À première vue : la rentrée Mercure de France 2021
Intérêt global :
Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est aussi une première dans la rubrique « à première vue » pour les éditions du Mercure de France. Là encore, c’est simplement parce que leurs choix de publication me correspondent assez rarement – ou parce que ma curiosité ne me pousse pas assez dans leur direction, allez savoir…
Pour résumer la ligne qui tient ensemble les cinq romans de leur programme de rentrée, le mot-clef semble être : féminin. D’abord parce qu’on trouve quatre femmes pour un seul homme derrière les plumes de ces livres, ensuite parce les cinq titres se focalisent sur des personnages de femme, fictives ou réelles.
L’Enfant magnifique, d’Aimee Liu
(traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Hel-Guedj)

1942, Golfe du Bengale. Sous la menace des Japonais qui s’apprêtent à envahir les îles Adaman, les Anglais se préparent à fuir.
Ty, un petit garçon de quatre ans, est kidnappé par Naila, treize ans et native des îles, qui s’occupe de lui depuis des années. Refusant de briser le lien exceptionnel qui les unit, elle l’emmène dans la jungle, au sein d’une tribu primitive. Mais Claire, la mère de Ty, est prête à tout pour retrouver son enfant magnifique…
C’est la deuxième publication d’Aimee Liu en France après La Montagne aux nuages, paru en… 1998.
Alice et les autres, de Vinciane Moeschler
Le Split de Shyamalan revisité façon épouse modèle et mère de famille parfaite, une façade idéale dissimulant un trouble dissociatif qui impose à Alice d’adopter tour à tour différentes personnalités – des métamorphoses qu’elle ne maîtrise pas et dont elle n’a aucun souvenir après coup. Lorsque des séjours en hôpital psychiatrique s’imposent, Alice devient un objet de fascination pour son thérapeute.
Une femme remarquable, de Sophie Avon
Sophie Avon s’inspire de la vie de sa grand-mère pour raconter l’histoire de Germaine, dite Mime, mariée à Alger en 1925, mère de deux enfants dont la deuxième, Simone, meurt à cinq ans. Terrassée par le chagrin, Mime se relève pourtant et poursuit sa vie avec courage, puisant ses forces dans son métier d’institutrice, et affrontant vaille que vaille les soubresauts de l’Histoire.
Parle tout bas, d’Elsa Fottorino
Victime d’un viol à dix-neuf ans, la narratrice ne peut trouver de réconfort dans la justice car l’affaire, faute d’indices, est classée sans suite. Jusqu’à l’arrestation d’un suspect douze ans plus tard, et la promesse, enfin, d’un procès. L’occasion de faire la paix avec son passé et de poursuivre la reconstruction de son existence.
La Muse ténébreuse de Charles Baudelaire, de Raphaël Confiant
Quiconque s’est un tant soit peu intéressé à Baudelaire a forcément croisé le nom de Jeanne Duval, maîtresse et muse du poète. D’elle, on sait pourtant peu de choses. En cherchant à élucider son mystère et celui de sa passion flamboyante avec Baudelaire, Raphaël Confiant se lance dans un véritable roman d’aventures au cœur de la littérature du XIXème siècle, de Paris à Saint-Domingue, de Dumas à Nerval.
BILAN
Lecture potentielle :
L’Enfant magnifique, d’Aimee Liu
À première vue : la rentrée Gallimard 2021
Intérêt global :

Coefficient d’occupation des tables des libraires :
Oubliés, les « seulement » treize titres de la rentrée 2020. Toutes collections confondues, Gallimard bombarde cette année 22 nouveautés sur les tables des libraires entre mi-août et mi-septembre.
Le fameux effet « monde d’après », sans doute.
Bon, c’est du grand n’importe quoi, bien entendu, où surnagent pourtant auteurs incontournables et quelques promesses intéressantes, comme d’habitude – on n’est pas Gallimard par hasard, aussi horripilant et arrogant soit-on.
Mais tout de même, vingt-deux… Faut pas déconner.
Donc je ferai un effort pour les titres qui m’intéressent le plus, les autres n’auront droit qu’à une copie bête et méchante du résumé Électre (merci Électre).
LE RETOUR DU NOBEL
Klara et le soleil, de Kazuo Ishiguro
(traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch)

C’est le premier roman du romancier britannique d’origine japonaise publié depuis qu’il a reçu le Prix Nobel. C’est aussi le premier édité chez Gallimard, après des années passées en France aux éditions des Deux Terres, disparues des écrans radar depuis 2018.
Ce retour, qui sera sûrement scruté de près, risque de décontenancer ceux de ses lecteurs qui en sont restés aux Vestiges du jour – un peu moins ceux qui, comme moi, ont adoré Auprès de moi toujours et son terrifiant sujet caché sous un vernis de bonne éducation classique.
Le résumé annonce en effet un roman futuriste, une sorte de variation sur le déjà bizarroïde (mais ô combien stimulant) A.I. : Intelligence Artificielle de Steven Spielberg. D’ailleurs, comme en clin d’œil à ce film, la Klara du titre est une A.A., une Amie Artificielle. Sa fonction : tenir compagnie et réconforter les enfants ou adolescents. Derrière une vitrine où elle se régénère à la lumière du soleil, elle observe le monde et les passants en espérant être bientôt adoptée. Lorsque l’occasion se présente, le risque est grand pourtant pour qu’elle déchante…
Rien de tel qu’un décrochage technologique pour parler avec pertinence de ce qui constitue l’essence de l’être humain. C’est un grand classique du forme de science-fiction humaniste, et l’empathie et la finesse psychologique d’Ishiguro ont tout pour faire éclore une fleur merveilleuse dans ce riche terreau.
LES DENTS DE LA MER CONTRE-ATTAQUENT
Au temps des requins et des sauveurs, de Kawai Strong Washburn
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé)

C’est d’abord le titre qui a attiré mon attention, puis le pitch de ce premier roman qui campe son intrigue à Hawaii.
Un petit garçon tombe à l’eau au cours d’une balade en mer. Des requins blancs l’entourent, on le croit perdu, mais l’un des squales le ramène sain et sauf à sa mère.
Par la suite, l’enfant développe d’étonnantes capacités de guérisseur, qui fascinent tout en mettant en danger l’équilibre de sa famille.
Une histoire intime qui éclaire en ombres chinoises l’histoire de l’archipel hawaïen : un classique du roman américain, dont le cadre inhabituel est le premier point fort.
UN NOUVEL ESPOIR ?
Temps sauvages, de Mario Vargas Llosa
(traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort)

