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Le Royaume désuni, de Jonathan Coe

Bienvenue à Bournville, charmante bourgade proche de Birmingham connue pour sa célèbre chocolaterie. Le 8 mai 1945, alors que le peuple britannique célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale, Mary Clarke rencontre Geoffrey Lamb, fils d’un collègue de son père travaillant aussi dans l’usine de chocolat. Huit ans plus tard, c’est en fiancés qu’ils assistent avec leurs familles respectives au couronnement de la reine Élisabeth II, sur le premier poste de télévision de Bournville.
Et leurs vies se poursuivent, scandés par de grands événements du XXème puis du XXIème siècle, où on voit Mary et les siens grandir, s’aimer, se détester parfois, ne pas se comprendre souvent, leurs destins personnels racontant en creux l’Histoire de leur pays, l’Angleterre, ce pays à nul autre pareil…


Au fil d’une carrière littéraire déjà bien remplie (et loin d’être finie, espérons-le), Jonathan Coe a écrit des livres assez différents, dont un certain nombre de romans, mais aussi des essais, sur la littérature ou le cinéma. Les familiers de son œuvre, néanmoins, savent que celle-ci s’appuie sur la colonne vertébrale d’un corpus de romans reposant peu ou prou toujours sur le même schéma : une famille et leurs proches, l’Angleterre, et une décennie pour les gouverner tous.
Il y eut ainsi, dans Testament à l’anglaise, les années 80 et la famille Winshaw (que l’on retrouve dans le très singulier Numéro 11) ; ou encore la bande des Enfants de Longbridge dans le diptyque Bienvenue au club et Le Cercle fermé, complété quelques années plus tard par Le Cœur de l’Angleterre, scannant à tour de rôle les décennies 70, 90 et 2010.

Le Royaume désuni reprend le même procédé, mais sur une échelle temporelle plus vaste qui court de 1945 à 2020. Ce n’est donc plus une décennie qui gouverne l’intrigue, mais quelques grandes dates marquantes de l’Histoire britannique : la fin de la Seconde Guerre mondiale, le couronnement d’Elizabeth II, puis la victoire de l’Angleterre lors de la Coupe du Monde de football de 1966, l’investiture de Charles comme Prince de Galles, le mariage de Charles et Diana, la mort de Lady Di, pour conclure sur le combo gagnant Brexit-Covid.
Les aventures de la famille Lamb constituent l’ossature du récit, l’union de Mary et Geoffroy donnant naissance à trois fils que l’on voit grandir et prendre peu à peu de l’importance dans le roman, et élargir le cercle du personnel romanesque avec leurs amis, leurs proches, leurs propres compagnes… Comme toujours chez Coe, les personnages sont au premier plan, et servent à illustrer et mettre en valeur l’événement historique choisi, par leurs comportements, leurs choix et leurs opinions.

On connaît la recette, mais Jonathan Coe la prépare avec tant d’amour pour ses protagonistes, et tant de finesse dans le mariage des ingrédients, qu’il est difficile de lui résister. Surtout que sa prose, d’apparence si fluide, presque facile, manie l’ironie avec toujours la même délicatesse, et se montre plus joueuse qu’il n’y paraît.
Ainsi, après deux premières parties proposées au passé de narration le plus classique qui soit, narrateur omniscient inclus, la troisième passe au présent, avant que la quatrième prenne la forme d’un récit à la première personne du singulier. Tout ceci fait sens au regard des récits concernés, bien entendu, et l’on sent que Coe s’amuse beaucoup avec cet emboîtement de styles et d’histoires qui, mises bout à bout, en forme une seule, solide et cohérente.

Le Royaume désuni est sans doute un Coe sans surprise… donc un très bon Coe, généreux et intelligent, observateur et critique sans se montrer donneur de leçons, amusant et touchant, qui réserve en outre quelques surprises bien trouvées – dont des personnages de plusieurs de ses romans précédents, conviés au bal pour souligner que l’œuvre de Jonathan Coe est une œuvre globale, aussi délicieuse que cohérente.
Beaucoup plus unie, en tout cas, que le Royaume qui l’inspire !

Le Royaume désuni, de Jonathan Coe
(traduit de l’anglais par Marguerite Capelle)
Éditions Gallimard, coll. Du Monde Entier, 2022
ISBN 9782072990878
496 p., 23€

Disponible en poche chez Folio depuis mars 2024 :
ISBN 9782073043443
528 p., 9,40€

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