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À première vue : la rentrée Rouergue 2021


Intérêt global :


Du côté du Rouergue, la rentrée littéraire 2021 est l’occasion de s’interroger sur la famille. Frère, mère, père, enfant, à tous les âges de la vie, dans toutes les situations, les deux auteurs en lice sous la bannière de la collection La Brune questionnent les liens qui constituent (ou pas) le socle d’une existence humaine.


Revenir fils, de Christophe Perruchas
Remarqué l’année dernière avec Sept gingembres, son premier roman, Christophe Perruchas revient avec un deuxième livre mettant en scène une mère et son fils, restés seuls depuis la mort du père. Tandis que le garçon, à quatorze ans, se concentre sur son avancée dans la vie, sa mère se replie sur les souvenirs débordants de son premier enfant, emporté par la mort subite du nourrisson, et au creux d’un bazar grandissant, caractéristique du syndrome de Diogène.
Vingt ans plus tard, devenu père à son tour, le garçon se confronte plus que jamais à la folie qui lui a volé sa mère de son vivant.

Zone blanche, de Jocelyn Bonnerave
C’est le troisième roman de Jocelyn Bonnerave, mais le premier au Rouergue. Il y raconte la quête de Maxime, un musicien célèbre qui a coupé les ponts avec sa famille mais qui décide tout de même de partir à la recherche de son frère cadet, après que celui-ci a disparu d’une ZAD pendant une descente de police.
Ce qu’il pensait n’être qu’une parenthèse dans son existence pleine de succès et d’équilibre, devient pour Maxime une plongée dans un monde turbulent dont il ignorait l’existence et le sens.

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Loin-Confins, de Marie-Sabine Roger

Éditions du Rouergue, coll. la Brune, 2020

ISBN 9782812620744

208 p.

18 €


RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020


Il y a longtemps de cela, bien avant d’être la femme libre qu’elle est devenue, Tanah se souvient avoir été l’enfant d’un roi, la fille du souverain déchu et exilé d’un éblouissant archipel, Loin-Confins, dans les immensités bleues de l’océan Frénétique.
Et comme tous ceux qui ont une île en eux, elle est capable de refaire le voyage vers l’année de ses neuf ans, lorsque tout bascula,
et d’y retrouver son père.
Il lui a transmis les semences du rêve mais c’est auprès de lui qu’elle a aussi appris la force destructrice des songes


« Ils ne sont pas si nombreux, dans une vie, ceux qui saupoudrent de paillettes le lavis gris du quotidien. »


J’aurais aimé m’enthousiasmer pour ce roman. D’abord parce que j’apprécie Marie-Sabine Roger (même si je m’aperçois avec consternation que je n’ai jamais parlé d’elle ici), son humour, sa tendresse indéfectible pour le genre humain, son sens de la formule, ses excellentes idées, et sa capacité à enchanter le moindre sujet, surtout les plus tristes – la mort, par exemple (dans le réjouissant Trente-six chandelles). Il faut le faire, tout de même.
Ensuite parce que le sujet me plaisait beaucoup, et que je me régalais d’avance de ce que la romancière pourrait en faire. Trop, peut-être.

Un léger manque d’âme

Ma relative déception provient essentiellement de la forme du roman, de son écriture. J’ai souvent eu l’impression bizarre de lire ce que, au cinéma, on appelle un traitement, c’est-à-dire une version très détaillée de l’histoire qui va être racontée dans le film, livrée de manière factuelle et sans les dialogues.
Pour un scénario, objet non littéraire par excellence, cela se tient. Dans un roman, c’est plus embêtant. Loin-Confins consiste en une suite de chapitres, souvent courts, qui juxtaposent des scènes, des considérations, des réflexions sur la vie de Tanah, de ses parents et de ses frères. Il n’y a de suite logique que de loin en loin, pas véritablement de narration suivie, pas de récit qui avance d’un point A à un point Z.
Après tout, pourquoi pas ? J’ai néanmoins eu le sentiment, au bout d’un certain nombre de pages, que ma lecture devenait statique, comme si le livre tournait inlassablement sur lui-même sans trouver d’issue à son labyrinthe.

Plus gênant encore à mon goût, Marie-Sabine Roger use et abuse du futur de l’indicatif. De nombreux passages sont écrits en employant ce temps, projetant la petite Tanah – et le lecteur avec elle – vers son avenir d’adulte.
Je peux comprendre l’idée derrière la démarche, mais j’ai trouvé le résultat étrangement peu littéraire. On dirait une sorte de style journalistique au sens le plus péjoratif du terme (les mauvais journalistes abusent eux aussi de ces ballottements entre les temps, au mépris de la grammaire et de la logique induite par la conduite d’un récit), un style qui s’avère froid et distancié, repoussant le lecteur à distance du cœur battant de l’histoire.

Il en résulte une sorte de flottement un peu déconcertant, qui m’a laissé légèrement en marge du roman et de ses émotions tout au long de ma lecture. Pas de beaucoup, et pas tout le temps ; mais suffisamment pour m’empêcher d’être totalement happé par l’atmosphère du livre.

Et pourtant, du style

Il y a pourtant de beaux moments, quelques fulgurances de style salvatrices.
Marie-Sabine Roger s’amuse d’ailleurs de la langue, la nourrissant notamment d’un « créole fantaisiste » (p.76) qui confère une magie chantante aux lieux chantés par le père de la narratrice.

Ainsi nourrie de mots détournés, inventés, de mots-valises aussi, la géographie de Loin-Confins, empruntée aux codes de la fantasy, est un ravissement de tous les instants, lorsque la romancière nous y embarque toutes voiles dehors. Les images poétiques affluent, sensations et contrastes également, qui donnent de la couleur et de la vie au roman.
Ces passages sont d’autant plus flamboyants qu’ils s’opposent à la vie réelle des personnages, tout en grisaille, en tristesse et en oubli. Un aspect qui, peu à peu, prend le dessus, car Loin-Confins raconte surtout cela. L’abandon de vies à la dérive, épargnées d’espoir et de joie.

