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À première vue : la rentrée Iconoclaste 2021


Intérêt global :


On ne change pas une méthode qui marche plutôt bien. Cette année encore, les éditions de l’Iconoclaste n’alignent que trois titres pour leur rentrée littéraire, misant comme toujours sur la singularité et la diversité des voix et des styles pour mettre en avant une certaine idée de la littérature francophone contemporaine.
Fidèles à leurs habitudes, elles laissent également une place à un premier roman, tout en comptant sur la (de plus en plus) populaire Cécile Coulon pour tracter leur joli petit train.


Seule en sa demeure, de Cécile Coulon

La jeune mais très prolifique romancière (31 ans et déjà 14 livres au compteur) poursuit l’aventure Iconoclaste (où elle co-dirige également la collection Iconopop’) après le beau succès rencontré il y a deux ans grâce à Une bête au Paradis. Et comme elle aime bien tenter toujours des choses nouvelles, la voici qui propose… un roman gothique.
Tout y est : le XIXème siècle, une grande demeure hantée par l’esprit d’une femme, un mariage pesant et arrangé entre une très jeune femme et un riche propriétaire terrien, une servante terrifiante, des secrets inquiétants… jusqu’au jour où l’irruption d’une professeure de flûte vient tout bouleverser.
À première vue, pour l’audace, l’aventure, le pari de la littérature de genre, c’est un grand oui. Lecture incontournable pour moi.

Mon mari, de Maud Ventura

Vu de l’extérieur, c’est un couple sans histoire. Quarantenaires, quinze ans de vie commune, deux enfants, une vie sociale et professionnelle réussie. Mais de l’intérieur, le tableau est moins glorieux. Pour elle en tout cas, qui se persuade que son mari ne l’aime plus, et entreprend de tout faire pour le prouver.
Tendre des pièges, noter les faux pas, concevoir des peines à infliger, et bien sûr guetter les rivales – toutes les autres femmes, à qui elle entend prouver qu’elle est toujours la meilleure, la plus belle, la plus parfaite des épouses : tout est bon pour se prouver qu’elle a raison. Même le pire.
Un premier roman de tourbillon psychologique qui pourrait valoir le coup d’œil.

Ne t’arrête pas de courir, de Mathieu Palain

C’est une histoire vraie, mais tellement fascinante et romanesque qu’elle a convaincu Mathieu Palain d’en faire son deuxième livre (après Sale gosse, 2019).
Cette histoire, c’est celle de Toumany Coulibaly, athlète français spécialiste du 400 mètres, champion de France de la discipline en 2015… et cambrioleur multi-récidiviste, condamné à plusieurs peines de prison. Durant plusieurs mois, l’écrivain rend visite au sportif. Au parloir, une amitié se noue, consolidée par le fait que les deux hommes ont sensiblement le même âge et grandi au même endroit.
En parallèle, Palain mène l’enquête, interroge des proches, pour tenter de comprendre comment un même individu a pu afficher deux visages aussi antagonistes, et briser une carrière prometteuse pour des petits crimes sans lendemain.


BILAN


Lecture certaine :
Seule en sa demeure, de Cécile Coulon

Lectures potentielles :
Mon mari, de Maud Ventura
Ne t’arrête pas de courir, de Mathieu Palain

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Où le regard ne porte pas…

Scénario : Georges Abolin
Dessin : Olivier Pont
Couleurs : Jean-Jacques Chagnaud

Éditions Dargaud, 2004

Tome 1 :
ISBN 9782205050929
96 p.

Tome 2 :
ISBN 9782205050981
98 p.

16,50 €


TOME 1

1906, Barellito. Une famille venue de Londres emménage au bord de la mer, dans un petit village d’Italie.
Le père veut se consacrer à la pêche. Le fils, William, se réjouit déjà à l’idée de courir en pleine nature, loin de la grisaille londonienne.
Et puis, il y a Lisa, la petite voisine aux cheveux noirs qui l’a si gentiment accueilli…

Mais les habitants de Barellito ne cachent pas leur hostilité aux nouveaux arrivants. Ils n’apprécient pas que des  » étrangers  » s’installent chez eux. Quant à Lisa, elle semble douée d’étranges pouvoirs…


TOME 2

Des années après leur séparation, devenus adultes, Lisa, William, Paolo et Nino se retrouvent enfin, à Istanbul
où réside Lisa. Celle-ci leur apprend qu’elle vient de perdre l’enfant qu’elle attendait et que son compagnon, Thomas, l’a quittée précipitamment.

Pour William, Paolo et Nino, la surprise est totale et les souvenirs reviennent vite à la surface.

Lisa leur demande de l’accompagner au Costa Rica où se trouverait Thomas. C’est aussi là que la réponse à leurs étranges visions se trouve…


Le résumé et les premières pages du premier album laissent imaginer (voire craindre) une histoire très classique, déjà vue déjà lue.
Un village perdu en pleine nature, dans le sud sauvage de l’Italie, au début du XXème siècle, une histoire d’amitié enfantine, le choc entre modernité et mode de vie ancestral, la méfiance haineuse vis-à-vis de l’étranger et de la nouveauté… Les ingrédients sont très familiers.

Pourtant on se laisse happer sans problème. Parce que Georges Abolin mène parfaitement son récit, à la fois conscient de sa banalité apparente, et des surprises qu’il va peu à peu y apporter.
Parce qu’Olivier Pont s’empare à merveille du cadre naturel de l’histoire, prenant le temps, parfois sur une page complète, de ménager des pauses dans l’histoire pour laisser le temps au lecteur d’admirer cette Italie sauvage et merveilleuse.
Et parce que Jean-Jacques Chagnaud, par son magnifique travail sur les couleurs, jette un éclat somptueux sur ces images. Ça vaut tous les catalogues d’office du tourisme ou d’agences de voyage – même si Barellito est imaginaire, il est probable que ces coins de côte existent vraiment quelque part.

Côté dessin, je reprocherais toutefois certaines approximations dans la représentation des personnages, notamment des enfants dont les corps aux postures parfois étranges et les visages à l’âge indéfinissable peinent à évoquer de vrais enfants. Surtout Paolo et Nino, moins soignés que Lisa et William.
Cette remarque s’étend au deuxième tome, où certaines cases souffrent des mêmes défauts. Mais c’est loin d’être rédhibitoire.

Quant à l’histoire imaginée par Georges Abolin, c’est évidemment le point fort du diptyque.
Le scénariste, on pouvait s’en douter, ne s’en tient pas à l’apparente pagnolade des premières pages. Peu à peu le mystère s’installe, liant les enfants, tous nés le même jour, à une histoire étrange qui va révéler sa force à la fois belle et tragique dans le deuxième tome.
Dès le premier volume, des doubles pages inattendues introduisent une rupture, à la fois graphique (elles sont à dominante de brun, de rouge, d’orange et de jaune) et narrative, puisqu’elles semblent évoquer des histoires très anciennes, étrangères aux héros.
Pour les explications, encore une fois, il faudra attendre la deuxième partie du récit, dans un balancement fort bien conçu.

Une pointe de fantastique, discrète mais prégnante, vient ensuite perturber le ronronnement trompeur du récit, qui ouvre la porte à une superbe réflexion sur le rapport que nous entretenons avec le temps, sur la nécessité de penser son existence comme une chance à brûler, mais aussi sur l’amitié et la passion, au-delà de toutes les limites concevables.

