Rapport d’enquête #2 : King, Meyer

Après
Stephen King
Éditions Albin Michel, 2021
ISBN 9782226459763
329 p.
20,90 €
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Marina Boraso
Jamie n’est pas un enfant comme les autres : il a le pouvoir de parler avec les morts. Mais si ce don extraordinaire n’a pas de prix, il peut lui coûter cher.
C’est ce que Jamie va découvrir lorsqu’une inspectrice de la police de New York lui demande son aide pour traquer un tueur qui menace de frapper… depuis sa tombe.
Si ce nouveau roman de Stephen King était un célèbre soda d’outre-Atlantique, ce ne serait certes pas du Zéro, mais du Light. Avec son idée de départ ouvertement pompée sur Sixième Sens de M. Night Shyamalan – un jeune garçon voit des gens qui sont morts -, Bruce Willis et le twist de folie en moins, le septuagénaire n’invente rien de neuf, mais il déroule avec facilité et efficacité une histoire bien dans son style.
Son jeune héros, narrateur de l’intrigue, est très attachant, tout comme sa mère qui l’élève seule. C’est une voix d’enfant comme King sait si bien les camper, avec empathie et tendresse, sans mièvrerie. En face, les méchants sont moches, le suspense tient la route sans excès de vitesse, il y a quelques scènes sanglantes mais pas trop – en dépit de l’insistance, d’ailleurs suspecte au bout d’un moment, avec laquelle notre Jamie affirme qu’il s’agit d’une « histoire d’épouvante »…
Clairement un King mineur – mais comme le disait l’ami Yvan Fauth dans un échange que nous avions récemment, ce qui est mineur chez Master Stephen reste bien souvent au-dessus du lot, et c’est finalement notre seule exigence vis-à-vis de son génie si souvent démontré qui nous rend parfois sévère avec lui.
Bref, un bon moment de lecture, ni plus ni moins, et c’est déjà bien.

La Femme au manteau bleu
Deon Meyer
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2021
ISBN 9782072857805
192 p.
14 €
Traduit de l’afrikaans par Georges Lory
Le corps, soigneusement lavé à l’eau de Javel, d’une Américaine experte en peinture de l’âge d’or hollandais a été abandonné sur un muret au panorama du col de Sir Lowry, à soixante kilomètres du Cap.
Benny Griessel et Vaughn Cupido, tandem choc de la brigade criminelle des Hawks, se demandent ce qu’elle était venue faire en Afrique du Sud. Personne, dans son entourage, ne semble au courant. Mais lorsqu’ils découvrent que son travail consistait à localiser des tableaux disparus, et qu’elle avait contacté un professeur d’histoire retraité ainsi qu’un détective privé, des pistes inattendues s’ouvrent à eux…
On ne va pas se mentir ni se voiler la face : pour ce nouveau roman, Deon Meyer assure le service minimum, à tous les étages.
Minimum de personnages, pour un minimum de pistes et d’hypothèses qui débouchent logiquement sur une résolution minimaliste. Doublé d’un minimum de travail sur les personnages, à commencer par les principaux, et en particulier Benny Griessel qu’on a connu plus râpeux, plus fracturé (et donc plus intéressant) lorsque l’alcool faisait de lui sa chose et contribuait à l’égarer dans des enquêtes autrement plus complexes.
Minimum de recherche sur le sujet choisi, également. Si vous cherchez un bon polar sur le monde de l’art, il y a plein d’autres qui vous captiveront davantage que celui-ci, à peine digne de figurer en annexe d’une bibliographie sur le sujet.
Minimum de psychologie, encore – on a droit à un alignement de platitudes analytiques qu’on jugerait indignes chez n’importe quel débutant.
Minimum de style, enfin : narration expéditive, au présent et sans aucun relief, accélérée à grands coups de dialogues charclés à la machette.
Pas de quoi me convaincre de faire plus à mon tour que le strict minimum dans cette chronique.
Hormis vous conseiller, si vous êtes un inconditionnel de Deon Meyer, d’attendre la sortie poche d’ici un an ou deux, histoire de ne pas perdre 14€ pour une lecture, certes potable, mais qui n’en vaut pas autant. Et si vous ne le connaissez pas, ruez-vous toutes affaires cessantes sur L’Année du Lion. Là, vous ne le regretterez pas.