Du cœur, de l’imaginaire et de l’amour

Cela n’empêche pas Marie-Sabine Roger de rendre palpables les tourments de ses personnages, puis de les transfigurer, d’y projeter de la lumière, de tout adoucir par la force d’un imaginaire toujours vivace, d’espérer une consolation finale.
C’est une auteure douée d’une empathie rare, capable de tendresse pour tous ou presque. En tout cas, pour les déclassés, les décalés, les hors normes, ceux qui habitent le monde sans avoir envie d’être à l’étroit dans les pompes de Monsieur et Madame Tout-Le-Monde.

D’imaginaire il faut parler d’ailleurs, et d’imagination. Car, si Loin-Confins célèbre quelque chose, c’est bien cela : la force inépuisable des rêves et des inventions de l’esprit.
Ce roman est une ode à ces voyages impossibles, que la puissance des mots et la conviction du créateur rendent soudain possibles.
Ici l’imaginaire est un sauvetage, une branche à laquelle se raccrocher, elle empêche le malheureux de couler, et ceux qui l’aiment avec lui.

Loin-Confins est, enfin, un beau roman sur l’amour pouvant unir une fille à son père. Là encore, on trouve de très belles pages, justes et sensibles, qui rendent compte du merveilleux rapport noué entre Tanah et son incroyable souverain paternel.

Oh, des regrets…

À écrire tout ceci, je réalise encore plus la richesse du roman. Et regrette d’autant que tous ces ingrédients, si justes lorsqu’ils sont examinés séparément les uns des autres, peinent à fonctionner ensemble, pas assez liés à mon goût par l’écriture de Marie-Sabine Roger.
Lecture appréciée tout de même, mais qui me laisse un peu perdu en pleine mer, trop loin des rivages enchanteurs du Loin-Confins rêvé par la romancière.


À première vue : bilan final !

Bon, voilà, le tour d’horizon est, pour moi, à peu près terminé.
Rien ne dit que quelques surprises ne viendront pas perturber l’ordre des choses tel qu’il est établi ci-dessous. Néanmoins, dans l’ensemble, voici ce que je retiens de la rentrée littéraire 2020 – la liste de mes envies, en somme.
Comme les fois précédentes, elle est établie dans l’ordre de mes attentes, même si celui de mes lectures effectives sera sûrement différent au bout du compte – et que toutes ne seront pas lues…

À vous de faire votre marché désormais, en espérant que vous trouverez dans tout ceci de quoi vous réjouir, vous faire rêver, vous embarquer… tout ce qui constitue le plaisir du lecteur !


À première vue : récapitulatif 2020

Je vous propose un petit outil qui pourrait s’avérer fort utile, si jamais vous cherchez à découvrir le programme d’un éditeur en particulier en cette rentrée littéraire 2020.

Vous trouverez donc ci-dessous la liste, dans l’ordre alphabétique, des éditeurs abordés cette année dans la rubrique « à première vue ». Pour en savoir plus sur leurs publications, il vous suffit de cliquer sur le nom qui vous intéresse.

Pour vous faciliter encore un peu plus la vie, je laisserai cet article épinglé en haut du blog durant quelque temps.

Actes Sud
Agullo
Albin Michel
Autrement
Aux Forges de Vulcain
Christian Bourgois
Delcourt
Fayard
Finitude
Flammarion
Gallimard
Gallmeister
Éditions du Globe
Grasset
Éditions de l’Iconoclaste
Julliard
Lattès
Liana Levi
Métailié
Éditions de Minuit
Éditions de l’Olivier
Le Passage
Philippe Rey
Plon
P.O.L.
Rivages
Éditions du Rouergue (la Brune)
Robert Laffont
Seuil
Stock
Sabine Wespieser
Verdier
Zoé
Zulma
Bonus :
Sonneur, Fosse aux Ours, Viviane Hamy, Tripode


À première vue : la rentrée Rouergue 2020

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Intérêt global :

sourire léger


Aux éditions du Rouergue, maison riche de multiples facettes, il existe une collection de littérature appelée La Brune. Ont le droit de s’y épanouir la fantaisie, l’imagination, l’humour, la tendresse, l’invention… Sous les belles couvertures de la Brune, la littérature est toujours en mouvement, et ça fait du bien.
Démonstration en deux livres lancés en cette rentrée 2020.


Marie-Sabine Roger - Loin-ConfinsLoin-Confins, de Marie-Sabine Roger

Capable de dénicher l’humour et la joie de vivre dans les recoins les plus improbables, Marie-Sabine Roger s’élance cette fois vers les contrées lointaines et imaginaires où l’enfance s’épanouit. Elle se choisit pour héroïne une petite fille de neuf ans prénommée Tanah, fille du Roi de Loin-Confins, archipel perdu dans l’océan Frénétique. Mais un jour le roi est déchu, exilé, et la vie de Tanah bascule. Devenue adulte, elle se remémore ces temps anciens.
Les premières pages offertes au lecteur sur le site de l’éditeur développent la langue en apparence si simple, si aérienne de Marie-Sabine Roger, où les mots chantent d’une manière unique et réinventent le monde. Grosse envie de me glisser dans ce monde singulier…

Christophe Perruchas - Sept gingembresSept gingembres, de Christophe Perruchas

Par petites touches, Christophe Perruchas décrypte un certain homme d’aujourd’hui en le décomposant. À la fois père attentionné, mari aimant, patron toxique, prédateur sexuel… Tout ceci en un seul corps, un seul esprit, une seule âme. Une figure masculine que le présent ébranle et que l’avenir menace – voilà, en effet, une statue à déboulonner, celle du mâle blanc dominant. Et il y a encore du boulot. Un premier roman dans l’air du temps.