Puis le deuxième tome achève le basculement. Au revoir le charme bucolique de l’Italie, bienvenue dans l’aventure et l’exotisme.
D’Istanbul à la jungle du Costa Rica, les trois auteurs s’en donnent à cœur joie – le dessinateur et le coloriste faisant plus que jamais étalage de leur art à croquer et sublimer des décors foisonnants, tandis que le scénariste entraîne le lecteur dans un périple pour le moins surprenant.

Seize ans après sa parution, le diptyque d’Abolin, Pont et Chagnaud reste une référence de la bande dessinée, signe qu’une bonne histoire, habitée par ses metteurs en scène, peut devenir intemporelle dès lors qu’elle est sincère et imaginative.
Un classique pas si classique, à lire avec plaisir.


A première vue : la rentrée Albin Michel 2017

La maison Albin Michel fait partie de ces éditeurs chez qui la production dérape quelque peu : quinze romans sont en effet alignés pour cette rentrée 2017, douze français pour trois étrangers. Un menu d’autant plus étouffe-chrétien que tous les plats ne semblent pas spécialement raffinés… Alors, comme votre temps est précieux (et le nôtre aussi), on va essayer d’aller à l’essentiel – en toute subjectivité, comme d’habitude.
(Allez au bout de l’article quand même, on finira en causant de littérature étrangère et ça ira un peu mieux.)

Nothomb - Frappe-toi le coeurCRUELLA : Frappe-toi le coeur, d’Amélie Nothomb (lu)
Une jeune fille d’une beauté renversante se délecte de l’admiration haineuse qu’elle provoque chez ses rivales. Jusqu’au jour où elle tombe amoureuse d’un garçon et rapidement enceinte de lui. Elle a dix-neuf ans et pense que sa vie est déjà finie. L’indifférence et la jalousie qu’elle voue à sa fille, dont on découvre très vite qu’elle est encore plus jolie que sa mère, vont bouleverser bien des existences…
Si elle ne nous épargne pas certaines facilités ou niaiseries occasionnelles, Nothomb surprend avec cette intrigue beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, se déroulant sur plusieurs décennies et abordant des thèmes approchés au début de son œuvre : la malédiction de la beauté, la jalousie maladive, mais aussi l’égoïsme de l’ambition, les déceptions amoureuses, filiales ou amicales… Plutôt un bon cru – bien plus intéressant que celui de l’année dernière, et de loin.

Estienne d'Orves - La Gloire des mauditsSECRETS ET MENSONGES : La Gloire des maudits, de Nicolas d’Estienne d’Orves
Brillant mais dilettante, Nicolas d’Estienne d’Orves est capable du meilleur comme du pire. Avec ce nouveau roman, proche dans l’esprit des Fidélités successives, on l’espère du bon côté de la barrière. Il raconte ici l’histoire de Gabrielle Valoria, fille d’un collabo exécuté sous ses yeux à la Libération, qui se prépare à écrire la biographie de Sidonie Porel, grande romancière et figure fascinante de cet après-guerre agité. En enquêtant sur son sujet, Gabrielle plonge dans un monde de manipulations et de trahisons…

Guenassia - De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes fillesZIGGY : De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia
Guenassia n’arrête plus. Après avoir laissé passer vingt-trois ans entre ses deux premiers romans, puis encore trois entre le deuxième et le troisième, le voici qui enchaîne les titres au rythme d’un par rentrée littéraire depuis 2015. Cette fois, il nous présente Paul, jeune homme de 17 ans au look androgyne qui se plaît à brouiller les frontières tout en cultivant son amour exclusif des femmes. Bientôt, c’était inévitable, sa route croise celle d’un certain David Bowie… Opportuniste, Guenassia ? On peut se poser la question.

Olmi - BakhitaAMISTAD : Bakhita, de Véronique Olmi
Habituée des textes courts, Véronique Olmi se lâche : 464 pages pour raconter le destin de Bakhita, enlevée à sept ans dans son village du Darfour, réduite en esclavage, avant d’être rachetée par le Consul d’Italie et d’être ensuite affranchie. Elle décide ensuite de devenir religieuse et de se consacrer aux enfants pauvres. Albin Michel y croit beaucoup et annonce un grand livre. A voir.

Delsaux - SangliersSEUL CONTRE TOUS : Sangliers, d’Aurélien Delsaux
Entre l’Isère et le Dauphiné, Les Feuges est un village où le loyer dans la zone pavillonnaire est moins élevé qu’ailleurs, où la chasse aux sangliers fédère les hommes qui passent leur temps dans le seul bistrot du coin, où les enfants subissent la violence paternelle en toute impunité. C’est là que survient la première tuerie raciste dans un lycée français (résumé Electre).

Mordillat - La Tour abolieTHE DARK TOWER : La Tour abolie, de Gérard Mordillat
Au coeur de la Défense s’élève la tour Magister. Au sommet, l’état-major, qui lutte pour ses profits. Dans ses sous-sols, un petit peuple misérable, qui lutte pour sa survie. Quand les damnés du progrès décident d’investir la tour et d’atteindre ses hauteurs, tout est remis en cause et la violence explose au grand jour. Homme de gauche jusqu’à la caricature, Mordillat creuse son sillon de révolté social et politique. Pas forcément avec finesse sur ce coup.

Favier - Le courage qu'il faut aux rivièresLA PARITÉ, C’EST PAS GAGNÉ : Le Courage qu’il faut aux rivières, d’Emmanuelle Favier
Dans son village des Balkans, Manushe est « vierge jurée ». Elle a renoncé à sa condition de femme pour jouir des mêmes droits que les hommes. Sa rencontre avec Adrian, homme énigmatique et ardent, bouscule ses certitudes et met en péril son serment. Premier roman.

Guenyveau - Un dissidentMARKETING VIRAL : Un dissident, de François-Régis Guenyveau
Un jeune scientifique rejoint une entreprise américaine très mystérieuse, dont le projet est de façonner l’homme de demain grâce à tous les moyens offerts par la science et les nouvelles technologies. D’abord enthousiaste, ce qu’il découvre sur place et les doutes sur sa propre personnalité remettent en question son engagement initial. Premier roman également.

Et encore, en vrac :

SUR LE FIL : La Nuit des enfants qui dansent, de Franck Pavloff
Un jeune funambule et un vieil Hongrois vivant confit dans son passé décident de partir ensemble à un festival rock à Budapest. (Je fais très court mais je ne sais pas comment vous donner envie, même avec les versions les plus longues des résumés.)

LE CLUB DES INCORRIGIBLES OPTIMISTES II : Le Songe du photographe, de Patricia Reznikov
A Paris, un adolescent en rupture de famille trouve refuge dans une communauté d’artistes d’Europe de l’est. Auprès d’eux, le garçon fait son éducation historique, esthétique et sentimentale. Un hommage à la culture de la Mitteleuropa.

CONNECTING PEOPLE : Vous connaissez peut-être, de Joann Sfar
C’est l’histoire d’un type qui rencontre une fille sur Facebook et qui adopte un chien à qui il essaie d’apprendre à ne pas tuer ses chats. C’est la suite de Comment tu parles à ton père. Que je n’ai pas lu. Donc je ne pourrai pas lire celui-ci. Dommage.

