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A première vue : la rentrée Flammarion 2017

À première vue, Flammarion, cette année, c’est un transfert qui fait un peu causer dans le Landerneau (Brigitte Giraud quittant Stock, son éditeur historique), quelques motifs de curiosité mais pas forcément de quoi trépigner sur place. Les auteurs convoqués sont solides, connus de la maison dans l’ensemble, et n’envoient pas des tonnes de rêve. Pas sûr qu’un raz-de-marée de bonheur viendra d’ici… mais on veut bien se tromper et avoir des bonnes surprises, comme c’est régulièrement le cas chez cet éditeur.

Giraud - Un loup pour l'hommeALGÉRIE I : Un loup pour l’homme, de Brigitte Giraud
Pour son entrée chez Flammarion, la romancière lyonnaise présente un livre très important pour elle, celui qu’elle cherchait à écrire depuis ses débuts en littérature. A mots couverts de la fiction, elle y évoque son père, incarné ici par Antoine, jeune Français appelé en Algérie pendant la guerre alors que sa femme Lila est enceinte. Refusant de porter les armes, il est casé comme infirmier à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès, où il rencontre Oscar, un caporal récemment amputé d’une jambe. Entre les deux hommes naît une amitié qui se construit sur l’horreur de la guerre…

Zeniter - L'Art de perdreALGÉRIE II : L’Art de perdre, d’Alice Zeniter
Plusieurs auteurs s’emparent donc du même sujet, l’Algérie, dans cette rentrée. Outre Jean-Marie Blas de Roblès (Zulma), Marie Richeux (Sabine Wespieser), Kaouther Adimi (Seuil) et donc Brigitte Giraud, Alice Zeniter s’intéresse aux origines algériennes de sa famille dont elle ne sait rien, faute de pouvoir en parler. Elle le fait de manière fictionnelle, en remontant plusieurs générations à la recherche des vérités du passé.

Seigle - Femme à la mobyletteDARDENNE : Femme à la mobylette, de Jean-Luc Seigle
Depuis son roman précédent, l’émouvant Je vous écris dans le noir, voilà un auteur que je sais capable de me surprendre au meilleur sens du terme. Alors, pourquoi pas avec ce nouveau livre, même si son pitch ne m’emballe pas plus que cela, je l’avoue ? Cette Femme à la mobylette, c’est Reine, mère de trois enfants délaissée, livrée à elle-même, aux portes de la misère. Jusqu’au jour où elle récupère une mobylette bleue, l’une de ces vieilles pétrolettes des années 60, en laquelle elle place tous ses espoirs restants…

Bouillier - Le Dossier MBLOB : Le Dossier M, de Grégoire Bouillier
Méfiez-vous des gens discrets, ils finissent toujours par se mettre à trop parler. Prenez Grégoire Bouillier, habitué depuis ses débuts à signer des livres très courts aux éditions Allia. Il n’avait pas donné de nouvelles depuis 2008, il aurait fallu s’en alarmer avant que ne débarque sur nos tables ce volumineux pavé de 864 pages, première partie (!) d’un dyptique (!!) dont le deuxième volume sera aussi long (!!!) De quoi y sera-t-il question ? Hé bien, d’amour, apparemment. Même si je n’ai pas tout compris au sujet de ce livre, dont le principe est semble-t-il de céder à toute logorrhée du moment qu’elle est suscitée par une inspiration subite… Bon, bref, je ne vous en dirai guère plus ici, à vous de voir si relever ce genre de défi vous amuse.

Bénech - Un amour d'espionJEAN LE CARRE : Un amour d’espion, de Clément Bénech
Le narrateur, un étudiant en géographie, se voit invité, au détour d’une discussion, à relever le défi que lui propose Augusta. La jeune femme l’attend à New York, où elle vient de s’installer, car elle veut percer le mystère autour de son petit ami Dragan, un critique d’art roumain qu’elle a rencontré via une application. Ce dernier est accusé de meurtre par un internaute anonyme (résumé Electre). Une sorte de pastiche de roman d’espionnage assortie d’une réflexion sur les réseaux sociaux et le virtuel. Si j’ai bien compris. Bref.

