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Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, de Iain Levison

Mille dollars de l’heure. Un tarif qui ne se refuse pas quand on est avocat commis d’office obligé de passer ses journées, dimanches compris, à plancher sur les dossiers attristants de petits malfaiteurs sans envergure. Puis à négocier des peines avec un procureur plus puissant que soi mais tellement moins compétent.
Alors Justin Sykes, lassé par ce quotidien déprimant, accepte pour ce tarif de se mettre un soir par semaine au service des filles d’un gentlemen’s club et de passer la nuit dans le motel d’en face. Sans trop chercher à comprendre. Parce que, c’est bien connu, les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques.


Que pourrais-je vous dire de plus sur Iain Levison que je ne vous aie pas déjà dit dans mes chroniques sur certains de ses précédents romans ?* C’est que le garçon a du savoir-faire, une recette éprouvée à laquelle il se tient et qui fait mouche à chaque fois. Difficile donc de le prendre en défaut, et ce n’est pas ce nouveau roman qui va me faire changer d’avis, car tous les ingrédients habituels y sont réunis, pour un bonheur de lecture intact.

De peur de me répéter, je ne vais donc pas m’étendre ; mais pour ceux qui n’ont encore jamais ouvert un livre du romancier d’origine écossaise, un petit tour d’horizon s’impose tout de même.
On retrouve dans ce cru 2024 l’affection de Levison pour les personnages de losers, de déclassés, tous les paumés que l’impitoyable machine sociale des États-Unis jette sur les bas-côtés de sa route, dans l’ombre factice du « rêve américain ».
Son héros est un avocat commis d’office, une sorte de Saul Goodman intègre qui vivote en défendant ce que le système judiciaire local juge de moins glorieux. Des naïfs qui se font manipuler et paient pour d’autres, des récidivistes indécrottables, des ratés plus ou moins volontaires… La loose de l’illégalité, dont Justin Sykes s’efforce de sauvegarder un peu d’humanité en les défendant aussi honnêtement que possible. Avant de s’exposer lui-même, avec une candeur désarmante, à un péril évident que sa bonté en mode survie l’empêche de jauger avec la prudence nécessaire…

Pas besoin d’être avocat, donc, pour s’identifier à ce personnage de « gentil », dont le côté ordinaire est fait pour parler à celui de ses lecteurs, tout en exposant en pleine lumière les travers, compromissions et tricheries du système judiciaire américain, mécanique qui pulvérise, non pas forcément les innocents, mais les moins dangereux, les plus fragiles, les moins armés pour résister – en laissant toute marge de manœuvre, bien sûr, à ceux qui ont les moyens de couvrir leurs malversations. Sans parler d’un racisme endémique et d’un système fédéral qui multiplie les absurdités, au mépris de toute logique et de toute justice.

La grande force de Iain Levison, dans ce roman comme dans les précédents, est de s’emparer de ce sujet sans manichéisme ni démagogie. Sa démonstration passe par la fiction, l’intrigue, les personnages, et surtout par son humour, son sens délicat de l’ironie et de l’autodérision, qui font passer le message sans tomber dans la démonstration lourdingue.
Il emballe ici le tout dans une belle ambiance de roman noir, avec ses malfrats mal dégrossis, ses motels et ses zones industrielles glauques, son bar à striptease (avec un titre pareil, c’était inévitable) dont les cachotteries en coulisses sont inversement proportionnelles au dénudement des filles qui arpentent la scène…

Son style est fluide, son propos ramassé en un peu plus de 200 pages, comme d’habitude, et tout est en place pour passer un excellent moment de lecture, vif et intelligent, tout aussi capable de divertir que d’éclairer.
Y parvenir, livre après livre, avec une telle régularité, n’est pas la moindre des réussites de Iain Levison.

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, de Iain Levison
(traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson)
Éditions Liana Levi, 2024
ISBN 9791034909537
240 p., 22€

*Pour en savoir plus, mes chroniques sur d’autres de ses livres : Un voisin trop discret, Pour services rendus, Ils savent tout de vous.
Et je recommande aussi chaleureusement la lecture de Tribulations d’un précaire, récit des nombreuses expériences professionnelles plus ou moins aberrantes que l’auteur a faites aux États-Unis pour survivre… Un livre qui aurait été désespérant sans l’humour, le détachement et le regard acéré de l’auteur.

Une réponse à « Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, de Iain Levison »

  1. Très tentant ! Merci pour la découverte

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