PARDON ? : La Vengeance du pardon, d’Eric-Emmanuel Schmitt
Quatre histoires sur le pardon. Désolé, donc.

*****

Whitehead - Underground RailroadLE P’TIT TRAIN S’EN VA DANS LA CAMPAGNE : Underground Railroad, de Colson Whitehead
(traduit de l’américain par Serge Chauvin)
Attention, voici venir le prix Pulitzer 2017 et le National Book Award 2016 – autant dire qu’on ne boxe plus du tout dans la même catégorie. Whitehead y relate le périple d’une jeune esclave qui parvient à fuir la plantation de coton où elle est asservie, et entreprend de rallier les États libres du nord des États-Unis, un terrifiant chasseur d’esclaves sur ses talons. L’Underground Railroad du titre était le nom donné à un réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite ; le romancier le matérialise sous la forme d’un véritable train souterrain. Rien que pour cette idée, ça donne envie d’embarquer, non ?

Ransmayr - Cox ou la course du tempsTIC-TAC : Cox ou la course du temps, de Christoph Ransmayr
(traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Kreiss)
Grand maître horloger à Londres, au XVIIIème siècle, Alistair Cox est convoqué en Chine par l’empereur tyran Quianlong. Ce dernier lui ordonne de lui confectionner une série d’horloges capables de mesurer les subtiles variations du temps. Cox s’attèle à sa tâche au péril de sa vie, car les humeurs de l’empereur sont changeantes et ses exigences toujours plus élevées…
(C’est marrant, dès qu’on passe en littérature étrangère, proposer un résumé des livres est tout de suite plus intéressant !)

Watkins - Les sables de l'AmargosaMAD MAX : Les sables de l’Amargosa, de Claire Vaye Watkins
(traduit de l’américain par Sarah Gurcel)
Dans une Californie transformée en désert, au cœur de Los Angeles livrée aux pillards et à la menace d’une dune de sable mouvant qui s’apprête à l’engloutir, Ray et Luz trouvent l’espoir d’un avenir meilleur en la personne d’une fillette qu’ils ravissent à un groupe de marginaux. Ils prennent alors la route, à la recherche d’une colonie mystérieuse où ils espèrent refaire leur vie.


Battues, d’Antonin Varenne

Signé Bookfalo Kill

En 2014, Antonin Varenne m’avait flanqué une mémorable raclée littéraire avec Trois mille chevaux vapeur (à tel point que je n’ai pas réussi à le chroniquer à l’époque !), énorme roman d’aventures se déroulant au XIXème siècle, entre la jungle birmane et le Far West américain, époustouflant aussi bien par sa maîtrise du récit que par la profondeur des personnages et la puissance du style.
Bref, en toute logique, j’aurais dû être sur la réserve pour son livre suivant, parce qu’on ne peut s’empêcher d’attendre trop d’un auteur qui vous a autant secoué. Sauf que le gars a vraiment du talent, et une capacité à revenir là où on ne l’attend pas du tout. En l’occurrence, c’est même chez un autre éditeur (Ecorce, au lieu d’Albin Michel) que Varenne est réapparu. Un retour rapide, aussi inattendu que discret, qui constitue pourtant une nouvelle grande réussite.

Varenne - BattuesOublié le siècle des grands aventuriers, délaissés les territoires vastes et sauvages (quoique), le romancier français nous invite cette fois de nos jours, dans une petite ville française, perdue en pleine campagne, au milieu des forêts. Un environnement primordial, puisque l’exploitation des arbres constitue la dernière industrie capable de donner du travail dans ce coin paumé du pays. La ville de R. en vit largement, ainsi que de l’élevage. Pas étonnant, alors, que deux grandes familles rivales – les Courbier côté forêts, les Massenet côté troupeaux – s’en disputent l’hégémonie depuis des générations.
Rémi Parrot, lui, est garde-chasse. Défiguré par un accident lorsqu’il était enfant, il vit en solitaire sur la Terre Noire, seul bout de territoire rescapé de l’ancien domaine de ses parents que lui ont peu à peu arraché Courbier et Massenet. Alors qu’il organise une battue officielle aux sangliers impliquant une grande partie des hommes de la ville, la situation dégénère soudain. Une mort suspecte met le feu aux poudres, passant les secrets, les rancoeurs tenaces, les méfiances ancestrales et les jalousies au tamis impitoyable de la vérité…

Entre les mains d’un autre, Battues n’aurait pu être qu’un médiocre roman de terroir, matrice potable d’une saga de l’été sur France 3. Mais avec Varenne à la manœuvre, cette histoire (dont je suis loin d’avoir tout évoqué) prend des proportions dantesques, servie par son extraordinaire finesse psychologique et surtout son art de la construction romanesque. Car, s’il est difficile de résumer Battues sans en déflorer le mystère, c’est aussi parce qu’Antonin Varenne en a déconstruit l’intrigue avec une habileté phénoménale, la rendant du même coup encore plus passionnante et addictive.
Brisant la linéarité, il alterne des phases de récit classique, mais rapportées dans le désordre, avec des compte-rendus d’interrogatoire qui dévoilent peu à peu la personnalité et les zones d’ombre de certains personnages. Pour pimenter le tout, chaque chapitre est introduit par un titre le remettant dans un contexte vaste (par exemple, « Vingt ans après l’accident, douze heures après le premier mort »). Petit à petit, Varenne révèle ainsi la vaste trame d’un suspense courant sur plusieurs décennies, puzzle aussi délicat que diabolique dont il faut attendre de poser la dernière pièce pour saisir le tableau dans toute sa complexité. Et comme il est vraiment doué, jamais on ne se perd dans les méandres de son histoire.

Ajoutez à cela une analyse subtile des mentalités, la solidité de personnages qui semblent ne jamais avoir tout dit, et un portrait profond du cadre campagnard et forestier de l’intrigue (caractéristique centrale de la collection Territori des éditions Écorce, qui propose ainsi une sorte de « nature writing » à la française), et vous avez un polar brillant qui prouve, était-il besoin de le faire d’ailleurs, l’immensité du talent d’Antonin Varenne. Un auteur français à découvrir d’urgence et qui, comme ses héros, est sans doute loin d’avoir tout dévoilé de son art.