On parlait de prix Nobel de littérature un peu plus haut, voici le nouveau roman du millésime 2010.
Un roman politique, articulé autour d’un fait historique véridique : en 1954, les États-Unis organisent un coup d’État militaire au Guatemala afin de renverser le président, Jacobo Arbenz. Ce dernier est un jeune militaire aux positions libérales et progressistes qui a notamment engagé une réforme agraire pour distribuer de la terre aux Indiens et partager les bénéfices de la culture bananière. La CIA et la puissante United Fruit Company agissent dans l’ombre.
DES HOMMES (ET DE LEURS PÈRES ET GRANDS-PÈRES…)
Le Fils de l’homme, de Jean-Baptiste Del Amo
Je n’ai jamais lu Jean-Baptiste Del Amo, et c’est sans doute un tort que je pourrais réparer avec ce nouveau livre.
Sur le papier, on dirait une variation sur Shining : après des années d’absence, un homme resurgit dans la vie de sa femme et de son fils, qu’il emmène dans une vieille maison isolée en pleine montagne. Il y assoit son emprise sur eux tout en sombrant lentement dans la folie.
La Volonté, de Marc Dugain
Grand nom et gros vendeur de la maison Gallimard, Marc Dugain délaisse les sujets historiques qu’il affectionne pour s’intéresser à son père. Un homme auquel il s’est violemment opposé durant une partie de sa vie, notamment durant l’adolescence, mais dont il a compris presque trop tard tout ce qu’il lui devait.
Un récit personnel qui, je l’avoue, n’éveille en rien ma curiosité.
Mohican, d’Eric Fottorino
Au cœur du Jura, un père et son fils s’opposent sur la manière de s’occuper de leurs terres. Parvenu au terme de sa vie, le père s’échine à gommer son passé de pollueur en imposant une forêt d’éoliennes autour d’eux, tandis que son fils rêve de rétablir le lien naturel entre l’homme, la terre, les saisons et les animaux.
Un affrontement philosophico-agricole sur fond de réflexion sur la modernité.
Les enfants de Cadillac, de François Noudelmann
Pour son premier roman, François Noudelmann met en parallèle la figure de son grand-père, combattant de la Première Guerre mondiale, lors de laquelle il est gravement blessé avant de finir sa vie en asile psychiatrique, et celle de son père, déporté lors de la Seconde Guerre mondiale, qui affronte à la libération des camps un terrible périple pour revenir à pied de Pologne jusqu’en France.
(Vous êtes toujours là ? Non, parce que c’est loin d’être terminé. Allez, on passe aux dames maintenant.)
DES FEMMES
Mon amie Natalia, de Laura Lindstedt
(traduit du finnois par Claire Saint-Germain)
De l’intérêt des contrastes : voici un roman finnois chaud comme la braise (sur le papier en tout cas).
L’histoire d’une femme qui entame une thérapie pour se débarrasser de ses obsessions sexuelles et qui, loin de se recadrer, perd peu à peu toutes ses inhibitions tout en appréciant de plus en plus ses rendez-vous atypiques avec son thérapeute.
Rien ne t’appartient, de Nathacha Appanah
A la mort de son époux, Tara sent rejaillir le souvenir de celle qu’elle était avant son mariage, une femme aimant rire et danser dont le destin a été renversé par les bouleversements politiques de son pays.
La Définition du bonheur, de Catherine Cusset
Autre nom référence de la maison Gallimard, Catherine Cusset entrelace le destin de deux femmes, l’une à Paris, l’autre à New York, liées par un lien mystérieux qui se dévoile peu à peu.
Un roman qui interroge le rapport des femmes au corps et au désir, à l’amour, à la maternité, au vieillissement et au bonheur.
Soleil amer, de Lilia Hassaine
Après L’Oeil du paon, le deuxième roman de Lilia Hassaine s’attache aux pas d’une femme, Naja, mère de trois enfants qu’elle élève seule en Algérie tandis que son mari, Saïd, travaille en France dans les usines de Renault à Boulogne-Billancourt.
Lorsqu’ils le rejoignent enfin, Naja tombe enceinte, et le couple décide de confier l’enfant à Saïd, faute d’avoir les moyens de l’élever correctement. Mais Naja accouche de faux jumeaux, et décide de garder le plus fragile des deux…
En creux, le roman évoque l’intégration des populations algériennes en France entre les années 60 et 80.
Une nuit après nous, de Delphine Arbo Pariente
Histoire de famille et passé refoulé, épisode 648412.
Une femme tombe amoureuse, ce qui l’amène à exhumer un passé qu’elle occultait jusqu’alors, une enfance chaotique à Tunis entre une mère à la dérive et un père tyrannique.
Un premier roman qui, quelles que soient ses bonnes intentions, a une bonne tête de sacrifié de la rentrée pléthorique de Gallimard.
Laissez-moi vous rejoindre, d’Amina Damerdji
Un premier roman qui donne une voix à Haydée Santamaria, une révolutionnaire proche de Fidel Castro.
DES HOMMES ET DES FEMMES ENSEMBLE
Mon maître et mon vainqueur, de François-Henri Désérable
La voix forte de ce jeune auteur, érudite et singulière, s’affirme avec constance à chaque nouvelle parution. À première vue, son quatrième livre attise toutefois un peu moins ma curiosité que les précédents.
Un écrivain est convoqué par la police suite à l’arrestation de son meilleur ami. Pour éclairer la personnalité de Vasco et essayer de comprendre les poèmes retrouvés sur lui au moment de son interpellation, il entreprend de relater la passion de Vasco pour une certaine Tina.
Son empire, de Claire Castillon
J’aurais pu créer une rubrique « intrigues jumelles » et y associer ce roman et celui de Jean-Baptiste Del Amo, tant leurs sujets semblent proches (ce qui ne sera sûrement pas le cas de leurs traitements respectifs, bien entendu).
Ici, une petite fille de huit ans voit sa mère céder à l’emprise psychologique d’un homme pervers, paranoïaque et jaloux.
Une éclipse, de Raphaël Haroche
Enlevez Haroche, et vous avez Raphaël le chanteur. Voilà pour le côté « people », auquel il ne faudrait pas réduire les qualités du garçon, si l’on se souvient qu’il a reçu le Goncourt de la nouvelle en 2017 pour Retourner à la mer.
Son nouveau livre est encore un recueil de nouvelles, dans lequel il explore le destin de personnages au bord de la rupture. Un classique de la forme brève, particulièrement apte à saisir en quelques pages l’instant décisif lors duquel une vie peut basculer.
La Vraie vie de Cécile G., de François Caillat
Paris, dans les années 1960. Denis, le narrateur, est adolescent lorsqu’il rencontre Cécile. Ils doivent se retrouver à Plymouth mais Cécile ne vient pas. Denis construit sa vie sans elle mais ne peut s’empêcher de penser à cette femme. Il transpose ses histoires et s’imagine les vivre avec elle. Un jour, il croit la reconnaître dans un parc. Un premier roman dont je ferai joyeusement l’économie (comme beaucoup d’autres de ce programme, cela dit).
LÀ-HAUT
Sur les toits, de Frédéric Verger

Frédéric Verger continue à recourir à la Seconde Guerre mondiale comme toile de fond de ses intrigues.
Après le très remarqué Arden et Les rêveuses, son troisième roman nous entraîne à Marseille, en 1942. De peur d’être séparés pendant l’hospitalisation de leur mère, un adolescent de 14 ans et sa petite sœur se réfugient sur les toits du quartier du Panier. Ils découvrent qu’ils sont loin d’être les seuls à avoir eu la même idée : c’est toute une population marginalisée qui vit au-dessus des maisons de Marseille…
Les envolés, d’Étienne Kern

Pour son premier roman, Étienne Kern s’inspire de l’histoire vraie de Franz Reichelt, un tailleur parisien d’origine autrichienne qui rêvait de voler comme un oiseau.
En 1912, équipé d’un dispositif de son invention, sorte d’ancêtre du wingsuit, il s’élance du premier étage de la Tour Eiffel et s’écrase en direct devant les caméras.
Un récit tragique qui peut donner une belle matière romanesque, reste à voir ce que le néo-écrivain a à en dire, et comment.
EN BAS

Cave, de Thomas Clerc
(coll. l’Arbalète)
Thomas Clerc aime bien les espaces clos. Après avoir fait de son appartement (Intérieur) ou d’un arrondissement de Paris (Paris, musée du XXIe siècle : Le Dixième Arrondissement) des espaces littéraires dignes d’un entomologiste, le voici qui plonge dans les sous-sols d’un immeuble, dans cette cave aux murs délabrés qu’il explore en métaphore de sa vie sexuelle…
AILLEURS (LES AUTRES, QUOI)

La Vie d’Andrés Mora, de Claudine Desmarteau
(coll. Sygne)
Auteure réputée pour la jeunesse, Claudine Desmarteau récidive pour les « grands » (après Comme des frères, paru chez l’Iconoclaste en 2020) en concevant l’histoire d’un écrivain dont les dernières œuvres ont si peu marché que son éditeur refuse de publier son nouveau livre.
Vexé, il entreprend de se forger un double, à l’image de Romain Gary / Émile Ajar.