BILAN


Lecture très probable :
Loin-Confins, de Marie-Sabine Roger


À première vue : semaine 4, le programme

Nous attaquerons demain l’avant-dernière semaine de présentation de la rentrée littéraire 2020. Ouf ! Il y a encore de quoi faire,  de quoi lire, de quoi découvrir. Même si, de mon côté, j’avoue un peu moins d’attentes et de motifs de curiosité dans le programme des éditeurs qui s’affichent ci-dessous en images.
Je vous recommanderais tout de même un arrêt prolongé sous les branches de l’Olivier (dès demain), et de garder un œil à ce qu’il se passera du côté du Rouergue, de Robert Laffont, voire de P.O.L.

Bon dimanche à tous, et à demain !


Seules les bêtes, de Colin Niel

Signé Bookfalo Kill

Épouse d’un notable local, Évelyne Ducat a disparu. Sa voiture a été retrouvée à proximité d’un sentier de randonnée s’élevant vers le causse, ce plateau où vivent encore – ou plutôt survivent – quelques éleveurs. L’événement bouleverse la région entière, mais plus encore certaines personnes liées de près ou de loin à la disparue. Il y a Alice, assistante sociale qui vient en aide aux agriculteurs ; son mari Michel, éleveur lui-même ; et Joseph, l’un de ses collègues, qu’Alice est venue soutenir avant d’en faire son amant. Puis Maribé, jeune femme au physique ravageur récemment débarquée en ville. Et Armand, qui vit au fin fond de l’Afrique et s’enrichit en arnaquant par Internet des gogos occidentaux.
A tour de rôle, ils prennent la parole et dévoilent leur rôle dans cette affaire. Car, oui, parfois à la faveur d’une coïncidence ou d’une ressemblance troublante, tout est lié…

niel-seules-les-betesJ’avoue, un peu honteux, que je n’avais jamais lu Colin Niel avant ce roman, en dépit de son excellente réputation. Je ne connais donc pas ses polars guyanais, et c’est en toute innocence que j’ai investi avec lui ce coin de France rurale, rude et hostile, rencontré ses habitants rugueux et plongé à la découverte de vies plus secrètes les unes que les autres.
Si j’ai apprécié au départ la précision documentaire avec laquelle le romancier dépeint le cadre qu’il a choisi, la beauté sèche des décors, la difficulté rencontrée par les habitants du coin pour vivre décemment – surtout les agriculteurs -, la première partie ne m’a pas vraiment emballé. La faute sans doute à sa narratrice, Alice, dont la voix et les enjeux ne m’ont pas vraiment intéressé. Cette introduction est pourtant indispensable, et elle permet à l’intrigue de décoller dès la deuxième partie, consacrée à Joseph, où Niel offre quelques fulgurances absolument magnifiques (l’histoire de l’armoire normande…), développant une atmosphère prégnante que l’on n’a plus envie de quitter, et faisant évoluer le suspense grâce à une première bifurcation inattendue – ce ne sera pas la dernière.

En effet, Colin Niel se permet justement de nous éloigner peu à peu de son cadre originel, en introduisant deux nouveaux narrateurs aux profils très différents. Sans trop en dire, la quatrième partie, qui nous emmène par surprise en Afrique, m’a totalement fait décoller, autant par le détour admirable que le romancier prend dans son intrigue, que par le travail bluffant sur le style, la langue africaine.
De manière globale, Seules les bêtes est un livre superbement construit, dans une architecture qui fait penser à l’éblouissant Un pied au paradis de Ron Rash (roman noir rural, lui aussi), mais avec une audace dans l’élaboration de l’histoire qui a emporté mon adhésion. Je n’aime rien tant qu’être étonné, surtout en polar, et là Colin Niel m’a parfaitement cueilli, aussi bien par les ramifications du récit que par son écriture, dont les changements de registre sont remarquables et permettent de faire exister avec force les cinq narrateurs successifs.

Bref, je vous recommande chaleureusement Seules les bêtes, qui est bien davantage qu’un énième avatar de polar rural (LE genre à la mode en ce moment, avec tout ce que cela comporte de répétitif et de lassant), en s’avérant beaucoup plus ambitieux et surprenant. Une belle découverte pour moi !

Seules les bêtes, de Colin Niel
Éditions du Rouergue, 2017
ISBN 978-2-8126-1202-2
224 p., 19€


La Moisson des innocents, de Dan Waddell

Signé Bookfalo Kill

Bon, je m’énerve après les éditions du Rouergue ou pas ? Je préfèrerais ne pas devoir le faire, puisque après tout, c’est cette maison qui a le mérite d’avoir découvert Dan Waddell et de publier aujourd’hui son troisième roman. Néanmoins…

Waddell - La Moisson des innocentsBref, on verra plus tard. Parlons d’abord du livre, c’est le plus important. La Moisson des innocents marque le retour de Grant Foster après les excellents Code 1879 et Depuis le temps de vos pères. Un dimanche matin très tôt, il est appelé sur une scène de crime atypique : un homme est mort brûlé vif dans sa voiture. Meurtre ou suicide par immolation ?
Très vite, Foster fait une découverte qui le bouleverse beaucoup plus : l’identité du mort, David Lowell, s’avère fictive et cache en réalité un certain Glen Dibb. Une vingtaine d’années plus tôt, alors simple inspecteur à Newcastle, Foster l’avait arrêté en compagnie de son ami Craig Schofield pour le meurtre sauvage d’un vieux mineur. Ce crime avait bouleversé l’Angleterre à l’époque, et pour cause : les deux assassins n’avaient alors que dix ans.
Obligé de remonter dans le temps et de se confronter à un passé qu’il a fui pour d’autres raisons, Grant Foster n’imagine pas jusqu’où cette enquête tortueuse et pleine de surprises sordides va le conduire…