Battues, d’Antonin Varenne
Éditions Écorce, coll. Territori, 2015
ISBN 978-2-35887-106-8
277 p., 17,90€


Rock War t.1, de Robert Muchamore

Signé Bookfalo Kill

À treize ans, Jay a un vrai don pour la musique : compositeur, parolier, guitariste, il rêve d’en faire son métier, de devenir une star. Pas facile quand on joue avec ses amis, qui n’ont pas forcément les mêmes ambitions, surtout son meilleur pote pour qui la batterie est plus un défouloir qu’un instrument rythmique…
Excellente élève, jeune fille discrète, Summer se préoccupe avant tout de l’état de santé vacillant de sa grand-mère, la seule à l’élever dans des conditions assez misérables – son père n’a jamais donné signe de vie et sa mère survit sûrement quelque part entre une cellule de prison et un squat de cocaïnomanes. Pourtant, sa voix exceptionnelle lui vaut d’être embarquée dans une drôle d’aventure avec trois filles rockeuses au tempérament de feu…
Quant à Dylan, s’il végète dans un pensionnat pour gosses de riches, il a de la musique plein la tête, mais ne veut pas perdre son temps dans des cours sans intérêt et l’orchestre d’amateurs balbutiants de son école. Brièvement contraint de s’engager dans l’équipe de rugby, il parvient à échapper à ce cauchemar et trouve par hasard un groupe prometteur parmi ses camarades…

Muchamore - Rock War t.1Rien à faire, Robert Muchamore est doué. Doué pour camper des personnages d’ados plus vrais que nature, aussi bien dans leurs comportements, souvent ambivalents (jalousie, colère, folie hormonale – mais aussi amitié, générosité, enthousiasme plein d’innocence), que dans leur langage, pas forcément toujours très châtié… Doué aussi pour bâtir des intrigues efficaces et mener son récit à un rythme implacable, à base de chapitres courts et de points de vue alternés, passant de l’un de ses héros à un autre sans que jamais l’on se perde entre leurs différentes histoires.

Le romancier anglais a largement fait ses preuves dans le genre polar/espionnage avec CHERUB (qui s’achèvera l’année prochaine sur le tome 17 !) et sa dérivée Henderson’s Boys, deux séries au long cours qui ont emballé nombre de jeunes lecteurs. Le voici qui se risque à récidiver dans le domaine de la musique, confrontant ses héros autant à des épreuves de vie (les parents, les amis, les ennemis) qu’à des concerts tremplins où il faut faire ses preuves en dix minutes, tandis qu’une émission de téléréalité musicale nommée « Rock War », dévoilée à la fin de ce tome 1, devrait les entraîner vers leurs rêves de gloire…
En appliquant les mêmes recettes, Muchamore ne prend pas de risque mais réussit tout aussi bien. Le suspense est au rendez-vous, les personnages sont attachants, on a envie de savoir lequel s’en sortira, qui parviendra à ses fins, qui apprendra le plus de ses erreurs… Bref, on attend la suite avec impatience !

Rock War t.1, de Robert Muchamore
(Rock War, traduit de l’anglais par Antoine Pinchot)
Éditions Casterman, 2016
ISBN 978-2-203-09001-9
345 p., 16,90€


Juste avant l’oubli, d’Alice Zeniter

Signé Bookfalo Kill

Franck est fou amoureux d’Émilie ; depuis toutes ces années qu’ils se connaissent et vivent ensemble, ses sentiments pour elle n’ont jamais faibli. Émilie, de son côté, voue une passion dévorante à Galwin Donnell, un auteur de polar culte disparu mystérieusement en 1985 sur l’île de Mirhalay, dans les Hébrides, où il s’était retiré et coupé du monde pendant vingt ans. Terre hostile battue par la mer et le vent, Mirhalay est déserte la plupart du temps, si l’on excepte les phoques, les mouettes et un gardien taciturne qui y réside toute l’année.
Tous les trois ans, les Journées d’Études Internationales sur Galwin Donnell regroupent sur l’île les plus éminents spécialistes du romancier ; et cette année, c’est Émilie, en qualité de thésarde à son sujet, qui est chargée d’organiser l’événement. Juste avant le début du colloque, Franck la rejoint, avec l’intention secrète de la demander en mariage, histoire de reconsolider leur couple ébranlé. Mais rien ne va se passer comme prévu…

Zeniter - Juste avant l'oubliMalgré d’indéniables qualités qui en font un roman agréable à lire, Juste avant l’oubli fait pour moi partie de ces livres porteurs d’une promesse que la lecture n’honore pas tout à fait. Parfois, à la lecture d’un résumé, on imagine une histoire que le livre n’apporte pas au bout du compte. J’attendais donc une comédie féroce sur le petit monde des universitaires, à la manière de David Lodge, doublée peut-être d’un suspense favorisé par le cadre en huis clos du roman. Il y a un peu de cela, mais pas en quantité suffisante pour que j’y trouve mon compte.

Juste avant l’oubli est avant tout le récit d’une histoire d’amour. Compliquée, forcément, sinon ça ne serait pas drôle. En l’occurrence, compliquée par le fantôme d’un homme disparu, un romancier culte qui parasite les sentiments d’Émilie et rend jaloux Franck. Galwin Donnell est le grand personnage invisible du roman. A l’aide de citations de ses œuvres, d’une biographie détaillée, d’une construction élaborée, Alice Zeniter en fait une figure crédible, dont on aurait envie de découvrir les romans. C’est l’une des réussites de Juste avant l’oubli, avec la description de l’île (imaginaire), bout de terre hostile dont la désolation renvoie aux états d’âme de Franck et à l’étiolement de son histoire d’amour avec Émilie.

Pour le reste, le cadre du colloque, qui aurait pu servir d’écrin à une comédie féroce, n’est pas assez exploité. Les personnages qui le composent, ayant chacun une opinion bien arrêtée sur Donnell, restent assez pâlots, à tel point que, bien souvent, j’étais obligé de revenir en arrière, au chapitre les présentant à tour de rôle, pour me souvenir de qui il s’agissait. Là où il aurait pu y avoir des scènes de rivalités gourmandes, sarcastiques, des dialogues savoureux, on se contente d’une suite d’exposés, intéressants par la manière dont ils épaississent la matière Donnell, mais sans aspérités.

Bien vu par ce qu’il raconte sur le couple, finalement assez touchant, Juste avant l’oubli est un roman fluide, mais qui ne va pas assez loin dans son projet à mon goût. Une petite déception.

Juste avant l’oubli, d’Alice Zeniter
Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-0813-3481-6
285 p., 19€


Des noeuds d’acier, de Sandrine Collette

Signé Bookfalo Kill

Après dix-neuf mois en prison pour avoir démoli son frère Max, coupable d’avoir couché avec Lil, sa femme adorée, Théo Béranger prend le large. Il atterrit dans un coin reculé de France, entre campagne et montagne, où il se ressource pendant quelques jours dans une chambre d’hôtes miteuse mais paisible.
Jusqu’au jour où, au terme d’une longue balade, il tombe sur une ferme encore plus décatie et loin de tout. En surgit Joshua, un vieil homme qui lui propose de prendre un café. Quelques heures après avoir été assommé par surprise, Théo se réveille dans la cave de la maison, en compagnie de Luc, reclus là depuis huit ans. C’est le début d’un calvaire insensé, à la merci de deux vieillards complètement dingues…

Collette - Des noeuds d'acierPour son premier roman, Sandrine Collette frappe très fort ! Et ce, d’entrée de jeu : Théo Béranger est un type déplaisant, qui sort de prison entouré d’une aura de violence inquiétante. Il ne tarde d’ailleurs pas à l’exercer d’une manière aussi absurde qu’inutile (je vous laisse découvrir comment), qu’on peut à la fois comprendre et désapprouver parce que c’est stupide dans sa situation.