La Malédiction de l’Indien : Mémoires d’une catastrophe, d’Anne Terrier
(coll. Continents Noirs)
Encore un premier roman (le programme en compte six), qui prend cette fois la direction de la Martinique.
Au début des années 2000, Josepha Dancenis s’interroge sur la coïncidence entre l’éruption de la montagne Pelée en 1902 et plusieurs événements dramatiques qui ont secoué sa famille. Elle découvre que son oncle Victorin porte un lourd secret et met en évidence des failles qui ont conduit à la mort de milliers de personnes.
BILAN
Lecture certaine :
Klara et le soleil, de Kazuo Ishiguro
Lectures probables :
Au temps des requins et des sauveurs, de Kawai Strong Washburn
Le Fils de l’homme, de Jean-Baptiste Del Amo
Lectures potentielles :
Sur les toits, de Frédéric Verger
Mon maître et mon vainqueur, de François-Henri Désérable
Temps sauvages, de Mario Vargas Llosa
À première vue : la rentrée Les Escales 2021
Intérêt global :
Première occurrence ici pour les Escales ! Un éditeur dont le catalogue m’est peu familier, dois-je l’avouer, mais dont un titre au moins me fait gentiment de l’œil en cette rentrée 2021.
Une raison comme une autre de lui faire une place dans la rubrique « à première vue », en espérant y faire de belles rencontres.
Nous vivions dans un pays d’été, de Lydia Millet
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Carole Bouet)

En été, dans une maison de vacances au bord d’un lac, douze adolescents étonnamment matures ainsi que leurs parents passent leurs journées dans une torpeur où se mêlent alcool, drogue et sexe.
Lorsqu’une tempête s’abat sur la région, les jeunes gens quittent les lieux en laissant là ces adultes dont l’inaction les exaspère et les effraie.
C’est le premier titre de l’Américaine Lydia Millet aux Escales, après plusieurs publications au Cherche-Midi et aux éditions Autrement.
Les aquatiques, d’Osvalde Lewat
Vingt ans après la mort de sa mère, l’enseignante Katmé Abbia apprend que sa tombe doit être déplacée. Son mari, Tashun, préfet de Yaoundé, voit là l’occasion inespérée de réparer ses erreurs et de donner un nouvel élan à sa carrière politique. Mais avec l’arrestation de son meilleur ami Samy, un artiste tourmenté, la vie de Katmé et les ambitions de Tashun entrent en collision.
Photographe et réalisatrice franco-camerounaise, Osvalde Lewat ajoute à sa palette artistique ce premier roman.
Ombres portées, d’Ariana Neumann
(traduit de l’anglais par Nathalie Peronny)
Récit de l’enquête familiale menée par l’auteure sur son père après la mort de ce dernier, lorsqu’elle découvre dans ses affaires des documents révélant qu’il avait vécu à Berlin sous une fausse identité pendant la Seconde Guerre mondiale.
BILAN
Lecture probable :
Nous vivions dans un pays d’été, de Lydia Millet
Lecture hypothétique :
Ombres portées, d’Ariana Neumann
À première vue : la rentrée Agullo 2021
Intérêt global :
Agullo a cinq ans !
L’occasion de mettre en lumière et de soutenir plus que jamais cette maison aussi sérieuse qu’aventureuse, grande exploratrice des littératures des pays de l’est (ils nous ainsi offert au premier trimestre la première traduction d’un polar croate, L’Eau rouge) et découvreuse de talents puissants en littérature policière. Dont l’un de leurs plus éminents représentants revient justement en septembre cette année, et on l’attend avec impatience (c’est peu de le dire !)
La Nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin

Sa trilogie Benlazar (La Guerre est une ruse, Prémices de la chute et La Fabrique de la terreur) a marqué les esprits, autant par la force implacable de sa narration que par la pertinence de sa réflexion sur les dérives extrémistes entre la fin du XXème siècle et le début du XXIème.
Le regard acéré de Frédéric Paulin se braque cette fois sur Gênes, en juin 2001, à l’occasion d’une réunion du G8 marquée par de terribles répressions policières contre les nombreux manifestants altermondialistes venus défendre une autre vision du monde.
Grosse promesse, énorme attente, l’un des rendez-vous incontournables de la rentrée pour moi.
(Et le titre est superbe.)
Le Saut d’Aaron, de Magdaléna Platzová
(traduit du tchèque par Barbora Faure)

Une équipe de tournage du XXIème siècle s’intéresse au destin de Berta Altmann, une artiste indépendante de l’entre-deux-guerres qui cherche sa voie de Vienne à Berlin en passant par Prague.
Un roman inspiré par Friedl Dicker-Brandeis, qui a enseigné l’art aux enfants dans le camp de Terezin avant de mourir à Auschwitz.
BILAN
Encore deux titres de la maison qui m’intéressent fortement… Ils sont forts chez Agullo !
Lecture certaine :
La Nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin
Lecture probable :
Le Saut d’Aaron, de Magdaléna Platzová
Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe

Éditions Gallimard, 2021
ISBN 9782072923920
304 p.
22 €
Mr Wilder and me
Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle
Dans la chaleur exaltante de l’été 1977, la jeune Calista quitte sa Grèce natale pour découvrir le monde. Sac au dos, elle traverse les États-Unis et se retrouve à Los Angeles, où elle fait une rencontre qui bouleversera sa vie : par le plus grand des hasards, la voici à la table du célèbre cinéaste hollywoodien Billy Wilder, dont elle ne connaît absolument rien.
Quelques mois plus tard, sur une île grecque transformée en plateau de cinéma, elle retrouve le réalisateur et devient son interprète le temps d’un fol été, sur le tournage de son avant-dernier film, Fedora.
Tandis que la jeune femme s’enivre de cette nouvelle aventure dans les coulisses du septième art, Billy Wilder vit ce tournage comme son chant du cygne. Conscient que sa gloire commence à se faner, rejeté par les studios américains et réalisant un film auquel peu de personnes croient vraiment, il entraîne Calista sur la piste de son passé, au cœur de ses souvenirs familiaux les plus sombres.
En inconditionnel de Jonathan Coe, l’un des rares auteurs dont j’ai lu tous les romans, je me suis bien sûr précipité sur son nouvel opus dès que j’ai eu la possibilité de le récupérer. Billy Wilder et moi ne restera cependant pas, pour une fois, un grand souvenir de lecture, posé quelque part du côté de La Vie très privée de Mr Sim ou, plus ancien, Une touche d’amour.
Pourquoi ? Je n’en sais rien.
Bizarre, hein ?
Je vais tenter de vous expliquer ce qui me perturbe. Ce texte est ma troisième tentative de chronique en deux jours. Alors que j’essayais de mettre de l’ordre dans mes pensées et d’en tirer un propos un tant soit peu intéressant, je me suis rendu compte que je parvenais juste à être pontifiant – mot gentil et ronflant pour ne pas dire chiant.
Essayant de gloser sur le contenu du roman, je me retrouvais à le paraphraser en tentant, par-dessus le marché, de faire des grandes phrases pour avoir l’air intelligent, sans arriver à en tirer d’analyse pertinente.
Bref, le combo gagnant.
Si j’essaie de résumer plutôt que de gloser, voici ce que cela donne, en quelques points énumérés :
- une narratrice attachante, Calista, qui marque le troisième recours de Coe à une voix féminine en guise de point de vue principal, après son premier roman, La Femme de hasard (plutôt oubliable), et La Pluie, avant qu’elle tombe (que j’aime beaucoup en revanche, même si ce n’est pas forcément le cas de tous les amateurs de l’écrivain). Jeune et naïve, elle se pose en héroïne typique de roman de formation, construite en opposition à l’autre personnage principal, Billy Wilder, dont elle éclaire l’expérience, la science, mais aussi les questionnements touchants sur le vieillissement et l’épuisement de la vie, notamment artistique.
- une construction imparable en trois actes, chacun centré autour d’une scène de repas qui permet, en réunissant les personnages autour d’une table, de bons plats et surtout de bon vin, de délier la parole et, au romancier, de délivrer l’essentiel de son propos.
- une grande séquence-clef au cœur du livre, que Coe décline avec beaucoup d’à-propos sous forme de traitement scénaristique qui lui donne efficacité, rythme et pertinence.
- un beau roman sur l’art, sur l’expression artistique (Calista devient compositrice, notamment de musique de film), et sur le cinéma, évidemment, qui sonne en particulier comme une déclaration d’amour à Billy Wilder, cinéaste très cher à Jonathan Coe…
Reste qu’à la lecture, j’ai eu la sensation de rester à la surface. De ne jamais totalement entrer dans cette histoire, de ne pas être touché par le propos.
La faute, peut-être, à une écriture plus neutre et distanciée que d’habitude, voire presque plate. Jonathan Coe n’est pas réputé pour sa flamboyance, mais son style, pour être discret, n’en est pas moins travaillé, poli pour gagner en fluidité, tout en brillant souvent par son humour et son ironie, marques de fabrique indiscutables du romancier britannique.
Quand il s’éloigne de ce qui ressemble à une zone de confort où il excelle, soit il gagne en sensibilité et en émotion (c’est le cas à mon sens dans La Pluie, avant qu’elle tombe), soit il s’affadit quelque peu. J’avais déjà eu cette impression dans son précédent livre, Le Cœur de l’Angleterre ; dans Billy Wilder et moi, cela me semble encore plus net.
Si je le trouve loin des standards de Jonathan Coe, ou en tout cas de ce que j’attends et espère de lui, Billy Wilder et moi reste une lecture agréable, riche de jolis moments et de personnages solidement incarnés.
Une bonne peloche du samedi soir, en somme.
Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Bellissen


