Lectures en cours (ça sent la rentrée…)
Salut amis Cannibales !
Non, je ne vous oublie pas, même si j’ai un peu délaissé le blog ces derniers jours. La machine à lire tourne toujours, celle à chroniquer un peu moins, faute de temps disponible, mais ça va (re)venir.
Surtout, vous aurez en découvrant ci-dessous mes deux lectures en cours une idée de ce qui se trame dans les coulisses de Cannibales Lecteurs :
Nothomb, Chalandon : vous aurez identifié sans doute deux auteurs incontournables de la littérature française contemporaine, deux noms qui figurent immanquablement parmi les plus médiatiques de la rentrée littéraire. Deux écrivains, également, habitués de ce blog – la première ayant tendance à me fasciner et à m’agacer à parts égales suivant les années, tandis que le second fait partie de mes auteurs francophones favoris.
Tout ceci pour dire que je commence à explorer la rentrée littéraire d’automne 2021, et que tout en lisant les premiers textes disponibles, je prépare le retour de la rubrique « à première vue », panorama subjectif et non exhaustif de cet événement littéraire qui, de fin août aux prix littéraires de novembre, secoue le cocotier de la littérature en France.
Comme chaque année, à première vue bien sûr, il y aura des belles choses, de jolies découvertes, des confirmations, des déceptions, des explorations inattendues, des auteurs inamovibles et des petits jeunes qui parviendront à se faire une place, voire un nom.
De mon côté, les attentes se placent pour l’instant et en vrac vers Antoine Wauters (Mahmoud ou la montée des eaux, Verdier), Kate Reed Petty (True Story, Gallmeister, un premier roman qui a l’air incroyable), Frédéric Paulin (La Nuit tombée sur nos âmes, Agullo, retour très attendu de l’auteur de la trilogie Benlazar), Thomas B. Reverdy (Climax, Flammarion), David Diop (La Porte du voyage sans retour, Seuil), Paul Lynch et Michael Christie (Au-delà de la mer et Lorsque le dernier arbre, tous deux chez Albin Michel), Cécile Coulon (Seule en sa demeure, Iconoclaste), Marie Vingtras et Natasha Trethewey (Blizzard et Memorial Drive, tous deux à l’Olivier), Kazuo Ishiguro (Klara et le soleil, Gallimard, premier retour du romancier britannique depuis son prix Nobel), Kawai Strong Washburn (Au temps des requins et des sauveteurs, Gallimard – rien que pour le titre !), Jean-Baptiste de Froment (Badroulboudour, Aux Forges de Vulcain)…
En attendant tous ceux qui, par surprise ou non, viendront se mêler à la fête !
On recause de tout ça en détail très vite. Le temps d’avancer dans les chroniques de présentation, et on attaque, sûrement à partir de la semaine prochaine !
2021 : premiers regards

Depuis longtemps, j’ai tendance à préférer la rentrée littéraire de janvier à celle de septembre. Dégagée des enjeux imposés par les prix d’automne, moins médiatisée peut-être, elle s’étale plus dans le temps (on dit rentrée de janvier, mais en réalité les parutions importantes s’enchaînent chaque mois, de janvier à mai) et laisse plus de place aux textes, aux découvertes, et aussi au temps long.
Un peu moins submergés, les libraires auront en effet davantage l’opportunité de laisser leur chance à certains livres qui, balancés dans le maelström de septembre, seraient sans doute passés inaperçus, ou auraient trop vite disparu des bonnes places sur les tables pour espérer avoir la vie qu’ils méritaient.


Mes premières lectures confirment largement cette tendance. Sur quatre livres lus depuis fin décembre, trois coups de cœur (dont, fait encore plus rare, deux chez le même éditeur) ! En attendant les chroniques, voici leurs trombines et un bref résumé :
Nos corps étrangers, de Carine Joaquim (Manufacture de Livres, 7 janvier)
PREMIER ROMAN. Élisabeth, Stéphane et leur fille Maëva quittent Paris pour s’installer dans une grande maison, loin du tumulte de la ville. Le couple est persuadé de parvenir à prendre un nouveau départ en oubliant les blessures et les trahisons. Pourtant c’est loin du foyer que chacun trouve une nouvelle raison de vivre.
Les orages, de Sylvain Prudhomme (L’Arbalète Gallimard, 7 janvier)
NOUVELLES. Sylvain Prudhomme explore ces moments où un être vacille, où tout à coup il est à nu. Heures de vérité. Bouleversements parfois infimes, presque invisibles du dehors. Tourmentes après lesquelles reviennent le calme, le soleil, la lumière.
La République des faibles, de Gwenaël Bulteau (Manufacture de Livres, 4 février)
PREMIER ROMAN – POLAR. Le 1er janvier 1898, à Lyon, un chiffonnier découvre le cadavre d’un enfant sur les pentes de la Croix-Rousse. Il était recherché depuis plusieurs semaines par ses parents. Le commissaire Jules Soubielle est chargé de l’enquête dans une ville en proie à de fortes tensions, entre nationalisme, antisémitisme exacerbé par l’affaire Dreyfus et socialisme naissant.
Et pas mal d’autres envies encore – et comme d’habitude, il va falloir faire des choix, et laisser passer certains titres, hélas…
Vous trouverez ci-dessous un premier aperçu en images, survol non exhaustif (qui correspond pour l’essentiel aux textes dont je dispose déjà) et sans ordre particulier, pour le seul mois de janvier.
Littérature francophone
L’Ami, de Tiffany Tavernier (Sabine Wespieser, 7 janvier)
Un samedi matin comme un autre, Thierry entend des bruits de moteur inhabituels tandis qu’il s’apprête à partir à la rivière. La scène qu’il découvre en sortant de chez lui est proprement impensable : des individus casqués, arme au poing, des voitures de police, une ambulance. Tout va très vite, et c’est en état de choc qu’il apprend l’arrestation de ses voisins, les seuls à la ronde. Quand il saisit la monstruosité des faits qui leur sont reprochés, il réalise, abasourdi, à quel point il s’est trompé sur Guy, dont il avait fini par se sentir si proche.