Après deux romans où la généalogie jouait un rôle important, Dan Waddell laisse un peu cette discipline de côté, tout en continuant à creuser le sillon du rapport au passé, essentiel dans son œuvre. Centré presque exclusivement sur Grant Foster (son adjointe Heather Jenkins joue les seconds rôles occasionnels, tout comme le reste de son équipe), la Moisson des innocents est un polar plus classique, qui évoque notamment l’atmosphère des livres de Ian Rankin – une sérieuse référence, que Waddell tient haut la main. Ce jeune auteur relève décidément de cette tradition du roman policier britannique, où les ambiances et les personnages comptent autant que l’intrigue, voire parfois plus.

N’allez pas croire néanmoins que le suspense est sans intérêt ici. La première moitié du roman déroule tranquillement mais solidement l’histoire des ex-enfants tueurs et de ceux qui les ont approchés à l’époque, dont Foster lui-même, mettant au jour des vérités beaucoup plus complexes et désagréables qu’on ne pouvait le croire. Puis, à mi-parcours, surprise : Dan Waddell place une petite bombe qui réoriente l’intrigue et l’élargit, rappelant d’une manière inattendue sur le devant de la scène Nigel Barnes, le généalogiste héros de Code 1879 et Depuis le temps de vos pères.

Et c’est TOUT ce que je vous dirai – à la différence de l’ahuri, excusez-moi si je m’énerve mais ça m’agace vraiment très fort, qui a cru bon de tout dévoiler sur la quatrième de couverture. Bon sang, amis du Rouergue, croyez-vous vraiment que Dan Waddell s’est amusé sans raison à repousser la révélation d’un élément aussi important de son roman à plus de la moitié de celui-ci ? Vous ne voulez pas raconter la fin, pendant que vous y êtes ?
Et vous savez ce qui me rend dingue ? C’est la deuxième fois que le Rouergue fait le coup avec Dan Waddell. Relisez ma chronique de Depuis le temps de vos pères, je déplorais déjà la même faute, incroyable pour un éditeur qui publie régulièrement des polars et devrait connaître l’importance des rebondissements et des surprises dans une bonne intrigue.

Bref, amateurs de policiers de qualité, faites-vous plaisir, courez acheter cette excellente Moisson des innocents – mais par pitié, dans votre propre intérêt, ne lisez pas la quatrième de couverture. Vous me remercierez !

La Moisson des innocents, de Dan Waddell
Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue
  Éditionsdu Rouergue, 2014
ISBN 978-2-8126-0622-9
311 p., 21,90€



A première vue – la rentrée polar (2) : les promesses

Suite de la rentrée polar de l’automne 2013, avec, comme annoncé précédemment, l’auteur qu’on n’attendait pas dans ce registre (en tout cas pas si vite, et pas de cette manière…), et d’autres dont on espère une confirmation ou une belle découverte.

(Rappel : l’annonce, les visuels et les dates de ces sorties, précisées entre parenthèses, s’appuient sur le programme du logiciel professionnel Electre, et peuvent donc être soumis à variation.)

L’INVITÉ(E) SURPRISE

Galbraith - The Cuckoo's CallingIl nous vient d’Angleterre et se présente sous le nom de Robert Galbraith, militaire à la retraite et auteur d’un premier roman policier intitulé The Cuckoo’s Calling (qui devrait être logiquement traduit par L’Appel du coucou). Une oeuvre très bien reçue par les critiques outre-Manche, certains s’avouant même confondus par la maîtrise exceptionnelle du romancier pour ses débuts littéraires.

Et pour cause : Robert Galbraith n’est autre que… J.K. Rowling. La maman de Harry Potter a mystifié tout le monde en s’offrant le plaisir de sortir un roman sans aucune pression médiatique et de voir son travail apprécié sans arrière-pensée. Vendu modestement à 1500 exemplaires entre avril et juillet, son premier polar a exlosé les compteurs et épuisé son premier tirage en quelques heures dès la supercherie révélée. Après Une place à prendre, soufflé médiatique retombé bien vite sous le feu nourri de critiques acerbes (souvent exagérées), voici l’occasion de mesurer plus sereinement le talent de la romancière britannique, qui crée encore et toujours la sensation, qu’elle le veuille ou non.
La traduction française est attendue chez Grasset en octobre.

LES PROMESSES

Ne me cherche pas, de Megan Abbott : nous avions adoré La Fin de l’innocence, bonne nouvelle : Megan Abbott revient à l’époque contemporaine – entre deux romans ancrés au début du XXème, sa spécialité – avec l’histoire d’une équipe de pom-pom girls qui tombent sous la charme de leur nouvelle coach. Fascination et plongée dans les extrêmes au programme… (Lattès, 1/11)

Del Arbol - La Maison des chagrinsLa Maison des chagrins, de Victor del Arbol : sur le papier, des airs de fantastique espagnol mâtiné d’Oscar Wilde… Une violoniste demande à un peintre de réaliser le portrait de l’assassin de son fils afin d’y déceler la marque de l’infamie. Deuxième roman de l’auteur de la Tristesse du samouraï, polar remarqué sur l’Espagne franquiste. (Actes Sud, 4/09)

