Helena, de Jérémy Fel

Kansas, un été plus chaud qu’à l’ordinaire. Une décapotable rouge fonce sur l’Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l’ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s’échappent d’une cave. Des rêves de gloire naissent, d’autres se brisent. La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue. Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l’équilibre familial.
Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu’en l’infligeant à d’autres… Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d’où ils tenteront par tous les moyens de s’extirper. Quitte à risquer le pire. Et il y a Helena… Jusqu’où une mère peut-elle aller pour protéger ses enfants lorsqu’ils commettent l’irréparable ?
Avant d’évoquer Helena, le deuxième roman de Jérémy Fel, je me dois de rappeler que j’avais adoré sans réserve son premier, Les loups à leur porte. J’avais aimé sa construction ambitieuse, son écriture implacable, sa manière de mettre en scène et de penser le mal et la violence, y compris dans les moments les plus durs du livre.
C’est donc avec enthousiasme et impatience que je me suis plongé dans ce deuxième opus, dont le résumé me promettait le même genre d’univers, la même intensité.
J’ai déchanté.
Si j’en crois les avis glanés ici ou là sur Internet, je suis un des rares dans ce cas. C’est donc peut-être entièrement de ma faute, sans doute suis-je passé à côté de ce livre. Mais j’y ai malheureusement trouvé tous les défauts que Jérémy Fel, à mon sens, avait évité avec soin dans son premier.
Par où commencer ? Comme rien ne m’a séduit dans Helena, difficile de choisir.
Voyons d’abord les personnages, tiens. Impossible de m’y attacher, de les suivre, je les ai tous trouvés antipathiques. Est-ce volontaire ? Si c’est le cas, c’est réussi, mais du coup, il est délicat de les plaindre ou de les soutenir, en dépit des aventures épouvantables dont ils sont tour à tour victimes et acteurs. Ah, si, c’est un point à mettre au crédit de l’auteur : rien n’est forcément tout blanc ou tout noir chez ses protagonistes, ils sont capables de passer d’un angélisme béat à la pire des violences, suivant la situation qu’ils doivent affronter ou la pulsion qui les conduit. (Je dois admettre que le coup du club de golf est particulièrement saisissant…)
Dans sa critique (positive) parue dans Télérama, Christine Ferniot reconnaît que Helena est « bourré de clichés réjouissants et de personnages caricaturaux ». D’autres vantent l’art avec lequel Fel dynamite tout cela au fur et à mesure de l’avancée du récit. Personnellement, je n’ai rien vu péter. Les clichés (pas réjouissants) sont là, bien posés, et le restent de bout en bout. Un personnage commet le pire ? C’est parce qu’il a subi des traumatismes horribles dans son enfance. Oh ben dis donc, c’est original !
On continue ? Très bien. L’héroïne est blonde, c’est une ravissante idiote trompée par un petit copain peu scrupuleux, elle tombe en panne de voiture près de la maison où se terre justement un psychopathe en puissance, planqué dans les jupes d’une mère qui n’a d’yeux que pour sa petite dernière dont elle veut faire une mini-miss, une reine de beauté version Little Miss Sunshine – avec les rondeurs mais sans l’humour et la tendresse.
J’en passe et des meilleurs.
Tout ceci serait tolérable si Jérémy Fel le faisait voler en éclat. On sent même que c’est l’idée. Alors, certes, ces personnages légers comme des vannes de Bigard finissent par tomber le masque et par tous plus ou moins se comporter comme des dingues, par exploser en vol et commettre des actes extrêmes. Est-ce suffisant pour transformer le pensum des (cent ou deux cents) premières pages en jeu de massacre exutoire, comme certains le suggèrent ? Pas pour moi, malheureusement.
