, de nouveaux enjeux, de nouveaux mystères… et un nouveau tournoi. De quoi nous ramener vers des territoires familiers, tout en rafraîchissant largement l’ensemble de la série.
Côté paysages, loin de l’archaïque Vallée des Rois ou de la bordélique Nillipolis, Balak, Sanlaville et Vivès entraînent désormais leurs héros à Paxtown, ville ultra-moderne avec gratte-ciels, stadiums rutilants, violence urbaine omniprésente, trafics de drogue et boîtes de nuit bruyantes. D’où les nouveaux personnages, parmi lesquels, sans tous les citer ni trop déflorer le suspense, un petit journaliste déterminé mais assez inefficace ; Milo Zotis, maître de la ville, grand ordonnateur de ses événements et à qui Richard Aldana doit beaucoup ; ou encore Tomie, star préfabriquée, shootée jusqu’à la moelle, et accessoirement ex-femme de Richard – une information dont il ne s’était pas vanté auprès de la belle Marianne…
Tout ce petit monde se retrouve donc, de près ou de loin, embarqué dans un nouveau tournoi de combat extrêmement spectaculaire. L’occasion de retrouver une vieille connaissance revenue de la Vallée des Rois, d’en apprendre davantage sur le passé peu glorieux d’Aldana, et de revoir à l’œuvre Marianne et Adrian – ce dernier sortant enfin de son rôle de faire-valoir un peu benêt pour prendre de l’assurance et surprendre entourage comme adversaires…
Dans un cadre qui rappelle le début des Chevaliers du Zodiaque, avec des dialogues toujours aussi maîtrisés, de nouvelles intrigues liées à de sombres trafics, et des héros au pied du mur, ce Lastman tome 4 poursuit avec jubilation une série de manga à la française qui n’a vraiment pas à rougir de la comparaison avec ses prestigieux homologues japonais. Du très bon boulot, dont on attend encore et toujours la suite avec plaisir et impatience !
Lastman t.4, de Balak, Sanlaville & Vivès
Éditions Casterman, collection KSTR, 2014
ISBN 978-2-203-07848-2
204 p., 12,50€
Lastman t.2, de Balak, Sanlaville & Vivès
Signé Bookfalo Kill
On l’attendait, il est enfin arrivé : le tome 2 de Lastman, l’excellent manga de Bastien Vivès, Balak et Sanlaville ! (Pour ceux qui ont raté le premier épisode, un petit coup d’œil sur ma chronique précédente vous renseignera en détail sur ce beau gros projet de manga à la française.)
Les affaires reprennent précisément là où on les avait laissées : faute de réfléchir et de faire preuve de vigilance et de subtilité, Richard Aldana vient bêtement d’être sorti du ring, et la qualification pour le tour suivant repose désormais sur les frêles épaules de son jeune partenaire, Adrian.
Je ne spoile pas grand-chose en révélant que le gamin va s’en sortir, mais ceci n’est que le début. Il reste encore bien des combats à mener – et pas seulement sur le ring, car on s’intéresse de près au très mystérieux Aldana, y compris en haut lieu…
Ce deuxième volume se concentre en grande partie sur les combats, ce qui donne l’impression de prime abord qu’il est moins fouillé et plus convenu que le premier – même si certaines péripéties de ces affrontements s’avèrent pour le moins rocambolesques, plutôt décalées pour le genre.
Mine de rien, entre deux raclées, le trio continue néanmoins à approfondir l’intrigue principale, centrée sur Richard Aldana, et promet déjà de nous emmener dans de nouvelles directions sans doute plus inattendues à partir du troisième tome, en s’éloignant de la ville où se déroulait le tournoi.
Pour le reste, on retrouve bien sûr le graphisme manga à la sauce Vivès, très réussi, mêlant découpage dynamique et sens des petits détails visuels qui tuent, de l’humour dans les dialogues comme dans les situations, et un goût certain pour la gaudriole qui reste néanmoins soft – laissant la série accessible aux lecteurs ados.
Et donc, vivement le tome 3, forcément !
Lastman t.2, de Balak, Sanlaville & Vivès
Éditions Casterman, collection KSTR, 2013
ISBN 978-2-203-06880-3
204 p., 12,50€
Lastman t.1, de Balak, Sanlaville & Vivès
Signé Bookfalo Kill
Après avoir travaillé dur sous la conduite de Maître Jansen, Adrian, douze ans, va enfin pouvoir participer au Grand Combat annuel de la cité. Ce gamin blond et chétif, plein d’innocence et de naïveté, veut y faire la fierté de sa mère, l’hyper-canon Marianne qui fait tourner la tête de tous les hommes, et remporter le prix qui leur permettrait de vivre heureux et tranquilles pour le restant de leurs jours.
Malheureusement, peu avant la clôture des inscriptions, Vlad, le partenaire d’Adrian, tombe malade. Or il faut impérativement être deux pour participer… Dépité, le jeune garçon voit pourtant le sort lui venir en aide, lorsque se présente in extremis Richard Aldana, un gaillard gigantesque, étranger à la ville, qui veut absolument s’inscrire et n’a pas non plus d’équipier. L’homme et l’enfant s’associent, pour le meilleur et pour le pire…
Après avoir collaboré avec Ruppert & Mulot pour la Grande Odalisque, l’intenable Bastien Vivès est de retour, cette fois associé à Balak (présenté comme un « expert du découpage ») et Michaël Sanlaville (« as du mouvement et des cadrages »). Le résultat de cet attelage ? Lastman, un manga. A la française, puisqu’il se lit de gauche à droite, mais dans l’esprit, un véritable manga, avec tout ce que cela comporte : de l’humour, de l’outrance, des bastons spectaculaires, une super nana qui rend tous les gars mabouls, de la magie et du suspense.
