Alors qu’ils voguent paisiblement dans la baie de Chesapeake, les passagers du trimaran « Vagabond » apprennent que l’holocauste nucléaire a commencé. Le monde entier a sombré dans le chaos. Mais le capitaine Neil Loken et ses compagnons d’infortune comprennent qu’ils sont peut-être les seuls survivants de l’humanité. Leur habileté et leur courage suffiront-ils pour survivre ?
Si l’état actuel du monde en général, et la folie imprévisible de Trump en particulier, vous inquiètent au plus haut point, une seule solution : achetez un voilier. Et tenez-vous prêts à partir à tout instant.
Il existe depuis des années une vogue certaine du genre post-apocalyptique, qui a accouché de quelques œuvres littéraires majeures : L’Année du Lion (Deon Meyer), Station Eleven (Emily St John Mandel), Dans la forêt (Jean Hegland), La Constellation du Chien (Peter Heller), La Route (Cormac McCarthy), pour n’en citer que quelques-uns.
Bizarrement, il y a moins de romans apocalyptiques. Ceux qui racontent le moment de l’effondrement, qui relatent la catastrophe au moment où elle se produit. Il y a peu, Ken Follett s’y est risqué dans Pour rien au monde, roman passionnant dans sa manière de décrypter l’escalade menant au désastre, mais tristement mal écrit, sûrement mal traduit, et plombé par une psychologie balourde.

En 1983, Luke Rhinehart, auteur du cultissime Homme-Dé, avait pourtant signé un excellent texte apocalyptique, qui nous revient enfin (après une première publication lointaine chez Robert Laffont) grâce au travail acharné des éditions Aux Forges de Vulcain – dans lequel il faut souligner l’apport déterminant du traducteur Francis Guévremont.
Et quelle lecture ! Aussi effroyable qu’addictif, le roman raconte, heure par heure, la chute des bombes atomiques qui rasent toute vie en quelques secondes et rayent de la carte la moitié du monde et des millions d’âmes. Au milieu du chaos, un petit équipage échappe au désastre sur un voilier en pleine mer, et cherche une terre épargnée où se poser pour tenter, ensuite, d’amorcer une hypothétique reconstruction.
Cette équipe est le point d’ancrage du roman (un comble pour des gens qui cherchent avant tout à prendre le large). Elle forme, tant bien que mal, avec ses imperfections, ses dérapages et ses ratés, un microcosme exemplaire, petit îlot de survie humaine dans l’océan de vilénie qui se déchaîne après l’avalanche des bombes. Car ce qui intéresse Rhinehart, plus que les possibilités technologiques et politiques d’une fin du monde, c’est le comportement de l’humanité dans un contexte aussi extrême.
Autant dire que le tableau n’est pas flatteur, et que nos semblables, dans le roman, ont une fâcheuse tendance à se croire dans une foire à la saucisse dont le but est de balancer les autres sur le barbecue à n’importe quel prix pour ne pas finir eux-mêmes en merguez braisé. Autant dire, également, que tout ceci est aussi révoltant que crédible, et que cela oblige en outre à se poser LA question fondamentale : dans une telle situation, comment nous comporterions-nous ? Est-ce que nous ne penserions pas avant tout à sauver nos biens, nos proches, au détriment de tous les autres, en piétinant toutes les valeurs auxquelles nous prétendons croire en temps de paix – bienveillance, solidarité, empathie ?
Étant donné l’état actuel du monde, et les agitations incessantes d’une poignée de cinglés se tenant hélas aux commandes de la planète, vous n’aurez peut-être pas envie de vous confronter à un roman évoquant le pire des possibles. Ce serait dommage. D’abord, c’est un excellent suspense, sans temps mort, qui tient debout par la subtilité de ses personnages (alors même que certains risquaient de se limiter à des clichés sur pattes), des pincées d’humour bienvenues dans un océan de douleur et de violence, et une construction implacable vous empêchant de renoncer à votre lecture.
Ensuite, la clairvoyance de Rhinehart peut aider à comprendre et à affronter le sujet, ce qui n’est pas plus mal que de faire l’autruche en prétendant qu’il ne se passe rien autour de nous.
Je n’irais pas jusqu’à prétendre qu’il faudrait d’urgence faire lire ce livre à Poutine, Trump et consorts, parce que ça ne marche pas comme cela, hélas ; aucun roman ne saurait sauver le monde de la folie des hommes. (De toute façon, Trump ne sait pas lire.)
Néanmoins, en tant que citoyen impuissant dont les seules armes sont l’intelligence, la curiosité et la volonté de comprendre, j’ai trouvé que L’Odyssée du Vagabond faisait un excellent compagnon.
L’Odyssée du Vagabond, de Luke Rhinehart
(traduit de l’anglais (USA) par Francis Guèvremont)
Éditions Aux Forges de Vulcain, 2023
ISBN 9782373056549
457 p., 22€
D’AUTRES AVIS : On en cause bien (et en bien) chez Ce que j’en dis et Shangols.
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