Et pourtant, on finit par s’attacher à Théo. D’abord parce qu’il n’est pas manichéen, parce que sa violence même a des racines, qui ne l’excusent pas mais l’expliquent. Le décor du puzzle se met en place au fil des pages. On comprend, peu à peu.
Ensuite parce qu’il se retrouve confronté à une violence encore plus effroyable. Là où d’autres avant elle sont tombés dans le piège du trop explicatif, Sandrine Collette se contente de raconter la folie quotidienne de Basile et Joshua, les deux vieillards qui séquestrent Théo et le réduisent en esclavage, le traitant – littéralement – comme un chien. Pourquoi font-ils ça ? On n’en sait rien, on n’a pas besoin de le savoir et ça, l’auteur l’a très bien compris.
C’est le véritable tour de force de Des nœuds d’acier. On éprouve de l’empathie pour Théo, personnage pourtant antipathique de prime abord, parce qu’on partage sa déchéance sans plus la comprendre que lui, avec la même impuissance.

Pour qu’une telle histoire fonctionne, pour faire la différence sur un tel sujet, il faut aussi une plume et du style. Sandrine Collette est largement au niveau. Constamment sur le fil, elle fait évoluer l’histoire avec un souci constant de puissance et de rage qui passe par un choix très sûr et économe des mots, des sentiments et des sensations. Ancré dans le corps en déchéance et dans l’esprit bouillonnant de Théo, elle en saisit les variations, les réflexions, les dérives avec une finesse psychologique et une précision qui ne la font jamais dévier de son sujet.
Elle accorde aussi une place importante aux descriptions des paysages et des décors, personnages à part entière de l’intrigue par leur dureté, leur naturalité implacable. Et maîtrise enfin l’art délicat de l’ellipse, passant sous silence les scènes les plus sordides, parce qu’il est inutile de dire ce que l’imagination suffit à concevoir à partir du peu qui est exprimé auparavant. Une option gagnante, alors que trop d’auteurs choisissent plutôt la surenchère, parce que le voyeurisme est vendeur, ou pour le simple frisson du glauque à bon marché.

Des nœuds d’acier est indéniablement la première grosse claque polar de 2013. Pas difficile puisque l’année commence, certes, mais ce roman devrait marquer durablement les esprits et rester dans les incontournables du millésime. Ce ne serait que justice pour une œuvre aussi aboutie, jusqu’à une fin très réussie, à la fois touchante et cruelle.
Quoi qu’il en soit, les éditions Denoël relancent d’une manière remarquable leur collection « Sueurs froides », en permettant à Sandrine Collette de se faire un nom au passage. Coup double gagnant !

Des nœuds d’acier, de Sandrine Collette
Éditions Denoël, collection Sueurs Froides, 2013
ISBN 978-2-207-11390-5
265 p., 17€


Une place à prendre, de J.K. Rowling

Signé Bookfalo Kill

OUBLIEZ TOUT.
Oubliez le nom de l’auteur. Oubliez Harry Potter. Oubliez cette couverture voyante et plutôt moche. Oubliez, surtout, les simagrées commercialo-médiatiques qui ont entouré la sortie d’Une place à prendre, pathétique et contre-productive mascarade paranoïaque dont la retombée majeure a été totalement à l’opposé de ce que souhaitaient auteur, agent et éditeurs, à savoir se faire désirer en suscitant la curiosité et le mystère. Au mieux, les gens ignoraient la sortie du livre deux jours avant sa parution. Au pire, cette vaine agitation les a profondément énervés, et persuadés que le « premier roman pour adultes » de J.K. Rowling n’était rien d’autre qu’un produit marketing sans âme, destiné à faire du fric. Une réaction compréhensible, hélas.

A présent, le roman est paru, et c’est sur son contenu, et son contenu seul, qu’il doit être jugé. Au diable les rumeurs et les critiques aveugles, parlons du fond, merci.
Parlons-en d’autant plus qu’il est excellent. OUI, Une place à prendre est un très bon roman ! Si si, c’est possible, je vous assure. Aux antipodes de Harry Potter, J.K. Rowling signe un pavé (680 pages) sombre, désenchanté, un roman de mœurs critique et cruel, souvent cru, qui dresse un état des lieux impitoyable de la petite bourgeoisie anglaise – un milieu que la romancière connaît bien pour y avoir grandi. La précision autobiographique est anecdotique, même si elle confère une authenticité indéniable aux innombrables morsures de la plume de Rowling à l’encontre de personnages tous plus sordides, tordus, déglingués les uns que les autres.

Tout commence par la mort brutale de Barry Fairbrother, figure éminente de la paroisse de Pagford. Apprécié de beaucoup (mais pas de tous, loin s’en faut), ce quarantenaire jovial et charismatique était membre du Conseil paroissial, l’instance dirigeante de la petite ville. Son décès libère sa place, et lance de fait une campagne implacable pour résoudre cette « vacance fortuite » (The Casual Vacancy, titre original du roman) et lui trouver un successeur.
L’enjeu est de taille ; Barry était tête de ligne dans un combat politique local : conserver dans le giron de Pagford la misérable cité des Champs, également convoitée par la ville voisine – et ennemie -, Yarvil. Sa disparition ouvre des perspectives nouvelles à Howard Mollison, président du Conseil paroissial et adversaire déclaré du projet de Barry, qui ne rêve que de se débarrasser des Champs. Le notable ventripotent est bien décidé à placer son fils Miles sur le siège de Fairbrother, tandis que les proches de ce dernier s’activent pour l’empêcher d’arriver à ses fins – sans réaliser que leur combat va entraîner des dizaines de personnages dans une spirale infernale et destructrice…

Autant vous dire tout de suite que ce résumé est très sommaire, axé sur le moteur principal de l’intrigue. Le contenu du roman est d’une richesse bien supérieure, concentré sur une large galerie de personnages qui permettent à Rowling d’aborder de manière exhaustive de multiples sujets : racisme et communautarisme, mal-être adolescent, sexualité, drogue, trafics en tous genres, clivages sociaux, maltraitance, lutte des classes, perversions, harcèlement, mécanisme et conséquences de la rumeur…
La romancière ratisse large et appuie partout là où ça fait mal, avec une précision chirurgicale proche de l’acharnement thérapeutique. Elle n’épargne personne, des enfants aux personnes âgées ; cible les mesquineries ordinaires qui font plus de mal que les pires accusations publiques ; joue des jalousies et des rancœurs pour déchiqueter le voile des faux-semblants minables.
Pourtant, loin de se contenter d’un jeu de massacre, Rowling cherche avant tout à raconter la souffrance fondamentale de chaque individu, à la recherche d’un rôle dans le tournoiement sans fin du monde. Le titre français du roman s’avère finalement plus subtil que l’original : chaque personnage cherche désespérément à prendre sa place dans la société, voire dans la vie. Un objectif qui obsède tout un chacun dans le monde, et empêche de cantonner le propos d’Une place à prendre à la seule sociologie anglaise pour le tirer vers l’universel – ce qui est le propre des grands livres.