A la fois respectueux du genre et irrévérencieux dans le ton (cf. l’apparition des frèes Bogdanov…), le trio livre un objet inclassable, dont l’univers se situe entre Dragon Ball et Ken le Survivant. Voilà en tout cas pour les références que je maîtrise, puisque ce sont celles de mon enfance ; sans doute peut-il y en avoir d’autres, de plus récentes, mais qui m’échappent complètement, n’étant pas lecteur des mangas d’aujourd’hui.
C’est là sans doute l’un des points forts de Lastman : nul besoin d’être un dévoreur de B.D. japonaises pour prendre du plaisir à le lire. Peu importe le cadre, le point fort d’un récit, celui qui doit tout emporter, c’est l’histoire. Et de ce côté-là, les trois auteurs assurent. On dévore ces 200 premières pages si addictives qu’attendre la suite, prévue pour dans quelques semaines, est déjà un supplice.
Projet pharaonique, dont six tomes sont annoncés pour le moment, Lastman joue également avec les nouveaux supports, puisque le manga de Balak, Sanlaville & Vivès est à suivre en brefs épisodes depuis janvier sur le site Delitoon. Il s’accompagne aussi d’un making-of délirant, réalisé dans un style parodiant la télé-réalité type Super Nanny (à retrouver sur la page YouTube des éditions Casterman), et pourrait être décliné sous d’autres formes dans les mois à venir.
A suivre donc, avec le deuxième volume papier prévu pour juin.
Lastman t.1, de Balak, Sanlaville & Vivès
Éditions Casterman, collection KSTR, 2013
ISBN 978-2-203-04773-0
204 p., 12,50€
Suivez Lastman sur Delitoon : http://www.delitoon.com/serie-webtoon/serie-lastman.html
Aurais-je été résistant ou bourreau? de Pierre Bayard
Et nous revoilà face au nouvel opus de Bayard, un bon auteur aux fortes accroches, qui brille toujours par le choix de ses titres. Après Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, Saintes Ecritures pour tout libraire, après Comment parler des lieux où l’on n’a pas été, après Qui a tué Roger Ayckroyd?, après moults autres titres, voici Aurais-je été résistant ou bourreau? Le titre qui accroche inévitablement le regard, j’en ai fait l’expérience dans le métro parisien les jours passés.
Pierre Bayard fait un commentaire de textes à partir de documents concernant les conflits rwandais ou bosniaque, la répression des Khmers rouges et bien sûr la Seconde Guerre mondiale. En s’appuyant sur des livres ou des documentaires, il a reconstitué ce qu’aurait pu être sa vie s’il était né comme son père en 1922, en tenant compte de sa famille, de ses études et de sa personnalité.
En découle un intéressant essai, à cheval entre philosophie, sociologie, histoire et psychanalyse. Bayard prend appui sur les récits de Justes parmi les nations, ou au contraire de personnes reconnues comme ayant été des bourreaux. Comment en sont-ils arrivés là? Comment peut-on tuer des gens par centaines, par milliers? Quel est l’élément déclencheur qui fait qu’on passe d’une personne lambda à un monstre ou un héros. Sans jamais porter de jugement, Pierre Bayard dissèque les récits de vie, recoupe les expériences menées par Milgram (passionnant!), et voit, au travers du prisme de son père, qui il aurait être pendant la Seconde Guerre mondiale. Héros? Résistant? Juste? Soldat? Tueur?
Au fond, ce n’est pas ce qui nous intéresse dans ce livre. C’est plutôt l’incroyable façon qu’a l’auteur de découper l’âme humaine et de se questionner sur la capacité d’obéissance, la rébellion, la peur de la mort et le désir de survivre.
Aurais-je été résistant ou bourreau? de Pierre Bayard
Editions de Minuit 2013
9782707322777
176p., 15€
Un article de Clarice Darling.
Paris vs New York de Vahram Muratyan
Chouette! Un livre qui parle de Paris et New-York, mes deux villes préférées au monde après San Francisco et Toulouse (ben quoi?)
Plus sérieusement, un livre qui, je cite, propose « un match visuel amical entre ces deux villes ». Le concept est plaisant. Voyons ce qu’il y a dans le ventre. En fait, il s’agit de l’adaptation papier du blog http://parisvsnyc.blogspot.com/.
L’auteur Vahram Muratyan, graphiste talentueux à la David McCandless (Datavision), retrace sur chaque double page, un combat, parfois couru d’avance, mais sympathique. Le crooner parisien n’est autre que Charles Aznavour alors que chez nos voisins new-yorkais, il s’agit bien sûr de Franck Sinatra. Pareil pour les marches, qui voient s’opposer Montmartre et les brownstones (les immeubles de deux étages auxquels on accède par un perron de quelques marches, mouai, bof me direz-vous), les macarons vs les cupcakes, Quasimodo vs King-Kong, Amélie Poulain vs Carrie Bradshaw (qui ça? mais si, la fashion-blonde de Sex and the City), Paris-Plage vs Coney Island, les apparts vs les lofts, etc… etc…
Bon, entre nous, c’est pas mal. Le concept est drôle. Les raccourcis sûrement un peu facile, mais amusants. En bref, un petit cadeau de Noël que vous pourrez envoyer à vos camarades d’outre-Atlantique si vous en avez. Mais honnêtement, 12€90 pour un bouquin lu en 5mn dont 90% des illustrations sont en accès libre sur le blog, ben… Après tout, vous faites comme vous voulez! Mais 12€90, c’est le prix d’un bon pastrami chez Kat’z, les meilleurs à mon humble avis. Reste à économiser pour payer le billet d’avion!
Paris vs New York de Vahram Muratyan
éditions 10 18, novembre 2011
9782264056306
150p environ, 12€90.
Un article de Clarice Darling.