Éditions Robert Laffont, 2020
ISBN 9782221241097
234 p.
19 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Le dernier inventeur, c’est Simon Coencas. L’un des quatre adolescents qui ont découvert – « inventé », selon le terme consacré – la grotte de Lascaux le 12 septembre 1940. Fascinée par cette histoire, Héloïse Guay de Bellissen décide de le rencontrer, lui qui, à 91 ans, est alors le dernier survivant du quatuor.
Au fil de leurs entretiens, elle découvre à son tour qu’une vie peut prendre des tours et détours inattendus, soumise aux soubresauts de l’Histoire.
C’était un beau sujet. Encore fallait-il se montrer à sa hauteur. Héloïse Guay de Bellissen n’y parvient que de temps en temps, sans doute paralysée par l’émotion – sincère, à n’en pas douter – que font naître en elle sa rencontre avec Simon Coencas et le récit de la vie du vieil homme.
Elle le reconnaît d’ailleurs elle-même :
« Ce que me donne Simon, sa parole offerte, ses souvenirs, tout, cette forme d’offrande pure, si j’y pense trop, ça me fout en l’air. Ses mots, ce sont des cadeaux qu’il m’offre, et moi je dois en faire de l’écriture, dessiner une frise de Simon. Lui poser des questions, de plus en plus intimes, c’est difficile (…) »
Très vite, elle reste bloquée sur les deux moments clefs de cette existence : la découverte de la grotte en 1940, et l’arrestation de Simon à Paris en 1942 parce qu’il est juif, son internement à Drancy durant un mois et le destin tragique de ses parents.
L’essentiel du livre ne consiste qu’en allers-retours déconstruits entre ces deux faits, sans jamais dégager de ligne directrice ni aller plus loin qu’une approche trop superficielle de leurs significations et de leurs valeurs.

Si l’on comprend l’importance décisive de ces moments, cela ne fait ni une vie, ni un livre. Plus ennuyeux selon moi, Héloïse Guay de Bellissen laisse l’émotion de l’arrestation prendre le pas sur celle de la découverte de la grotte. J’aurais aimé en savoir plus sur les conséquences de l’invention. Quelles répercussions a-t-elle eu sur la longue existence de Simon Coencas ? Comment l’événement a-t-il été vécu à l’époque, quelle place Simon y a-t-il joué alors ? Et ensuite ?
De tout ceci, rien. À la place, la romancière choisit une narration bancale pour épaissir la sauce. Chaque chapitre ou presque commence par quelques lignes en italique : c’est la grotte qui parle, mettant plus ou moins en perspective ce qui va être abordé dans la suite du texte. Ensuite vient un extrait d’interview entre l’auteure et Simon, délivré brut. Puis une reconstitution par l’imagination d’un épisode de la vie de Simon, correspondant à l’extrait en question.
Rien ne m’a vraiment convaincu. Donner la parole à la grotte n’est qu’un truc, une ficelle, Héloïse Guay de Bellissen n’en tire aucune grandeur. À l’occasion, elle émaille même le roman de chapitres plus longs où Lascaux échange avec d’autres voix, celles de la Mort et de la Guerre. L’allégorie est boiteuse, les passages d’une naïveté confondante. C’est de l’émotion facile, bien loin de celle que j’aurais aimé éprouver en m’immergeant plus profond dans l’existence et les sentiments de Simon Coencas.

Les extraits d’interview manquent de relief, d’autant qu’ils sont à peine mis en scène. Au début du roman, l’auteure nous promet un Simon pétillant, actif, plein de vie ; on ne le ressent presque jamais lorsqu’elle lui donne la parole. Les dialogues, restitués tels qu’ils sont sortis de l’enregistreur, tombent souvent à plat, faute d’être mis en valeur.
Quant aux parties inventées, par définition risquées puisqu’elles tentent de combler les trous de l’Histoire par de la matière fictionnelle (donc dénuée de preuve ou de faits), elles restent la plupart du temps gentillettes, naïves là aussi. Sauf de temps en temps, où Héloïse Guay de Bellissen brièvement touchée par la grâce se trouve un style, s’engage dans son propos, met des sentiments dans ce qu’elle raconte.

C’est le cas par exemple lorsqu’elle reconstitue l’amitié de Simon et ses amis inventeurs, notamment Jacques, le plus proche, le meilleur copain. Il en résulte des moments joyeux, sincères, brillant d’enfance, qui conduisent assez naturellement à la découverte émerveillée de la grotte par le quatuor.
C’est le cas, encore, dans certains passages consacrés à Drancy, dans lesquels la romancière prend des risques – car on sait que fictionnaliser tout ce qui touche de près ou de loin à la Shoah est éminemment casse-gueule. Elle parvient pourtant à rester sur son fil, le plus souvent, sans pirouette ni artifice grossier.
« Ici c’est un endroit rêvé pour les cauchemars. Ils ne prennent même plus le temps de passer par le sommeil. »
D’un autre côté, elle se hasarde aussi à une scène fictive à Auschwitz, dans laquelle elle imagine que les parents de Simon se retrouvent brièvement (alors qu’ils n’y sont pas arrivés ni morts en même temps). Des retrouvailles non confirmées par Simon, en dépit de l’insistance presque gênante de la romancière à le lui faire dire – et tout aussi gênante est la scène en question, tentative de tire-larmes qui manque un peu de dignité, tout en se raccrochant avec peine à une imagerie du camp de concentration à la limite du cliché.
Du reste, de manière générale, c’est par l’écriture que je trouve Héloïse Guay de Bellissen pas à la hauteur de son sujet. Certaines formulations de la narratrice, proches de la langue orale, piquent les yeux :
« Ici, tout est suspendu. Le temps d’abord, et l’amour. Y a des gens comme ça qui se complètent. »
Cette faiblesse de langue, absolument pas justifiée dans le texte, est l’aveu d’un style dépassé par son propos. J’ai eu l’impression que la romancière ne savait pas quoi faire de sa matière, comment l’agencer, l’élaborer, puis la faire briller des mille feux sous lesquels elle aurait mérité de resplendir.
Repoussé par cette écriture trop souvent neutre, dénuée de vie, je suis resté aux portes de l’émotion, là où j’aurais voulu être emporté, galvanisé, émerveillé.
J’aurais voulu éprouver pour ce Simon Coencas de papier la même passion que celle ressentie par Héloïse Guay de Bellissen – car, encore une fois, je ne doute pas une seconde de son profond engagement pour cette histoire et pour cet homme (et pour sa femme, Gisèle).
J’aurais adoré, aussi, ressentir face aux visions de Lascaux la sidération que ce miracle doit faire naître dans n’importe quel cœur battant. Hélas, rien non plus de ce côté. Les rares descriptions sans relief des œuvres magdaléniennes ne sont hélas pas compensées par la voix sans intérêt que la romancière prête à la grotte.

Bref, vous l’aurez compris, Le Dernier inventeur est pour moi une déception, qui prouve une fois de plus que le roman biographique est tout un art, dans lequel il ne suffit pas de plaquer des faits, des extraits d’interview et des moments d’Histoire pour toucher juste. Il faut y ajouter de la vie, de la personnalité, il faut que la voix de l’auteur(e) vibre au creux du réel pour que celui-ci résonne avec force.
Tout ceci m’a manqué ici. Dommage.
À première vue : la rentrée Plon 2020