La faute, sans doute, à nombre de longueurs – que ces 700 pages m’ont paru interminables, surchargées de développements sans fin et de justifications psychologiques aussi superficielles que redondantes ! La faute, aussi, à un style direct, certes, mais souvent balourd. Les dialogues, en particulier, ne sonnent pas juste, tirent trop souvent vers le mauvais soap et contribuent à enfiler pas mal de perles sur le collier des clichés. N’ayant pas le livre sous la main, je ne peux étayer ce propos d’exemples précis – et, du reste, sortir des phrases de leur contexte est souvent facile, surtout en cas de critique négative, alors autant éviter de le faire.
Je veux reconnaître à Jérémy Fel un vrai courage, celui de s’investir corps et âme dans la littérature de genre – un pari pas facile à tenir en France, surtout quand on cherche à tremper ses pieds dans le sang de l’horreur. Il le fait frontalement, sans arrière-pensée, avec une authenticité qui mérite le respect. Avec, aussi, une belle connaissance des sources du genre, qu’il parvient à assimiler pour forger son propre univers et sa voix propre.
Malheureusement, il arrive aussi à Stephen King, sans doute son maître absolu (et si c’est le cas, il a très bon goût), de rater certains romans. A mes yeux, en raison de ses excès en tous genres – dans le propos, la construction, les personnages, le style – Helena ne confirme pas le coup d’essai des Loups à leur porte, faute d’élever son propos et d’extirper son sujet de la boue, de la tripe et du sang dans lesquels le roman se complaît à stagner. Pour parvenir à fournir une réflexion neuve sur la question du mal, encore faut-il parvenir à adopter un point de vue en surplomb, à s’éloigner du premier degré, du récit brut. Pour moi, Fel y était parvenu dans son premier roman, pas dans celui-ci.
Encore une fois, c’est un avis strictement personnel – j’insiste, car vu le nombre d’éloges glanés par ce livre, je m’attends à me prendre quelques retours furieux…
Je serai néanmoins au rendez-vous du prochain roman de Jérémy Fel, en espérant pouvoir m’enthousiasmer à nouveau pour le talent et l’audace de ce garçon qui n’en manque pas.
Helena, de Jérémy Fel
Éditions Rivages, 2018
ISBN 978-2-7436-4467-3
733 p., 23€
A première vue : la rentrée Stock 2018

L’année dernière, nous avions reproché à Stock de faire partie des éditions se présentant à la rentrée avec un effectif beaucoup trop pléthorique. Pas mieux cette année, puisque la maison bleue aligne pas moins de douze nouveautés pour la seule date du 22 août… Et comme d’habitude, nous n’en retiendrons que deux ou trois, sans trop s’attarder sur le reste. En espérant trouver dans la liste un titre aussi somptueux que Les huit montagnes de Paolo Cognetti !
OHÉ OHÉ : Capitaine, d’Adrien Bosc
Pour moi, le plus attendu de la bande. Aujourd’hui éditeur au Seuil et aux éditions du Sous-Sol, ce jeune homme doué et pressé qu’est Adrien Bosc avait marqué les esprits avec son premier roman paru en 2014, Constellation. Après cette histoire d’avion, voici qu’il s’intéresse à un bateau, le Capitaine Paul-Lemerle, parti du port de Marseille le 24 mars 1941 avec à son bord André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers et beaucoup d’autres artistes, écrivains, journalistes, fuyant tous le régime de Vichy et la menace nazie. A sa manière kaléidoscopique, Bosc s’attache à relater le long voyage du bateau jusqu’en Amérique. Le sujet a tout pour que le jeune écrivain (32 ans) en fasse quelque chose de brillant.
