Continuer, de Laurent Mauvignier
Signé Bookfalo Kill
Une mère et son fils chevauchent à travers les plaines et les montagnes du Kirghizistan. S’ils en sont là, à braver les voleurs de chevaux, à dormir sous la tente ou chez l’habitant, à découvrir les paysages hallucinants d’un pays sauvage et méconnu, c’est parce que Sybille a décidé de sauver son enfant. A dix-sept ans, Samuel est sur la mauvaise pente, dépassant allègrement les limites connues de la rébellion adolescente. Il fallait réagir, et comme Sybille ne comptait pas sur Benoît, son ex-mari dont le seul principe éducatif consiste à cultiver une complicité virile assez lourdingue avec son fils, elle a décidé de contraindre Samuel à un voyage aussi rude qu’inattendu.
Un parcours initiatique, à deux, qui pourrait également constituer une opération de sauvetage pour Sybille, elle à qui tout souriait dans sa jeunesse et pour qui tout s’est écroulé du jour au lendemain…
Laurent Mauvignier a pour principe de n’être jamais là où on pourrait l’attendre. D’où cette histoire de périple à cheval, tête-à-tête houleux entre une mère blessée et son adolescent écorché vif, qui joue la carte du dépouillement pour mieux tenter de toucher à l’os des sentiments et de la vérité des personnages.
Articulé en trois parties – « Décider », « Peindre un cheval mort » et « Continuer » -, Continuer est marqué par une montée en puissance assez spectaculaire. Au début, je l’avoue, une fois intégré le dépaysement offert par les paysages et les habitants du Kirghizistan, j’ai craint de trouver anodines les aventures assez peu épiques de Sybille et Samuel, la mise en place des personnages flirtant avec des clichés bon marché, peu dignes de la réputation du romancier.
Et puis, petit à petit, la sensibilité fait son nid – sans sensiblerie. Le style de Mauvignier, si l’on retrouve son art des phrases longues et rythmées par de nombreuses virgules, s’affine et s’épure néanmoins, traquant l’essentiel au détour de réflexions tortueuses qui épousent le cours troublé des pensées des protagonistes. Ceux-ci, plutôt antipathiques (tristement humains ?) au départ, révèlent alors peu à peu leur complexité, les motifs de leurs errances, alors même que les circonstances de plus en plus épiques de leur voyage les forcent à évoluer.
À vrai dire, j’ai eu le sentiment que le roman basculait à mi-parcours (il faut donc être un peu patient), lors d’une scène spectaculaire d’embourbement des chevaux – moment de bravoure littéraire absolument admirable. Obligés de recourir à toutes leurs ressources pour se sortir de ce piège, Sybille et Samuel semblent accomplir avec une violence vitale le premier geste qui leur permettra à terme de s’extirper de leurs vies en plein ratage. Comme une renaissance, arrachée symboliquement de la boue et des souffrances les plus extrêmes, qui projette le livre vers l’avant avec une énergie neuve et belle.
Cette avancée doit beaucoup au merveilleux personnage de Sybille, si désolante au début, si peu armée pour un tel combat, mais qui s’échine à poursuivre sa quête de rédemption familiale avec un entêtement maladroit forçant le respect. Un superbe personnage féminin à qui son auteur masculin ne fait pas de cadeaux, sans doute parce qu’il la comprend mieux que personne.
Dépaysant, taillé dans une matière littéraire brute, Continuer caresse au plus près les mystères d’une nature sauvage et de caractères qui ne le sont pas moins, pour en retirer la vérité la plus pure. Fort et exigeant, c’est l’un des beaux romans de cette rentrée.
Continuer, de Laurent Mauvignier
Éditions de Minuit, 2016
ISBN 978-2-0732-983-7
240 p., 17€
A première vue : la rentrée Monsieur Toussaint Louverture 2016
Encore un éditeur que nous n’avons jamais évoqué dans la rubrique « à première vue » – et pour cause, allais-je dire, car il publie fort peu (trois ou quatre titres par an). À tel point que l’on peut se demander si la rentrée littéraire est un enjeu particulier pour lui : en réalité, chaque parution EST un enjeu, à quelque moment de l’année que ce soit. Néanmoins, Monsieur Toussaint Louverture est aussi un communicant habile, d’aucuns diraient rusé, qui sait presque toujours mettre ses livres en orbite, au point d’envoyer certains dans la stratosphère de succès inattendus (Karoo de Steve Tesich, Et quelquefois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey, pour citer les deux plus spectaculaires).