Bayard - A l'école de la nuitA l’école de la nuit, de Louis Bayard : après avoir mis en scène Edgar Poe dans Un oeil bleu pâle et Vidocq dans La Tour Noire, l’auteur américain au plus français des noms s’intéresse à Thomas Harriot, mathématicien anglais du XVIe siècle, précurseur en algèbre et en astronomie, brièvement arrêté dans l’affaire de la Conspiration des poudres (rendue célèbre par la figure de Guy Fawkes) et soupçonné d’avoir participé à l’École de la nuit, un complot visant à établir l’athéisme en Angleterre… En ajoutant une deuxième intrigue contemporaine, Bayard signe un nouveau roman historique très prometteur. (Cherche-Midi, 24/10)

Bolton - Ecrit en lettres de sangÉcrit en lettres de sang, de Sharon Bolton : de nos jours en plein Londres, une jeune policière voit mourir dans ses bras une femme sauvagement poignardée. Nous sommes le jour anniversaire du premier meurtre avéré de Jack l’Eventreur, et les similitudes entre les crimes est frappante… Nouvelle variation sur le mythe du tueur le plus légendaire d’Angleterre, un pari toujours risqué mais qui peut donner un bon thriller s’il est bien mené. (Fleuve Noir, 12/09)

Une certaine vérité, de David Corbett : la nouvelle révélation Sonatine ? Fils d’un flic mystérieusement disparu dix ans plus tôt, un jeune homme se voit obligé d’affronter le passé qui ressurgit… (Sonatine, 14/08)

Pyromanie, de Bruce DeSilva : un journaliste de la vieille école enquête sur une épidémie d’incendies qui ravagent son quartier de Providence, Rhode Island. Un premier roman lancé dans la collection Actes Noirs, cela justifie de rester attentif. (Actes Sud, 4/09)

L’Été des jouets morts, de Toni Hill : enquête dans la haute société de Barcelone. Premier roman également, dont le titre attire l’œil. (Flammarion, 23/10)

Holbert - Animaux solitairesAnimaux solitaires, de Bruce Holbert : le polar de la rentrée Gallmeister s’annonce noir de chez noir. Dans le comté de l’Okanogan, Washington, en 1932, un vieux flic reprend du service pour tenter d’arrêter un tueur d’Indiens, et poursuit sa traque jusque dans les vallées sauvages de l’OUest, tandis qu’il croise de vieilles connaissances et que son passé ténébreux se dévoile peu à peu… (Gallmeister, 29/08)

May - Scène de crime virtuelleScène de crime virtuelle, de Peter May : alors, oui, j’aurais pu, j’aurais même dû classer ce polar parmi les poids lourds, Peter May étant déjà un nom plus que confirmé du genre. Mais j’avoue que sa série chinoise ne m’a jamais inspiré, et que je n’ai jamais dépassé le premier tome de sa trilogie écossaise… Avec ce thriller étonnant qui se déroule à moitié dans Second Life, l’univers virtuel parallèle au nôtre, May surprend – et pas qu’un peu, puisque je suis en train de le lire et que, pour l’instant, c’est très réussi… Coup de cœur à prévoir ! (Éditions du Rouergue, 4/09)

Reflex, de Maud Mayeras : voilà une jeune femme qui sait prendre son temps ! Son premier roman, Hématome, avait été l’une des sensations du thriller français en 2006 ; depuis, rien… Autant dire que Maud Mayeras est très attendue. Elle nous promet une confrontation effroyable entre une photographe de l’Identité Judiciaire, en deuil de son fils assassiné onze ans plus tôt, et un tueur en série qui écorche ses victimes et collectionne leurs odeurs. Cela devrait être intense ! (Anne Carrière, 3/10)

Roy - Bent RoadBent Road, de Lori Roy : un pitch qui a des faux airs de Seul le silence, de R.J. Ellory, pour le premier roman de cette romancière du Kansas. Effrayée par les émeutes raciales qui agitent Detroit en 1967, la famille Scott décide de retourner à Bent Road, Kansas, où a grandi Arthur, le père. Il s’y retrouve confronté au plus sombre de ses secrets, celui entourant la mort de sa soeur lorsqu’il était enfant, alors qu’une autre fillette disparaît dans les environs… (Éditions du Masque, 21/08)

La Reine de la Baltique, de Viveca Sten : une nouvelle romancière suédoise – eh oui, tous les auteurs du Grand Nord n’ont pas encore été traduits… Avec son intrigue communautaire, son ambiance locale typique et la relative discrétion de ses meurtres, on la compare à Camilla Läckberg, grande prêtresse actuelle du polar grand public. (Albin Michel, 2/09)

Tyler - Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de LoireHomicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, de L.C. Tyler : après Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage, L.C. Tyler confirme son goût des longs titres délirants, un moyen plutôt rigolo de se distinguer de la concurrence. Rigolo et différent, c’est d’ailleurs le ton attendu de ce deuxième roman, entre Agatha Christie et L’Assassin habite au 21 de Steeman : un auteur de polars en pleine crise de la quarantaine se réfugie dans un hôtel au bord de la Loire, mais son agent l’y débusque. Lorsque l’un des autres pensionnaires est assassiné, le duo décide d’enquêter… (Sonatine, 19/09)

Waites - Né sous les coupsNé sous les coups, de Martyn Waites : pour finir, un premier roman qui a l’air beaucoup moins fendard que le précédent, avec son ancienne cité minière anglaise désormais sinistrée et devenue un haut lieu de la criminalité… Les Anglais n’en ont pas fini avec cette part douloureuse de leur histoire récente. (Rivages, 21/08)

Un beau paquet de romans à découvrir et à surveiller, donc… en sachant qu’il ne s’agit que d’une sélection, et que tout n’est pas encore annoncé.
L’automne polar s’annonce en tout cas plus excitant qu’un premier semestre plutôt fade.
A l’avance, bonnes lectures à tous !