Presqu’îles, de Yan Lespoux (Agullo Court, 21 janvier)
Lancement de la collection de textes courts des éditions Agullo avec ce recueil d’histoires signé par un excellent blogueur polar.
Des tranches de vie saisies au vol, tour à tour tragiques et cocasses, brossant le portrait de personnages attachés de gré ou de force à un territoire, les landes du Médoc.
La Vengeance m’appartient, de Marie Ndiaye (Gallimard, 7 janvier)
Susane, avocate, se retrouve en charge de la défense de la femme de son ancien amour de jeunesse, jugée pour avoir noyé leurs trois enfants. Fascinée par cette sombre affaire, elle découvre peu à peu le vrai visage de cet homme dont son père soutient qu’il abusa d’elle quand elle avait 10 ans, une histoire dont elle ne garde aucun souvenir.
Vivonne, de Jérôme Leroy (La Table Ronde, 7 janvier)
Paris, 2026. Un typhon que nul n’a vu venir se déchaîne sur la capitale. Alexandre Garnier, éditeur, assiste au spectacle de désolation. Il est saisi d’une crise d’angoisse qui réveille le souvenir d’Adrien Vivonne, poète et ami d’enfance disparu mystérieusement depuis 2012. En 2030, le pays est aux mains de milices tandis qu’Alexandre est à la recherche de son ami dont il retrace le parcours.
La Soutenance, d’Anne Urbain (éditions de l’Olivier, 14 janvier)
PREMIER ROMAN. Antoine et Dan sont deux frères que tout oppose. Le premier est constamment freiné par ses doutes alors que le second affirme clairement sa volonté de dominer les autres. Leur rapport de force s’inverse lorsque Dan, ivre, révèle un secret qui expose ses faiblesses et qu’Antoine tente de le protéger.
Littérature étrangère
Un papillon, un scarabée, une rose, d’Aimee Bender (L’Olivier, 7 janvier)
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy)
Francie a huit ans quand la dépression de sa mère, Elaine, vient bouleverser à jamais son existence. Recueillie par son oncle et sa tante, Francie grandit entourée d’affection auprès de sa cousine Vicky. Malgré tout, elle vit une jeunesse singulière, détachée du réel, habitée par la peur de la folie. Mère et fille tracent dès lors leur chemin : l’une survit, l’autre se construit en s’efforçant de « ralentir le monde » et de sonder ses souvenirs d’enfance.
Mais comme toujours dans les romans d’Aimee Bender, la fantaisie règne : un insecte décorant un abat-jour prend vie puis s’échappe, une fleur brodée sur un rideau tombe au sol, bien palpable… L’imaginaire devient le lieu le plus propice à la découverte de vérités profondes.
Le Grand jeu, de Graham Swift (Gallimard, 7 janvier)
(traduit de l’anglais par France Camus-Pichon)
1959, Brighton. Chaque soir, le maître de cérémonie Jack Robins, Ronnie Deane alias Pablo le Magnifique et l’assistante Evie White proposent un spectacle de variété aux vacanciers. Pourtant, rien ne destinait Ronnie à devenir magicien. Pour le protéger des bombes allemandes, sa mère le confie aux Lawrence, un couple âgé. Dans leur propriété de l’Oxfordshire, il découvre l’art de la magie.
Analphabète, de Mick Kitson (Métailié, 28 janvier)
(traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller)
Elle n’est jamais allée à l’école. Elle se débrouille avec les nombres, elle sait faire sa signature. En fait, elle sait faire tout un tas de signatures en fonction de ce qu’elle signe. Son père lui a aussi appris à ne rien vouloir de matériel, mais, sur ce coup-là, il n’a pas réussi. Elle adore le luxe. Elle arnaque, vole et fuit. Les hommes riches et naïfs sont sa proie de prédilection. Mary a du métier et sait effacer ses traces. Mais cette fois c’est Jimmy Shaski, un jeune homme débrouillard, son fils, qui est à ses trousses. Ainsi que Julie Jones, la flic tenace.
L’Usine, de Hiroko Oyamada (Christian Bourgois, 14 janvier)
(traduit du japonais par par Silvain Chupin)
Deux hommes et une femme trouvent un emploi à l’Usine, un gigantesque complexe industriel. Le premier étudie les mousses pour végétaliser les toits, le deuxième relit et corrige des textes divers et la troisième est préposée à la déchiqueteuse. La monotonie de leur emploi les frappe mais ils n’ont pas d’autres options pour gagner leur vie et ils sont prêts à accepter beaucoup de choses.
Une suite d’événements, de Mikhaïl Chevelev (Gallimard, 7 janvier)
(traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs)
PREMIER ROMAN. Grand reporter, Pavel Volodine est spécialiste des conflits interethniques dans la Fédération de Russie. Menant désormais une vie rangée, il est surpris d’être contacté par la police, qui requiert ses services sur une prise d’otages dans une église, qu’un homme nommé Vadim menace de faire sauter. Or Pavel a connu le terroriste lors d’un reportage. Il se retrouve à négocier avec lui.
Casa Triton, de Kjell Westö (Autrement, 13 janvier)
(traduit du suédois par Anna Gibson)
Sur un archipel d’Helsinki, le célèbre chef d’orchestre Thomas Brander se fait construire une somptueuse résidence secondaire appelée la Casa Triton, en référence à l’intervalle du diable, un accord de notes dissonant autrefois interdit. Il sympathise avec son voisin Lindell, un guitariste sans talent hanté par la mort de sa femme, qui l’aide à trouver sa place dans ce village insulaire.
Polar, roman noir
Cimetière d’étoiles, de Richard Morgiève (Joëlle Losfeld, 7 janvier)
États-Unis, 1962. Rollie Fletcher et Will Drake, agents de police corrompus, poursuivent l’assassin d’un Marine. Sur fond de guerre du Vietnam, d’assassinat du président Kennedy, de Dexamyl et d’alcool, leur enquête les confronte à une affaire d’Etat dont ils ne sortent pas indemnes.