MOMMY : Le Guetteur, de Christophe Boltanski
Lui aussi sera attendu pour son deuxième roman, car son premier, La Cache, a été très remarqué et apprécié (au point de décrocher le Prix Femina il y a trois ans). Cette fois, il y est question d’un fils qui, découvrant le manuscrit inachevé d’un polar dans les affaires de sa mère, décide d’enquêter sur elle pour essayer de comprendre cette femme mystérieuse. Des investigations qui vont le ramener aux jeunes années de sa mère, alors qu’elle était étudiante à la Sorbonne, en pleine guerre d’Algérie…
THIEF, BAGGINS ! : Confessions d’une cleptomane, de Florence Noiville
Florence Noiville a de la suite dans les idées. En l’occurrence, celle de placer un désordre psychique majeur au cœur de l’intrigue de ses livres. Après le syndrome de Clérambault dans L’Illusion délirante d’être aimé (2015), la voici donc qui, le titre est parlant, s’intéresse à la manie irrépressible du vol, en mettant en scène une femme, grande bourgeoise, épouse de ministre, qui ne peut s’empêcher de faucher tout ce qui lui passe sous la main. Jusqu’au jour où elle vole un objet qu’elle n’aurait jamais dû non seulement prendre, mais même simplement voir…
ALIÉNOR II, LE RETOUR : La Révolte, de Clara Dupont-Monod
Clara Dupont-Monod a de la suite dans les idées. Après avoir rencontré un succès certain avec Le Roi disait que j’étais diable (Grasset, 2014), elle reprend son « personnage » d’Aliénor d’Aquitaine, racontée cette fois par son fils, Richard Cœur de Lion, au moment où la reine demande à ses enfants de se retourner contre le Roi d’Angleterre, leur père.
MON FRÈRE : Avec toutes mes sympathies, d’Olivia de Lamberterie
Célébrité de la critique littéraire française, Olivia de Lamberterie saura sans doute trouver du soutien médiatique chez ses petits camarades, pour faire causer de ce premier livre où elle évoque son frère, à la suite du suicide de ce dernier en 2015. De l’autofiction Stock pure et dure. Pas mon truc, mais enfin…
LE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Simple, de Julie Estève
Un simple d’esprit, perché dans un village corse, se raconte et raconte les autres au fil d’un monologue adressé à sa chaise. Il évoque particulièrement ses liens ambigus avec une adolescente retrouvée morte dans les années 80. Deuxième roman.
CE QU’IL RESTE DE NOUS : Écoute, de Boris Razon
Deuxième roman encore, après l’un peu remarqué Palladium (2013). Il est question cette fois d’un policier chargé d’espionner les communications des gens alentour, caché dans un van avenue des Gobelins. Il s’intéresse soudain à un homme qui, bizarrement, n’émet aucun signal, ce qui le transforme instantanément en suspect – ou au moins en type curieux…
BOULEVARD : La Femme de Dieu, de Judith Sibony
Et un premier roman pour faire bonne mesure ! Un metteur en scène a pris l’habitude d’associer sur scène sa femme, à qui il réserve toujours le rôle principal, à sa maîtresse du moment. Mais la dernière en date le pousse dans ses retranchements en exigeant de porter son enfant tout en jouant le rôle de l’amante… Une mise en parallèle de la création théâtrale et de la procréation médicale.
HEAL THE WORLD : L’Évangile selon Youri, de Tobie Nathan
Un psychanalyste désabusé prend sous son aile un gamin tzigane de dix ans, dont on dit qu’il possède des pouvoirs magiques. Imposteur ou vrai magicien des temps modernes ? Tu le sauras, lecteur, en lisant ce livre signé par le célèbre psychanalyste (désabusé ?) Tobie Nathan.
MAKE IT A BETTER PLACE : Vivre ensemble, d’Émilie Frèche
Ayant échappé de peu aux attentats de Paris le 13 novembre 2015, Pierre et Déborah décident de profiter du temps présent et de consolider leur relation naissante. Ils emménagent donc avec leurs enfants respectifs : Léo, 13 ans et Salomon, 11 ans. Mais les deux fils supportent mal de cohabiter avec des beaux-parents qu’ils n’ont pas choisis.
