Ce qui est enfoui – Julien Freu

Ce livre est une vraie bizarrerie : on peut l’apprécier exactement pour les mêmes raisons qu’on peut le trouver sans intérêt.

Cette étrangeté tient à ses racines et à ce qui l’a nourri – à ce qui est enfoui dans son ADN littéraire. Né en 1978, Julien Freu fait partie de cette énorme génération d’écrivains qui ont bouffé du Stephen King jusqu’à l’overdose durant leur adolescence et qui, aujourd’hui, en tirent matière à écriture. Cette inspiration est d’une évidence totale dans ce roman, dont l’intrigue pioche sans vergogne dans Ça : une monstruosité souterraine qui répand sa sombre puissance sur une petite ville jusqu’à faire péter les plombs de certains de ses habitants, une bande d’enfants « nerds » qui se retrouvent en première ligne de la résistance tout en subissant le harcèlement d’ados plus grands, bêtes et méchants…

Un coup d’œil à la couverture achèvera de vous convaincre de cette filiation : une inquiétante lueur rouge émanant d’un tunnel qui s’enfonce sous terre, un enfant en ciré jaune apparemment fasciné et prêt à y entrer… Actes Sud, l’éditeur, n’a pas fait dans la dentelle non plus, et joué la carte de la référence à fond les ballons (rouges).

Mais Julien Freu va encore plus loin. Dans une interview, il raconte qu’il a commencé à travailler sur cette histoire au milieu des années 2000, mais qu’il ne l’a reprise pour de bon qu’en 2019. Soit en plein boom du phénomène Stranger Things, auquel l’auteur, décidément malin et sans complexe, emprunte là aussi largement (sachant que la série Netflix est elle-même un pot pourri de nombreuses œuvres de référence des années 80, dont le King en personne, bien entendu).
Voyez plutôt : notre bande de jeunes héros « nerds » s’adonne avec passion aux jeux de rôle, et y trouve matière à nommer la menace qui pèse sur leur ville ; l’un des garçons est affligé de fringues démodées et d’une coupe de cheveux au bol du plus vilain effet (coucou Will) ; une espèce d’entreprise secrète, cachée dans une usine inaccessible au large de la ville, mène des expériences et des recherches poussées sur la puissance mystérieuse qui détraque les environs…

Bref, n’en jetez plus, la coupe est pleine : si vous venez ici pour y trouver de l’originalité, passez votre chemin, Julien Freu a siphonné ses principales influences et a tout recraché dans son livre sans trop se cacher.
Et pourtant…

La vérité du cœur

Pourtant, si j’ai apprécié ce roman, vraiment et sans jamais bouder mon plaisir, c’est que j’ai décelé de la sincérité derrière ces emprunts (qui sont bien des hommages et pas des plagiats, soyons clairs là-dessus). A la manière d’un J.J. Abrams dans Super 8 (dans ce film surtout, parce que dans le reste de son travail, ce n’est plus de l’hommage mais de la subordination bête et méchante), Julien Freu se plonge avec un bonheur insouciant, presque innocent, dans cet univers créé par d’autres, et parvient à transmettre son plaisir avec un enthousiasme contagieux.
Plus important encore, il y ajoute sa propre patte. En choisissant de camper son intrigue en France, et non pas dans des États-Unis plus ou moins fantasmés, il évite le piège du décorum d’opérette, vite ridicule, et nourrit son intrigue de problématiques et de caractéristiques françaises qui offrent un autre regard sur le cadre fantastique.

Comme Ça, Ce qui est enfoui est un formidable roman sur la fin de l’enfance et l’adolescence. Là aussi, rien de novateur, mais tout sonne juste, et nombre de sentiments qui palpitent dans le roman proviennent sans aucun doute du cœur du petit Julien caché au fond de l’écrivain. Ses jeunes héros, correspondant chacun à un archétype – le bagarreur dur au mal, la fille oscillant entre garçon manqué et belle âme soudant celles des garçons autour d’elle, l’intello hypersensible et le freak perdu entre une mère folle et un père absent -, forment un ensemble attendu mais qui fonctionne à la perfection, chacun apportant ses excès, ses qualités et ses faiblesses à un groupe uni dans la douleur et l’adversité.

Et puis – et finalement, on revient toujours à ça -, il y a l’écriture. L’habileté de la construction, la force des personnages, le sens du rythme – sur ce point en particulier, Julieu Freu se montre particulièrement redoutable, ne laissant aucun répit au lecteur et ménageant des montées en tension absolument intenables (et donc jouissives).

On donne rendez-vous au prochain roman pour voir si Julien Freu a d’autres propositions, peut-être plus personnelles, en réserve. Mais pour Ce qui est enfoui, il a bien fait de tout déterrer avec passion et fraîcheur, parce que c’est une réussite.

Ce qui est enfoui, de Julien Freu
Éditions Actes Sud, coll. Actes Noirs
ISBN 978-2-330-17390-6
368 p., 22,80€

4 Réponses

  1. Il a des influences en pagaille, oui, mais c’est tellement bien fait que ça tient autant de l’hommage que de la réinvention. J’ai vraiment adoré ce livre, je suis très curieux de ce que proposera l’auteur à l’avenir !

    26 avril 2024 à 08:43

    • J’ai pensé à toi en préparant cette chronique, il me semble avoir décidé de lire ce livre après avoir lu la tienne l’année dernière. Comme toi, je serai attentif à sa prochaine parution !

      26 avril 2024 à 08:53

  2. Je l’ai dans ma liste d’envie ! Merci pour cet avis ;)

    26 avril 2024 à 10:12

  3. Bien vu de me rappeler un roman que je voulais lire et que je j’ai pas encore eu le temps de lire, vu tous ceux qui s’empilent devant mes yeux :lol:

    30 avril 2024 à 16:44

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