Les jardins d’Éden, de Pierre Pelot (Série Noire, 14 janvier)
Après une vie difficile, Jipé Sand est revenu à Paradis, dans la ville et la maison de son enfance pour se rétablir et retrouver sa fille Annie, dite Na, qui semble avoir disparu depuis des mois. Mais à Paradis, se trouve aussi le bois où a été retrouvé le corps à moitié dévoré de Manuella, la fille de Virginia et amie de Na. Jipé veut maintenant comprendre ce qui s’est passé.
Bluebird, Bluebird, d’Attica Locke (Liana Levi, 14 janvier)
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch)
Darren Mathews, un des rares rangers noirs du Texas, est suspendu en attendant un jugement. Il accepte une enquête officieuse pour un de ses amis du FBI. Il se rend dans un hameau du comté de Shelby où deux cadavres ont été trouvés dans le bayou, celui d’un avocat noir de Chicago et celui d’une jeune fille blanche. Il règne un climat raciste en ville aux prises avec une fraternité aryenne.
Traverser la nuit, d’Hervé Le Corre (Rivages, 20 janvier)
Louise, la trentaine, a depuis la mort de ses parents sombré dans la drogue et l’alcool. Aujourd’hui, elle vit seule avec son fils Sam, 8 ans. Un jour, elle est rouée de coups par son ancien compagnon qui la laisse pour morte. L’affaire est alors confiée au groupe dirigé par le commandant Jourdan. Parallèlement, les enquêteurs sont confrontés à un dangereux tueur de femmes.
La Face nord du cœur, de Dolores Redondo (Série Noire, 28 janvier)
(traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet)
Amaia Salazar intègre l’équipe de l’agent Dupree qui traque un tueur en série. Il a détecté en elle une intuition singulière qui fait défaut aux autres enquêteurs. Alors que l’ouragan Katrina dévaste le sud des États-Unis, un homme, dit le Compositeur, laisse un violon sur chaque lieu de ses meurtres, qu’il réalise toujours lors de grandes catastrophes.
Les plus, les moins : bilan 2020 (deuxième partie)

Suite du bilan de l’année 2020, en commençant par une mise en lumière de mon éditeur chouchou de l’année. Celui dont j’ai suivi les parutions avec fidélité et passion, et dont j’ai follement envie d’explorer plus avant le catalogue déjà bien fourni, puisqu’il fêtait cette année ses dix ans.
L’éditeur +++ de l’année : Aux Forges de Vulcain
J’avais déjà eu le plaisir de lire quelques titres de cet éditeur, mais j’étais loin du compte. Cette année, j’ai suivi plus fidèlement les parutions de la maison fondée et dirigée par David Meulemans, avec beaucoup de bonheur.
Un long voyage, de Claire Duvivier
Si l’on suit le rythme singulier que propose Claire Duvivier, on finit par être récompensé. Car Un long voyage prend de plus en plus d’ampleur, finit par créer des brèches, par prendre des chemins inattendus, et même par secouer quand les événements gagnent en mystère et en intensité. Plus on s’approche de la fin, plus le livre est vaste, riche, bouleversant.
Chinatown, intérieur, de Charles Yu
(Traduit de l’anglais (américain) par Aurélie Thiria-Meulemans)
Quand l’intelligence et la pertinence d’une pensée rencontrent la créativité, l’humour, le sens de la dérision, l’acuité socio-politique et l’émotion, cela donne un résultat jouissif.
Requiem pour une Apache, de Gilles Marchand
« Gilles Marchand n’a pas son pareil pour (re)mettre sur pied ce genre de personnages, antihéros du quotidien, ces gens qu’on ne voit pas, qu’on ne voit plus, ou qu’on ne veut pas voir.
Des ratés, des losers, des oubliés, des incompris, des rejetés, des piétinés, des gens en fin de parcours. Cousins de ceux qui étaient déjà accoudés au comptoir du bouleversant Une bouche sans personne, son premier roman. »
À lire également, parus en 2020 : Jésus Christ président de Luke Rhinehart, et Désert noir d’Adrien Pauchet (chronique à venir)
Le + brillant
Le Monde n’existe pas, de Fabrice Humbert (Gallimard)
Fabrice Humbert questionne avec clairvoyance la manière dont la frontière entre réalité et fiction se brouille de plus en plus, jusqu’à se demander si elle existe encore. Le sujet est du pain bénit pour un romancier, dont c’est finalement le travail. Aujourd’hui, les histoires que l’on invente ne finissent-elles pas par être plus pertinentes que les faits bruts, souvent désolants de vérité ?
Le + brillant… mais le – incarné
Impossible, de Erri De Luca (Gallimard)
C’est brillant, oui. Mais, dois-je l’avouer dans les termes les plus directs, c’est aussi un peu chiant.
En dépouillant la forme romanesque sans pour autant basculer dans la forme théâtrale, Erri De Luca assèche l’approche du texte et le rend froid, désincarné, réduit au pur débat d’idées au détriment de la chair qu’apportent les décors et les personnages, lorsqu’ils sont approfondis.
Le + envoûtant
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos (éditions de l’Olivier)
Une bête aux aguets parle comme rarement d’adolescence, de découverte de soi (physique autant que psychique), mais aussi du désir, de la passion, de l’attraction sidérante des corps et des âmes, mais encore de la relation filiale…
Tout ceci en 144 pages, et sans jamais verser dans la démonstration pataude ni la psychologie grossière.
Le – convaincant
Le Service des manuscrits, d’Antoine Laurain (Flammarion)
Antoine Laurain n’est pas un auteur de romans policiers. L’intrigue du Service des manuscrits reposant entièrement sur un suspense, si celui-ci s’évente trop vite et sort des rails de la crédibilité, c’est tout le livre qui vacille. J’ai donc vu venir la solution de très loin ; avant de la vérifier, l’ai trouvée convenue ; l’ayant lue, ai été déçu. Acharné à conserver son histoire du côté de la facilité, pour ne pas dire de la légèreté, Laurain la rend improbable, et relativement niaise.
Le + joueur
La Loi du rêveur, de Daniel Pennac (Gallimard)
Les enfants, les adultes, la jeunesse et la vieillesse, la famille et les amis, les parents et les petits, la magie du théâtre et du cinéma, la folie douce de Fellini… tels sont les ingrédients de La Loi du rêveur, cocktail plein de charme et d’émotion qui convoque la richesse d’une vie et les réinventions du temps pour tisser la toile de la littérature. Un texte aussi sincère que délicieusement menteur, qui réveille la verve de Pennac comme au bon vieux temps.
