Jacob, Jacob, de Valérie Zenatti
Signé Bookfalo Kill
Jacob, un jeune Juif de Constantine, est enrôlé en juin 1944 pour libérer la France. De sa guerre, les siens ignorent tout. Ces gens très modestes, pauvres et frustes, attendent avec impatience le retour de celui qui est leur fierté, un valeureux. Ils ignorent aussi que l’accélération de l’Histoire ne va pas tarder à entraîner leur propre déracinement…
Exceptionnellement, j’ai conservé le résumé proposé par l’éditeur plutôt que d’essayer d’en tricoter un moi-même. Cette quatrième de couverture a en effet le mérite de donner le ton de l’histoire sans trop en révéler sur le destin des personnages, et c’est très bien ainsi.
Que pourrait-on dire de plus sans gâcher la découverte du roman ? Jacob, Jacob est inspiré de l’histoire familiale de Valérie Zenatti, et la photo qui orne la couverture, évoquée d’ailleurs dans le livre, présente le portrait du Jacob en question, qui n’est autre que le grand-père de la romancière. Sans être autobiographique ni nombrilocentré, c’est donc un roman très personnel – et je dis bien un roman, car si elle a enquêté pour reconstituer le parcours du jeune homme, de ses parents et de ses proches, Valérie Zenatti a fait véritablement œuvre d’invention pour imaginer ce que furent leurs vies, leurs rapports, leurs aspirations, et pour se mettre dans leur peau et dans leur tête.
Plusieurs points de vue s’entremêlent dans ce livre. Il y a celui porté sur Jacob au cours de son engagement militaire : l’entraînement sommaire en Algérie, puis le débarquement en Provence, et ensuite la remontée à travers la France pour rallier l’Allemagne et se joindre aux forces alliées qui convergent vers Berlin. C’est ici le roman de guerre, dont les batailles, la fureur aveugle, les amitiés indispensables pour résister à l’horreur, les chagrins incompréhensibles sont tirés à grands traits par les longues phrases rythmiques de Valérie Zenatti. La romancière ne verse jamais dans le spectaculaire facile, elle est au plus près de son héros, à la manière d’un Spielberg filmant batailles et rapports humains dans Il faut sauver le soldat Ryan.
Puis il y a le récit familial, de ceux restés en Algérie. Là, outre la description prégnante de Constantine (et notamment de ses ponts), ce sont surtout les superbes portraits de femmes qui frappent. Rachel la mère de Jacob qui attend plein d’espoir le retour de son dernier fils, le plus fin, le plus gai, celui à qui tous les espoirs sont permis d’une vie meilleure que celle, laborieuse, de son père ou de son frère aîné Abraham, tous deux cordonniers. Et Madeleine, l’épouse d’Abraham, belle-soeur de Jacob, réduite à son rôle de mère à qui aucune faiblesse n’est permise, au service des hommes alors qu’elle voudrait rêver, aimer plus ouvertement, être libre et non prisonnière de mentalités étriquées.
Loin d’être réduits à des clichés, les hommes sont aussi joliment campés, quelle que soit leur génération, dessinant la ligne d’une famille que l’Histoire va ébranler, redessiner, pour amener à la femme et à l’écrivain qu’est aujourd’hui Valérie Zenatti. Une enquête romanesque d’une impressionnante force littéraire, pudique et exemplaire, qui donne l’un des beaux livres de cette rentrée.
Jacob, Jacob, de Valérie Zenatti
Éditions de l’Olivier, 2014
ISBN 978-2-8236-0165-7
166 p., 16€
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