COUP DE CŒUR
Après deux années à sillonner les mers avec son équipage, le prince Thibault décide enfin de rentrer chez lui. Là-bas, sur son île natale, son père l’attend et compte sur lui pour régner sur le royaume de Pierre d’Angle après sa mort. Mais en chemin, une rencontre va bouleverser l’existence du Prince : un passager clandestin, Ema, une esclave en fuite. Ensemble, ils vont devoir faire face aux dangers qui guettent Pierre d’Angle…
Dans ce premier volume de presque 500 pages, il y avait sans doute de quoi faire deux ou trois tomes d’une saga ordinaire.
Oui mais voilà, Le Royaume de Pierre d’Angle est tout sauf une saga ordinaire.
C’est même l’une des suites romanesques les plus époustouflantes qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années, pour un étourdissant maelström d’émotions magnifiées, de suspense, d’intelligence, de comédie et de tragédie jouées fortissimo, avec un souci de la vérité humaine et une liberté d’imaginaire aussi exigeants l’un que l’autre.
Voilà, ça, c’est dit.
Mais quelle forme prend cette merveille ?

Le plus étonnant est qu’à première vue, l’histoire s’ouvre avec une certaine légèreté, dans l’humour et la fantaisie, portée par une écriture lumineuse, économe de ses mots mais d’une si grande justesse que chaque image, chaque évocation éclate dans l’imaginaire du lecteur avec une netteté admirable. (Un style, disons-le, qui m’a rappelé celui de Timothée de Fombelle, ce que vous avez tout à fait le droit de considérer comme un gigantesque compliment venant de moi.)
Pascale Quiviger joue à fond la carte du roman d’aventure maritime dans un premier tiers vif et enthousiasmant, plein de drôlerie et de suspense, convoquant un bateau fantôme, des escales épiques qui tendent à démontrer que les marins n’ont pas assez le pied terrestre, une tempête et un naufrage héroïque : autant d’ingrédients attendus dans un récit d’aventure maritime, dont Pascale Quiviger se régale à l’évidence. Et nous avec !
Elle s’empare également du microcosme du navire avec un bonheur évident, son vocabulaire spécifique et ses personnages de marins hauts en couleur, que la romancière réinvente joyeusement. Ces personnages, campés en quelques traits de caractère bien dessinés, on les accueille avec sympathie, voire avec empathie, et c’est capital pour la suite ; car la plupart, pas seulement là pour faire joli sur le bateau, joueront un rôle prépondérant dans l’ensemble de la saga.
Ovide, Félix, l’amiral Dorec et son second Guillaume Lebel, Lucas Corbières, et plus tard le merveilleux Lysandre, et tant d’autres… Ils deviendront vos indispensables compagnons de joie et de peine pour les centaines de pages qui vous attendent, retenez bien leurs noms.
Que des personnages masculins, donc ? C’est bien connu, les femmes en mer, ça porte malheur (qu’y disent !), d’où cette exclusivité initiale. Néanmoins, les femmes seront bien représentées à l’avenir (n’oublions pas que c’est une femme qui tient la plume de la saga) ; et la première d’entre elles, la plus importante, rejoint d’ailleurs très vite l’aventure.
Ema Beatriz Ejea Casarei, son nom claque comme le vent dans les voiles ! Et le personnage est à la hauteur de la promesse. Tout à la fois brûlante, incontournable, scintillante, spirituelle, courageuse et fragile, impertinente et intelligente, cette jeune femme à la peau noire (la précision est évidemment d’importance) remplit les pages avec une générosité époustouflante ; et son duo avec le formidable prince Thibault, insouciant, rêveur, altruiste, d’une droiture à toute épreuve, est le cœur battant de toute cette entreprise.
Mais voici que nous touchons terre au fameux Royaume de Pierre d’Angle, véritable épicentre de l’intrigue où tout va se dérouler désormais.
Et le ton commence à changer. Si l’humour garde sa place, toujours bien dosé, politique, intrigues de cour, complots et jalousies mortelles s’en mêlent désormais, tandis qu’une ébauche de noirceur nimbe la gaieté initiale. Le prince Jacquard entre en scène, frère de Thibault et son ennemi juré, veillé à ses pieds par un molosse terrifiant et dans son ombre par une mère de réputation sorcière. Les véritables motifs de la saga affleurent : gouvernance populaire contre tyrannie, sagesse et philosophie contre obscurantisme, connaissance du monde contre superstition…
Le tout dans les décors somptueux de Pierre d’Angle, que l’on commence à arpenter dans la deuxième partie de ce premier tome, jusqu’à la terriblement bien nommée Forêt de la Catastrophe, dont on n’a pas fini de sonder les plus noirs secrets…
Souvent, le premier tome d’une saga sert juste à réaliser les mises en place nécessaires à l’ensemble de l’histoire, qui s’épanouira dans les suivants. Pas dans Le Royaume de Pierre d’Angle, dont Pascale Quiviger assume d’emblée l’ambition et la richesse, après avoir pris soin d’accueillir son lecteur le plus chaleureusement possible… pour mieux le bousculer ensuite.
Et ce n’est qu’un début…
À partir de 13 ans.
Le Royaume de Pierre d’Angle t.1 : L’Art du naufrage, de Pascale Quiviger
Éditions du Rouergue, 2019
ISBN 9782812618048
496 p., 17,40€
Également disponible en Folio Fantasy :
ISBN 9782072999123
496 p., 9,90€

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