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FOR YOU AND FOR ME : Le Mars Club, de Rachel Kushner
(traduit de l’américain par Sylvie Schneiter)
Romy Hall, une ancienne strip-teaseuse au Mars Club, est condamnée à la perpétuité pour avoir tué l’homme qui la harcelait. Enfermée à la prison de Stanville, elle apprend que sa mère à qui elle avait confié Jackson, son fils de 7 ans, vient de mourir. Déchue de ses droits parentaux, la jeune femme décide d’agir.
AND THE ENTIRE HUMAN RACE : La Marcheuse, de Samar Yasbek
(traduit de l’arabe (Syrie) par Khaled Osman)
Rima aime les livres, le dessin et… marcher. La jeune fille, qui ne parle pas, souffre d’une étrange maladie : ses jambes fonctionnent indépendamment de sa volonté, dès qu’elle se met à marcher elle ne peut plus s’arrêter.
Un jour d’août 2013, alors qu’elle traverse Damas en bus, un soldat ouvre le feu à un check-point. Sa mère succombe sous les balles et Rima, blessée, est emmenée dans un hôpital pénitencier avant que son frère ne la conduise dans la zone assiégée de la Ghouta. Et c’est là, dans cet enfer sur terre, que Rima écrit son histoire.
À travers la déambulation vive et poétique de cette adolescente singulière dans l’horreur de la guerre, Samar Yazbek continue son combat pour exposer aux yeux du monde la souffrance du peuple syrien.
On lira sûrement :
Capitaine, d’Adrien BoscOn lira peut-être :
La Marcheuse, de Samar Yasbek
Le Guetteur, de Christophe Boltanski
A première vue : la rentrée POL 2018

Ce sera forcément une rentrée très particulière pour les éditions POL, puisque ce sera la première sans leur fondateur, Paul Otchakovsky-Laurens, décédé dans un accident de voiture en début d’année. Pour autant, pas de bouleversement, puisque le programme s’appuie sur quelques noms solides de la maison depuis des années, et sur un cocktail connu de solidité et d’inventivité littéraires.
TU PERDS TON SANG-FROID : Série noire, de Bertrand Schefer
C’est l’histoire d’un fait divers inspiré par un roman. Fait divers qui devient ensuite un autre roman. (Vous suivez ?) Dans les années 60, un escroc foncièrement antisocial découvre un polar de la Série Noire qui va lui inspirer un kidnapping promis à une certaine célébrité médiatique à l’époque. Dans son sillage et dans celui d’un jeune ouvrier récemment revenu de la guerre d’Algérie, ainsi que d’une beauté danoise errant dans Paris avec Anna Karina, on croise nombre de figures de l’époque, de Sagan à Simenon en passant par Truffaut et Kenneth Anger. Quand le roman réfléchit sur lui-même et devient bouillonnement intellectuel.
LES MARCHES DU POUVOIR : Une campagne, de Frédéric Valabrègue
Dans un village du sud de la France, le ton monte au sein du conseil municipal entre le maire sortant et la directrice de l’école primaire. La campagne électorale qui s’ensuit s’enlise dans les rumeurs, les coups bas et les intimidations… Probablement aussi sanglant que tristement réaliste, ce roman devrait nous renvoyer notre belle époque à la figure. Ca promet !
THAT NIGHT WE WENT DOWN TO THE RIVER : Serez-vous des nôtres ?, d’Emmanuelle Pagano
Deux amis depuis l’enfance se revoient après une longue période sans se croiser. L’un, un peintre raté, a hérité du domaine familial dans une région où se trouvent de nombreux étangs, qui régissent les relations entre les gens depuis toujours. L’autre a quitté la région depuis longtemps pour s’engager dans la Marine et travailler dans un sous-marin nucléaire. En se retrouvant, les deux hommes évoquent leur enfance et adolescence commune, marquée par leur relation à l’eau. Troisième volume de la Trilogie des rives après Ligne & Fils et Sauf riverains, dans laquelle Pagano réfléchit de manière romanesque aux rapports entre l’homme et l’eau.