Pour ce qui est de la forme, je n’irai pas crier au génie. Le style de J.K. Rowling est classique et efficace, même si elle joue avec habileté de nombreux niveaux de langue, n’hésitant pas à recourir à un vocabulaire très cru, allant du grossier au très vulgaire, notamment dans les dialogues. Une volonté de réalisme que la romancière a dû trouver assez jouissive à assumer, car là encore, elle ne nous épargne rien, à la limite parfois de la complaisance. Un détail avec lequel on peut cependant composer sans difficulté, à moins de jouer les parangons de vertu – franchement, on a quand même lu bien pire…
C’est surtout par la construction et la maîtrise du rythme que Rowling happe l’attention du lecteur, de la première à la dernière page. Ses nombreux personnages principaux et les intrigues personnelles qu’ils induisent lui permettent de faire progresser le récit sans heurt, passant de l’un à l’autre et d’un sujet à l’autre avec fluidité et finesse. Le début du roman est à ce titre exemplaire : Rowling nous présente tous ses personnages au fur et à mesure qu’ils apprennent la mort de Barry Fairbrother ; en une cinquantaine de pages, tous les caractères sont posés, les enjeux présentés, les décors plantés. Imparable.

Si Jonathan Coe avait signé ce roman, on aurait probablement crié au génie sans retenue. Le cousinage entre une certaine partie de son œuvre (Testament à l’anglaise en tête) et le roman de Rowling est assez frappant.
Tout n’étant peut-être qu’affaire de nom, oubliez donc, le temps de la lecture, que J.K. Rowling est l’auteur d’Une place à prendre. Et souvenez-vous-en en refermant le livre, histoire de réaliser que la maman de Harry Potter a d’autres cordes à son arc que la magie et le merveilleux. Et qu’elle est, tout simplement, une fabuleuse raconteuse d’histoires, qu’on a envie de lire, encore et encore.

Une place à prendre, de J.K. Rowling
Traduit de l’anglais par Pierre Demarty
Éditions Grasset, 2012
ISBN 978-2-246-80263-1
680 p., 24€


Géographie de la bêtise, de Max Monnehay

Signé Bookfalo Kill

Un jour, Pierrot, un idiot, décide de créer une communauté pour y rassembler toutes les cervelles boiteuses comme lui. Les abrutis, les vrais, les sincères. Les imbéciles de compétition. Les authentiques mous du bulbe. Bref, au lieu que chacun souffre à être l’idiot de son village, il propose que tous vivent entre eux et en harmonie dans le village des idiots.
Et le pire, c’est que ça marche. Au point que ça crée des envieux. Des intelligents, des sûrs d’eux, qui tentent de se faire passer pour les débiles qu’ils ne sont pas pour réussir à investir les lieux. Nos idiots, qui n’en sont pas la moitié d’un quand il faut distinguer les vrais stupides des simulateurs, arrivent à les repousser en les soumettant à leur arrivée à un test infaillible.
Jusqu’au jour où Bastien, l’un des villageois, falsifie le test. Il vient de rencontrer Elisa, il est tombé amoureux, et il ne veut plus qu’une chose : faire l’idiot avec elle au village des idiots. Une idée idiote, forcément.

Même si je me suis bien amusé à écrire le résumé ci-dessus, je préfère vous prévenir : cette Géographie de la bêtise entre tout droit dans la catégorie « roman-avec-une-bonne-idée-de-départ-et-puis-pas-grand-chose-après ». Oui, c’était séduisant, cette idée de village des idiots. Ça aurait pu constituer un bon roman, à la fois drôle et satirique, avec ce qu’il faut de critique sociale pour donner un air intelligent à l’ensemble. J’imagine que c’était d’ailleurs l’objectif de Max Monnehay. Et qu’il y aura des critiques pas trop exigeants (pléonasme ?) pour y trouver tout ça. On peut se contenter de ce qu’on a.
Ou pas.

Comme souvent avec une bonne idée de départ, ça commence plutôt pas mal. La romancière nous présente son héros narrateur, Bastien, dans son quotidien d’idiot humilié par sa mère castratrice et ignoré par son père transparent ; puis le projet de Pierrot. C’est parfois drôle, cruel, plutôt pas mal écrit. O.K.

Il y a pourtant déjà des trucs un peu agaçants. Par exemple, Monnehay s’amuse avec le titre de ses chapitres. Un coup c’est « Anti-leçon », un coup « Leçon de géographie », avec un numéro et un sous-titre pseudo-savant (c’est fait exprès). On ne saisit pas toujours bien le rapport entre le titre et le contenu.
Puis il y a les chapitres « La médecine pour les nuls », quand le narrateur raconte sa vie de grand brûlé à l’hôpital. Car, oui, c’est annoncé dès les premières pages, toute cette histoire a mal fini pour Bastien. Un jour, il s’est transformé en feu de joie. Il n’en est pas mort, mais pas loin. Pourquoi, comment, on le saura à la fin.

Le problème, c’est que le chemin pour y arriver, à cette fameuse fin, est plutôt longuet. Une fois le village établi et l’histoire d’amour lancée, ça patine. Le cap de la bonne idée de départ est franchi, il faut maintenant naviguer ; sans vent dans les voiles, c’est compliqué. (J’assume la métaphore moisie.)
Monnehay n’a plus grand-chose à raconter ensuite, elle brode, divague, essaie à la fois d’être drôle et tragique – sans y arriver, à bout de souffle stylistique. Avant de pondre cette chute venue de nulle part et qui ressemble à un aveu d’impuissance.

Un roman dont la bonne idée de départ n’est pas transformée, ça peut énerver. Je vous conseille donc amicalement d’éviter celui-là.

Géographie de la bêtise, de Max Monnehay
Éditions du Seuil, 2012
ISBN 978-2-02-107383-6
225 p., 17€


Des cailloux dans le ventre de Jon Bauer

Au bout de 30 pages de lecture, je me suis dit « bon sang, c’est trop c***** pour moi! » 

Comme j’avais tort! 

Jon Bauer, dont c’est le premier roman, a obtenu le prix du premier roman des libraires australiens pour cet ouvrage, qui m’a purement estomaqué. Il fallait que je termine ce livre. C’est une sorte de livre-aimant, comme Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, je devais savoir ce qu’il advient des personnages. 

Dans ce livre, deux voix s’entremêlent. Celles du narrateur (dont nous ne connaîtrons jamais le prénom), enfant psychotique de 8 ans devenu 20 ans plus tard, un adulte instable, à la limite de la folie. Au cours de son enfance, ses parents accueillent des enfants placés par les services sociaux. Aussi, quand Robert, jeune adolescent doux et intelligent, s’installe à la maison, c’est la crise de jalousie . Dès lors, la mère du narrateur s’attache au petit nouveau et « délaisse » son véritable enfant. La jalousie du gamin n’a plus de limite. Jusqu’au jour où tout bascule.

20 ans plus tard, de cette famille décomposée, il ne reste plus que la mère et le fils. Après des années de brouille, le fils revient auprès de sa mère, malade en phase terminale d’un cancer. Il aimerait lui révéler ses rancoeurs, son passé. Mais cela va virer au cauchemar. 

Des cailloux dans le ventre est un bouquin dont on ne sort pas indemne. Soit on aime, soit on déteste. L’écriture est vraiment particulière et le personnage du gamin est… odieux. (Et l’adulte,  n’en parlons pas) Jon Bauer  a donné vie à un personnage d’une noirceur absolue, proche de la folie, qui dévaste à lui seul sa famille. Ce livre dévoile peu à peu les secrets de cette famille comme les autres qui explose en vol. L’auteur a réussi à retranscrire la parole enfantine (qui saute du coq à l’âne toutes les cinq minutes) sans être cul-cul. La rage est là, depuis le début, la jalousie fait mal et peut ronger. D’abord de l’intérieur puis s’exprimer au grand jour et détruire tout sur son passage. 