Intérêt global :
Je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas un spécialiste du catalogue des éditions Plon, ni de leur manière d’aborder la rentrée littéraire, ni de leur ligne éditoriale en littérature (pour peu qu’il y en ait une). Cette maison fait partie de celles qui n’ont jamais réussi à m’intéresser, de quelque manière que ce soit. Donc, me voilà bien embêté pour vous raconter quelque chose d’un tant soit peu captivant à son sujet.
Restons-en donc aux faits : la rentrée Plon se compose de cinq titres francophones, quatre romans et un recueil de chroniques. Et puis voilà.
La Chambre des dupes, de Camille Pascal
Le haut fonctionnaire Camille Pascal a été l’invité surprise de la rentrée littéraire 2018. Avec L’Été des quatre rois, son premier roman récompensé du Grand Prix de l’Académie française et très large succès public, il a récolté un plébiscite auquel personne ne s’attendait vraiment, surtout pour un roman historique racontant la succession express de quatre souverains durant l’été 1830.
Pour son deuxième, il retourne au même genre, mais cette fois à la cour de Louis XV, dont il narre la passion pour Marie-Anne de Mailly-Nesle, marquise de La Tournelle. Passion si brûlante qu’il en fait sa favorite principale et la titre duchesse de Châteauroux (à l’époque, ça devait être classe). Mais le roi, en pleine campagne militaire, tombe gravement malade à Metz, et la position privilégiée de la duchesse se trouve menacée par la raison d’État…
Je ne suis pas un grand adepte de roman historique. Mais il faut reconnaître que le sujet est très bien choisi. Le style élégamment classique de Camille Pascal devrait parfaitement convenir pour raconter cette page d’histoire, et convaincre les adeptes du genre.
La Discrétion, de Faïza Guène
Avec Kiffe kiffe demain, son premier roman paru en 2005 alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans, Faïza Guène a connu un succès immédiat autant que fulgurant (traduit en 26 langues quand même). Après trois romans chez Hachette et deux chez Fayard, elle arrive chez Plon avec un roman consacré à une femme de 70 ans qui vit en toute discrétion à Aubervilliers. Née en Algérie lorsque le pays était encore une colonie française, adolescente au moment de l’indépendance, elle a tenté de transmettre son goût de la liberté à ses enfants tout en réfrénant ses colères, ses souffrances et la peine née de l’exil. C’est à eux, désormais, de mettre en lumière son histoire, et de révéler la vérité de cette femme discrète.
La Chasse aux âmes, de Sophie Blandinières
Durant la Seconde Guerre mondiale, trois femmes, une Polonaise, Janina, et deux juives, Bela et Chana, organisent un réseau clandestin pour faire sortir des enfants juifs du ghetto. Ils changent alors d’identité, trouvent un nouveau foyer et deviennent des polonais catholiques afin de survivre dans la zone dite aryenne.
La Grâce, de Thibault de Montaigu
Suite à une dépression, le narrateur, athée, relate comment il a été touché par la grâce, une nuit, dans la chapelle d’un monastère. Afin de comprendre cette révélation soudaine, il renoue avec Christian, son oncle et frère franciscain, qu’il connaît peu et qui décède après leurs retrouvailles. Il découvre que cet homme a connu le même parcours spirituel que lui à l’âge de 37 ans.
Rumeurs d’Amérique, d’Alain Mabanckou
Un recueil de chroniques par l’auteur franco-congolais, qui vit aux USA depuis une quinzaine d’années. Il évoque l’opulence de Santa Monica, les conditions de vie des minorités de Los Angeles, le désespoir des agglomérations environnantes, le rêve américain, la guerre des gangs, la musique, les habitudes politiques, entre autres.
BILAN
Aucune lecture en vue dans ce programme en ce qui me concerne. À vous de voir !
À première vue : la rentrée de l’Olivier 2020

Intérêt global :
À bord du navire l’Olivier, on aborde la rentrée littéraire 2020 avec une nouvelle vice-capitaine à bord, l’excellente éditrice Nathalie Zberro, déjà passée sous les branches de l’arbre avant un long et fructueux crochet à la tête du département étranger des éditions Rivages.
Du côté des auteurs en lice, on reste aussi largement en famille, puisque trois d’entre eux (sur cinq) sont des noms familiers de la maison. Au programme : quatre romans, et un essai d’un grand nom des lettres américaines qui devrait avoir les faveurs de la presse.
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos
Le Garçon incassable reste un très grand souvenir de lecture, poignant, créatif et d’une profonde justesse. Le titre du nouveau roman de Florence Seyvos annonce une intrigue marquée par l’étrangeté et l’inquiétude, qui ne devrait pas être dénuée d’émotion et d’empathie, qualités dont l’auteure est naturellement vibrante. Elle narre ici l’histoire d’Anna, une jeune fille cantonnée dans la peur, et convaincue de voir et d’entendre des choses que personne d’autre ne perçoit. Des voix, des lumières aux fenêtres, des ombres dans les couloirs… Suivie et traitée depuis des années par un mystérieux médecin, Anna s’interroge sur ce qu’elle est réellement, et sur ce qu’elle pourrait devenir.
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut
Ostwald, son singulier premier roman, a commencé à distinguer Thomas Flahaut comme auteur à surveiller. Voici son deuxième, encore une fois ancré dans l’est – à tel point qu’on franchit la frontière pour passer en Suisse et découvrir les Verrières, petite ville frontalière où ont grandi Thomas, Mehdi et Louise, les trois héros du livre. De formidable terrain de jeux pour gamins, l’endroit devient, le temps d’un été, laboratoire d’entrée dans l’âge adulte. Comme leurs pères avant eux, les deux garçons entrent à l’usine, centre névralgique de la région, tandis que Louise utilise l’endroit comme lieu d’étude pour sa thèse sur les ouvriers frontaliers. Chacun à sa manière, ils confrontent leurs espoirs de vies meilleures et d’évasions sociales à un univers professionnel plus violent que jamais.
Mes fous, de Jean-Pierre Martin
Auteur d’essais et de fictions chez différents éditeurs (Seuil, Gallimard, Autrement entre autres), Jean-Pierre Martin rejoint les éditions de l’Olivier pour présenter ses Fous – ou, plus exactement, les fous de son héros, Sandor, persuadé d’attirer les personnalités atypiques et décrochées du réel dès qu’il met un pied dehors. De quoi se demander si lui-même ne serait pas un peu fou…
Walker, de Robin Robertson
(traduit de l’anglais par Josée Kamoun)
Premier roman d’un éditeur et poète britannique, Walker nous transporte de l’autre côté de l’Atlantique, dans les pas d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui tente de trouver sa place dans un monde qu’il voit désormais comme un gigantesque film noir – à la manière de tous ces longs métrages hollywoodiens dans lesquels il se réfugie lorsque la fuite est trop dure. De New York à Los Angeles, en quête d’un emploi et d’un sens à sa vie, Walker arpente un monde vaste et fascinant où tout reste danger. Fidèle aux origines de sa plume, Robertson déploie sa fiction sous la forme d’un poème épique, faisant de son roman une odyssée moderne.
Et si on arrêtait de faire semblant ?, de Jonathan Franzen
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis)
À la manière de l’autre Jonathan publié en France par les éditions de l’Olivier (Safran Foer), Franzen est un romancier qui a des idées et des opinions, et qui les exprime avec talent sous d’autres formes que la fiction. Démonstration avec ce recueil d’essais et d’articles, rédigés entre 2001 et 2019, qui développe des réflexions diverses sur la littérature, les nouvelles technologies, le monde dans lequel nous vivons ou l’écologie. Le texte qui donne son titre au livre, publié l’année dernière dans le New Yorker et consacré au réchauffement climatique, avait créé la polémique. Signe que, face à l’intelligence, nul ne peut rester insensible, pour le meilleur ou pour le pire.
BILAN
Lecture certaine :
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos
Lectures potentielles :
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut
Walker, de Robin Robertson
À première vue : la rentrée Flammarion 2020