ÉON : Arcadie, d’Emmanuelle Bayamack-Tam
Une jeune fille découvre avec étonnement que son corps change pour se parer d’attributs masculins. Cette métamorphoses aux origines non identifiées la conduit à mener une enquête sur ce qu’est être un homme ou une femme, et découvre que personne n’en sait vraiment rien. Dans le même temps, elle tombe amoureuse d’Arcady, chef spirituel de la communauté libertaire dans laquelle elle vit avec ses parents, mais se rebelle contre lui et ses principes supposés lorsqu’il refuse d’accueillir des migrants en quête de refuge.
Ô MA JOLIE MAMAN : La Robe blanche, de Nathalie Léger
Au commencement il y a un fait divers : une jeune artiste, qui avait décidé de voyager en autostop de Milan à Jérusalem, vêtue d’une robe de mariée pour promouvoir la paix dans les pays en guerre, est violée et assassinée par un homme qui l’avait prise dans sa voiture vers Istanbul. Fascinée par cette histoire, Nathalie Léger la relate et raconte en parallèle, comme en miroir, le parcours de sa propre mère, abandonnée par son mari dans les années 70 et accusée de porter les torts exclusifs du divorce devant le tribunal.
On lira peut-être :
Une campagne, de Frédéric Valabrègue
Série noire, de Bertrand Schefer
A première vue : la rentrée Rivages 2018

Il y a la jeunesse côté français, et l’expérience côté étranger. Non, on ne cause pas de Coupe du Monde de football, mais de la rentrée Rivages 2018, dominée en ce qui me concerne par l’énorme attente entourant le deuxième roman du prodige Jérémy Fel, plus que remarqué avec son premier opus, Les loups à leur porte. Mais le reste pourrait – et c’est une bonne habitude chez cet éditeur – valoir le détour.
TOTO, J’AI L’IMPRESSION QUE NOUS NE SOMMES PLUS AU KANSAS : Helena, de Jérémy Fel
Kansas, un été plus chaud qu’à l’ordinaire. Une décapotable rouge fonce sur l’Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l’ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s’échappent d’une cave. Des rêves de gloire naissent, d’autres se brisent.
La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue. Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l’équilibre familial. Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu’en l’infligeant à d’autres…
Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d’où ils tenteront par tous les moyens de s’extirper. Quitte à risquer le pire.
Et il y a Helena…
Exceptionnellement, j’ai gardé la présentation quasi complète du livre par l’éditeur, parce que je trouve qu’elle donne fichtrement envie. Lecture imminente de mon côté, car Les loups à leur porte, entrée en littérature de Jérémy Fel il y a trois ans, m’a profondément marqué. On en reparlera, c’est sûr et certain.
LA CHAMBRE CLAIRE : Presque une nuit d’été, de Thi Thu
Une photographe parcourt la ville pour essayer de capter au vol la magie de petits moments du quotidien. Ce faisant, elle rencontre des gens, collecte des histoires, et esquisse en filigrane son propre portrait. Premier roman.
WHEN EGO FEAR AND JUDGEMENT BECOME THE RULE OF LAW : La Mélodie, de Jim Crace
(traduit de l’anglais par Laetitia Devaux)
Comme d’autres avant lui, Alfred Busi, un célèbre chanteur, est attaqué chez lui par une créature mystérieuse. Alors que, dans toute la ville, la parole se durcit et se teinte de haine, Alfred se retrouve le seul à plaider pour la compréhension, la compassion et l’entraide collective. Un roman-métaphore sur la pauvreté et le sort des migrants, plus que jamais d’actualité hélas, par l’auteur de Moisson et Quarantaine.