L’Institut, de Stephen King


Éditions Albin Michel, 2020
ISBN 9782226443274
608 p.
24,90 €
The Institute
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch
Au cœur de la nuit, à Minneapolis, des intrus pénètrent dans la maison de Luke Ellis, jeune surdoué de 12 ans, tuent ses parents et le kidnappent.
Luke se réveille à l’Institut, dans une chambre semblable à la sienne, sauf qu’elle n’a pas de fenêtre. Dans le couloir, d’autres portes cachent d’autres enfants, dotés comme lui de pouvoirs psychiques.
Que font-ils là ? Qu’attend-on d’eux ? Et pourquoi aucun de ces enfants ne cherche-t-il à s’enfuir ?
Ma grande période King remonte à mon adolescence, dans les années 90. C’est là que j’ai englouti ce qui reste, pour l’essentiel, le meilleur de son œuvre. Ça, Shining, Simetierre, Le Fléau, La Tour Sombre, Différentes Saisons, Brume… Dans les années 2000 et 2010 j’ai un peu décroché – hormis un passage par l’énormissime 22/11/63, preuve que le sorcier du Maine avait de beaux restes.
En découvrant le résumé de L’Institut, j’ai eu envie de replonger. Il y vibrait quelque chose d’éminemment kingien, qui me donnait envie de renouer avec cet univers que j’avais passionnément aimé à l’époque.
Quelques avis élogieux m’ont conforté dans ce désir. J’ai ouvert les portes de L’Institut.
J’avoue, hélas, que je n’ai pas vibré autant que je l’espérais.
En vieillissant, Stephen King (désormais septuagénaire) est passé du silex à la pierre polie. Son style s’est arrondi, son approche littéraire aussi. Moins viscéral, moins brut, son style a peut-être gagné en finesse, mais il a perdu en percussion. Ironie, cruauté, espoir et désespoir, passion, foi dans le merveilleux, tous ces sentiments qu’il maniait en maître se sont dilués dans sa maturité.
Résultat : j’ai moins vibré. J’ai moins cru à ses personnages. J’ai moins perçu sa sincérité, son engagement derrière ses jeunes héros, qu’il ne parvient pas comme par le passé à rendre vivants, intenses, éblouissants d’émotion, de force et de fragilité.
Il y avait matière à créer l’une de ces mythologies modernes dont il a le secret. De titiller la puissance phénoménale des émotions qui agitent Ça, par exemple. Mais je suis resté à distance, un peu lassé par les longueurs étirant en vain une intrigue trop légère pour mériter autant de pages.
Pourtant, le roman démarre à la perfection. Par la bande tout d’abord, avec un long prologue (cinquante pages) s’intéressant à un personnage qu’on ne retrouvera que bien plus tard – mais qui, grâce à cette introduction remarquable, attirera immédiatement la sympathie du lecteur lorsqu’il réapparaîtra. Puis en resserrant sur Luke, le protagoniste, et sur la scène fondatrice de son aventure : son enlèvement et l’assassinat de ses parents.
Là, on est bien accroché. Ensuite, hélas, le soufflé retombe.
La présentation de l’Institut, des autres enfants spéciaux et de leurs gardiens, traîne en longueur. Les péripéties qui animent le quotidien des personnages sont clairsemées, et King n’a jamais vraiment réussi à me rendre concerné par ce qui se passe. Comme s’il avait perdu l’art et la manière de terrifier son lecteur, de le prendre aux tripes, de lui faire prendre les armes pour ses héros en danger.
Les expériences menées à l’Institut ne manquent pas d’intérêt (leurs implications surtout), mais le romancier américain se perd un peu dans ses explications, cherchant à retarder ses révélations pour les rendre plus fortes, ce qui ne fonctionne malheureusement tout à fait.
En gros, on perd pas loin de deux cents pages en tergiversations qui, sans me décrocher, ont tout de même brisé l’élan initial de ma lecture, au point de me forcer à continuer pour avoir le fin mot de l’histoire.
Et puis, à un moment, ça repart. Et là, j’ai retrouvé le King que j’aime. Moins électrique, moins éblouissant que par le passé, mais tout de même, capable de monter une architecture complexe et d’entraîner son lecteur à des hauteurs inespérées. Le tempo s’accélère, la violence prend une tournure plus manifeste, les personnages gagnent soudain en épaisseur au moment où ils passent à l’acte.
