Voilà un éditeur dont je lis régulièrement des parutions, notamment en récit de voyage, grand reportage ou témoignage – ce que les Américains, maîtres du genre, appellent « narrative non-fiction », et que les éditions du Sous-Sol ont beaucoup publié. On retrouve notamment chez eux David Grann, Deborah Levy, Maggie Nelson, ou les textes fondateurs de Joseph Mitchell, Nellie Bly et Gay Talese. Néanmoins, le travail de cette petite maison adossée au Seuil et dirigée par Adrien Bosc ne se limite pas à cette chambre littéraire, puisqu’elle publie aussi de la fiction, souvent audacieuse voire d’avant-garde, à la manière de Ben Marcus, Mordecai Richler ou, plus récemment et avec un certain succès, La Trajectoire des confettis de Marie-Eve Thuot. Les trois titres qui composent le programme de rentrée littéraire des éditions du Sous-Sol résument parfaitement ces différentes tendances à l’œuvre dans la maison, et proposent des escapades prometteuses en singularité.
Notre part de nuit, de Mariana Enriquez (traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet)
Gaspar, un petit garçon dont la mère a disparu dans des circonstances étranges, a hérité d’un don qui le destine, comme son père, à faire office de médium pour une obscure société secrète dont l’objectif est de percer les secrets de la vie éternelle. Ensemble, Gaspar et son père prennent la route, traversant le Londres psychédélique des années 1970 et l’Argentine des années 1980 sous la dictature. 768 pages pour ce roman sûrement pas tous terrains, mais dont l’originalité et la richesse du propos pourraient offrir l’une de ces offres radicalement différentes dont on a besoin dans une rentrée littéraire.
Le Secret de Joe Gould, de Joseph Mitchell (traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Porte)
Portrait de Joe Gould (1889-1957), marginal et figure de Greenwich Village dans la première moitié du XXe siècle. Personnage radical et poignant qui se dit l’auteur du plus long manuscrit jamais écrit (dont on n’a jamais retrouvé la trace), il fascine le journaliste du New Yorker qui le rencontre en 1942 et lui consacre ce livre paru en 1964. Réédition d’un texte déjà publié deux fois en France, chez Autrement et Calmann-Lévy.
La Semaine perpétuelle, de Laura Vazquez
Le père rêve d’une éponge qui lave le passé. La mère est partie, il dit qu’elle n’existe plus. Sorti du monde, le fils poste des vidéos sur Internet et il écrit des poèmes. La fille ne supporte pas la réalité trop proche et toutes ces personnes qui avancent avec leurs millions de détails. La grand-mère entend les clignements et les soupirs de chaque moustique. Tout ce qui leur arrive est dans l’ordre du monde. Premier roman de Laura Vazquez, qui porte la marque de son œuvre de poétesse, ce livre se distingue, selon son éditeur, par une « écriture animiste, où toutes les choses du monde peuvent parler – où le monde est possédé. » Bref, sûrement pas tout public non plus, mais les amateurs de style singulier devraient s’y intéresser.
BILAN
Lectures potentielles : Notre part de nuit, de Mariana Enriquez Le Secret de Joe Gould, de Joseph Mitchell
Scénario : Georges Abolin Dessin : Olivier Pont Couleurs : Jean-Jacques Chagnaud
Éditions Dargaud, 2004
Tome 1 : ISBN 9782205050929 96 p.
Tome 2 : ISBN 9782205050981 98 p.
16,50 €
TOME 1
1906, Barellito. Une famille venue de Londres emménage au bord de la mer, dans un petit village d’Italie. Le père veut se consacrer à la pêche. Le fils, William, se réjouit déjà à l’idée de courir en pleine nature, loin de la grisaille londonienne. Et puis, il y a Lisa, la petite voisine aux cheveux noirs qui l’a si gentiment accueilli…
Mais les habitants de Barellito ne cachent pas leur hostilité aux nouveaux arrivants. Ils n’apprécient pas que des » étrangers » s’installent chez eux. Quant à Lisa, elle semble douée d’étranges pouvoirs…
TOME 2
Des années après leur séparation, devenus adultes, Lisa, William, Paolo et Nino se retrouvent enfin, à Istanbul où réside Lisa. Celle-ci leur apprend qu’elle vient de perdre l’enfant qu’elle attendait et que son compagnon, Thomas, l’a quittée précipitamment.
Pour William, Paolo et Nino, la surprise est totale et les souvenirs reviennent vite à la surface.
Lisa leur demande de l’accompagner au Costa Rica où se trouverait Thomas. C’est aussi là que la réponse à leurs étranges visions se trouve…
Le résumé et les premières pages du premier album laissent imaginer (voire craindre) une histoire très classique, déjà vue déjà lue. Un village perdu en pleine nature, dans le sud sauvage de l’Italie, au début du XXème siècle, une histoire d’amitié enfantine, le choc entre modernité et mode de vie ancestral, la méfiance haineuse vis-à-vis de l’étranger et de la nouveauté… Les ingrédients sont très familiers.