C’EST AUJOURD’HUI DIMANCHE : La Femme à part, de Vivian Gornick
(traduit de l’américain par Laetitia Devaux)
Dans Attachement féroce, Vivian Gornick se promenait dans New York avec sa mère, dressant le tableau d’une relation mère-fille explosive, tiraillée entre amour fou et détestation profonde. A présent la mère n’est plus, et c’est seule que la narratrice arpente la ville, désormais son unique interlocutrice et témoin de son existence. Deuxième livre traduit en français d’une vénérable auteure de 83 ans, journaliste et écrivaine.
On lira sûrement :
Helena, de Jérémy FelOn lira peut-être :
La Mélodie, de Jim Crace
De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia

Après avoir été très enthousiaste lorsque j’ai découvert Jean-Michel Guenassia il y a quelques années avec son Club des Incorrigibles Optimistes, je me réjouissais de voir débarquer les suivants. Il y a eu La vie rêvée d’Ernesto G., pas mal, Trompe-la-Mort, qui m’a laissée perplexe, et La valse des arbres et du ciel que je ne me rappelle même plus avoir lu (et pourtant si).
Avec De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, j’ai été tout de suite sceptique. Le titre… La mode est aux titres à rallonge, mais est-ce vraiment bien de succomber à la mode ? Et puis, évoquer David Bowie, même pas deux ans après sa mort, comme par hasard…
Bref, ce dernier opus se lit très vite, car Jean-Michel Guenassia a toujours cette écriture sympathique et agréable que j’aime à retrouver. Mais là n’est pas le problème. Le problème, c’est le fond, pas la forme.
Le protagoniste du roman est un jeune homme, Paul, 17 ans, tellement efféminé qu’on le prend souvent pour une fille. Il ne cherche pas à lever l’ambiguïté, au contraire, il adore ça.
Il vit avec ses deux mères, Léna, tatoueuse professionnelle et nana au franc-parler, qui ne s’en laisse pas compter et Stella, tenancière d’un bar-restaurant branché, réservé exclusivement aux lesbiennes.
Paul a arrêté ses études, il écume les petits boulots de testeurs de restaurant et pianiste au bar de sa mère le soir. Une vie pleine d’interrogations mais qui lui convient comme ça. Pour le moment.
Et puis… et puis je ne sais plus l’élément qui fait que le roman se met en marche. Il y a des personnages qui surgissent d’un peu partout, qu’on retrouve à un moment ou non, Alex, Yamina, Hilda, la famille de Léna… Ça vient de nulle part et ça manque d’approfondissement, l’histoire est bancale, la fin aberrante et j’enrage.
J’enrage parce que Guenassia a un don pour donner vie à ses personnages. Il sait les faire parler, les faire évoluer et on sent qu’il aime ses héros. Mais l’histoire dans laquelle ils évoluent est inexistante. On referme le livre en se disant « tout ça pour ça ? »
Quel dommage, vraiment, quel dommage. Je rêve que M. Guenassia reprenne le temps d’écrire un roman où l’histoire nous touche tout autant que les héros. J’espère qu’il y parviendra dans son prochain livre !
De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia
Éditions Albin Michel, 2017
ISBN 978-2-226-39913-7
327 p., 20€
Un article de Clarice Darling.
Ostwald, de Thomas Flahaut

Un accident nucléaire majeur se produit à la centrale de Fessenheim, dans l’est de la France. Très vite, une zone de sécurité est instaurée autour des lieux, qui ne tarde pas à être élargie même si les autorités se montrent rassurantes. Les populations locales sont évacuées par l’armée et regroupées dans des camps ou des hangars.
Au milieu de cette foule hagarde, inquiète du flou des explications qu’on lui donne au compte-gouttes, deux frères, Félix et Noël, songent à leurs parents, séparés depuis quelques années. Leur mère est en sécurité à Marseille et tente en vain de les rapatrier vers elle ; leur père, qui habite à Ostwald, près de Strasbourg, ne donne plus signe de vie.