Le final, superbe, rattrape même les défauts précédents, fait oublier le trop long chemin qui y a mené, et m’a réconcilié avec mon King préféré. Enfin !
Au bout du compte, cet Institut laisse son empreinte en mémoire, de manière insidieuse mais durable, et rappelle quel grand conteur Stephen King sait être, et quel fin observateur du monde et de ses dangers il reste également. Un périple un peu fastidieux, mais que je ne regrette pas d’avoir achevé.
Un pont sur la brume, de Kij Johnson

Signé Bookfalo Kill
Depuis toujours, l’Empire est coupé en deux par un large fleuve de brume au sein duquel se cachent des créatures aussi mystérieuses que dangereuses. Seuls quelques passeurs courageux, à l’espérance de vie assez brève, réussissent à franchir l’obstacle sur leurs bateaux, assurant le lien vital entre les deux parties du territoire. Kit Meinem d’Atyar, l’un des plus brillants architectes de l’Empire, est alors mandaté pour construire un pont qui ralliera enfin sans péril les deux rives…
Un pont sur la brume est la première traduction française autonome d’un texte de Kij Johnson, auteure aux États-Unis d’une œuvre abondante comprenant trois romans et une cinquantaine de novellas et nouvelles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela donne envie d’en découvrir davantage.
Cette novella (124 pages) évolue en effet dans un monde bien à elle, un univers de fantasy mâtiné de fantastique à mi-chemin entre Lovecraft et le Stephen King de… Brume. Hé oui, déjà chez King, on trouvait un brouillard envahissant au cœur duquel des créatures terrifiantes semaient l’inquiétude et la mort. Pour autant, Kij Johnson n’entraîne pas son récit vers l’horreur, lui préférant une histoire de bâtisseur assez étonnante, à la fois précise, technique et profondément humaniste.
Car le propos d’Un pont sur la brume n’est pas d’effrayer le lecteur, même si certaines scènes de traversée de la brume se chargent d’une intensité saisissante. La romancière s’attache à détailler un projet de construction ambitieux, réalisé avec des moyens rustiques (des attelages de bœufs tirent les chargements de pierre, tout est fait de manière manuelle et nécessite de nombreux ouvriers…), dont l’objectif est de rapprocher les gens, d’améliorer leur quotidien et, si ce n’est de dominer la peur, au moins de la contourner, de passer par-dessus.
Au fil de ces pages étonnamment poétiques, Johnson suggère aussi les contours d’un monde plus vaste, l’Empire, avec ses règles, ses villes, ses paysages, dont on n’entrevoit que des bribes prometteuses. J’ignore si l’auteure explore ce territoire dans d’autres livres – espérons que l’avenir nous le dira -, mais cela donne très envie d’en savoir davantage.
En attendant, si vous aimez les voyages inattendus et les belles aventures humaines, embarquez sans hésiter pour Procheville et Loinville, les deux cités séparées par le fleuve de brume, et œuvrez à la construction de ce pont mémorable.
(P.S.: merci à Jean-Marc Laherrère du blog Actu du Noir pour cette découverte !)
Un pont sur la brume, de Kij Johnson
(The Man Who Bridged The Mist, traduit de l’américain par Sylvie Denis)
Éditions le Bélial, coll. Une heure lumière, 2016
ISBN 978-2-84344-908-6
124 p., 9,90€
Les loups à leur porte, de Jérémy Fel
Signé Bookfalo Kill
Une maison qui brûle au fin fond de l’Arkansas. Un jeune homme qui kidnappe un enfant pour lui sauver la vie. Une femme fuyant à travers le temps et les Etats-Unis l’ombre effroyable du père de son fils, psychopathe de la pire espèce. Les vibrations maléfiques d’un manoir nommé Manderley dans la région d’Annecy. Un jeune garçon effacé qui découvre le mal et y prend goût. Un mari dévoré par la jalousie et qui commet l’irréparable.