Et c’est sur ce titre, qui m’avait donné envie il y a un an de ranimer la flamme du blog, que je conclus ce bilan.
J’en profite pour vous souhaiter à tous une excellente année 2021 – au moins du côté des lectures, car pour le reste, l’expérience récente incite à rester prudent et sur ses gardes…
Merci aux fidèles comme à ceux qui passent de temps en temps, merci aux nouveaux suiveurs et aux gentils commentateurs, et à très vite pour de nouvelles découvertes, de nouveaux coups de cœur, et quelques inévitables coups de griffe !
Le Tyran domestique, d’Anne Fine


Éditions de l’Olivier, 2006
ISBN 9782879294957
282 p.
20,30 €
Raking The Ashes
Traduit de l’anglais par Dominique Kugler
Bien sûr, Tilly a quelques hésitations lorsqu’elle rencontre Geoff. Beau, intelligent, il semble avoir tout pour lui… et il est père de deux enfants en bas âge. Pour cette jeune femme hors du commun – ingénieur de métier, bravant les tempêtes en haute mer sur des plates-formes pétrolières et collectionnant les amants –, adopter une famille entière relève du défi, ce qui n’est pas sans lui déplaire.
Se faire adopter, par contre, est une autre affaire. Surtout lorsqu’on vous octroie le dernier rôle, celui de la belle-mère qui n’a pas son mot à dire et sur qui pèsent tous les torts.
De petites mesquineries en méchancetés anodines, les griefs s’accumulent et Tilly, tout comme Geoff, devient experte dans l’art de la manipulation. Et de la vengeance.
Le cercle familial est, pour Anne Fine, le théâtre humain par excellence. Celui où s’entrechoquent le drame et la comédie, et où la vérité de l’être apparaît dans toute sa variété, toute sa complexité et, disons-le sans ambages, toute sa cruauté.
L’essentiel de ses romans prend la famille comme terrain de jeu, aussi bien ceux pour la jeunesse (La Tête à l’envers, Au secours c’est Noël !, Madame Doubtfire) que ceux pour les adultes. D’un côté comme de l’autre, elle le fait avec un mélange d’humour et de clairvoyance mordante, le tout servi à merveille par une écriture énergique, d’une évidence implacable.
Le mieux est qu’à chaque fois, elle trouve un nouvel angle d’attaque pour aborder son sujet favori, et rafraîchir son propos.
Ici, c’est en adoptant le point de vue d’une belle-mère qui tente de se faire une place entre un père et ses deux enfants. Un personnage haut en couleurs, femme indépendante et libre, très attachée à suivre obstinément son chemin, même (surtout) quand elle a tort. Tilly est une héroïne intéressante, pas du tout une victime ; elle est capable de mesquinerie et de manipulation, voire de menacer le lien implicite qui la lie au lecteur en tant que narratrice.
Si la romancière ne fait aucun cadeau à sa protagoniste, c’est qu’elle n’en fait aucun non plus aux autres personnages. Geoff, le compagnon lâche et égoïste, Harry et Minna, les enfants distants, opportunistes et profiteurs, et tout le reste de la famille, gigantesque cirque où ne pullulent que des clowns à l’humour plus que douteux… Heureusement qu’Anne Fine met le tout en scène avec beaucoup d’humour, car le spectacle est, la plupart du temps, redoutablement violent.
Toute la réussite d’Anne Fine est de réussir à ne jamais rompre le lien entre Tilly et le lecteur, y compris dans les dernières pages, alors même qu’elle précipite le roman vers une issue aussi surprenante que terrible.
Elle y parvient grâce à un récit très fluide, dans lequel on entre à toute allure dès les premières pages, et à sa maîtrise impeccable du rythme, des enchaînements et des ruptures. Aucun temps mort, aucune faiblesse, tout coule et roule à la perfection, pour un plaisir de lecture irréprochable.
Même si je me réjouis d’avoir encore quelques « vieux » romans d’Anne Fine à découvrir, je regrette qu’elle ne soit plus publiée dans la sphère adulte (et qu’il n’y ait plus qu’un seul de ses livres disponible en poche).
J’ignore si c’est parce qu’elle a arrêté d’écrire pour les grands pour se consacrer entièrement à la littérature jeunesse, ou si c’est un choix éditorial en France. Quoi qu’il en soit, c’est dommage, car les livres de cette romancière britannique sont à chaque fois un régal, et je vous encourage fortement à les découvrir.
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut

Éditions de l’Olivier, 2020
ISBN 9782823616026
224 p.
18 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Thomas, Mehdi et Louise se connaissent depuis l’enfance. À cette époque, Les Verrières étaient un terrain de jeux inépuisable. Aujourd’hui, ils ont grandi, leur quartier s’est délabré et, le temps d’un été, l’usine devient le centre de leurs vies.
L’usine, où leurs pères ont trimé pendant tant d’années et où Thomas et Mehdi viennent d’être engagés.
L’usine, au centre de la thèse que Louise, la soeur jumelle de Thomas, prépare sur les ouvriers frontaliers, entre France et Suisse.
Ces enfants des classes populaires aspiraient à une vie meilleure. Ils se retrouvent dans un monde aseptisé plus violent encore que celui de leurs parents. Là, il n’y a plus d’ouvriers, mais des opérateurs, et les machines brillent d’une étrange beauté.
Dans Ostwald, son premier roman, Thomas Flahaut imaginait un scénario-catastrophe, un accident nucléaire majeur touchant la centrale de Fessenheim, pour raconter le parcours de deux frères en quête de leur père disparu, et tiraillés par leur mère les pressant de la rejoindre au plus vite dans le sud de la France.
Ce cadre post-apocalyptique servait avant tout d’éclairage neuf sur des problématiques familières : la quête de soi, les rapports familiaux, le difficile passage à l’âge adulte.
