27 août 1934. Après une énième brimade, cinquante-six mineurs, détenus à la colonie pénitentiaire de Belle-Île-En-Mer, se révoltent contre leurs matons et parviennent à s’échapper. Hélas, leur prison étant une île, ils n’ont presque aucune chance de s’en sortir. Au terme d’une nuit sinistre servant de théâtre à une véritable chasse à l’enfant, menée autant par les gardiens que par les insulaires, tous les gosses sont repris.
Tous ? Non. Il en manque un à l’appel. Jules Bonnot, 18 ans. Forte tête, graine de violence serrée comme un poing sur une longue série d’injustices lui ayant fait comprendre qu’il ne pourrait jamais échapper au destin de violence et d’humiliation qui lui était promis. Et si, cette fois, il pouvait s’en sortir ?

En 1977, la colonie pénitentiaire pour mineurs délinquants de Belle-Île-En-Mer ferme ses portes. Le point final posé à une histoire trop longue, ce bagne pour enfants ayant été le cadre de violences et de sévices absolument révoltants, de véritables abus de justice comme il en a trop existé.
Cette histoire, Sorj Chalandon ne l’a pas affrontée à titre personnel, ni même couverte en tant que journaliste. À la différence de la plupart de ses romans précédents, l’intrigue de L’Enragé ne trempe donc pas ses racines dans son propre vécu. Elle lui ressemble pourtant beaucoup, lui l’écorché vif, l’enfant maltraité par son père, l’enragé qui a su créer son chemin pour s’en sortir.
Et la première partie du roman, qui nous plonge dans l’enfer du bagne, au plus près des gamins molestés, vibre de cette colère qui est à la fois son moteur et sa malédiction. On y trouve sans doute quelques-unes de ses pages les plus terribles, les plus insoutenables, dont on ne peut ignorer qu’elles sont aussi terriblement véridiques. Des sévices quotidiens à l’atroce séquence de l’évasion, mettant en scène des gens quelconques – les bons citoyens de Belle-Île-En-Mer, métamorphosés en monstres ordinaires -, Chalandon ne nous épargne rien ; mieux vaut avoir le cœur bien accroché.
Par comparaison, la deuxième partie du roman, qui accompagne Jules Bonnot dans son hypothèse de rédemption, ne peut rivaliser avec la précédente, en dépit des efforts du romancier pour nous confronter à la rage qui anime son jeune héros et prend parfois le pas sur la générosité dont il fait l’objet. Dans tous ses romans, Sorj Chalandon danse souvent sur le fil des bons sentiments ; ici, le numéro d’équilibriste frôle régulièrement la sortie de route. Les violons sont de sortie, le mélo enrobe de mélasse quelques scènes bien trop sucrées, et le texte perd hélas de sa force.
La chute, concise et terrible, écho à la noirceur des débuts, relève le tout et nous fait quitter le roman dents serrées et cœur battant, ramenant le protagoniste sur sa trajectoire avec, néanmoins, une grandeur salvatrice.
Roman schizophrène, L’Enragé m’a tour à tour bousculé, dérangé, horrifié ; puis relâché, tenu à distance, un peu trop éloigné de sa vérité par excès de bons sentiments. Une lecture néanmoins essentielle par son sujet et ce qu’il m’a révélé d’une histoire humaine proprement indigne. Le registre dans lequel, finalement, Sorj Chalandon nous est indispensable.
L’Enragé, de Sorj Chalandon
Éditions Grasset, 2023
ISBN 9782246834670
416 p., 22,50€
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