Envies d’enfance, de Stéphanie Rigogne-Lafranque

Signé Bookfalo Kill

Rigogne-Lafranque - Envies d'enfanceUne fois n’est pas coutume sur ce blog, je vais aujourd’hui vous parler cuisine. Ne vous inquiétez pas, cela ne devrait pas se reproduire très souvent, d’abord parce qu’en général, j’ai du mal à distinguer une casserole et un fait-tout ; ensuite parce qu’un blog à dominante littéraire n’est sûrement pas le lieu le plus approprié pour chanter les louanges d’une recette, aussi appétissante soit-elle, ni pour encenser tel ou tel livre de cuisine, même s’il en existe beaucoup qui sont magnifiques, bien conçus, superbement mis en page, etc.

Envies d’enfance sort donc de l’ordinaire, précisément parce qu’il joint le littéraire au culinaire, ainsi qu’à l’artistique, de la plus jolie des manières. Entre les 55 recettes, originales ou non, qu’elle a imaginées, recréées, remaniées, Stéphanie Rigogne-Lafranque a choisi de glisser des petits textes, très bien tournés, souvent drôles ou émouvants ; des encarts qui tirent de beaux souvenirs de la mémoire du temps, jouant sur la nostalgie à petites touches, dans des évocations personnelles qui touchent pourtant tout le monde, tant il est facile de partager ces instants d’enfance que l’on peut tous avoir connus.

Cerise sur le gâteau (celle-ci était facile mais je ne pouvais pas m’en priver), Stéphanie Rigogne-Lafranque s’est associée à Junko Nakamura pour le graphisme du livre. Au lieu des traditionnelles photos qui présentent le plat terminé – dont l’image élégante et attrayante n’a en général pas grand-chose à voir avec ce que vous avez vous-même réalisé… -, l’illustratrice japonaise a imaginé des dessins pastel, poétiques et délicats, réalisés par « empreintes de papiers découpés » (dixit l’éditeur). Des petits cailloux visuels comme autant de doux clichés échappés de l’enfance : un chat qui dort près d’un vieux poële, une chasse aux coquillages sur la plage, un tricot abandonné, des jeux dans le jardin…

Quant aux recettes, dont les saveurs et les ingrédients jouent bien sûr sur le contexte enfantin voulu par leur auteur – gâteau au citron, croquettes de fromage, pancakes aux herbes, madeleines miel-amande, flans au saumon ou riz au lait… -, elles sont nombreuses à mettre l’eau à la bouche et, pour la plupart, paraissent faisables – même pour quelqu’un qui a du mal à distinguer une petite cuillère d’une fourchette à escargot.
Alors, faites-vous plaisir, plongez dans ce très beau petit livre plein de douceur et de tendresse… et régalez-vous !

Envies d’enfance, de Stéphanie Rigogne-Lafranque
Illustrations de Junko Nakamura
Éditions du Rouergue, 2013
ISBN 978-2-8126-0477-5
79 p., 18€

Suivez les aventures de ce livre sur le blog qui l’accompagne : Ma ligne de chance.
Retrouvez-le également sur le site de l’éditeur : Le Rouergue, ou sur sa page Facebook.


Le Dernier Roi de Brighton, de Peter Guttridge

Signé Bookfalo Kill

Le Dernier Roi de Brighton est la suite de la Trilogie de Brighton, débutée par Promenade du crime que j’avais chroniqué l’année dernière. Comme celle du premier volume, l’intrigue est complexe, riche de détails et de faits divers ou historiques qui soulignent l’énorme travail de documentation de Peter Guttridge, au-delà du cas Brighton puisqu’il est aussi question par exemple de la guerre dans les Balkans.

Guttridge - Le Dernier Roi de BrightonPour être une suite, ce deuxième volet s’ouvre par un gigantesque flash-back de 230 pages qui nous ramène dans les années 60. Guttridge nous fait assister à l’initiation tous azimuts (criminelle, sentimentale, musicale, amicale, intellectuelle, sexuelle) de John Hathaway, avant qu’il ne devienne ce fameux Roi de Brighton – prince du crime et de l’économie souterraine de la ville, déjà croisé dans Promenade du crime. Il est alors le fils adolescent de Dennis Hathaway, qui règne lui-même en véritable parrain de la cité.

L’immersion dans l’époque est totale. S’appuyant sur une bande-son d’enfer, des Beatles aux Who en passant par Pink Floyd et Simon & Garkunfel, Peter Guttridge réanime ces années comme si on y était. Les références culturelles abondent avec naturel, ainsi que celles à la mode vestimentaire dont les jeunes héros de l’histoire suivent avec passion les soubresauts.
Comme Promenade du crime, qui s’intéressait aux « Meurtres à la malle », cette première partie du Dernier Roi de Brighton suit également en fil rouge un fait divers authentique survenu en 1963 : l’attaque du train postal Glasgow-Londres (connu en anglais sous l’appellation « The Great Train Robbery« ), auquel le romancier rattache habilement les protagonistes imaginaires de son récit.

Dans ce cadre impeccable, Peter Guttridge fait évoluer des personnages hauts en couleur et ressuscite, dans la grande tradition du roman noir et non sans fascination, l’époque des grands criminels, bandits d’honneur capables de tout mais toujours respectueux de certaines règles implicites.
Passionnante en soi, cette première partie permet de créer un contraste frappant avec la criminalité moderne, à laquelle l’auteur confronte ensuite John Hathaway et ses autres héros dans une deuxième partie brutale et chaotique. Dynamités par des petites frappes sans éducation ou des sociopathes échappés des guerres contemporaines, les codes d’honneur volent en éclat et laissent tout le monde, parrains à l’ancienne, flics ou simples citoyens, démunis et à la merci d’une violence incontrôlable et sans limite.