On reconnaît en partie un bon écrivain à la persistance de ses obsessions. Dans Les nuits d’été, pas de drame hors normes, mais celui, quotidien et tristement ordinaire, qui touche des milliers de gens partout en France. Le délaissement social et politique, le déclassement professionnel menant à l’errance personnelle, l’absence d’horizon et de joie, que l’on soit jeune ou vieux.
Et, au milieu de tout cela, la fragilité des liens au cœur des familles, la difficulté de se parler et de se comprendre de père à fils, de frère à sœur. Autant de sujets qui, déjà, animaient l’esprit d’Ostwald, et font à nouveau battre le cœur de ces Nuits d’été.
En se dépouillant du contexte extraordinaire de la catastrophe qu’il avait choisi comme « paravent » dans son premier roman, Thomas Flahaut ne perd rien de sa pertinence. Il s’approche au contraire au plus près du nu de l’humain. Par petites touches, en plongeant directement dans le quotidien de ses personnages, sans longues explications ni portraits interminables visant à les visser solidement dans leurs chaussures de fiction.
Le roman est indéniablement vecteur d’un regard sociologique fort. Son choix de faire de son héroïne, Louise, une étudiante-chercheuse dans ce domaine n’est évidemment pas anodin, et permet d’aborder en particulier le sort des travailleurs frontaliers, ces Français du Jura qui partent chercher du travail (et se faire joyeusement exploiter) en Suisse. C’est aussi une étude de la vie en usine, des mutations que ce monde professionnel a connues, du rapport de l’homme à son outil de travail.
Pas d’inquiétude ni de soupir blasé néanmoins, Les nuits d’été n’est pas non plus une démonstration intellectuelle. C’est avant tout un roman, le parcours de trois personnages, trois jeunes gens qui cherchent leur place dans la vie, un sens à leur existence.
Le sujet est on ne peut plus classique, tout repose dès lors sur le travail littéraire de l’écrivain. Sans effort apparent, d’un style étudié qui a le bon goût de ne pas rouler des mécaniques, Thomas Flahaut nous embarque dès le départ, et s’il parvient à captiver de bout en bout, c’est par la force de ses personnages, la proximité que l’on ressent envers eux, dans ces décors jurassiens que le romancier connaît parfaitement et restitue à merveille puisqu’il est de là-bas.

Puis il y a la nuit, entité imposée dès le titre du roman. Elle est là, omniprésente, tendant l’essentiel du récit entre le crépuscule et l’aube, obsédant les personnages, que ce soit ceux dont elle est le quotidien, les travailleurs de la nuit, Mehdi, Thomas et les autres ; ou les autres, qui attendent ces fantômes de lune, qui attendent le retour de l’amour, l’aide du fils, des manifestations d’existence normale.
Métaphore ? La nuit comme long tunnel obscur pour des personnages en quête d’une lumière pour guider leur vie ? Non, ce serait trop simple. Les nuits d’été sont intenses parce qu’elles sont plus longues à brûler. Certains travaillent, mais on peut aussi y faire la fête, se perdre encore plus. Les nuits d’été sont le feu de la jeunesse, qui cherchent à s’y consumer avant d’être condamnés à être ordinaires, rangés. Parents, simples opérateurs réduits à leur boulot, futurs retraités de l’ennui télé.
Les nuits d’été sont des révélateurs, dont Thomas Flahaut se sert des ombres et contrastes pour mieux donner la vérité de ses protagonistes. L’idée est fort belle et, là encore, exploitée avec subtilité, sans étalage ni surlignage balourd.
Il est toujours intéressant, presque gratifiant, de découvrir qu’un auteur prometteur dès son premier roman se montre solide dès son deuxième. Avec Les nuits d’été, Thomas Flahaut confirme sa voix, son regard, et donne une fois de plus rendez-vous pour le prochain. À même pas trente ans, il fait sa place, tranquillement. Tant mieux.
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos


Éditions de l’Olivier, 2020
ISBN 9782823611793
144 p.
17 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Lorsqu’elle se retrouve seule, à l’abri des regards, Anna entend des voix, aperçoit des lumières derrière les rideaux, surprend des ombres dans le couloir. Elle sait qu’elle appartient à un autre monde, qui n’obéit pas aux mêmes lois que le monde ordinaire. Cela l’effraie, et la remplit de honte.
Est-ce pour la protéger d’un danger que, depuis l’âge de douze ans, Anna doit avaler des comprimés prescrits par un certain Georg ? De quelle maladie souffre-t-elle ? Dans quel état se retrouverait-elle si elle abandonnait le traitement ?
L’intérêt et la richesse d’un livre ne dépendent définitivement pas de son épaisseur. Si vous en doutez encore, lisez Une bête aux aguets.
Comment réussir à mettre autant de choses dans un roman en si peu de pages ? Ce genre d’exploit me fascine. Dans ce livre en particulier, cela tient, je crois, en la manière dont Florence Seyvos suggère beaucoup plus de choses qu’elle n’en explicite. Tout ici est affaire de sensation, d’impression, de perception. La vérité que l’on peut se faire d’Une bête aux aguets réside entre ses lignes, dans ce que son propos étonnant extirpe de nous.
Une partie de la quatrième de couverture que je n’ai pas rapportée au début de cette chronique parle d’une « inquiétante étrangeté ». Je reprends ces mots, impossible de dire mieux. Oui, dès les fascinantes premières pages du roman, un sentiment diffus d’anxiété s’installe, mêlé de quelque chose de plus insaisissable encore, qui tutoie les frontières mouvantes du fantastique.
Que les rétifs à l’extraordinaire se rassurent : si Florence Seyvos joue de loin avec les codes du genre, c’est pour mieux aborder des sujets foncièrement quotidiens, profondément humains.
Et c’est là que, pour le chroniqueur, naît la difficulté. Qu’écrire de plus, sans risquer l’injure du dévoilement intempestif ? En restant aussi évasif que possible, je dirais qu’Une bête aux aguets parle comme rarement d’adolescence, de découverte de soi (physique autant que psychique), mais aussi du désir, de la passion, de l’attraction sidérante des corps et des âmes, mais encore de la relation filiale…
Tout ceci, je le répète, en 144 pages, et sans jamais verser dans la démonstration pataude ni la psychologie grossière. Au contraire, le propos reste à distance, caché derrière le point de vue déphasé de la narratrice, à l’abri des étranges péripéties qui, mine de rien, la font avancer sur le chemin de l’existence. Il reste à la merci du lecteur, libre de s’en emparer à sa manière et de le modeler à sa guise, d’y puiser ce qu’il y cherche sans même s’en rendre compte.
