Il était une ville, de Thomas B. Reverdy

Signé Bookfalo Kill

Eugène, jeune ingénieur français, débarque à Detroit pour mettre en place un nouveau programme de fabrication automobile. Il découvre une ville au bord de la faillite, au centre-ville déserté et ravagé, comme fui par ses habitants au lendemain d’une guerre. Il rencontre aussi Candice, la serveuse au sourire rouge brillant, qui pourrait bien lui donner une bonne raison de s’accrocher dans ce paysage désolé.
Charlie, douze ans, vit encore dans le coin avec sa grand-mère. Mais le jour où son meilleur ami Bill se fait tabasser une fois de trop par sa mère, les deux garçons décident de suivre leur copain Strothers vers la Zone, no man’s land caché en plein cœur de la ville, où la vie serait « meilleure ».
Où vont tous ces gosses ? Que leur arrive-t-il ? C’est la question que se pose inlassablement le lieutenant Brown, dont le bureau s’encombre de dizaines de signalements de disparition. En songeant qu’une ville dont la jeunesse s’évapore est une ville qui meurt…

Reverdy - Il était une villeAvec ce roman polyphonique, Thomas B. Reverdy retrouve la grâce qui l’avait porté pour l’écriture des Évaporés il y a deux ans. Le schéma des deux livres est proche d’ailleurs, et l’on y trouve des similitudes – disparition, quête pour retrouver l’être aimé…
La valeur ajoutée d’Il était une ville, c’est sa description de Detroit, ville emblématique de la crise aux États-Unis, tellement gangrénée par la corruption et fauchée par les désillusions économiques qu’elle a fini par être mise en faillite à la fin des années 2000. Les regards croisés des personnages donnent à voir cette cité à genoux, avec un réalisme effarant que vient sauver la poésie de la langue. Sous la plume de Reverdy, Detroit a des airs de ville post-apocalyptique, à la fois effrayante et séduisante. C’est ce qui s’appelle transcender son sujet : le romancier aurait pu n’être que tristement documentaire, au contraire il magnifie la désolation des lieux et des âmes par la force simple de son écriture.

La structure du roman est également remarquable. Les différents personnages que Thomas B. Reverdy suit à tour de rôle induisent des perspectives et des tons différents. Quand on est avec Charlie et ses amis, l’ombre de Stephen King plane au-dessus du récit, celle de Stand by me ou de la Tour Sombre, qui évoque l’enfance aventureuse en train de basculer vers l’adolescence, son chagrin, ses effrois et ses espoirs. L’enquête du lieutenant Brown donne, bien sûr, une coloration polar au roman.
Quant à Eugène, son regard professionnel et distancié, un rien naïf, est braqué sur l’effondrement économique, social et physique de Detroit, auquel vient s’ajouter le point de vue de Candice, fille du coin, serveuse dont les habitués disparaissent jour après jour.
Si l’on suit ces personnages à tour de rôle, Reverdy ne respecte néanmoins pas forcément la chronologie du récit, comme si chaque moment passé dans la ville avait sa vie propre selon la manière dont on l’expérimente. Le temps du roman semble alors se distendre ou se contracter, étirer le sentiment de perte et de désolation qui frappe Detroit ; les personnages paraissent perdus dans un lieu coupé du monde, ballottés passivement par la crise comme un radeau de sauvetage perdu en pleine mer.

Conte réaliste d’une cité qui meurt sous les coups de boutoir absurdes d’une société globalisée, rongée par l’hérésie économique qui la gouverne, Il était une ville est un roman discrètement implacable, dont la justesse humaine adoucit le terrible portrait. Et Thomas B. Reverdy est décidément un auteur qui compte.

Il était une ville, de Thomas B. Reverdy
  Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-0813-4821-9
268 p., 19€

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