Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan

A force d’entendre parler de ce livre, j’ai sauté le pas. Il le fallait. Au moins pour vous, chers Cannibales Lecteurs. Je n’avais jamais lu Delphine de Vigan, j’arrivais donc en terrain vierge de toute idée préconçue. Au début, j’étais tout de même assez sceptique. Encore un écrivain qui raconte l’histoire de sa mère. Décidément, les mères, c’est tout un poème. Ou un roman de 400 pages dans ce cas précis. Delphine de Vigan nous raconte l’histoire de sa mère, récemment décédée. En accord avec les membres de sa famille (soeur, oncles, tantes), elle va se plonger dans la vie maternelle pour apprendre à connaître vraiment cette mère mystérieuse, souvent prise de crises de démence et internée à de plusieurs reprises, avant de l’amener à un suicide.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pleuré en fermant un livre, que je n’avais pas envoyé tout valser pour plonger au plus vite dans ma lecture, que je vivais, respirais, pensais comme l’auteur.

Rien ne s’oppose à la nuit est un livre magnifique. On pourrait se croire dans un polar. Une fratrie nombreuse, un enfant mort, des suicides, des non-dits, des rebondissements inattendus, des secrets qui hantent et finissent par ressurgir des années après… Qui a fait quoi à Lucile, la mère de Delphine de Vigan pour qu’elle devienne ainsi? Ainsi donc, ma propre famille serait normale? Rien que pour ça, ça rassure l’égo du lecteur et on devient comme des voyeurs, avec une volonté avide d’en savoir toujours plus. Car forcément, même de manière inconsciente, on fait la comparaison. 

Et puis il y a le style. Delphine de Vigan a une plume d’une fluidité déroutante. Son écriture est empreinte de pudeur, comme si elle avançait sur des oeufs. Parfois, la boîte d’oeufs cède, car l’auteur n’oublie pas de poser les questions qui fâchent et parle sans détour des zones d’ombres intra-familiales. Elle avance, parfois à tâtons, pour ne pas blesser, pour ne pas gêner les membres encore vivants de cette fratrie dans laquelle sa mère n’a pas su trouver sa place. Delphine de Vigan se mêle de façon intelligente à ce récit, retraçant sa propre autobiographie dans cette histoire romancée de sa mère. 

On s’attache à Delphine, on la regarde se débattre avec la maladie de sa mère, avec sa propre maladie aussi (Delphine de Vigan a souffert d’anorexie, période de sa vie plus ou moins racontée dans Jours sans faim), on assiste impuissant à leurs multiples déménagements, on se demande ce que deviennent tous ces oncles et tantes, on a envie de les rencontrer, de comprendre pourquoi cette famille au début parfaite en est arrivée là, on cherche à comprendre, à savoir. 

Et la fin du roman est là, noire mais écrit de manière lumineuse. Oui, la mère de Delphine s’est suicidée. C’est l’auteur qui découvre le corps. Et pendant que Delphine hurle et pleure son désespoir au téléphone dans la cuisine, on lui pose la main sur l’épaule ou on est penché sur le corps sans vie de Lucile et on pleure nous aussi, notre mère perdue ou à perdre un jour. Hélas. 

Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan
éditions Jean-Claude Lattès
9782709635790
19€ 400 pages.

Un article de Clarice Darling.

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2 Réponses

  1. MELEUX VALLUY ophélie

    Ce que vous écrivez est exactement ce que j’ai ressenti et ressens dans tous les livres de Delphine de Vigan. J’avoue ne pas aimer les écrivains contemporains aux multiples romans « modernes », qui nous racontent si bien des histoires d’amour d’amour ou de pas d’amour d’amour….. Je suis vite agacée, rarement intriguée, rarement subjuguée, souvent lasse au bout de quelques pages devant des clichés, redonnants, emphatiques, ampoulés ou courts si courts, le moderne du moderne où on doit à chaque page se reconnaître… Sous peine d’être anormal ou vieux jeu.. alors je lis des livres d’histoire, de politique, autobiographies historiques ou « solides » qui seront l »histoire de demain….. Et puis un jour on m’a offert un livre de Delphine de Vigan  » les heures souterraines »… rien à ajouter sur ce vous avez écrit… un flot d’émotions, des crispations, l’envie de jeter son livre (puis ses livres) ils parlent trop, me parlent trop.. d’une précision telle qu’on a l’impression qu’elle s’est documentée ds tous les centres de, de la déprime des opprimés qu’on appelle aussi « harcelés au travail », qu’elle a vécu mille vies ou interviewé tous les « cassosses », « les souffreteux de l’existence journalière »… Elle tombe toujours juste et comme vous je pleure quand je voudrais juste lire et m’instruire. Elle est chaque fois bouleversante par la justesse de ce qu’elle raconte mais on ne peut que s’attacher à la fluidité de son écriture, toujours au dessus de la mêlée, jamais pathétique, presque drôle. Delphine de V a tout compris. Elle ne cherche pas à disséquer « la parole de l’expert » ou « à faire pleurer dans les chaumières… » elle est « juste », juste dans tout ce qu’elle décrit. Je n’ai jamais lu un auteur pareil… je comprends mieux aujourd’hui pourquoi. A reculons je lis ses livres mais je les achète tous….. je sais que je vais avoir mal quelque part, une douleur qui ne me quitte pas… Mais je la lis, parce que c’est elle et qu’elle le dit bien. Ophélie MELEUX VALLUY

    22 février 2012 à 15:54

    • Mille mercis Ophélie pour votre commentaire qui traduit bien ce que j’ai pensé.
      J’attends avec impatience son prochain ouvrage.
      Cannibalement
      Clarice

      3 mars 2012 à 20:23

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