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Les livres qui comptent #11 : Le Seigneur des Anneaux, de J.R.R. Tolkien

BOULIMIES ADOLESCENTES #2

J’ai encore treize ans. Je suis maintenant en quatrième, et ma prof de français est, comment dire… à peu près tout le contraire de Madame D., voilà. Pas de fulgurance littéraire cette année-là, pour le dire gentiment.
Néanmoins, je lui dois tout de même quelque chose, de manière indirecte. Un jour, je ne sais plus pour quel motif, nous travaillons sur un texte, qui me donne envie d’en savoir plus sur l’œuvre dont il est tiré. C’est un extrait du Seigneur des Anneaux, de J.R.R. Tolkien.
Et là, ça fait tilt.

Tolkien, je connais. J’ai lu Bilbo le Hobbit quand j’avais neuf ans – là encore, un livre piqué à mon frère, pendant l’été. J’avais beaucoup aimé mais, en digne gamin de mon âge qui avalait déjà à peu près n’importe quoi pourvu qu’il y ait une couverture et des pages, je n’avais pas cherché à en savoir plus sur l’auteur. Une fois Bilbo terminé, j’étais passé à autre chose – sans me douter que ce petit roman n’était que l’extrême pointe de la partie visible de l’iceberg.
Et voilà que ce nom intriguant, mystérieux en soi – J.R.R. Tolkien, quel blaze de grande classe, quand même ! – ressurgissait incidemment entre mes mains…

L’affaire me trotte dans la tête, je finis par en parler à ma mère, et nous voilà partis à la Librairie Parisienne, à côté de chez nous. On demande à un libraire, qui nous conduit au rayon concerné. Bingo, avec extra bonus en prime : je découvre alors avec délectation, et sans doute un peu d’effroi, que Le Seigneur des Anneaux, ce n’est pas un livre, mais SIX.
(Bien sûr, ce n’est qu’un seul livre, comme je le comprendrais plus tard. Mais l’édition Folio Junior de l’époque, sans doute pour ne pas terrifier outre mesure les jeunes lecteurs, présentait sa version intégrale en six volumes, deux pour chacune des trois grandes parties de l’œuvre.)
Ma mère m’autorise à prendre le premier tome, « pour voir ».
Je vois.

Les six tomes y passent, assez vite. Le premier terminé, je vais chercher le deuxième tout seul comme un grand à la librairie, puis le troisième… et ainsi de suite, avec cette joie de les acheter un par un plutôt que tous d’un seul coup, conscient déjà du plaisir gourmand que représente le fait d’aller en librairie acheter un livre que l’on attend avec impatience. Et avec cette inquiétude, aussi, en m’approchant du rayon, de ne pas trouver le tome espéré, qui aurait été vendu et pas encore réassorti… J’ai eu de la chance, ça n’a jamais été le cas, et j’ai pu enchaîner la lecture des six volumes sans interruption.

Pour être honnête, je garde un souvenir inégal de cette première lecture. Pas facile, à treize ans (et même plus tard) de ne pas trouver longuets certains passages descriptifs où Tolkien élabore sa Terre du Milieu dans toute sa richesse. Pas facile, non plus, d’être à la hauteur de l’exigence constante de sa langue, de son érudition, de l’inventivité scrupuleuse de son univers.
Je me rappelle m’être un peu ennuyé en suivant le long périple de Frodon, Sam et Gollum vers le Mordor, attendant avec impatience de retourner vers Aragorn et les autres, dont les combats me paraissaient plus riches, plus variés, plus percutants. Et je ne mentionne pas l’interminable séquence chez Tom Bombadil qui plombe le démarrage des aventures de Frodon et ses compagnons Hobbits…
(Un souvenir dont je suis certain : être tombé immédiatement sous le charme inquiétant de Grands-Pas, alias Aragorn, dès sa première apparition dans l’auberge de Bree. Si on m’avait posé la question de ce que je voulais faire plus tard à ce moment-là, j’aurais sûrement répondu « Roi du Gondor »).