Intérêt global :
Sept titres. Voici enfin un « gros » éditeur qui semble avoir compris les enjeux de la crise et qui a réellement resserré son programme de rentrée. Par ailleurs, Flammarion envoie ses poids lourds en première ligne – Alice Zeniter, Serge Joncour, Philippe Djian -, histoire d’assurer le coup. Comme souvent avec cette maison, c’est solide, pas forcément clinquant, mais on peut d’ores et déjà être sûr qu’elle tiendra son rang dans les places d’honneur.
TÊTES D’AFFICHE
Comme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter
Il y a trois ans, L’Art de perdre (prix Goncourt des Lycéens) avait enfin propulsé cette jeune romancière prometteuse sous les projecteurs, et à raison. Alice Zeniter se retrouve donc forcément attendue pour son retour, qu’elle a choisi de mener sur une voie plus contemporaine et politique.
Elle y suit en effet le parcours de deux jeunes gens, deux trentenaires qui essaient, chacun à leur manière, de repenser le monde dans lequel nous vivons. L’un, Antoine, est assistant parlementaire, et se demande comment renverser la détestation de l’action politique (et de ses acteurs) qui semble gagner une frange de plus en plus importante de la population. L’autre, L, est hackeuse, et œuvre en coulisses et en toute illégalité pour démolir les privilèges indus, punir les mauvaises pratiques et tenter d’abattre ceux qui creusent chaque jour un peu plus les inégalités. Ils ne sont ni « méchants » ni « gentils ». Parce qu’ils veulent encore croire qu’un autre monde est possible, ils se battent avec leurs petites armes, leur volonté et leur espoir.
J’ai lu les premières pages : l’écriture est puissante, le regard affûté, le ton mordant d’emblée. Alice Zeniter paraît au rendez-vous. Si c’est le cas de bout en bout, bonne nouvelle !
Nature humaine, de Serge Joncour
Fidèle de la rentrée littéraire (un roman tous les deux ans environ) et des listes de meilleures ventes, Serge Joncour est la deuxième locomotive de Flammarion. Il nous ramène sur cette nuit de terrible tempête sur laquelle, comme un signe du destin, s’acheva 1999 et commencèrent les années 2000. Tandis que les éléments se déchaînent à l’extérieur, un homme reste reclus dans sa ferme du Lot. Ce qu’il craint, ce n’est pas la violence du ciel que l’arrivée des gendarmes. Car ils viendraient mettre un point final à son histoire, qui est aussi celle du monde paysan en France, et au-delà, toute une manière de concevoir la société.
Avec ambition, Joncour s’attache à remonter trente ans de l’Histoire récente du pays, et à essayer de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Un socle humain pour sonder le politique, voilà encore un roman qui devrait faire parler de lui.
2030, de Philippe Djian
Mine de rien, c’est un petit événement dans le Landerneau (ou pas). Après avoir été longtemps l’une des plumes phares de Gallimard, Philippe Djian rejoint l’écurie Flammarion avec un titre qui se passe de commentaire.
2030, ça paraît encore loin, non ? C’est demain. C’est presque déjà aujourd’hui. Dans ce roman qui joue d’une légère anticipation pour mieux éclairer le présent, Djian interroge un monde qui continue à courir à sa perte. Greg, son héros, est tiraillé entre son patron, à la tête d’un laboratoire aux pratiques litigieuses (et accessoirement mari de sa sœur), et sa nièce Lucie qui s’engage à fond dans la lutte pour l’écologie – à la manière de de cette jeune filles suédoise qui, à la fin des années 2010, faisait office de Jeanne d’Arc de l’environnement…
SOLEIL DE MINUIT
Une fille de rêve, d’Eric Laurrent
Encore un transfuge, tiens. Mais celui-ci fera moins de bruit que Djian. Eric Laurrent a pourtant publié douze romans aux éditions de Minuit avant d’arriver cette année chez Flammarion. Il y amène Nicky Soxy, figure centrale de son précédent roman, Un beau début, dans lequel il relatait ses origines à la fois modestes et cradingues. En effet, avant d’être cette vedette éphémère dont le seul talent est d’être célèbre pour être célèbre, elle fut Nicole Sauxilange, camarade de classe du narrateur et, accessoirement, fille de son grand-père (oui, beurk). Dans Une fille de rêve, Eric Laurrent s’attache à raconter l’éclosion de la star, ses splendeurs et misères de courtisée moderne la vouant à une disparition aussi brutale que son apparition.
AU CŒUR DES (IM)POSSIBLES
Sexy Summer, de Mathilde Alet
Après avoir parcouru les premières pages de ce roman, je crois qu’il serait judicieux de ne pas le juger trop vite, sur la mauvaise mine de sa couverture bas de gamme et son titre racoleur de bluette pour ados. (De l’importance de l’emballage, encore une fois.)
D’adolescence il est bien question ici, mais pas sous l’angle convenu auquel on pourrait s’attendre. Juliette, la jeune héroïne du troisième roman de Mathilde Alet (après deux premiers publiés en Belgique chez Luce Wilquin), souffre de la « maladie des ondes », ce qui pousse ses parents à quitter Bruxelles pour s’installer à la campagne. Là, ils pensent avoir fait le nécessaire pour préserver leur fille de la douleur. Mais les étendues désertes du plat pays peuvent receler d’autres formes de violence…
En rédigeant cette présentation, je repense à Adeline Dieudonné et son formidable premier roman, La Vraie vie. Méfions-nous des jeunes romancières belges, elles ont tendance à avoir du talent.
Sale bourge, de Nicolas Rodier
Là encore après examen des premières pages, je suis un peu moins convaincu par ce premier roman. Aîné d’une famille nombreuse des milieux aisés où l’on vit ancré dans la certitude qu’on a tous les droits, Pierre a néanmoins grandi dans la violence, sous la coupe notamment d’une mère tyran. Devenu adulte, il finit par reproduire le même schéma et se retrouve en garde à vue après avoir frappé sa femme. L’occasion d’opérer un retour en arrière et de chercher dans son enfance « privilégiée » les racines de son mal…
Le sujet – sonder les origines de la violence dans les milieux bourgeois – est intéressant, même s’il n’est pas neuf. Sur le peu que j’ai lu, toutefois, le style m’a paru manquer un peu de relief. À voir, peut-être, sur la longueur.
Inge en guerre, de Svenja O’Donnell
(traduit de l’anglais par Pierre Guglielmina)
La guerre observée du côté des femmes allemandes. Voilà un point de vue qu’on n’a sans doute pas trop l’habitude de rencontrer, et qui pourrait donner de l’intérêt à ce récit de Svenja O’Donnell. Celle-ci, en remontant vers le passé toujours gardé secret de sa grand-mère Inge, se livre à une quête des origines, de la vérité familiale envers et contre tout.
BILAN
Lecture probable
Comme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter
Lectures envisageables
Sexy Summer, de Mathilde Alet
Nature humaine, de Serge Joncour
A première vue : la rentrée Stock 2018