Terrifiant. 

Des cailloux dans le ventre de Jon Bauer
Editions Stock, 2012
9782234071735
354p., 22€

Un article de Clarice Darling


La fin de l’innocence, de Megan Abbott

Signé Bookfalo Kill

Lizzie et Evie sont les meilleures amies du monde, comme on peut l’être quand on a treize ans. Voisines, elles sont inséparables depuis la petite enfance et partagent tout, affaires personnelles et secrets, ainsi qu’une grande admiration pour Dusty, la sœur aînée d’Evie, aussi belle qu’impénétrable.
Puis Evie disparaît. Brutalement. L’hypothèse de l’enlèvement est rapidement avancée, surtout quand Lizzie apprend aux policiers que, la dernière fois qu’elle a vu Evie, une voiture bordeaux est passée deux fois de suite près d’elles.
Commence alors une longue attente, angoissante certes, mais aussi excitante, surtout pour Lizzie. Placée au centre de l’attention générale, elle se retrouve confrontée à des sentiments aussi puissants que contradictoires, de ceux qui vous font grandir à toute vitesse et basculer vers l’adolescence sans crier gare.

Troublant. Fascinant. Flirtant parfois avec un malaise difficile à définir. Le nouveau roman de Megan Abbott ne manquera pas de susciter des réactions fortes, à la hauteur de l’ambition de la romancière. Car son propos n’est pas de raconter une énième histoire d’enlèvement d’enfant, avec FBI sur les dents et monstre pédophile à neutraliser avant qu’il ne soit trop tard. Si enquête il y a bien, fatalement, elle est reléguée au second plan, permettant au récit d’avancer, et surtout aux personnages d’évoluer. Parmi eux, les flics sont des fantômes, réduits à leur seule fonction, et seul le chef a un nom. Ce sont les autres, la famille, les proches, et ceux qui tournent autour, qui intéressent la romancière. Ceux-là, et la manière dont ils interagissent.

Désir,  amour, jalousie

Des émotions très puissantes guident les personnages, et pas toujours d’une manière conventionnelle dans un roman. Au premier degré, il y a l’amitié qui unit Lizzie et Evie, bien sûr ; une amitié fusionnelle, intense, presque totale – presque seulement, car le drame est l’occasion pour Lizzie de se rendre compte qu’elle ne connaissait peut-être pas aussi bien sa meilleure amie que cela.
Mais surtout, supplantant ce thème de l’amitié déjà vu et revu (même si elle le traite très bien), Megan Abbott s’intéresse à des sentiments beaucoup plus forts et incontrôlables : le désir, l’amour, la jalousie. Tous étroitement liés, surtout dans la relation des jeunes aux adultes et réciproquement ; et c’est là que la romancière pousse très loin son sujet.
Privée de père (ses parents sont divorcés), Lizzie éprouve une fascination pour Mr Verver, le père d’Evie, qui dépasse confusément le manque de figure paternelle dans sa vie. Dusty, la grande soeur d’Evie, se montre également très proche de son père, et exprime une jalousie manifeste à l’égard de quiconque tente de se l’accaparer : sa sœur, qui a supprimé en naissant son statut d’unique, ou Lizzie, qui profite du drame pour s’incruster dans leur famille.
Puis il y a les secrets d’Evie, les raisons qui ont pu la pousser à se laisser disparaître…

Un roman de l’adolescence, dans la lignée de Virgin Suicides

La fin de l’innocence est un excellent titre. Meilleur peut-être, une fois n’est pas coutume, que le titre original, The End of everything. Foncièrement, il s’agit d’un superbe roman de l’adolescence, comme le montre d’ailleurs le fait d’avoir choisi Lizzie comme narratrice. Un choix pas du tout anodin, car c’est cela, finalement, qui crée le malaise, plus que les péripéties du récit. Le regard de Lizzie sur les événements reste celui d’une fille de treize ans, avec ce que cela comporte de naïveté et de romantisme. La manière dont elle juge les faits finit ainsi par s’avérer en décalage avec la manière dont un lecteur adulte doit lui-même les percevoir. D’où le malaise, et la nécessité de faire l’effort de remettre les choses en perspective, à la place de Lizzie, et de ne pas prendre tout ce qu’elle dit pour argent comptant.

Ce livre peut surprendre, voire choquer, surtout dans son dernier tiers, où Abbott s’affranchit du semblant de suspense de son intrigue pour emmener son lecteur dans une direction extrêmement instable. Plus que d’autres, c’est un roman à ne pas lire passivement, à ne pas prendre au premier degré ; un roman à lire avec recul et discernement, sous peine de dénaturer son propos.

Megan Abbott signe un livre puissant sur l’adolescence, avec tout ce que cela comporte de fêlures, de troubles, de perturbations, sans parler de l’obligation de se confronter à la responsabilité de grandir. Une œuvre dans la veine de Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides, ou du Petit Copain de Donna Tartt. De sacrées références.

La Fin de l’innocence, de Megan Abbott
Éditions Jean-Claude Lattès, 2012
ISBN 978-2-7096-3528-8
331 p., 21€


Récit intégral (ou presque) d’une coupe de cheveux ratée, de Jo Witek

Signé Bookfalo Kill

Pas facile de rentrer en seconde. Surtout quand on n’est pas bien grand, qu’on vient à peine de finir de muer et qu’on a les joues aussi lisses que des fesses de bébé – alors que les autres garçons sont grands, barbus, poilus et totalement sûrs d’eux. Notamment avec les filles, elles aussi métamorphosées, pleines de jambes, de seins et de charme…
Alors, quand on se présente en plus le jour de la rentrée avec une tête d’oiseau, la faute à une coupe de cheveux désastreuse imposée par sa mère la veille, la reprise ne se présente décidément pas sous les meilleurs auspices !

Les garçons aussi ont le droit d’être sensibles, inquiets, fragiles, en manque d’amitié comme d’amour ; et eux aussi, ils peuvent le confier à leur journal intime ! Jo Witek en fait la démonstration dans ce deuxième opus de la vie de Xavier, son très attachant narrateur-auteur, et elle (oui, Jo est une dame) le fait avec autant d’humour et de tendresse que dans Récit intégral (ou presque) de mon premier baiser.
Dans ce précédent roman, elle décrivait les affres du premier amour ; cette fois, elle plonge de plain-pied dans l’adolescence et toutes ses réjouissances. L’importance du regard des autres, d’assumer son apparence et ce que l’on est vraiment, la difficulté de se trouver, Witek ne rate rien. Son ton est juste, jamais démago, ses analyses bien vues :

« La rumeur va vite, la mode et les habitudes aussi. Le lycée est une vraie ruche. Ca grouille, ça bourdonne, ça travaille, ça blague. C’est une vie en mouvement perpétuel. Un train qui fonce à toute vitesse vers le bac, vers la majorité, vers le monde des adultes. C’est un drôle de voyage vers l’avenir, à la fois excitant et terrifiant. Depuis la rentrée de novembre, je sens que j’ai franchi une étape. Je n’ai plus la boule au ventre le matin en entrant dans le bus, mais je sais que la bonne place n’existe pas. Il faut juste accepter d’assumer sa différence. » (p.161)

Equivalent pour garçons du Journal d’Aurore de Marie Desplechin, ce roman est fait pour rassurer autant que pour distraire et amuser ses jeunes lecteurs déboussolés par leur vie qui change à cent à l’heure. Car ce Récit intégral (ou presque) d’une coupe de cheveux ratée est aussi et surtout l’occasion de raconter une histoire, ou plutôt des histoires : les amitiés qui durent, celles qui changent, une nouvelle histoire d’amour (peut-être ?), le rapport à la musique, aux livres, les grands projets à travers lesquels s’investir et grandir… Tout ce qui constitue une vie d’adolescent.

