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Ragdoll

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Un cadavre, six morts.
Non content d’avoir assassiné six personnes non identifiées, un psychopathe particulièrement allumé s’est donné la peine de coudre ensemble différentes parties de leurs corps pour n’en former qu’un seul. Une macabre poupée de chair qu’il a ensuite suspendue derrière la baie vitrée d’un appartement, le doigt tendu vers l’immeuble d’en face.
Ou, pour être plus précis, vers l’appartement de l’inspecteur William « Wolf » Fawkes.
« Wolf » n’en demandait pas tant. Il reprend tout juste du service au Metropolitan Police Service de Londres, après avoir sévèrement pété les plombs quelques mois plus tôt à la fin d’une autre affaire effroyable, craquage en règle qui lui a valu un bref enfermement en hôpital psychiatrique. Autant dire qu’il n’avait pas besoin de replonger aussi vite dans le sordide intégral.
Et encore moins besoin que le tueur, fin manipulateur, envoie à son ex-femme, journaliste de son état, une liste de six noms escortés de six dates annonçant le jour de leur mort. Surtout qu’il connaît très bien le dernier nom de la liste.
C’est le sien…


Daniel ColeJe serais tenté de m’exclamer « Quelle tuerie ! » au sujet de ce premier roman spectaculaire, mais étant donné le nombre de cadavres qui s’y accumulent, j’ai peur de tomber dans la mauvaise blague.
Néanmoins, cela faisait longtemps qu’un thriller ne m’avait pas embarqué avec autant de conviction, d’énergie et de savoir-faire. Pourtant, le résumé pourrait effrayer. Pas parce que l’histoire fait peur, mais parce que cette accumulation de violence, de folie et de vice semble un poil exagérée.
De fait, elle l’est. Ragdoll n’est pas le genre de polar que l’on lit pour son réalisme. C’est un thriller « hénaurme », conçu pour être haletant, inlâchable, étourdissant. Plus c’est dingue, mieux c’est. Il faut garder en tête cette règle du jeu – parce que c’est un jeu, un jeu littéraire – et l’accepter sans condition, sous peine de ne pas adhérer à la mécanique du livre.

La comparaison avec le film Seven, de David Fincher, est un peu facile ; je me dois pourtant de la faire, car Ragdoll chasse sur ces terres-là. Atmosphère lourde, crimes terrifiants, esprit criminel virtuose, indices et fausses pistes se mêlant à l’envi, flics tenaces : tous les ingrédients sont réunis. Et drôlement bien agencés, au rythme d’un thriller qui ne laisse aucun répit au lecteur, tout en le soulageant grâce à une savante distillation d’humour (souvent noir), et à des personnages formidablement campés.
londonpoliceAutour de Wolf, archétype de flic fracassé de partout, forcément divorcé, les acteurs de ce drame sous haute tension ont le temps de creuser leur sillon. De Baxter, l’adjointe bravache et douée, à Edmunds, l’intello parachuté à la Criminelle, en passant par Andrea, la fameuse ex journaliste de Wolf, tous ont de l’épaisseur, et donnent envie de les suivre. Règle sine qua non de ce genre de livre : si on ne croit pas aux personnages, à leur humanité, tout le reste devient ridicule. Ce sont eux qui composent l’architecture invisible du thriller. Eux, qui nous font accepter l’improbable, et suivre l’enquête jusqu’au bout sans tergiverser.

En fait de comparaison, tiens, j’y pense : on pourrait plutôt citer l’excellente série de la BBC Luther (au moins les deux premières saisons), qui se rapproche plus encore de Ragdoll que Seven. Le Luther incarné par Idriss Elba constituerait une équipe de choc (mais totalement ingérable) avec Wolf. Et Londres, dans la série comme dans le roman, s’avère un formidable terrain de jeu (hé oui, le jeu, encore) pour un thriller à l’ambiance crépusculaire.

L'appât GFSeul petit bémol, si l’on doit en mentionner un : la fin de Ragdoll annonce une suite, car c’est ainsi, en trilogie, que Daniel Cole a conçu son œuvre. Pour ne pas finir frustré, il faut donc se ruer sur L’Appât puis sur Les Loups, deuxième et troisième volets de cette histoire.
Évidemment, on en recause très vite.


Luther : l’alerte, de Neil Cross

Signé Bookfalo Kill

John Luther est un flic hors normes. Grand par la taille, ce géant noir l’est aussi par ses compétences, que tous s’accordent à trouver remarquables. Mais il est aussi dévoré par l’empathie qu’il éprouve pour les victimes, au point d’en perdre le sommeil et la tranquillité. Epuisé, rongé par le côté sombre de l’âme humaine auquel il est confronté chaque jour, il se tient lui-même sur le fil de la violence, jouant sans cesse avec les limites de la loi et de ce que peuvent supporter ses proches – surtout sa femme, Zoé.
Lorsqu’un tueur effroyable massacre un couple et arrache à la femme le bébé qu’elle avait dans le ventre, Luther s’apprête autant à lutter contre un monstre insaisissable que contre lui-même…

Cross - Luther l'alerteCela fait un moment que j’entends dire le plus grand bien de Luther, la série de la BBC dans laquelle Idris Elba incarne avec maestria, paraît-il, le personnage-titre. Avant même d’avoir eu le temps d’y jeter un coup d’oeil, j’ai donc opté pour la lecture de ce roman qui vient de paraître, écrit par le créateur de la série après l’avènement de cette dernière, et qui en raconte un épisode indépendant (un prequel, d’après l’éditeur).
Première chose qui saute aux yeux : Neil Cross est bien scénariste. Son écriture, déroulée au présent de l’indicatif et extrêmement factuelle, est dépourvue de style, efficace avant tout. Elle véhicule beaucoup de détails visuels qui pourraient être signifiants dans un film, mais ne le sont pas dans un roman. Paradoxalement, certains dialogues, qui auraient pu être rédigés, sont juste rapportés de manière indirecte, expéditive et neutre. En résumé, ne lisez pas Luther : l’alerte pour la plume de l’auteur, elle est d’une platitude affligeante.

L’histoire, quant à elle, est prenante comme un bon thriller, et doit beaucoup à la personnalité complexe de son héros, dont Neil Cross reconnaît, dans ses remerciements, qu’elle doit beaucoup à l’incarnation à l’écran d’Idris Elba – et l’on revient, inlassablement, à la prééminence de la série sur le roman.
Bon thriller, donc, mais pas plus. Le tueur est un dingue psychopathe dont la folie remonte à l’enfance, les personnages (bien campés dans l’ensemble) se déchirent dans l’atmosphère crépusculaire d’un Londres inquiétant, la presse s’en mêle, et quelques intrigues secondaires viennent offrir des respirations plus ou moins intéressantes au fil narratif principal.
Rien d’original ni de bouleversant, ce qui fait de Luther : l’alerte une sorte de méga-épisode de série télé, dans la norme, ni plus ni moins.

Bref, un polar que l’on lit vite et jusqu’au bout parce qu’il est facile et efficace, mais qui n’apporte rien au genre. J’espère que, comme des gens de goût me l’ont laissé entendre, la série vaudra mieux que cela.

Luther : l’alerte, de Neil Cross
Traduit de l’anglais par Renaud Morin
Éditions Belfond, 2013
ISBN 978-2-7144-5301-3
346 p., 20,50€