Je n’ai au sujet de ce roman qu’une seule certitude : celle d’avoir besoin de le relire, très vite, pour tenter d’en saisir davantage – sans pour autant le dépouiller de son inquiétante étrangeté, qui est sa force et sa splendeur.
Pour moi, la première gemme de la rentrée.
À lire également, de Florence Seyvos : Le Garçon incassable (éditions de l’Olivier, repris en Points).
À première vue : la rentrée de l’Olivier 2020

Intérêt global :
À bord du navire l’Olivier, on aborde la rentrée littéraire 2020 avec une nouvelle vice-capitaine à bord, l’excellente éditrice Nathalie Zberro, déjà passée sous les branches de l’arbre avant un long et fructueux crochet à la tête du département étranger des éditions Rivages.
Du côté des auteurs en lice, on reste aussi largement en famille, puisque trois d’entre eux (sur cinq) sont des noms familiers de la maison. Au programme : quatre romans, et un essai d’un grand nom des lettres américaines qui devrait avoir les faveurs de la presse.
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos
Le Garçon incassable reste un très grand souvenir de lecture, poignant, créatif et d’une profonde justesse. Le titre du nouveau roman de Florence Seyvos annonce une intrigue marquée par l’étrangeté et l’inquiétude, qui ne devrait pas être dénuée d’émotion et d’empathie, qualités dont l’auteure est naturellement vibrante. Elle narre ici l’histoire d’Anna, une jeune fille cantonnée dans la peur, et convaincue de voir et d’entendre des choses que personne d’autre ne perçoit. Des voix, des lumières aux fenêtres, des ombres dans les couloirs… Suivie et traitée depuis des années par un mystérieux médecin, Anna s’interroge sur ce qu’elle est réellement, et sur ce qu’elle pourrait devenir.
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut
Ostwald, son singulier premier roman, a commencé à distinguer Thomas Flahaut comme auteur à surveiller. Voici son deuxième, encore une fois ancré dans l’est – à tel point qu’on franchit la frontière pour passer en Suisse et découvrir les Verrières, petite ville frontalière où ont grandi Thomas, Mehdi et Louise, les trois héros du livre. De formidable terrain de jeux pour gamins, l’endroit devient, le temps d’un été, laboratoire d’entrée dans l’âge adulte. Comme leurs pères avant eux, les deux garçons entrent à l’usine, centre névralgique de la région, tandis que Louise utilise l’endroit comme lieu d’étude pour sa thèse sur les ouvriers frontaliers. Chacun à sa manière, ils confrontent leurs espoirs de vies meilleures et d’évasions sociales à un univers professionnel plus violent que jamais.
Mes fous, de Jean-Pierre Martin
Auteur d’essais et de fictions chez différents éditeurs (Seuil, Gallimard, Autrement entre autres), Jean-Pierre Martin rejoint les éditions de l’Olivier pour présenter ses Fous – ou, plus exactement, les fous de son héros, Sandor, persuadé d’attirer les personnalités atypiques et décrochées du réel dès qu’il met un pied dehors. De quoi se demander si lui-même ne serait pas un peu fou…
Walker, de Robin Robertson
(traduit de l’anglais par Josée Kamoun)
Premier roman d’un éditeur et poète britannique, Walker nous transporte de l’autre côté de l’Atlantique, dans les pas d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui tente de trouver sa place dans un monde qu’il voit désormais comme un gigantesque film noir – à la manière de tous ces longs métrages hollywoodiens dans lesquels il se réfugie lorsque la fuite est trop dure. De New York à Los Angeles, en quête d’un emploi et d’un sens à sa vie, Walker arpente un monde vaste et fascinant où tout reste danger. Fidèle aux origines de sa plume, Robertson déploie sa fiction sous la forme d’un poème épique, faisant de son roman une odyssée moderne.
Et si on arrêtait de faire semblant ?, de Jonathan Franzen
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis)
À la manière de l’autre Jonathan publié en France par les éditions de l’Olivier (Safran Foer), Franzen est un romancier qui a des idées et des opinions, et qui les exprime avec talent sous d’autres formes que la fiction. Démonstration avec ce recueil d’essais et d’articles, rédigés entre 2001 et 2019, qui développe des réflexions diverses sur la littérature, les nouvelles technologies, le monde dans lequel nous vivons ou l’écologie. Le texte qui donne son titre au livre, publié l’année dernière dans le New Yorker et consacré au réchauffement climatique, avait créé la polémique. Signe que, face à l’intelligence, nul ne peut rester insensible, pour le meilleur ou pour le pire.
BILAN
Lecture certaine :
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos
Lectures potentielles :
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut
Walker, de Robin Robertson
À première vue : semaine 4, le programme

Nous attaquerons demain l’avant-dernière semaine de présentation de la rentrée littéraire 2020. Ouf ! Il y a encore de quoi faire, de quoi lire, de quoi découvrir. Même si, de mon côté, j’avoue un peu moins d’attentes et de motifs de curiosité dans le programme des éditeurs qui s’affichent ci-dessous en images.
Je vous recommanderais tout de même un arrêt prolongé sous les branches de l’Olivier (dès demain), et de garder un œil à ce qu’il se passera du côté du Rouergue, de Robert Laffont, voire de P.O.L.…
Bon dimanche à tous, et à demain !
A première vue : la rentrée de l’Olivier 2018

L’année dernière, les éditions de l’Olivier s’avançaient sous l’étendard flamboyant de l’un de leurs grands noms étrangers, l’Américain Jonathan Safran Foer, qui dominait une petite rentrée de six titres en tout. Rebelote cette année, avec six titres à nouveau, et en tête d’affiche, l’Américaine Nicole Krauss – ex-Mrs Foer, tiens donc. Pour le reste, c’est une rentrée solide et sérieuse, qui pourrait réserver de bonnes lectures.