À la suite d’événements dramatiques dont Noël est témoin, les deux frères décident de fuir le camp où ils sont cantonnés. Ils arpentent alors la région où ils ont grandi, entre Belfort et Strasbourg, découvrant des paysages abandonnés, sinistrés, des villes et des villages abandonnés de leurs habitants, à la recherche d’une solution et de leur propre identité dans un monde qui s’effondre…
Voilà un premier roman singulier qui, pour s’emparer de sujets familiers (la quête de soi, les rapports familiaux), le fait dans ce contexte à la fois original et terriblement réaliste qu’est un incident nucléaire. Il est malheureusement fort plausible que cette pétaudière de Fessenheim finisse par nous claquer à la figure pour devenir un nouveau Tchernobyl, et Thomas Flahaut s’empare de cette hypothèse sans en rajouter, sans message politico-écologiste non plus, avant tout à des fins dramatiques. Les scènes d’évacuation, de constitution des camps ou de fuite dans des paysages à l’abandon figurent parmi les plus saisissantes du livre.
Le primo-romancier s’appuie sur une recette éprouvée – chapitres très courts, deux ou trois pages en moyenne, style sec et dialogues intégrés au récit sans marqueurs identifiants – pour développer une atmosphère anxiogène où tous les repères disparaissent les uns après les autres. Une manière métaphorique d’aborder le passage à l’âge adulte, lors duquel on s’interroge sur le rapport au père, à la mère, au frère, à la femme ou à l’homme qui nous attire… Flahaut, lui-même âgé de 26 ans, place ces problématiques classiques au cœur de son roman, mais le contexte exceptionnel de l’intrigue leur donne une profondeur supplémentaire, un éclairage nouveau.
Jolie découverte de la rentrée, Ostwald montre qu’un romancier peut traiter dans son premier livre de sujets sans doute personnels, intimes, sans pour autant nous casser les pieds avec une forme autofictionnelle sans intérêt ni portée universelle. Belle entrée en littérature pour Thomas Flahaut, donc.
Ostwald, de Thomas Flahaut
Éditions de l’Olivier, 2017
ISBN 978-2-82361-165-6
169 p., 17€
Frappe-toi le cœur, d’Amélie Nothomb

Marie est belle, très belle. Elle le sait très bien et s’en sert moins pour séduire que pour provoquer la jalousie et la haine chez les autres, sentiments dont elle se nourrit pour exister. Elle aurait pu en vivre longtemps, mais voilà qu’elle tombe amoureuse d’un jeune homme tout aussi radieux qu’elle, et surtout enceinte de lui. Elle a dix-neuf ans et son avenir qu’elle imaginait vertigineux s’arrête à une maternité ni imaginée ni désirée.
Lorsque sa fille Diane vient au monde, elle ne lui manifeste que mépris, jalousie ou indifférence – une fin de non-recevoir opposée sans répit à l’appel d’amour d’une fillette trop précoce pour ne pas en souffrir. Surtout lorsque naissent ensuite un frère, très choyé, puis une petite sœur, objet de toutes les affections par une Marie transfigurée. De cet affront, Diane décide alors de faire une force…
Comme cela lui arrive de temps à autre, Dame Amélie s’est creusée la tête pour son opus 2017. Résultat, des bonnes nouvelles en pagaille : dans Frappe-toi le cœur (titre emprunté à Musset), elle ne se met pas en scène ni ne cause d’elle, parvient à surprendre le lecteur au fil d’une histoire qui s’étire sur plusieurs années (c’est plutôt une spécialiste de l’intrigue sur temps court), et débarrasse globalement son écriture de ses scories habituelles – dialogues à l’emporte-pièce, facilités exaspérantes, patronymes invraisemblables et narration réduite à sa plus simple expression.