Ils sont tous là, et d’autres encore, tissant de leurs histoires la toile d’une seule et même histoire, celle du mal qui rôde et hante notre monde…
Si Stephen King était mort (heureusement ce n’est pas le cas), on dirait qu’il s’est réincarné et qu’il est français. Clairement, l’ombre du Maître de l’horreur américain plane sur ce premier roman impressionnant, signé par un jeune auteur hexagonal qui n’a vraiment pas froid aux yeux. On pourrait du reste citer d’autres références : Laura Kasischke ou Joyce Carol Oates côté roman, David Lynch ou M. Night Shyamalan (bonne période) côté cinéma. Entre autres. Sans nul doute, Jérémy Fel s’en est nourri et les a intégrés à son bagage culturel. Le résultat, son livre, n’en est pas pour autant une pâle copie de ces créations, mais bien SON œuvre, dense, sombre et implacable.
Dès les premières pages, un long frisson nous vrille la nuque. Il suffit de quelques images faussement idylliques et d’un art de la suggestion magistral. Nous sommes en présence du mal, qui s’accrochera au livre jusqu’à ses dernières pages sans jamais lâcher prise. Le mal est LE personnage principal du roman. Les loups à leur porte, quel plus beau titre pouvait choisir Jérémy Fel pour évoquer cette idée que le mal est là, partout, en embuscade, prêt à frapper n’importe qui, n’importe quand, y compris (surtout) les gens normaux et sans histoire ? Les loups à leur porte, c’est la menace constante de tout voir s’écrouler, la sensation qu’un vide abyssal s’ouvre derrière la première porte venue.
Pour fragiliser son lecteur et ne lui laisser aucun répit, Jérémy Fel s’appuie sur une construction brillante. Son roman est un kaléidoscope d’histoires apparemment sans lien, qui multiplient personnages et lieux, des États-Unis à la France en passant par l’Angleterre, pour mieux renouveler à chaque chapitre la jubilatoire entreprise de déstabilisation du spectateur – je dis à dessein « spectateur », car il y a aussi quelque chose d’éminemment visuel dans le style direct et puissant de l’auteur, qui nous flanque à la figure images inoubliables et sensations fortes sans se soucier de nous laisser respirer.
Clairement, Les loups à leur porte n’est pas tout public. La violence s’y exerce souvent, avec un raffinement de cruauté, et Fel explore le mal sous toutes ses facettes, des plus brutales aux plus sournoises. Il ne recule devant rien et c’est ce qui fait la force inoubliable de ce premier roman plus que prometteur, l’un des vrais chocs de cette rentrée. Tu es prévenu, ami lecteur. Toi qui entres ici, abandonne toute espérance. (Ou presque.)
Les loups à leur porte, de Jérémy Fel
Éditions Rivages, 2015
ISBN 978-2-7436-3324-0
434 p., 20€
Dark Country, de Thomas Ott
Signé Bookfalo Kill
Pas facile de parler d’un album de 56 pages sans aucun dialogue, surtout quand tout son intérêt réside dans la découverte d’une histoire – sombre, comme le titre l’indique – dont les images se suffisent à elles-mêmes.
Tout juste pourrais-je dire que l’on s’embarque avec un couple de jeunes mariés, sur la route d’un voyage de noces dont la destination est inconnue. Malheureusement, le charme se brise pour eux lorsque leur voiture percute un homme en pleine nuit, et que débute alors un cauchemar sans nom…
Adapté d’un roman de Tab Murphy, lui-même adapté auparavant par Thomas Jane en film (que Thomas Ott n’a pas vu, livrant ainsi sa propre interprétation du texte original), Dark Country est donc une petite merveille de noirceur. Dans tous les sens du terme, puisque l’histoire, qui aurait pu être une excellente nouvelle de Stephen King, déroule son récit horrifique dans un noir et blanc hachuré du plus bel effet, donnant la part belle à la première des deux couleurs pour une atmosphère stressante et étouffante à souhait.
Pour continuer sur l’aspect formel de l’album, Ott joue en plus sur les référents cinématographiques, en usant le plus souvent de cadres allongés façon Cinémascope, qui étire l’image pour lui ajouter zones d’ombre et suggestions d’un hors-champ inquiétant.
Le livre en lui-même est également une jolie réussite : relié, doté d’une couverture toilée du plus bel effet, et impeccablement réalisé avec ses pages noires qui enferment le lecteur dans l’obscurité du récit. Un beau travail des éditions l’Apocalypse, qui explique le prix un peu élevé d’un album aussi court. Le voyage vaut le coup, néanmoins !
