Seule en sa demeure, de Cécile Coulon

Éditions de l’Iconoclaste, 2021

ISBN 9782378802400

333 p.

19 €


C’est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXe siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d’un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d’oiseaux la nuit, l’emprise d’Henria la servante.
Jusqu’au jour où apparaît Émeline.
Le domaine se transforme alors en un théâtre de non-dits, de désirs et de secrets enchâssés, « car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles ».


À 31 ans, Cécile Coulon devrait faire partie de ces jeunes plumes dont on s’extasie de découvrir le talent cette année grâce à leur premier roman.
Or, point du tout, comme vous devez tous plus ou moins le savoir : cette auteure surdouée, qui a publié son premier livre à 16 ans, compte aujourd’hui une dizaine de livres à son actif, parmi lesquels deux recueils de poèmes et sept romans, et joue également les éditrices à la tête de la collection Iconopop.
Ajoutez à cela quelques reconnaissances officielles (Prix des Libraires en 2017 pour Trois saisons d’orage, Prix littéraire Le Monde en 2019 pour Une bête au Paradis, prix Apollinaire de poésie en 2018 pour Les Ronces), et vous avez un tableau assez complet de sa biographie littéraire.

C’est donc en véritable auteure confirmée qu’elle se présente en cette rentrée, et cette solide assise se ressent dans la maîtrise narrative impressionnante de son nouveau livre, son deuxième aux éditions de l’Iconoclaste.
Dès les premières pages de Seule en sa demeure, on est saisi par l’élégance classique et adroitement surannée du style, autant que par la vision de cette vieille femme mourant subitement en pleine messe, au milieu de l’allée d’une église. Chaque phrase se déploie avec grâce mais aussi avec retenue, illustrant à la perfection l’époque de la narration, ce XIXème siècle où, par sens des convenances, on contient les élans du cœur alors même qu’on les éprouve avec fougue – d’autant plus lorsqu’on est une femme et qu’il est impératif de rester à sa place, dans l’ombre et au service des hommes.

Cécile Coulon compose pourtant une protagoniste qui échappe avec finesse aux clichés. Élevée avec son cousin, un jeune garçon hâbleur et solide, promis à une carrière d’armes, elle jouit durant ses années d’éducation d’une certaine liberté de pensée, de parole et d’attitude qui en fait une jeune femme un peu plus moderne que la moyenne. Mais pas moins innocente sur les choses de l’amour et du corps, qu’elle découvre après son mariage avec peine et fascination.
Seule en sa demeure est d’ailleurs un roman extrêmement charnel sous ses aspects corsetés. Qu’il s’agisse de raconter le difficile apprentissage du devoir conjugal, ou d’évoquer les émois troublants ressentis lorsque la main d’une autre femme (merveilleuse Émeline) s’emploie à libérer le corps de ses tensions, Cécile Coulon puise dans la langue de merveilleuses ressources pour cueillir la sensualité, pointer les douleurs, faire vibrer la peau et battre le cœur.

S’il n’était que ceci, une réinvention moderne d’une littérature des sentiments et des conventions que le foisonnant XIXème siècle nous a rendu familière, ce serait déjà une réussite. Mais Seule en sa demeure, au fil des pages, s’avère un roman autrement plus complexe et inattendu.
Un domaine prisonnier des forêts touffues du Jura, resserré autour d’une demeure vaste et froide, à peine peuplée d’un maître confit dans sa foi et son engagement rigide envers sa jeune épouse, d’une servante omnipotente et de son fils sauvage : Cécile Coulon semble d’abord nous piéger dans un huis clos étouffant, entièrement restitué par le regard d’Aimée, et que la découverte progressive de pages troubles du passé habille peu à peu de parements inquiétants qui tirent l’intrigue vers le roman gothique.
Mais voici qu’à mi-parcours, le récit bascule. On quitte l’ombre d’Aimée pour adopter d’autres points de vue, et le cadre étriqué du huis clos explose au fil de voyages et de rencontres qui recourent, de loin, aux codes du polar, mâtiné d’un effroi psychologique qui prend tout son relief lors des révélations finales, jusqu’à une chute assez déconcertante.

Œuvre dont la construction élaborée dissimule avec modestie ses effets et ses trouvailles, Seule en sa demeure joue d’habiles ruptures de rythme, d’une lente approche au cœur de son sujet et d’un formidable appareil de personnages puissants, pour happer son lecteur et ne pas le lâcher jusqu’à la fin.
Une réussite brillante, qui devrait assurer à Cécile Coulon une nouvelle large rencontre avec son public – et, pourquoi pas, la reconnaissance d’un prix littéraire majeur… C’est tout le mal qu’on lui souhaite.


Envie d’autres avis ? On en parle aussi chez Pamolico, A voir à lire, Benzinemag (avec quelques nuances), Anouk Library…

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10 Réponses

  1. Ta critique est absolument superbe, et plus convaincue que la mienne :)

    25 août 2021 à 08:43

    • Oui, finalement, en rédigeant je me suis rendu compte que j’avais plus aimé que je ne le pensais au départ. Même chose avec le Chalandon, d’ailleurs… C’est toujours utile de prendre le temps de poser des mots sur ses ressentis et ses souvenirs, finalement !

      1 septembre 2021 à 22:47

      • Exactement ! C’est en écrivant ma critique de True Story que j’ai réalisé que je n’avais vraiment pas accroché… 😉

        2 septembre 2021 à 08:44

  2. Pingback: Seule en sa demeure, Cécile Coulon – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  3. Lui, je le veux vraiment !!!! ;)

    26 août 2021 à 20:15

  4. Ah la catastrophe nationale : je n’ai pas apprécié ma lecture, mais alors là, pas du tout… Passée à côté je suis… et royalement en plus !! Quelle déception pour moi… Surtout que « une bête au paradis » avait fini dans mes coups de coeur.

    Je suis aussi passée à moitié du dernier Dieudonné « Kerozene », mais j’ai au moins apprécié une partie de ma lecture. Elle aussi avait fini number one avec « La vraie vie »…

    Année de merde, je foire plein de lectures :/

    6 octobre 2021 à 20:12

    • J’avais adoré « La vraie vie » mais j’ai laissé « Kérozène », je ne sais pas pourquoi, je ne le sentais pas tout à fait…

      Et puis non, pas de raison de penser que tu foires, tu as le droit d’être déçue – ou de ne pas trouver ce que tu espérais dans tel ou tel livre. Cela reste personnel et c’est bien naturel !
      Sans parler du fait qu’on évolue en tant que lecteur, nos goûts changent, surtout quand on lit beaucoup… Rien de plus normal, et même, c’est une bonne chose à partir du moment où cela nous entraîne vers de nouveaux territoires ;-)

      6 octobre 2021 à 22:42

      • Oui, j’attendais des émotions, un coup de coeur, un super moment de lecture et bardaf, ce fut l’embardée littéraire :/ Ces derniers jours, je n’ai pas la main gagnante, je viens de laisser tomber « l’hôtel de verre »… Il serait temps que je retrouve de la chance dans mes lectures… Je vais aller marcher sur Sarko, et du pied gauche :lol:

        8 octobre 2021 à 18:57

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