Pollet-Villard - L'Enfant-moucheURANUS : L’Enfant-mouche, de Philippe Pollet-Villard
Inspiré par l’enfance de la mère de l’auteur, l’histoire d’une petite orpheline dans un village de Champagne, pendant l’occupation. Survivant de rien, slalomant entre les bassesses et les humiliations de ses voisins, sa vie bascule lorsqu’elle s’aventure du côté allemand…

Pons - Parmi les miensDÉBRANCHE : Parmi les miens, de Charlotte Pons
Trois frères et sœurs se retrouvent au chevet de leur mère, hospitalisé en état de mort cérébrale, sans espoir de retour. Ils se déchirent sur la suite à donner aux événements, tout en se confrontant à leurs souvenirs d’enfance. Premier roman.
(Je vais me pendre et je reviens. Ou pas.)

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El Akkad - American WarWE TAKE CARE OF OUR OWN : American War, d’Omar El Akkad
(traduit de l’américain par Laurent Barucq)
Les États-Unis sont à nouveau coupés en deux par la guerre, le nord et le sud s’affrontant cette fois au sujet des énergies fossiles. Après la mort de son père, une petite fille est envoyée avec sa mère dans un camp de réfugiés. Cette expérience extrêmement violente la transforme peu à peu en machine de guerre… Journaliste d’origine égyptienne, le néo-romancier signe un livre coup de poing sur l’état de l’Amérique, sous couvert d’un roman d’anticipation politique qui en dit long sur aujourd’hui.

Lagioia - La FéroceINTÉRIEUR NUIT : La Féroce, de Nicola Lagioia
(traduit de l’italien par Simonetta Greggio et Renaud Temperini)
La fille d’un riche entrepreneur est retrouvée morte au pied d’un immeuble, après avoir été vue marchant nue et ensanglantée au bord d’une route. L’hypothèse d’un suicide est privilégiée, mais pour quel motif cette jeune femme aurait-elle mis fin à ses jours ? On louche fortement du côté des malversations de son père… La littérature italienne pointe encore et toujours du doigt la corruption qui gangrène le pays, nouvel exemple avec ce roman couronné du prix Strega (Goncourt transalpin) en 2015.

Mendelsohn - Une odysséeHOMÉRIQUE : Une Odyssée, de Daniel Mendelsohn
(traduit de l’américain par Isabelle Taudière et Clotilde Meyer)
Le père de Daniel Mendelsohn (auteur du formidable récit-enquête Les disparus) décide d’assister au séminaire que donne son fils sur L’Odyssée d’Homère, au Bard Collège, université privée au nord de New York. L’occasion pour les deux hommes de se retrouver, une épopée intime qui vaut bien des voyages.

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New York Odyssée, de Kristopher Jansma

Signé Bookfalo Kill

Irène, William, Jacob, Sara et George investissent New York avec toute l’énergie et l’optimisme de leurs vingt-cinq ans. En dépit des loyers exorbitants ou des difficultés à s’imposer dans leurs milieux professionnels, ils sont déterminés à mettre la ville à leurs pieds, et rien ne pourra les arrêter.
Rien, sauf peut-être cette tumeur qui affecte Irène, l’artiste de la bande, celle dont le charisme ébouriffant rayonne sur le groupe. La maladie va-t-elle changer leurs rapports amicaux et faire évoluer les jeunes gens vers des horizons insoupçonnables ? New York peut-elle seulement se conquérir ? On n’est jeune qu’une fois, et encore, comme les cinq amis vont le découvrir, pas aussi longtemps qu’on le rêverait…

Le 13 janvier dernier, la critique Olivia de Lamberterie a fait de New York Odyssée son roman de l’année. Bon, alors, on va se calmer tout de suite. Déjà, c’est débile de parler de livre préféré de l’année alors que l’année en question n’est vieille que de treize jours. Ensuite, certes, New York Odyssée est un livre solide, attachant, mais il ne bouleverse en rien ce que l’on connaît déjà du roman new yorkais, voire américain de manière plus large. Pour ma part, environ deux mois après l’avoir lu, il ne  m’en reste d’ailleurs pas grand-chose.

Point fort du live à mon sens, Kristopher Jansma prend le temps de poser chacun de ses personnages, de cerner leurs personnalités, d’exprimer leurs caractères avec une volonté de totalité louable quoique un peu trop appliquée. Surtout que certains de ses héros n’échappent pas aux clichés, à l’image de Jacob, le poète homosexuel extraverti. Néanmoins Jansma parvient à restituer leur profondeur, leur humanité ; et si cette odyssée new yorkaise tient la route et la longueur (même si quelques pages en moins ne m’auraient pas manqué), c’est avant tout grâce à cette réussite, car leurs « aventures » ont moins d’intérêt que la manière dont ils les abordent et les pensent.