Pour le reste, tout de même, quel voyage extraordinaire ! Quelle richesse, quelle ambition, quelle puissance dans ce vaste monde dont l’écrivain parvient tout à la fois à circonscrire les contours dont il a besoin pour son histoire, et à suggérer qu’il y a encore tant d’autres choses à raconter, tant d’autres vies et d’autres époques… Et quelle empathie bouleversante pour ses personnages, dont on accompagne la quête en en partageant la peur, la bravoure, la sagacité, l’humour, le désespoir, l’amitié, tous ces sentiments qui font la richesse de l’humanité et celle de la littérature quand ils sont si bien restitués.
Le travail de Tolkien est l’exemple parfait qu’on peut concevoir des récits d’une grande exigence en y fourrant des Magiciens, des Nains, des Elfes, des Orcs, des araignées géantes, ou des petites créatures aux pieds poilus répondant au drôle de nom de Hobbits, sans dériver pour autant dans la puérilité, la naïveté ou la superficialité. Il y autant, voire plus de justesse, de clairvoyance et de pertinence humaniste dans un Seigneur des Anneaux que dans nombre de romans de littérature dite « blanche » (entendez « sérieuse »).

Mine de rien, le grand œuvre de Tolkien a produit son effet sur moi, car j’ai enchaîné avec une partie des Contes et légendes inachevés, puis avec le Silmarillion – qui m’est très vite tombé des mains, tout de même ; là, je n’étais pas de taille…
Surtout, c’est ma première incursion dans un univers d’heroic fantasy – sans avoir aucunement conscience que ce genre portait ce nom, d’ailleurs -, soit la découverte, après les grandes aventures terrestres de Jules Verne, que la littérature n’a pas d’autre frontière que celles posées par l’imagination humaine, et que celle-ci peut s’aventurer très, très loin… Là aussi, un jalon très important de mon parcours de lecteur, bien que je ne sois pas devenu pour autant un lecteur compulsif du genre.

Et vous, si vous l’avez lu, quel souvenir gardez-vous de votre première incursion en Terre du Milieu ?

Au programme mardi prochain :
…un nénuphar dans la poitrine…

5 réponses à « Les livres qui comptent #11 : Le Seigneur des Anneaux, de J.R.R. Tolkien »

  1. Très en retard dans mes visites de blogs, je te lis dans le désordre ! ;) Moi j’ai découvert l’écriture de Tolkien seulement après la trilogie du Seigneur des Anneaux. Un choc incroyable, il me fallait donc découvrir l’origine qui avait donné ce chef-d’œuvre ! J’ai aimé me plonger dans l’écriture de Tolkien, même si comme toi j’ai ressenti de l’ennui pour les aventures de Tom Bombadi et que parfois l’errance de de Frodon, Sam et Gollum m’a lassée également. Mais globalement j’ai adoré !! Plus dubitative concernant le hobbit et complètement hermétique au Silmarillion.

    1. Pas de panique, comme tu peux le constater, je suis moi-même très en retard dans mes réponses :)
      Intéressant de voir que tu as apprécié ta lecture alors que tu as découvert le roman après les films. C’est dire si le travail de Peter Jackson est excellent, car il ne gâche pas le plaisir du livre tout en lui rendant parfaitement justice.
      Le Silmarillion, parfois, j’ai envie de réessayer… mais je sens que je ne rentrerais pas plus dedans aujourd’hui qu’il y a trente ans !

  2. Expérience à peu près similaire avec ce livre. Même âge, même édition, mêmes émotions. Ces 6 livres magnifiquement illustrés m’ont tout de suite attiré à la bibliothèque. C’était parti pour un long mais passionnant voyage en Terre du Milieu. Et Peter Jackson a bien fait de couper le passage de Tom Bombadil.

    1. Merci pour ce partage ! On doit être quelques-uns à avoir vécu la même chose… et tant mieux :)

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