L’année dernière, nous avions reproché à Stock de faire partie des éditions se présentant à la rentrée avec un effectif beaucoup trop pléthorique. Pas mieux cette année, puisque la maison bleue aligne pas moins de douze nouveautés pour la seule date du 22 août… Et comme d’habitude, nous n’en retiendrons que deux ou trois, sans trop s’attarder sur le reste. En espérant trouver dans la liste un titre aussi somptueux que Les huit montagnes de Paolo Cognetti !
OHÉ OHÉ : Capitaine, d’Adrien Bosc
Pour moi, le plus attendu de la bande. Aujourd’hui éditeur au Seuil et aux éditions du Sous-Sol, ce jeune homme doué et pressé qu’est Adrien Bosc avait marqué les esprits avec son premier roman paru en 2014, Constellation. Après cette histoire d’avion, voici qu’il s’intéresse à un bateau, le Capitaine Paul-Lemerle, parti du port de Marseille le 24 mars 1941 avec à son bord André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers et beaucoup d’autres artistes, écrivains, journalistes, fuyant tous le régime de Vichy et la menace nazie. A sa manière kaléidoscopique, Bosc s’attache à relater le long voyage du bateau jusqu’en Amérique. Le sujet a tout pour que le jeune écrivain (32 ans) en fasse quelque chose de brillant.
MOMMY : Le Guetteur, de Christophe Boltanski
Lui aussi sera attendu pour son deuxième roman, car son premier, La Cache, a été très remarqué et apprécié (au point de décrocher le Prix Femina il y a trois ans). Cette fois, il y est question d’un fils qui, découvrant le manuscrit inachevé d’un polar dans les affaires de sa mère, décide d’enquêter sur elle pour essayer de comprendre cette femme mystérieuse. Des investigations qui vont le ramener aux jeunes années de sa mère, alors qu’elle était étudiante à la Sorbonne, en pleine guerre d’Algérie…
THIEF, BAGGINS ! : Confessions d’une cleptomane, de Florence Noiville
Florence Noiville a de la suite dans les idées. En l’occurrence, celle de placer un désordre psychique majeur au cœur de l’intrigue de ses livres. Après le syndrome de Clérambault dans L’Illusion délirante d’être aimé (2015), la voici donc qui, le titre est parlant, s’intéresse à la manie irrépressible du vol, en mettant en scène une femme, grande bourgeoise, épouse de ministre, qui ne peut s’empêcher de faucher tout ce qui lui passe sous la main. Jusqu’au jour où elle vole un objet qu’elle n’aurait jamais dû non seulement prendre, mais même simplement voir…
ALIÉNOR II, LE RETOUR : La Révolte, de Clara Dupont-Monod
Clara Dupont-Monod a de la suite dans les idées. Après avoir rencontré un succès certain avec Le Roi disait que j’étais diable (Grasset, 2014), elle reprend son « personnage » d’Aliénor d’Aquitaine, racontée cette fois par son fils, Richard Cœur de Lion, au moment où la reine demande à ses enfants de se retourner contre le Roi d’Angleterre, leur père.
MON FRÈRE : Avec toutes mes sympathies, d’Olivia de Lamberterie
Célébrité de la critique littéraire française, Olivia de Lamberterie saura sans doute trouver du soutien médiatique chez ses petits camarades, pour faire causer de ce premier livre où elle évoque son frère, à la suite du suicide de ce dernier en 2015. De l’autofiction Stock pure et dure. Pas mon truc, mais enfin…
LE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Simple, de Julie Estève
Un simple d’esprit, perché dans un village corse, se raconte et raconte les autres au fil d’un monologue adressé à sa chaise. Il évoque particulièrement ses liens ambigus avec une adolescente retrouvée morte dans les années 80. Deuxième roman.
CE QU’IL RESTE DE NOUS : Écoute, de Boris Razon
Deuxième roman encore, après l’un peu remarqué Palladium (2013). Il est question cette fois d’un policier chargé d’espionner les communications des gens alentour, caché dans un van avenue des Gobelins. Il s’intéresse soudain à un homme qui, bizarrement, n’émet aucun signal, ce qui le transforme instantanément en suspect – ou au moins en type curieux…
BOULEVARD : La Femme de Dieu, de Judith Sibony
Et un premier roman pour faire bonne mesure ! Un metteur en scène a pris l’habitude d’associer sur scène sa femme, à qui il réserve toujours le rôle principal, à sa maîtresse du moment. Mais la dernière en date le pousse dans ses retranchements en exigeant de porter son enfant tout en jouant le rôle de l’amante… Une mise en parallèle de la création théâtrale et de la procréation médicale.
HEAL THE WORLD : L’Évangile selon Youri, de Tobie Nathan
Un psychanalyste désabusé prend sous son aile un gamin tzigane de dix ans, dont on dit qu’il possède des pouvoirs magiques. Imposteur ou vrai magicien des temps modernes ? Tu le sauras, lecteur, en lisant ce livre signé par le célèbre psychanalyste (désabusé ?) Tobie Nathan.
MAKE IT A BETTER PLACE : Vivre ensemble, d’Émilie Frèche
Ayant échappé de peu aux attentats de Paris le 13 novembre 2015, Pierre et Déborah décident de profiter du temps présent et de consolider leur relation naissante. Ils emménagent donc avec leurs enfants respectifs : Léo, 13 ans et Salomon, 11 ans. Mais les deux fils supportent mal de cohabiter avec des beaux-parents qu’ils n’ont pas choisis.
*****
FOR YOU AND FOR ME : Le Mars Club, de Rachel Kushner
(traduit de l’américain par Sylvie Schneiter)
Romy Hall, une ancienne strip-teaseuse au Mars Club, est condamnée à la perpétuité pour avoir tué l’homme qui la harcelait. Enfermée à la prison de Stanville, elle apprend que sa mère à qui elle avait confié Jackson, son fils de 7 ans, vient de mourir. Déchue de ses droits parentaux, la jeune femme décide d’agir.
AND THE ENTIRE HUMAN RACE : La Marcheuse, de Samar Yasbek
(traduit de l’arabe (Syrie) par Khaled Osman)
Rima aime les livres, le dessin et… marcher. La jeune fille, qui ne parle pas, souffre d’une étrange maladie : ses jambes fonctionnent indépendamment de sa volonté, dès qu’elle se met à marcher elle ne peut plus s’arrêter.
Un jour d’août 2013, alors qu’elle traverse Damas en bus, un soldat ouvre le feu à un check-point. Sa mère succombe sous les balles et Rima, blessée, est emmenée dans un hôpital pénitencier avant que son frère ne la conduise dans la zone assiégée de la Ghouta. Et c’est là, dans cet enfer sur terre, que Rima écrit son histoire.
À travers la déambulation vive et poétique de cette adolescente singulière dans l’horreur de la guerre, Samar Yazbek continue son combat pour exposer aux yeux du monde la souffrance du peuple syrien.
On lira sûrement :
Capitaine, d’Adrien BoscOn lira peut-être :
La Marcheuse, de Samar Yasbek
Le Guetteur, de Christophe Boltanski
A première vue : la rentrée Actes Sud 2018