A partir de là, Le Dernier Roi de Brighton est la véritable suite de Promenade du crime et, en ce sens, peut-être difficile à aborder sans avoir lu la première partie. Il y est notamment fait référence au massacre de Milldean, qui se déroule au début du premier tome et conditionne ensuite le destin de la plupart des personnages.
C’est aussi le cœur d’une trilogie, qui nous laisse donc en suspens, certains mystères encore irrésolus (dont celui des meurtres à la malle, à nouveau évoqués) avant la conclusion du cycle dans le troisième tome. Que j’attends donc avec impatience !

N.B.: Promenade du crime sortira en poche en mars, dans la collection Babel Noir… Une bonne opportunité à petit prix de raccrocher les wagons de la trilogie et de pouvoir pleinement apprécier ce deuxième tome !

La Trilogie de Brighton tome 2 : Le Dernier Roi de Brighton,
de
Peter Guttridge

Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue
Éditions du Rouergue, 2013
ISBN 978-2-8126-0453-9
406 p., 22,80€


Les oubliés de la lande, de Fabienne Juhel

Signé Bookfalo Kill

Perdu au milieu d’une lande bretonne, un village se fait oublier de tous, et surtout de la mort depuis des décennies – littéralement : la trentaine de personnes qui y réside n’est jamais malade et ne vieillit pas. Aucun n’est arrivé là par hasard, tous ont une raison d’y vivre, bonne ou moins bonne. Chacun profite du secret du village pour y garder ses propres secrets.
Jusqu’au jour où Tom, le seul enfant de la communauté, trouve le cadavre d’un vieil homme aux portes du village. Une découverte qui va bouleverser l’équilibre fragile du « No Death’s Land » et lever le voile sur de terribles vérités…

Voilà un roman dont j’ai tourné la dernière page avec un sentiment mitigé. Fabienne Juhel continue à creuser la veine onirique du conte fantastique où elle a déjà acquis un large public de fidèles au fil de ses précédents livres. Un parti pris qu’il faut accepter entièrement pour entrer dans son univers, ce qui ne m’a pas posé de problème particulier – sauf quand l’auteur tente de justifier l’existence de ce bout de terre épargné par la mort, avec de vagues hypothèses ou des explications vaseuses dont on se moque.
En revanche, j’ai parfois achoppé sur la naïveté qui menace toujours d’accompagner ce genre romanesque si particulier, et à laquelle Juhel n’échappe malheureusement pas de temps à autre. Une naïveté teintée de mièvrerie dans certaines métaphores (« le soleil était une grosse pomme d’amour ; il saignait. » (p.69)), ou dans un style plombé par moments de lourdeurs et de répétitions qui créent des longueurs inutiles.

A côté de cela, la romancière offre une histoire originale, bien menée jusqu’à une fin qui ne recule pas devant la noirceur. L’atmosphère de la lande oubliée est prenante dès les premières pages. Les descriptions sont souvent riches et prégnantes. Quant aux personnages, ils avancent tous dans l’histoire avec un vécu et un caractère qui donnent envie de les accompagner tout le long du chemin.
Enfin et surtout, Juhel livre une réflexion passionnante et personnelle sur l’angoisse de la mort, le rêve très humain de l’immortalité et ses conséquences. C’est le fond de son roman, et c’est là qu’elle montre son meilleur jour.

Dommage qu’elle ne maîtrise pas tout à fait la mécanique du polar avec laquelle elle tente de tendre son récit jusqu’aux révélations finales. Trop hésitante, par souci sans doute de faire évoluer ses personnages de manière régulière au fil de l’histoire, elle révèle trop tôt des éléments de mystère et affaiblit un suspense qui aurait pu donner une puissance supplémentaire au roman.

Je reste donc un peu déçu par cette première incursion dans l’oeuvre de Fabienne Juhel. Peut-être n’était-ce pas la bonne clef d’entrée ? La véritable singularité de l’auteur me donne envie de retenter l’aventure à l’occasion. Si vous avez des conseils à me donner, je prends !

Les oubliés de la lande, de Fabienne Juhel
Éditions du Rouergue, collection la Brune, 2012
ISBN  978-2-8126-0386-0
283 p., 21€

Certains aiment sans condition Les oubliés de la lande : 20 minutes, Le salon littéraire, Petites lectures entre amis


L’Ile des chasseurs d’oiseaux, de Peter May

Signé Bookfalo Kill

Terrassé par la mort de son fils, Fin MacLeod traîne sa dépression chez lui depuis des semaines, et se demande s’il veut véritablement reprendre son métier de policier. Son supérieur ne lui laisse pas le choix : un crime vient d’être commis sur l’île de Lewis, crime qui présente des similitudes troublantes avec un meurtre sur lequel Fin a enquêté récemment à Édimbourg. Il doit se rendre sur place pour vérifier s’il pourrait s’agir ou non d’un tueur en série.
Le voyage est loin d’être anodin pour Fin : il est né et a grandi sur cette île située au nord de l’Écosse, petit bout de terre rugueux et battu par les vents, où l’on se chauffe à la tourbe et où la pression de la religion et des traditions est encore extrêmement forte. En arrivant sur place, Fin MacLeod réalise que c’est moins une investigation policière qu’une enquête sur son propre passé à laquelle il s’apprête à se confronter.
Un passé d’où pourraient bien émerger de sombres vérités…

Cela faisait un moment que j’entendais parler en bien de ce roman de Peter May, premier d’une trilogie consacrée à l’île de Lewis. Cela faisait également un moment que je tournais autour de cet auteur écossais, sans réussir à trouver un titre qui me donne envie de découvrir son œuvre. Sa série précédente, qui se déroulait essentiellement en Chine, m’inspirait assez peu. Mais là, avec cette histoire ancrée en Écosse, j’ai été tout de suite beaucoup plus attiré ; et les nombreuses critiques très élogieuses glanées ici et là sur Internet ont fini par me convaincre de tenter l’expérience.