En ce sens, New York Odyssée est moins un roman générationnel qu’intemporel, car son récit pourrait se dérouler il y a cinquante ans comme aujourd’hui ; les motivations, ambitions et déceptions de ses héros en disent moins sur leur époque que sur ce qui pousse en avant des jeunes gens idéalistes rêvant de conquérir le monde et se heurtant de plein fouet avec sa dure réalité – incarnée ici par la maladie sournoise qui frappe Irène, ainsi que ses proches par ricochet.

Puis il y a New York, bien sûr, cette ville si fascinante, chaos architectural qui ne devrait pas fonctionner et tient pourtant la route d’une manière vertigineuse ; melting pot culturel, social, ethnique ; tourbillon vital qui jamais ne s’arrête, en dépit des difficultés que ses habitants y rencontrent, à commencer par ses loyers exorbitants. Kristopher Jansma donne relief et réalité à ses murs, ses maisons, ses rues, son bruit, son agitation, et qui y est déjà allé s’y reconnaît sans problème.

New York Odyssée est donc un bon roman new yorkais – quasi un genre littéraire en soi outre-Atlantique -, classique mais prenant grâce à la chair de ses personnages. Loin d’être le livre d’une année qui commence à peine, mais parfaitement honnête dans sa catégorie.

New York Odyssée, de Kristopher Jansma
(Why we came to the City, traduit de l’américain par Sophie Troff)
Éditions Rue Fromentin, 2017
ISBN 978-2-919547-50-0
456 p., 22€


Watership Down, de Richard Adams

Signé Bookfalo Kill

Pressentant qu’une catastrophe est sur le point de s’abattre sur leur résidence, Fyveer convainc son frère Hazel de fuir et de partir à la recherche d’un nouvel endroit pour vivre. Escorté par une poignée de compagnons déterminés, ils découvrent de nouveaux mondes, se battent avec courage, affrontent les éléments et de nombreux ennemis, jusqu’à élire domicile à Watership Down. Mais leur installation dans ce lieu idyllique signifie-t-elle pour autant la fin de leurs aventures ? Rien n’est moins sûr, car le danger est partout et peut prendre les formes les plus inattendues…

adams-watership-down2Pour une raison difficile à comprendre, Richard Adams est un auteur totalement méconnu en France, alors qu’il est extrêmement célèbre dans les pays anglo-saxons, où Watership Down, son premier roman paru en 1972, fait partie des classiques que tous les lecteurs, jeunes et moins jeunes, finissent par lire un jour. Serait-ce parce que nous sommes foncièrement rétifs à la fantaisie et à l’imaginaire, trop perclus de rationalité pour nous émerveiller devant la magie d’une histoire aussi simple que palpitante ?
Serait-ce, tout simplement, parce que les héros de Watership Down sont des lapins ?

Ah oui, ça y est, le mot est lancé ! « Lapins », c’est ça, c’est le mot « lapins » qui vous turlupine ? Hé oui, Hazel, Fyveer, Bigwig, leurs compagnons et leurs ennemis sont tous des lapins. De garenne, par-dessus le marché. Et vous voulez que je vous dise ?
On s’en fiche complètement.

Nourri de littérature classique, et bien qu’il s’en défende encore aujourd’hui, Richard Adams a clairement conçu Watership Down comme une variation sur quelques solides références, parmi lesquelles L’Odyssée d’Homère et L’Enéide de Virgile. Oui, rien de moins. Son roman est une épopée prodigieuse, une suite d’aventures édifiantes où leurs héros font preuve de bravoure ou de lâcheté, de loyauté ou de faiblesse, à la poursuite exclusive de leur rêve : trouver le meilleur endroit pour vivre. Et le fait que ce soit des lapins ne change rien à l’affaire. Au contraire, on vibre d’autant plus que Richard Adams, documenté avec le plus grand sérieux sur la question, nous place avec réalisme à la hauteur de ses personnages, nous faisant partager leur hantise à l’idée de traverser une rivière, goûter au plaisir de farfaler à la tombée du jour, trembler dans l’ombre d’un prédateur volant. Et on est sfar quand l’angoisse nous cloue aux pages, avide de savoir comment nos héros vont s’en sortir (ou pas).