Comme l’année dernière, Actes Sud balance pas moins de treize livres dans la rentrée littéraire – merci beaucoup, chers amis arlésiens, mais nous n’en attendions pas tant. Au programme : un ancien Prix Goncourt, un deuxième roman très très très attendu, une belle brochette de grosses pointures, notamment dans le domaine étranger… Encore une fois, c’est copieux et on ne peut pas passer à côté. Quant à pouvoir ou vouloir tout lire… En tout cas, il y a matière à y trouver son compte !
TALON D’ACHILLE : Le Monarque des ombres, de Javier Cercas
(traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon)
Grand maître de l’exofiction historique, Javier Cercas puise cette fois la matière de son nouveau livre dans le filon familial, revenant en même temps aux sources de son œuvre. Il s’intéresse en effet à son grand-oncle, Manuel Mena, qui a combattu dans les rangs de l’armée franquiste pendant la Guerre d’Espagne et est tombé au combat en 1938 à l’âge de 19 ans. La mythologie familiale le transforme en martyr, même lorsque les temps changent, que disparaît l’ombre pesante de Franco et que survient la démocratie.
Cercas s’interroge sur la possibilité de faire de ce jeune homme lointain le « héros » de son livre, ainsi que sur les moyens dont il dispose aujourd’hui pour enquêter sur Manuel Mena, déterminer ses convictions réelles alors même que les témoins de l’époque ont disparu, et confronte ses propres réticences envers son aïeul à une tentative de compréhension objective de son choix, qui épouse l’Histoire de l’Espagne elle-même. Bref, on attend un livre stimulant, puissant, dans la lignée des Soldats de Salamine.
WE ARE NOT WHAT YOU THINK WE ARE : La Famille Golden, de Salman Rushdie
(traduit de l’anglais par Gérard Meudal)
Le jour de l’investiture de Barack Obama en 2008, un millionnaire venu du lointain Orient et dénommé Néron Golden s’installe à Greenwich Village avec sa maîtresse russe et ses trois fils Petronius, Lucius Apuleius et Dionysos. Cette tribu aussi exotique qu’énigmatique excite la curiosité d’un jeune cinéaste vivant à proximité, qui se lie d’amitié avec les Golden afin d’en tirer la matière de son prochain scénario… À sa manière inventive et foisonnante, Rushdie relate les années Obama, leurs espoirs et leurs déceptions.
TAHRIR LA REVOLUTION : J’ai couru vers le Nil, d’Alaa el Aswany
(traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier)
Il l’a déjà prouvé dans L’Immeuble Yacoubian ou Automobile Club d’Égypte, Alaa el Aswany aime les livres kaléidoscopiques qui lui permettent de confronter les points de vue sur un même sujet. À travers les péripéties politiques et intimes d’une palette de personnages tous liés les uns aux autres, du chauffeur au haut gradé, de la domestique musulmane au bourgeois copte, El Aswany livre cette fois le roman de la révolution égyptienne, une mosaïque de voix dissidentes ou fidèles au régime, de lâchetés ordinaires et d’engagements héroïques.
POLARAMA : Première personne, de Richard Flanagan
(traduit de l’anglais (Australie) par France Camus-Pichon)
Pour un jeune aspirant écrivain, se voir confier la mission de rédiger les mémoires d’un célèbre escroc manipulateur et paranoïaque peut ressembler autant à un tremplin qu’à une punition, surtout que le dit escroc prend un malin plaisir à ne rien dévoiler de sa vie. Pourtant Kif Kehlmann, qui s’est éloigné de sa Tasmanie natale et de sa femme enceinte pour cette mission, tombe peu à peu sous le charme insidieux de son « client », jusqu’à remettre en cause ses propres valeurs…
LE VENT SOUFFLE SUR LES PLAINES : La Ville au milieu des eaux, de Milton Hatoum
(traduit du portugais (Brésil) par Michel Riaudel)
Un recueil de nouvelles ayant toutes comme point d’attraction Manaus, ville brésilienne située aux portes de l’Amazonie.
SUÈDE 4, RESTE DU MONDE 0 : Les yeux ailleurs, de Jan Guillou
Quatrième tome de la grande saga historique de Guillou, Le Siècle des grandes aventures. Dans la famille Lauritzen, l’aîné, Lauritz, se voit obligé de choisir son camp alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage au-delà des frontières de la Suède. Mais pour qui s’engager ? D’un côté, il y a son attachement naturel à l’Allemagne, et le fait que son fils est désormais officier SS ; de l’autre, sa fille se bat dans la résistance norvégienne…
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PETITE SŒUR DE MES NUITS : À son image, de Jérôme Ferrari
Le Prix Goncourt 2012 revient avec une intrigue bien complexe et élaborée pour un « petit » livre de 224 pages : l’histoire d’une photographe qui, quelques heures après avoir retrouvé par hasard Dragan, un homme qu’elle avait connu pendant la guerre en ex-Yougoslavie, se tue accidentellement sur une route escarpée de Corse, dont elle était originaire. L’office funèbre est présidée par un prêtre qui n’est autre que son oncle. Ce dernier, décidé à maintenir la célébration dans le cadre précis de la liturgie, est néanmoins submergé par les souvenirs, et repasse dans le secret de sa mémoire les grandes étapes de la vie de sa nièce, depuis son approche du nationalisme corse jusqu’à son engagement en tant que photographe dans la guerre.
IT’S FUN TO LOSE AND TO PRETEND : Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu
Celui-là, on peut dire qu’il est attendu ! Très remarqué grâce à son premier roman, Aux animaux la guerre, paru dans la collection Actes Noirs il y a quatre ans, Nicolas Mathieu ouvre enfin les portes de son deuxième, proposé cette fois dans la collection de littérature générale de la maison arlésienne. Il nous ramène dans l’est de la France, territoire du précédent livre, durant un été du début des années 90. Anthony, 14 ans, vole un canoë avec son cousin pour aller explorer une plage nudiste voisine. Il y fera l’expérience du premier amour, tordant le cou à son enfance finissante pour entrer de plain pied dans l’âge adulte et le monde réel.
Dixit l’éditeur (parce que c’est fort bien formulé) : » Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. » Je fais volontiers le pari qu’on en causera pas mal.
LES DÉMONS DE MINUIT : Les nuits d’Ava, de Thierry Froger
Pendant un tournage à Rome, durant l’été 1958, Ava Gardner entraîne l’espace d’une nuit d’abandon le chef opérateur du film dans une séance photo sulfureuse, reproduisant quelques nus célèbres de l’histoire de l’art – dont le plus fameux d’entre tous, signé Gustave Courbet… Une réflexion sur notre rapport à l’image et aux stars.
L’IMAGE MANQUANTE : Lèvres de pierre, de Nancy Huston
Si on le prononce à la française en omettant le « h » final, Saloth Sâr méritait bien ce prénom. Ce garçon cambodgien, auquel s’intéresse Nancy Huston dans ce nouveau livre, est en effet passé à la postérité sous le nom beaucoup plus sanglant de Pol Pot. Suivant une intuition singulière, la romancière canadienne met en parallèle sa propre jeunesse et le parcours initiatique du futur dictateur, dans lequel elle décèle des correspondances éclairantes.
YEUX DE VELOURS : La Belle de Casa, de In Koli Jean Bofane
Une jeune femme est assassinée dans une ruelle d’un quartier populaire de Casablanca. Un Congolais arrivé en ville depuis peu, qui s’était lié avec la victime, enquête sur ce crime, et découvre que les suspects ne manquent pas… Plongée moderne et virevoltante dans la grande cité marocaine, dont le romancier congolais utilise le décor comme révélateur de turpitudes contemporaines : corruption, magouilles, exacerbation du désir masculin qui se mue en violence incontrôlable…
TAGADA TAGADA : Le Grand Nord-Ouest, d’Anne-Marie Garat
Belle invitation au voyage et à l’aventure en perspective sous la plume d’Anne-Marie Garat, qui nous entraîne dans les années 1930 sur les pas d’une femme et de sa petite fille, lancées depuis Hollywood vers l’Alaska en passant par les vieilles pistes indiennes et les chemins oubliés des conquérants d’hier. Armée d’un Colt, d’une carte mystérieuse et d’une sacoche pleine à craquer de vilains secrets, Lorna Del Rio affronte des péripéties épiques – mais pour quoi, vers où ? Fuit-elle ou poursuit-elle ? Voilà un roman qui pourrait méchamment dépoter !
MOI SI J’ÉTAIS UN HOMME : Ne m’appelle pas Capitaine, de Lyonel Trouillot
Aude, jeune journaliste issue de la bourgeoisie blanche de Port-au-Prince, enquête sur le Morne Dédé, un quartier de la ville tombé en déshérence, ce qui l’amène à rencontrer Capitaine. D’abord réticent, le vieil homme se livre peu à peu sur son passé, tandis qu’Aude apprend peu à peu à remettre en cause ses certitudes et à jeter un œil neuf et critique sur le monde préservé dont elle vient.
On lira sûrement :
Le Monarque des ombres, de Javier Cercas
Leurs enfants après eux, de Nicolas MathieuOn lira peut-être :
Le Grand Nord-Ouest, d’Anne-Marie Garat
À son image, de Jérôme Ferrari
La Famille Golden, de Salman Rushdie
Nos richesses, de Kaouther Adimi

En 1935, Edmond Charlot, vingt ans, décide d’ouvrir à Alger une librairie qu’il nomme « Les vraies richesses », avec la bénédiction de Jean Giono à qui il a emprunté le titre d’un de ses textes. Passionné de littérature, se sentant l’âme d’un défricheur, Charlot a pour ambition de faire de son minuscule local un carrefour culturel pour les jeunes auteurs de la Méditerranée, sans distinction de langue, d’origine ou de religion. Il publie ainsi très vite L’Envers et l’endroit, premier livre d’un certain Albert Camus…
En 2017, Ryad, vingt ans, décroche un stage à Alger. Il doit débarrasser une vieille librairie abandonnée de ce qui l’encombre et la transformer en boutique de beignets. Fâché avec les livres, il ne trouve rien à y redire, mais la présence constante du vieil Abdallah, l’ancien gardien des lieux, et l’attitude hostile d’un quartier qui fait bloc pour sauvegarder l’esprit des « Vraies richesses » ne l’aident guère à accomplir sa mission…
Nos richesses est l’un des nombreux romans à paraître en cette rentrée qui concernent l’Algérie. Un pur concours de circonstance, a priori, mais qui donne des textes plus intéressants les uns que les autres, dont celui-ci. À 31 ans, Kaouther Adimi signe un troisième livre passionnant, puissant, intensément vivant, qui saisit l’histoire algérienne par le prisme de la littérature et de la culture.
Tout est aussi vrai que possible dans ce roman. Edmond Charlot a bel et bien existé, il a créé « Les vraies richesses », publié Camus, Roblès, Jules Roy, Vercors, Kessel, Gertrude Stein et tant d’autres… Tout est vrai, mais peu est vérifiable. En effet, les archives du libraire-éditeur ont disparu dans le plasticage en 1961 d’une autre boutique qu’il avait ouverte à Alger quelques années après la première.
Alors, dans le trou d’air causé par le fait divers, Kaouther Adimi s’est engouffrée pour réinventer la vérité. Pour raconter l’euphorie de la création et de la découverte, mais aussi les difficultés, les rivalités, les privations dues aux guerres, elle prête à Charlot une voix qu’elle distille dans un journal imaginaire d’une crédibilité totale. L’idée est lumineuse, elle offre à la romancière de nombreuses ellipses qui lui permettent de ne passer que par les moments de la vie de son héros qui l’intéressent, évitant le piège de la biographie littéraire tirant en longueur à force d’être surchargée en détails.
Par ailleurs, pour les pages contemporaines du récit, elle opte au contraire pour une voix globale, un « nous » qui exprime la voix de tout un quartier attaché à une page de son histoire en train d’être tournée de force, déchirée par la spéculation et la méfiance innée du pouvoir algérien envers la culture. Cette douleur, elle l’adoucit de traits d’humour et de scènes cocasses (la quête des pots de peinture par Ryad), grâce notamment à une belle galerie de personnages secondaires.
Nos richesses est d’une grande fluidité et rayonne d’une belle humanité, qui donne envie d’aller traîner ses guêtres à Alger du côté de la rue Hamani, ex rue Charras, où l’on peut encore aujourd’hui admirer la vitrine de l’ancienne librairie « Les vraies richesses » – qui, en réalité, est toujours une annexe de la bibliothèque centrale d’Alger et n’est pas menacée de devenir une boutique de beignets. En espérant que ce ne soit jamais le cas, et que Kaouther Adimi, avec Nos richesses, contribue longtemps à en perpétuer le bel esprit.
Nos richesses, de Kaouther Adimi
Éditions du Seuil, 2017
ISBN 978-2-02-137380-6
240 p., 17€