Pour une fois, Nothomb prend son temps. Pour approfondir ses personnages au-delà de quelques mots et clichés psychologiques vite emballés, et pour les faire évoluer tel qu’on évolue au cours d’une vie. Des personnages qui, donc, s’appellent simplement Marie, Diane, Elisabeth, Olivia ou Célia. Des femmes – mères, filles, sœurs, amies – qui s’affrontent dans un ballet réglé par une mécanique terrible mêlant cruauté, incompréhension, jalousie, regret, déception, dont Amélie Nothomb huile les rouages avec une rare finesse. Son regard clinique finit par serrer le cœur, tant le spectacle de ces enfants psychologiquement mutilées par leurs mères est navrant et douloureux.
Passées des premières pages familières (présentant une jeune fille d’une beauté stupéfiante inversement proportionnelle à son intelligence), Frappe-toi le cœur délaisse donc la bonne humeur factice et les fantaisies sans lendemain, usuelles chez la romancière, pour examiner la souffrance et l’amertume de vies abîmées par celles qui pourtant les fabriquent.
Inattendu, ce choix assumé jusqu’au bout d’un récit sombre et sans artifice superflu finit par constituer une excellente surprise, faisant de ce vingt-sixième roman d’Amélie Nothomb l’un de ses meilleurs, tout simplement. Et un signe supplémentaire que cette rentrée littéraire 2017 est placée sous le signe de la qualité, puisque même le Nothomb annuel sort du lot. Étonnant, non ?
Frappe-toi le cœur, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2017
ISBN 978-2-226-39916-8
180 p., 16,90€
A première vue : la rentrée Julliard 2017

Cette année, sur la ligne de départ, pas de Yasmina Khadra, auteur phare de Julliard, mais Philippe Jaenada, autre écrivain vedette de la maison, répond présent à l’appel. Comme le garçon rencontre un succès certain depuis qu’il a fait évoluer son œuvre vers une forme d’exofiction mettant son auto-dérision coutumière au service de personnages réels et hauts en couleurs (Bruno Sulak, Pauline Dubuisson), cela justifie de causer de ce programme de rentrée, pas révolutionnaire par ailleurs – ce n’est pas forcément le genre.
PALME D’OR : La Serpe, de Philippe Jaenada
En 1941, après une vie déjà passablement agitée, Henri Girard est accusé d’avoir assassiné à coups de serpe son père, sa tante et leur bonne dans leur château près de Périgueux. Promis à la peine capitale, il obtient pourtant l’acquittement, et en profite pour s’exiler en Amérique latine. Il en revient quelques années plus tard pour publier sous le pseudonyme de Georges Arnaud Le Salaire de la peur, rapidement adapté au cinéma par Clouzot avec succès.
WONDER WOMAN : L’Insoumise de la porte de Flandre, de Fouad Laroui
Chaque jour, Fatima sort de chez elle protégée par son hijab, passe par un immeuble dont elle ressort vêtue à l’occidentale, et s’aventure dans l’Alhambra, un quartier mal famé de Bruxelles. L’un de ses voisins finit par remarquer son manège et la suit, intrigué… L’œuvre de Fouad Laroui s’irrigue souvent d’un humour salutaire pour contrer les extrémismes, c’est donc sur ce ton qu’on l’imagine raconter ce choix d’une jeune femme éprise de liberté.
TO BE OR NOT TO BE : Être, tellement, de Jean-Luc Marty
En attendant le guide qui va le conduire dans le Sertao, région aride du Brésil, Antoine rencontre Louise, qui n’a pas rejoint son mari et son fils à Sao Paulo comme prévu. Emmenés par Everton, le guide, ils se lancent dans une exploration autant géographique qu’intime.
JOAN OF ARC (JEANNE D’ARC AHOU) : La Part des anges, de Laurent Bénégui
Un homme erre sur le marché de Saint-Jean-de-Luz avec, dans son cabas, l’urne contenant les cendres de sa mère. La voix de cette dernière commente cette drôle de promenade et les rencontres que fait son fils.