Ragdoll
Un cadavre, six morts.
Non content d’avoir assassiné six personnes non identifiées, un psychopathe particulièrement allumé s’est donné la peine de coudre ensemble différentes parties de leurs corps pour n’en former qu’un seul. Une macabre poupée de chair qu’il a ensuite suspendue derrière la baie vitrée d’un appartement, le doigt tendu vers l’immeuble d’en face.
Ou, pour être plus précis, vers l’appartement de l’inspecteur William « Wolf » Fawkes.
« Wolf » n’en demandait pas tant. Il reprend tout juste du service au Metropolitan Police Service de Londres, après avoir sévèrement pété les plombs quelques mois plus tôt à la fin d’une autre affaire effroyable, craquage en règle qui lui a valu un bref enfermement en hôpital psychiatrique. Autant dire qu’il n’avait pas besoin de replonger aussi vite dans le sordide intégral.
Et encore moins besoin que le tueur, fin manipulateur, envoie à son ex-femme, journaliste de son état, une liste de six noms escortés de six dates annonçant le jour de leur mort. Surtout qu’il connaît très bien le dernier nom de la liste.
C’est le sien…
Je serais tenté de m’exclamer « Quelle tuerie ! » au sujet de ce premier roman spectaculaire, mais étant donné le nombre de cadavres qui s’y accumulent, j’ai peur de tomber dans la mauvaise blague.
Néanmoins, cela faisait longtemps qu’un thriller ne m’avait pas embarqué avec autant de conviction, d’énergie et de savoir-faire. Pourtant, le résumé pourrait effrayer. Pas parce que l’histoire fait peur, mais parce que cette accumulation de violence, de folie et de vice semble un poil exagérée.
De fait, elle l’est. Ragdoll n’est pas le genre de polar que l’on lit pour son réalisme. C’est un thriller « hénaurme », conçu pour être haletant, inlâchable, étourdissant. Plus c’est dingue, mieux c’est. Il faut garder en tête cette règle du jeu – parce que c’est un jeu, un jeu littéraire – et l’accepter sans condition, sous peine de ne pas adhérer à la mécanique du livre.
La comparaison avec le film Seven, de David Fincher, est un peu facile ; je me dois pourtant de la faire, car Ragdoll chasse sur ces terres-là. Atmosphère lourde, crimes terrifiants, esprit criminel virtuose, indices et fausses pistes se mêlant à l’envi, flics tenaces : tous les ingrédients sont réunis. Et drôlement bien agencés, au rythme d’un thriller qui ne laisse aucun répit au lecteur, tout en le soulageant grâce à une savante distillation d’humour (souvent noir), et à des personnages formidablement campés.
Autour de Wolf, archétype de flic fracassé de partout, forcément divorcé, les acteurs de ce drame sous haute tension ont le temps de creuser leur sillon. De Baxter, l’adjointe bravache et douée, à Edmunds, l’intello parachuté à la Criminelle, en passant par Andrea, la fameuse ex journaliste de Wolf, tous ont de l’épaisseur, et donnent envie de les suivre. Règle sine qua non de ce genre de livre : si on ne croit pas aux personnages, à leur humanité, tout le reste devient ridicule. Ce sont eux qui composent l’architecture invisible du thriller. Eux, qui nous font accepter l’improbable, et suivre l’enquête jusqu’au bout sans tergiverser.
En fait de comparaison, tiens, j’y pense : on pourrait plutôt citer l’excellente série de la BBC Luther (au moins les deux premières saisons), qui se rapproche plus encore de Ragdoll que Seven. Le Luther incarné par Idriss Elba constituerait une équipe de choc (mais totalement ingérable) avec Wolf. Et Londres, dans la série comme dans le roman, s’avère un formidable terrain de jeu (hé oui, le jeu, encore) pour un thriller à l’ambiance crépusculaire.
Seul petit bémol, si l’on doit en mentionner un : la fin de Ragdoll annonce une suite, car c’est ainsi, en trilogie, que Daniel Cole a conçu son œuvre. Pour ne pas finir frustré, il faut donc se ruer sur L’Appât puis sur Les Loups, deuxième et troisième volets de cette histoire.
Évidemment, on en recause très vite.
C’est tellement rare, qu’il faut le signaler : on n’est pas du même avis ;-).
Je n’ai rien aimé dans ce livre
4 février 2020 à 07:05
Il faut bien que ça arrive de temps en temps ;-)
Sur le papier, ce polar aurait dû m’agacer, ou ne pas me convaincre. Mais, je ne sais pas, il y a quelque chose dans l’approche de Daniel Cole, son énergie, sa sincérité à mener son histoire, qui m’a totalement emporté.
Et ce n’est pas un coup isolé, parce que j’ai tout autant aimé la suite – qui est pourtant encore plus « hénaurme » que le premier !!!
C’est bizarre, les coups de cœur, parfois…
4 février 2020 à 07:20
c’est marrant moi j’ai vu tout sauf de la sincérité, comme quoi les ressentis…
4 février 2020 à 07:42
Les ressentis, oui, et les moments dans la vie du lecteur. Quand j’ai choisi de lire Ragdoll, c’est exactement ce que je recherchais à ce moment-là.
Ce qui m’a plus étonné, encore une fois, c’est que j’adhère autant, si ce n’est plus, au deuxième tome, qui est pourtant beaucoup plus exagéré. Sachant, en plus, que j’avais adoré Ragdoll et que mes attentes étaient assez hautes… Comme quoi, il y a chez Daniel Cole quelque chose qui marche pour moi – et pas pour toi ! Ca arrive, et tant mieux. Nos différences font nos richesses :)
4 février 2020 à 09:05
La différence est toujours une richesse ! Donc oui, c’est intéressant
5 février 2020 à 06:19
Une chronique qui ne peut laisser indifférent ! Est-ce que tu le conseillerais pour commencer à lire ce genre littéraire ou plus pour des lecteurs chevronnés de thrillers ?
4 février 2020 à 07:26
Bonne question ! Et jamais facile d’y répondre, je l’avoue… Je pense que ça peut marcher, oui, à partir du moment où l’on garde bien en tête ce que je précise dans la chronique : c’est du thriller pur et dur, qui cherche les sensations extrêmes et ne rechigne pas sur les effets pour les produire.
Pour le dire autrement, il faut un peu « débrancher » le cerveau pour se laisser porter et l’apprécier ;-)
Après, le genre du thriller est tellement riche, j’aurais du mal à dire s’il y a un titre ou un auteur plus important que les autres pour commencer… Ça demande une bonne discussion avec le lecteur, histoire de voir ce qu’il recherche exactement ;-)
4 février 2020 à 09:08
Je commence juste à ressentir l’envie de m’aventurer dans la littérature de genre et je crois que même moi je ne sais pas ce qui me conviendrait (ah bah on est bien partis… ahah). Je vais prendre du temps pour faire le tour de chroniques je pense pour saisir aussi la diversité. J’aime la littérature engagée alors je pense qu’il me fait aussi cet aspect thématique dans d’autres genres. L’enquête commence. 😊 Merci beaucoup pour ta réponse ! 🙏🏻
5 février 2020 à 07:33
De rien ! Bonne(s) exploration(s) :)
13 février 2020 à 07:17
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