Il sera donc présent dans cette rentrée 2016 avec un livre – mais pas n’importe lequel, évidemment, puisqu’il s’agit d’un roman qui a déjà été publié en France, notamment par Flammarion, sans marquer les esprits. Un anonymat étonnant lorsque l’on sait que ce titre paru en 1972 est devenu culte dans nombre de pays et cumulerait plus de 50 millions de ventes dans le monde… L’incroyable Monsieur Toussaint Louverture relèvera-t-il le défi ? A vous de décider !
SFAR : Watership Down, de Richard Adams (lu)
Pressentant qu’une catastrophe est sur le point de s’abattre sur leur résidence, Fyveer convainc son frère Hazel de fuir et de partir à la recherche d’un nouvel endroit pour vivre. Escorté par une poignée de compagnons déterminés, ils découvrent de nouveaux mondes, se battent, affrontent les éléments et de nombreux ennemis, jusqu’à élire domicile à Watership Down. Mais leur installation dans ce lieu idyllique signifie-t-elle pour autant la fin de leurs aventures ? Rien n’est moins sûr, car le danger est partout et peut prendre les formes les plus inattendues…
Et donc, oui, en effet, Watership Down est un livre extraordinaire. Un grand roman d’aventures aux accents mythiques, qui évoque aussi bien L’Odyssée d’Homère que Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, animé d’un souffle épique laissant la place à une approche réaliste des personnages comme des situations et des paysages – un environnement très important pour Richard Adams qui y est d’autant plus attaché qu’il y vit. On s’attache fortement aux personnages, on tremble pour eux, on espère, on se bat et on rit avec eux, craignant jusqu’à la fin que leurs rêves ne deviennent pas réalité ou de voir tomber certains de ces héros inoubliables…
Ah, un dernier détail tout de même, qui vous aura peut-être frappé en regardant la couverture : Hazel, Fyveer et les autres sont des lapins.
Mais franchement, ça ne change rien.
L’un des grands rendez-vous de la rentrée !!!
33 jours de Léon Werth
À supposer que la 3ème guerre mondiale éclate là, tout de suite, maintenant et que les méchants envahissent notre pays en quelques jours, vous serez pris complètement au dépourvu et vous hésiterez. Entre rester chez vous, coûte que coûte, ou fuir avec votre famille et vos biens les plus précieux.
Léon Werth a choisi la fuite. Il a pris sa voiture, entassé ses affaires, notamment le matelas, son chat Poum et sa femme. Objectif : quitter Paris et rallier au plus vite leur maison secondaire, en Saône-et-Loire. En temps normal, en 1940, Paris-Saint Amour se fait en une journée. Léon Werth et sa femme mettront 33 jours à atteindre leur maison.
33 jours de stress, de peur, d’attente, d’espoir, de dégoût, d’amitié. Dans ce carnet d’exode, Werth raconte son ressenti durant cette période trouble. Il décrit les personnes qu’il a croisées, les hommes de confiance qui ne courbent pas l’échine devant l’occupant, comme les vieilles personnes aigries qui ne voient en la guerre que l’aboutissement de ce que la France méritait. « Une bonne correction »… Tant bien que mal, Werth et sa femme vont côtoyer ces personnes, demander l’hospitalité chez les uns et les autres, en attendant que « l’orage » passe. Une errance de 33 jours, jalonnée de coups de feu, de nuits dans la paille, de course à travers bois et de faim.
Je ne connaissais pas l’œuvre de Léon Werth. Pour tout vous dire, je ne savais pas qu’il était écrivain. Pour moi, « Léon Werth » reste le nom sur la première page du Petit Prince, de Saint-Exupéry. Léon Werth était son meilleur ami et le Petit Prince lui est dédié. Saint-Ex disait souvent de lui qu’il était une source d’inspiration. A voir le style littéraire de Werth, je comprends pourquoi. 33 jours, écrit en 1940, colle parfaitement au style littéraire de l’époque, qui pour nous, aujourd’hui, pourrait paraître empesé. Mais détrompez-vous, 33 jours se lit d’une traite et on s’attache aux personnages comme s’ils étaient faits de papier. Sauf que Léon Werth et sa femme ont vraiment existé, ce qui rend ce témoignage d’autant plus précieux.
33 jours de Léon Werth
Éditions Viviane Hamy
9782878586145
149p., 15€
Un article de Clarice Darling.