…ON ENTEND LE COUCOU : Forêt obscure, de Nicole Krauss (en cours)
(traduit de l’américain par Paule Guivarch)
D’un côté, Jules Epstein, riche Juif new yorkais, qui disparaît du jour au lendemain, réapparaît à Tel-Aviv avant de disparaître à nouveau. De l’autre, Nicole, romancière juive américaine, en pleine crise conjugale, qui décide de se rendre à Tel-Aviv, dans l’hôtel où elle passait ses vacances enfant, où elle compte trouver des réponses et recadrer sa vie à la dérive. Entre les deux ? Des zones mouvantes, un basculement de la réalité, des questionnements… Roman qualifié d' »incroyable » par le défunt Philip Roth, ce livre est le troisième de Nicole Krauss après l’Histoire de l’amour et La Grande Maison. Les premières pages, fortes et virtuoses, laissent espérer l’un de ces excellents livres dont les Américains ont le secret.
CALIMERO : Des raisons de se plaindre, de Jeffrey Eugenides
(traduit de l’américain par Olivier Deparis)
Autre grand nom du catalogue américain de l’Olivier, Eugenides – auteur entre autres de Virgin Suicides et Middlesex, rien de moins – revient cette année avec un recueil de nouvelles dont les personnages se trouvent à un carrefour majeur de leur existence.
IMPURS : La Souplesse des os, de D.H. Wilson
(traduit de l’anglais (Canada) par Madeleine Nasalik)
Et deuxième recueil de nouvelles de la rentrée pour l’Olivier, qui envoie au charbon un auteur dont l’univers rugueux et taiseux évoque la littérature rurale américaine. Sauf que nous sommes au Canada, en Colombie Britannique pour être précis. Dans un monde d’hommes et de femmes dont les bonnes intentions se heurtent à la réalité cruelle de la vie, non sans humanité et clairvoyance.
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CHANGEMENT DE DÉCOR : La Chance de leur vie, d’Agnès Desarthe
Début 2015. Juste après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, une famille française s’envole pour les États-Unis. Hector, professeur d’université, impose bientôt son charisme ravageur, tandis que sa femme Sylvie observe cette révélation donjuaniste à distance, avec réserve et lucidité. Pendant ce temps, Lester, leur fils adolescent, entraîne un groupe de jeunes de son âge dans une crise mystique. Le ton drolatique d’Agnès Desarthe part à la rencontre d’un regard aigu sur le monde, au fil d’une année 2015 choisie pour son basculement, entre les attentats sanglants en France et l’avènement de Donald Trump aux États-Unis.
MORDRE AU TRAVERS : Désintégration, d’Emmanuelle Richard
Après un premier roman publié pour la jeunesse (Selon Faustin, Ecole des Loisirs), voici le troisième titre à paraître à l’Olivier d’Emmanuelle Richard. Il relate le parcours d’une jeune femme, issue d’un milieu modeste, qui s’installe à Paris où elle vivote quelque temps parmi des garçons évoluant dans le milieu du cinéma, avec une nonchalance et une facilité nées de leurs origines aisées. Après avoir été aspiré par un cercle vicieux d’humiliations, elle rompt les rangs en se faisant remarquer par un premier roman qui attire l’attention sur elle… D’inspiration autobiographique, comme les deux précédents, ce roman au titre explicite annonce sa colère.
VERY BAD TRIP : Le Complexe d’Hoffman, de Colas Gutman
D’ordinaire, Colas Gutman écrit pour les petits (la géniale série Chien Pourri, c’est lui). Ce qui peut expliquer par contraste l’allure violemment irrévérencieuse de ce premier roman pour les grands, où deux enfants, frère et sœur, se créent un monde fantasmagorique et cruel pour oublier que leurs parents divorcent. Autrement dit, Gutman se lâche, en proposant sa version trash du roman familial.
On lira sûrement :
Forêt obscure, de Nicole KraussOn lira peut-être :
Désintégration, d’Emmanuelle Richard
La Chance de leur vie, d’Agnès Desarthe
A première vue : la rentrée de l’Olivier 2016
A première vue, les éditions de l’Olivier s’avancent bien armées dans cette rentrée 2016, avec cinq auteurs différents, confirmés ou débutants, qui proposent des univers forts et singuliers. La marque de fabrique d’une maison qui accomplit depuis longtemps un véritable travail de fond et suit une ligne souvent intéressante.
PUZZLE : La Sainte famille, de Florence Seyvos (lu)
En présentant Le Garçon incassable, roman précédent de Florence Seyvos et gros coup de cœur personnel, j’avais évité l’exercice périlleux du résumé, persuadé d’y perdre toute la substance du livre. Pour la même raison, je vais récidiver ici, car tenter de tisser une ligne claire dans ce superbe roman troué d’ellipses subtiles et de non-dits essentiels serait trop compliqué. Comme le titre l’indique, c’est une histoire familiale, et c’est une petite merveille, dont j’espère parvenir à parler en détail lorsque le livre paraîtra…
ENEMIES OF THE HEIR, BEWARE : La Succession, de Jean-Paul Dubois
Grand nom de l’Olivier, chez qui il a déjà publié notamment Une vie française, Le Cas Sneijder ou Kennedy et moi, Jean-Paul Dubois propose l’histoire d’une famille marquée par le tragique, du grand-père médecin de Staline au héros, Paul, exilé aux États-Unis, pour qui la vie est une peine grandissante malgré les bonheurs qu’il a pu connaître. Son existence va définitivement basculer le jour où il doit rentrer en France pour assurer la succession de son père qui vient de mourir… Dubois penche du côté obscur dans ce nouveau roman qui devrait marquer la rentrée.
LED : Le Zeppelin, de Fanny Chiarello
Si la vie est bizarre dans cette ville nommée La Maison, les habitants s’y sont habitués. Le survol inattendu d’un zeppelin vient pourtant perturber le destin d’une douzaine d’entre eux… Univers étrange à prévoir dans ce nouveau roman d’une jeune romancière aussi prolifique qu’atypique.