Alors, oui, Peter May écrit très bien. Ses descriptions de l’île de Lewis sont riches et invitent au voyage – un voyage aride et sauvage, certes, mais d’autant plus intéressant qu’il nous immerge dans une contrée préservée et peu connue, loin des clichés sur l’Ecosse. L’évocation des traditions séculaires qui rythment la vie de l’île est d’ailleurs assez fascinante. Enfin, le romancier prend le temps de camper ses personnages, dont il détaille aussi bien le passé que la psychologie, avec une grande justesse.

Mais bon sang, que tout ceci est long !!! J’en ai lu, des polars lents, plus littéraires et atmosphériques que frénétiques ; et il y en a beaucoup qui figurent parmi mon panthéon du genre (Seul le silence de R.J. Ellory, pour n’en citer qu’un). Seulement, là, il arrive un moment où il devient nécessaire de sauter des passages, notamment des descriptions interminables, histoire de ne pas s’endormir complètement. Le moindre petit caillou sur le bord de la route est évoqué, le moindre oiseau détaillé du bec à la dernière plume.

Il faut préciser aussi que l’enquête policière sur le crime qui ramène Fin sur l’île est totalement secondaire. Elle sert tellement de prétexte initial qu’elle disparaît parfois de la trame pendant des dizaines de pages. En contrepartie, Peter May propose une alternance narrative intéressante : les chapitres centrés sur le retour de Fin et ses investigations sont racontés par un narrateur omniscient, alors que d’autres, évoquant l’enfance et l’adolescence de Fin, sont racontés par ce dernier. J’ai d’ailleurs trouvé que c’étaient souvent les chapitres les plus justes et les plus émouvants du roman.

Au bout du compte, L’Île des chasseurs d’oiseaux est un roman d’ambiance, bien écrit, noir ce qu’il faut et pas déplaisant, mais qu’il ne faut pas lire pour l’aspect policier, plutôt décevant (les révélations finales manquent un peu d’originalité, même si elles sont mises en scène avec panache), et qu’il faut surtout aborder avec patience, sous peine de le refermer au bout de cinquante pages.

L’Île des chasseurs d’oiseaux, de Peter May
Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue
Éditions Actes Sud, collection Babel Noir, 2011
(Première édition : Le Rouergue, 2009)
ISBN 978-2-330-00133-9
425 p., 9,70€


Code 1879, de Dan Waddell

Signé Bookfalo Kill

Il y a quelque temps, je vous disais tout le bien que je pensais de Depuis le temps de vos pères, de l’Anglais Dan Waddell. Comme promis à cette occasion, je reviens vous dire quelques mots de son premier roman, Code 1879, qui vient de paraître en poche dans la collection Babel Noir d’Actes Sud.

On y fait connaissance avec l’inspecteur Grant Foster, de la brigade criminelle de Londres, au moment où il arrive sur une scène de crime particulière : on vient en effet de retrouver dans un cimetière le cadavre d’un homme, poignardé et les mains tranchées ; en outre, l’assassin a gravé dans la chair de sa victime une inscription, que sa collègue Heather Jenkins identifie comme étant une cote de généalogie. Ultime indice : 1879, le dernier numéro composé sur le portable du mort.
Foster fait appel à Nigel Barnes, un jeune généalogiste professionnel, pour les aider à comprendre le sens de la cote tatouée sur la peau de la victime. Tandis qu’une deuxième victime est retrouvée, les enquêteurs découvrent que le criminel souhaite les faire s’intéresser à une série de meurtres remontant à plus d’un siècle auparavant – en 1879, plus précisément…

Je l’ai déjà écrit au sujet de Depuis le temps de vos pères, mais j’insiste et le redis : quelle superbe idée que d’utiliser la généalogie pour une intrigue policière ! Dans Code 1879, l’idée est d’autant plus pertinente qu’elle se met au service d’une double intrigue criminelle, dont une s’inscrit dans le passé. En suivant les recherches conjuguées de Foster et de Nigel Barnes, Dan Waddell nous plonge alternativement dans le Londres contemporain et dans celui de la fin du XIXe siècle. Conscient de l’importance du décor, des atmosphères, des coutumes, de tout ce qui caractérise une époque, le romancier soigne ses reconstitutions du présent comme du passé, couronnant de succès un travail de recherche et de documentation que l’on imagine colossal.

Un cadre réaliste ne suffit cependant pas, il faut d’autres ingrédients pour réussir un bon polar. Avec une aisance de vieux briscard, bluffante chez un auteur qui signe ici son premier roman, Waddell les réunit tous sans coup férir : personnages solides et complexes, montée progressive du suspense, gestion des temps forts et des temps faibles du récit pour ne pas ennuyer le lecteur, répartition des indices et des déductions, maîtrise du rythme, tout y est.
Avec, en prime, une fin à la hauteur de ce qui précède, surprenante, haletante, intense… Cela vous paraît étonnant que je le précise ? Il y a trop de bons polars, nantis d’autant de qualité, qui tombent un peu à plat en raison d’une révélation décevante. Ce n’est pas le cas ici, autant s’en réjouir !

Bref, une réussite totale… Alors, saisissez votre Code, et bonne lecture !

Code 1879, de Dan Waddell
Editions Actes Sud, collection Babel Noir, 2012
(Première édition : Le Rouergue, 2010)
ISBN 978-2-330-00268-8
361 p., 8,50€

Je ne suis pas le seul à chanter les louanges de cet excellent roman, voyez plutôt ici : Leslivresquejaime.net, Cecile’s Blog (qui parle également de Depuis le temps de vos pères), 4decouv