Par quel miracle le romancier britannique a-t-il réussi un tel prodige ? De la même manière, sans doute, que Walt Disney a su nous captiver en nous racontant l’histoire de Bambi ou en transformant Robin des Bois en renard : en supposant que l’apparence n’était qu’affaire de préjugés, et qu’il était parfois plus facile de parler de notre humanité en adoptant d’autres oripeaux qu’humains.
Palpitant, généreux, écrit avec une délicatesse et une poésie qui saisissent les plus beaux moments d’une journée dans la nature comme les plus fins des sentiments, animé d’un suspense constant, Watership Down est effectivement un grand roman, où il est question – mine de rien mais avec beaucoup d’acuité – de croyances, de fidélité, d’amitié ou de totalitarisme.

On espère que le pari de Monsieur Toussaint Louverture (éditeur dont le soin apporté aux rares livres qu’il publie est à saluer) de donner une nouvelle vie à cette œuvre, sera relevé par de nombreux lecteurs français. En tout cas, si vous aimez les belles histoires, les romans d’aventure captivants, les contes qui font appel à ce qu’il y a de plus ancestral en nous ; s’il vous reste un peu de nostalgie de ces moments d’enfance où, blotti sous la couette comme dans un terrier chaud et confortable, vous vous immergiez au plus profond d’un livre en oubliant tout le reste, alors Watership Down est incontestablement fait pour vous. Et au diable la raison, être sérieux est d’un ennui !

Watership Down, de Richard Adams
(Watership Down, traduit de l’anglais par Pierre Clinquart, traduction revue par Monsieur Toussaint Louverture)
Éditions Monsieur Toussaint Louverture, 2016
ISBN 979-10-90724-27-3
544 p., 21,90€


A première vue : la rentrée Monsieur Toussaint Louverture 2016

Encore un éditeur que nous n’avons jamais évoqué dans la rubrique « à première vue » – et pour cause, allais-je dire, car il publie fort peu (trois ou quatre titres par an). À tel point que l’on peut se demander si la rentrée littéraire est un enjeu particulier pour lui : en réalité, chaque parution EST un enjeu, à quelque moment de l’année que ce soit. Néanmoins, Monsieur Toussaint Louverture est aussi un communicant habile, d’aucuns diraient rusé, qui sait presque toujours mettre ses livres en orbite, au point d’envoyer certains dans la stratosphère de succès inattendus (Karoo de Steve Tesich, Et quelquefois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey, pour citer les deux plus spectaculaires).
Il sera donc présent dans cette rentrée 2016 avec un livre – mais pas n’importe lequel, évidemment, puisqu’il s’agit d’un roman qui a déjà été publié en France, notamment par Flammarion, sans marquer les esprits. Un anonymat étonnant lorsque l’on sait que ce titre paru en 1972 est devenu culte dans nombre de pays et cumulerait plus de 50 millions de ventes dans le monde… L’incroyable Monsieur Toussaint Louverture relèvera-t-il le défi ? A vous de décider !

Adams - Watership DownSFAR : Watership Down, de Richard Adams (lu)
Pressentant qu’une catastrophe est sur le point de s’abattre sur leur résidence, Fyveer convainc son frère Hazel de fuir et de partir à la recherche d’un nouvel endroit pour vivre. Escorté par une poignée de compagnons déterminés, ils découvrent de nouveaux mondes, se battent, affrontent les éléments et de nombreux ennemis, jusqu’à élire domicile à Watership Down. Mais leur installation dans ce lieu idyllique signifie-t-elle pour autant la fin de leurs aventures ? Rien n’est moins sûr, car le danger est partout et peut prendre les formes les plus inattendues…
Et donc, oui, en effet, Watership Down est un livre extraordinaire. Un grand roman d’aventures aux accents mythiques, qui évoque aussi bien L’Odyssée d’Homère que Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, animé d’un souffle épique laissant la place à une approche réaliste des personnages comme des situations et des paysages – un environnement très important pour Richard Adams qui y est d’autant plus attaché qu’il y vit. On s’attache fortement aux personnages, on tremble pour eux, on espère, on se bat et on rit avec eux, craignant jusqu’à la fin que leurs rêves ne deviennent pas réalité ou de voir tomber certains de ces héros inoubliables…
Ah, un dernier détail tout de même, qui vous aura peut-être frappé en regardant la couverture : Hazel, Fyveer et les autres sont des lapins.
Mais franchement, ça ne change rien.
L’un des grands rendez-vous de la rentrée !!!