A conseiller à tous, donc, garçons comme filles (elles s’y retrouveront aussi !), à partir de 13 ans.

Récit intégral (ou presque) d’une coupe de cheveux ratée, de Jo Witek
Éditions Seuil Jeunesse, 2012
ISBN 978-2-02-106516-9
184 p., 9,50€


Freedom de Jonathan Franzen

Je n’ai qu’un mot à dire. OUF.

Trois mois que je suis sur ce pavé. Trois mois que je me force. Vraiment. A me dire : « bon, allez, je vais tenter d’avancer, lire trois ou quatre pages. Allez Clarice, tu peux le faire. »

Et finalement, j’ai triomphé. Ce n’est pas le nombre de pages qui est en cause dans l’histoire, j’ai lu des ouvrages bien plus épais en dix ou quinze jours. Le problème, c’est l’histoire…

Patty Berglund est une pauvre femme blanche, américaine, riche, aimé d’un mari, Walter, on ne peut plus formidable, avec des enfants (Jessica et Joey) au départ tout à fait charmants, maman à plein-temps et plus ou moins épanouie.

Mais. Fatalement, il y a un mais. On apprend au fur et à mesure du texte qu’elle est (et qu’elle a toujours été) amoureuse de Richard, musicien à la Lou Reed raté, meilleur ami de Walter. Et c’est là que les choses se compliquent.

Freedom et ses 720 pages retracent l’histoire de cette famille, sur une période de trente ans, où les tentatives de suicide se mêlent aux matchs de basket, où la survie des petits oiseaux dans les champs est plus importante que le divorce d’un couple, où un gamin peut gagner beaucoup beaucoup d’argent en étant encore étudiant, où la guerre en Irak fait des ravages, etc… etc…

Dit comme ça, ça a l’air pas mal. C’est très bien écrit même, mais on s’ennuie. Patty n’est rien d’autres qu’une emmerdeuse-née, une sorte d’Emma Bovary du XXIe, qui passe son temps à se lamenter sur sa vie ratée. Carrière de basketteuse professionnelle ratée, amours avec Richard ratés, vie commune avec Walter ratée, éducation de ses enfants ratée, bref, la totale.

Et en plus, 720 pages pour en arriver à une fin rocambolesque, expédiée en 6 pages maximum, c’est franchement rageant. Jonathan Franzen n’avait sûrement plus d’idées pour terminer son oeuvre et ça se sent.

Ca aurait pu être bien, c’est pas terrible. Dommage.

Freedom de Jonathan Franzen
Editions de l’Olivier, 2011
9782879296579
720 p., 24€

Un article de Clarice Darling.


Les locataires de l’été, de Charles Simmons

Signé Bookfalo Kill

“C’est pendant l’été de 1968 que je tombai amoureux et que mon père se noya.”

Charles Simmons maîtrise l’art complexe et déterminant de la première phrase. Celle des Locataires de l’été est un modèle du genre. Tous les commentateurs de ce roman en soulignent l’importance, et avec raison. Après un début pareil, comment ne pas vouloir connaître la suite du livre ?

Pourtant, le sujet du roman n’a rien de très original. Michael, le narrateur, a quinze ans. Il passe l’été en famille au Cap Bone, bout de terre enfoncé dans l’océan où ne s’élèvent que quelques résidences estivales. Il y a là son père et sa mère, ainsi que son chien Blackheart.
La famille dispose d’un pavillon en retrait de leur propre maison, qu’elle loue cette année-là à Mme Mertz et à sa fille, Zina, dont Michael tombe éperdument amoureux. Zina a la vingtaine et, si elle s’entiche du jeune garçon, elle ne veut que de l’amitié entre eux. Ils passent du temps ensemble, partagent beaucoup, mais rien de ce que rêverait Michael.
Puis il y a les Cuddihy, qui passent régulièrement avec leur fille Melissa, pour le coup amoureuse sans retenue de Michael. Et d’autres gens, que l’été fait se croiser, se rencontrer, se désirer…

Deux titres de chapitre contiennent le mot “amour” : tout est dit, Charles Simmons signe sans équivoque un roman initiatique. Passion, jalousie, désir, sexualité, rivalité, tous les ingrédients incontournables y sont.
L’intérêt du livre repose sur la manière dont l’auteur mène cette énième variation sur le sujet le plus rebattu de la littérature. Tout repose sur le ton du narrateur et donc sur le caractère de ce dernier : calme, objectif, parfois distancié, partagé entre naïveté et conscience intuitive des complexités de l’âme, en cela un parfait adolescent.
Pourtant au centre des intempéries sentimentales du récit, Michael en semble parfois plus témoin qu’acteur. Il se laisse guider, ballotter, porter vers toutes les limites, tel le meilleur des bateaux qui peut parfois partir à la dérive selon les caprices de l’océan.

Je n’amène pas la métaphore navigatrice par hasard : la nature est au cœur du roman, à commencer par l’océan bien sûr. Le premier chapitre relate ce jour où Michael et son père, partis à la nage vers un banc de sable au large, manquent se noyer, trompés par les remous de la mer. Le danger est déjà là, prescrit, qui emportera le père au final – il faut cependant lire le roman jusqu’au bout pour comprendre comment et pourquoi…
Mais Simmons est plus subtil, qui joue des variations du temps, du sable, de l’océan, de la faune, pour y dessiner en creux les doutes et les errances des hommes. Le romancier joue avec art de l’ellipse, du non-dit et de l’évocation, évitant ainsi les pièges de la psychologie de bazar. Son style est direct et économe, ce qui n’exclut pas quelques fulgurances admirables :

“Ce soir-là, [la mer] était inhabituellement calme. Des vaguelettes brisaient paisiblement sur le rivage. Par de telles soirées d’été, je me disais que l’océan était factice. Comment quelque chose dont le corps était aussi vaste et aussi pesant pouvait-il avoir le bout des doigts si délicat ?” (p.103-104)

“La photographie ne compte pas beaucoup de génies. C’est un art trop facile pour qu’on y soit bon, et trop difficile pour qu’on y soit mieux que bon.” (p.134)

Par leur sobriété et leur classicisme littéraire, Les locataires de l’été semblent un témoignage direct des années 60, tel un cliché de l’époque pris sur le vif. On est d’autant plus (heureusement) surpris de découvrir qu’il est paru en 1998.
Un roman contemporain qui ravira les amateurs de littérature fine et sans esbroufe. Oui, ça existe encore !

Les locataires de l’été (Salt Water), de Charles Simmons
Editions Phébus (collection Libretto), 1998
ISBN 978-2-859-40604-2
188 p., 7,50€