Dark Country, de Thomas Ott
Éditions l’Apocalypse, 2013
ISBN 978-2-36731-019-0
56 p., 19€
Miss Peregrine et les enfants particuliers, de Ransom Riggs
Signé Bookfalo Kill
Quand il était petit, Jacob Portman était fasciné par les récits fantastiques de son grand-père Abraham, illustrés par des photographies bizarres, presque dérangeantes. Il y était question de voyages autour du monde, d’explorations incroyables, et surtout du séjour qu’Abe avait effectué dans un mystérieux orphelinat sur Cairholm, une île au large du Pays de Galles, au début de la Seconde Guerre mondiale. En grandissant, cependant, Jacob avait fini par décider qu’il n’y avait rien de vrai dans ces histoires, il avait pris ses distances et était devenu un adolescent terne et peu sociable, tandis que son grand-père semblait perdre la boule, seul dans sa maison.
Un soir, Jake retrouve Abraham assassiné dans son jardin, le corps lacéré par une créature terrifiante qu’il est le seul à avoir le temps d’apercevoir avant qu’elle disparaisse dans la nuit. Choqué, ébranlé, le garçon s’enfonce dans le mutisme et s’isole encore plus. Jusqu’à ce que son psy l’encourage à écouter les dernières paroles incohérentes prononcées par son grand-père, et à se rendre sur Cairnholm, accompagné de son père, pour essayer d’y retrouver une trace de l’orphelinat et de ses étranges occupants…
Voilà un drôle de roman ! Aussi « particulier » que les enfants qui l’habitent. Inclassable. A tel point que les éditions Bayard Jeunesse, qui le publient, ont gommé leur nom sur la couverture… Une manière de suggérer que ce roman, s’il semble être destiné à de jeunes lecteurs, peut toucher plus large. En tout cas, c’est sans doute un livre à ne pas faire lire avant 14 ans, au minimum.
D’abord parce que le style de Ransom Riggs, soigné et classique, appelle un bon niveau de lecture.
Ensuite, parce que le récit est riche, parsemé d’indices, de références historiques – notamment à la Seconde Guerre mondiale – et de réflexions sur le temps ou l’immortalité.
Enfin et surtout, parce que certains événements du livre peuvent s’avérer dérangeants, voire violents. Quelques passages évoquent Stephen King, tout simplement ! (Notamment une scène de réanimation de cadavre humain à moitié dévoré, à l’aide de cœurs d’animaux…)
Puis il y a les photos qui illustrent régulièrement le récit. En noir et blanc, magnifiques, souvent intrigantes, elles frappent l’imaginaire et sont au coeur du projet de Ransom Riggs. Ce jeune auteur collectionne en effet les photos d’inconnus, notamment les plus bizarres possibles, et il s’en est inspiré pour créer personnages et situations de son roman. Une fillette en lévitation, un adolescent couvert d’abeilles, la silhouette à contre-jour d’une vieille femme fumant une pipe… Tous ont nourri l’imagination du romancier et apparaissent dans l’histoire.
Déconcertant, singulier, Miss Peregrine et les enfants particuliers est un roman extrêmement prenant, où un fantastique mesuré se dispute à un réel à peine moins effrayant. Jacob y est un héros complet et complexe, peu sympathique de prime abord, mais auquel on finit par s’attacher lorsque la découverte des secrets de son grand-père l’amène à se révéler et à prendre en main son existence – surtout lorsqu’une jolie histoire d’amour s’en mêle… Les personnages comme les paysages (formidable Cairnholm) sont merveilleux et impriment une empreinte durable dans l’esprit du lecteur.
Oui, il y a du Stephen King dans ce roman, et du meilleur. Celui de Ça, par exemple. La même capacité à créer un vaste univers et à l’investir corps et âme, à rendre le fantastique crédible. La même énergie narrative. Le même esprit d’aventure, pas loin de la naïveté mais jamais mièvre. De quoi donner très envie de retrouver rapidement Jake et les enfants particuliers.
Ça tombe bien : la fin est sans équivoque et Ransom Riggs l’a déjà confirmé sur son site, il y aura une suite. Vivement !
Miss Peregrine et les enfants particuliers, de Ransom Riggs
Éditions Bayard Jeunesse, 2012
ISBN 978-2-7470-3791-4
438 p., 14,50€