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SANDY CLOSE : 10:04, de Ben Lerner
Après le succès de son premier livre, le deuxième roman de ce jeune auteur américain s’attache aux pas… d’un jeune auteur américain, confronté au syndrome de la page blanche après le succès de son premier livre. (Vous y êtes ?) Histoire de corser le tout, il découvre qu’il souffre d’une affection cardiaque alors qu’il passait un examen en vue de donner son sperme à sa meilleure amie, et l’ouragan Sandy s’apprête à mettre New York sens dessus dessous. Bref, grosse ambiance.
LA FÊTE EST FINIE : Derniers feux sur Sunset, de Stewart O’Nan
Lorsqu’il rejoint Hollywood en 1937, Francis Scott Fitzgerald n’est déjà plus que l’ombre de lui-même, attaqué par l’alcool et la dépression, privé de sa femme Zelda, internée, et de sa fille Scottie. Pas sûr que le monde tourbillonnant et égoïste du cinéma soit de nature à lui faire du bien… Un portrait crépusculaire et poignant de l’auteur de Gatsby le Magnifique, loin de ses années fastes.
Le livre d’Aron, de Jim Shepard
Parfois, et c’est très rare, des livres arrivent à m’arracher des larmes. Il y a eu Delphine de Vigan et Rien ne s’oppose à la nuit, Stephen King et La ligne verte, il y aura donc désormais Jim Shepard et Le livre d’Aron.
Aron, 8 ans, décrit son quotidien dans le ghetto de Varsovie. Écrit à la première personne, ce roman nous plonge dans les heures noires de l’Histoire sans la moindre plainte, le moindre effet larmoyant. Et on en vient vite à être là, avec Aron, à lui tenir la main, à avoir peur pour lui. Aron, c’est un petit gamin de la débrouille, qui tente avec ses copains d’occuper ses journées en attendant des jours meilleurs. Et ce jour arrive lorsqu’il fait la rencontre du docteur Janusz Korczak, éminent pédiatre et directeur de l’orphelinat de Varsovie. Forte tête, Aron se laissera apprivoiser et retrouvera en cet homme la figure d’un père qui l’a abandonné.
Encore un énième bouquin sur la Shoah? Un texte tire-larmes sur un sujet lu et relu? Détrompez-vous…
Le style est très déconcertant. Cela peut être un peu étrange dans les premières pages, mais cela se surmonte assez vite et vous ne pourrez plus lâcher le bouquin. Les effets stylistiques apportent encore plus de sincérité à l’écriture et rendent le texte et les personnages bien vivants.
Le livre d’Aron est un roman et pourtant, le docteur Korczak a bien existé. Probablement qu’Aron est constitué des milliers d’enfants enfermés dans ce ghetto et qu’il a tenté de sauver. En lisant ce livre, je me suis vue avec eux, à côté d’eux. Avis à tous les scénaristes, cela ferait un très bon film, comme cela est déjà un très bon roman. D’une humanité sans pareille dans cette horreur sans nom. Pour que jamais, nous n’oubliions.
Le livre d’Aron de Jim Shepard
Editions de l’Olivier, 2016
9782823605396
231p., 21€
Un article de Clarice Darling.
Le Grand marin, de Catherine Poulain
Signé Bookfalo Kill
Lili plaque tout. Elle quitte Manosque-les-plateaux et rejoint l’Alaska, sans rien, quelques maigres affaires, l’envie d’être embauchée comme marin sur un bateau de pêche et l’obsession de filer un jour jusqu’au à Point Barrow, qu’elle imagine comme le bout du monde, le bout de terre où la terre s’arrête. Et elle trouve ce qu’elle veut, Lili, un équipage, du boulot, l’océan déchaîné, les poissons, la bagarre quotidienne contre les éléments, la malchance, les journées et les nuits interminables pour quelques misérables dollars. Elle travaille avec acharnement, fait sa place parmi les hommes, mange cru le cœur des flétans à peine tirés de l’eau et tombe amoureuse d’un grand marin…
À lire Le Grand marin, nul doute que son auteure, dont c’est le premier roman, est une sacrée personnalité. Effectivement, sa biographie confirme ce pressentiment : « Catherine Poulain commence à voyager très jeune en France comme à l’étranger, employée dans des conserveries de poissons en Islande, à l’usine, ou aux travaux agricoles en France et au Canada. Elle vit deux ans en Asie et devient barmaid à Hong Kong, travaille sur des chantiers navals aux États-Unis, pêche durant 10 ans en Alaska avant de se faire expulser. Elle partage aujourd’hui sa vie entre les Alpes de Haute-Provence et le Médoc où elle est respectivement bergère et ouvrière viticole. »
Le Grand marin est riche de ces expériences, palpite de cette vie de bourlingue. Catherine Poulain y impose un ton singulier, fait de puissance évocatrice et de litanies poétiques qui emportent le lecteur dans le fracas des vagues, les hurlements des hommes, le grincement des dents serrées face à la douleur ou l’épuisement, les errances alcoolisées ou les rêveries foutraques de ses personnages.
Ceux-là, Lili, Jude le grand marin, Ian le skipper, et tous les autres, forment une armée d’écorchés vifs qui hantent le récit de leurs désirs furieux, de leurs vies de misère auxquelles ils ne renonceraient néanmoins pour rien au monde. Ils sont grandioses dans leur dureté, terrifiants dans leur folie, attachants dans leur fragilité.
C’est un roman atypique que ce Grand marin. En tout cas, pour un roman français. On a plus l’habitude de lire ce genre de prose outre-Atlantique – mais franchement, qui s’en plaindra ? Catherine Poulain impose sa liberté, sa pudeur flamboyante et son énergie, ainsi qu’une vision brute de l’existence qui nous bouscule jusqu’à l’essoufflement. Le livre n’est pas parfait (la fin m’a quelque peu laissé sceptique), mais par sa capacité à nous sortir de notre zone de confort, par sa force magnétique, par la voix originale qu’il révèle, il mérite largement d’être abordé. Pas un coup de cœur absolu, mais un choc, c’est certain !
Le Grand marin, de Catherine Poulain
Éditions de l’Olivier, 2016
ISBN 978-2-82360-863-2
384 p., 19€