Pourtant on se laisse happer sans problème. Parce que Georges Abolin mène parfaitement son récit, à la fois conscient de sa banalité apparente, et des surprises qu’il va peu à peu y apporter. Parce qu’Olivier Pont s’empare à merveille du cadre naturel de l’histoire, prenant le temps, parfois sur une page complète, de ménager des pauses dans l’histoire pour laisser le temps au lecteur d’admirer cette Italie sauvage et merveilleuse. Et parce que Jean-Jacques Chagnaud, par son magnifique travail sur les couleurs, jette un éclat somptueux sur ces images. Ça vaut tous les catalogues d’office du tourisme ou d’agences de voyage – même si Barellito est imaginaire, il est probable que ces coins de côte existent vraiment quelque part.
Côté dessin, je reprocherais toutefois certaines approximations dans la représentation des personnages, notamment des enfants dont les corps aux postures parfois étranges et les visages à l’âge indéfinissable peinent à évoquer de vrais enfants. Surtout Paolo et Nino, moins soignés que Lisa et William. Cette remarque s’étend au deuxième tome, où certaines cases souffrent des mêmes défauts. Mais c’est loin d’être rédhibitoire.
Quant à l’histoire imaginée par Georges Abolin, c’est évidemment le point fort du diptyque. Le scénariste, on pouvait s’en douter, ne s’en tient pas à l’apparente pagnolade des premières pages. Peu à peu le mystère s’installe, liant les enfants, tous nés le même jour, à une histoire étrange qui va révéler sa force à la fois belle et tragique dans le deuxième tome. Dès le premier volume, des doubles pages inattendues introduisent une rupture, à la fois graphique (elles sont à dominante de brun, de rouge, d’orange et de jaune) et narrative, puisqu’elles semblent évoquer des histoires très anciennes, étrangères aux héros. Pour les explications, encore une fois, il faudra attendre la deuxième partie du récit, dans un balancement fort bien conçu.
Une pointe de fantastique, discrète mais prégnante, vient ensuite perturber le ronronnement trompeur du récit, qui ouvre la porte à une superbe réflexion sur le rapport que nous entretenons avec le temps, sur la nécessité de penser son existence comme une chance à brûler, mais aussi sur l’amitié et la passion, au-delà de toutes les limites concevables.
Puis le deuxième tome achève le basculement. Au revoir le charme bucolique de l’Italie, bienvenue dans l’aventure et l’exotisme. D’Istanbul à la jungle du Costa Rica, les trois auteurs s’en donnent à cœur joie – le dessinateur et le coloriste faisant plus que jamais étalage de leur art à croquer et sublimer des décors foisonnants, tandis que le scénariste entraîne le lecteur dans un périple pour le moins surprenant.
Seize ans après sa parution, le diptyque d’Abolin, Pont et Chagnaud reste une référence de la bande dessinée, signe qu’une bonne histoire, habitée par ses metteurs en scène, peut devenir intemporelle dès lors qu’elle est sincère et imaginative. Un classique pas si classique, à lire avec plaisir.
Meurtre sensationnel à New York : un cadavre atrocement mutilé est suspendu entre les piles du pont de Brooklyn. Plus incroyable encore, le corps de son meurtrier gît à ses pieds. Sur le corps de la victime, un mot : « APPÂT ». Sur le corps du meurtrier, un mot : « MARIONNETTE ». Un dernier détail, et non des moindres : la victime s’appelle William Fawkes. Il n’en faut pas plus aux agents du F.B.I. Eliot Curtis et Damien Rouche, chargés de l’enquête, pour prendre contact avec Emily Baxter, devenue inspectrice principale à New Scotland Yard après l’affaire Ragdoll. Et découvrir que tout ceci n’est que le début d’une nouvelle longue série…
Comme je le disais dans mon article précédent, L’Appât est la suite directe de Ragdoll. Les deux romans sont étroitement liés, interdépendants, tout comme l’est le troisième, Les Loups. Impossible donc de ne pas avoir lu le premier opus, auquel sont faits de nombreux renvois, avant d’attaquer celui-ci.
Ceci mis à part, encore une fois, quel pied !
Pourtant, je m’attendais à être déçu, ou au moins pas convaincu par cette suite. Avoir adoré Ragdollm’avait tant surpris que j’imaginais mal reprendre un plaisir similaire. Pour moi, aimer Ragdollétait une aberration personnelle, étant donné le mal que j’ai maintenant à apprécier les thrillers purs et durs.
Mais quand c’est bien fait, comment résister ? C’est exactement le petit miracle que Daniel Cole est parvenu à reproduire avec L’Appât. Le scénario est pourtant encore plus aberrant que celui de Ragdoll, le tempo encore plus échevelé, l’esprit criminel à la manœuvre encore plus dingue – à un point, évidemment, où l’on quitte allègrement les rives du vraisemblable en plusieurs moments du roman.
Hé bien, malgré cette restriction qui aurait dû constituer un défaut majeur pour moi, je crois que j’ai encore plus aimé L’Appât que Ragdoll. Aberrant, je vous dis !
Mais Daniel Cole est follement doué, tout simplement. Maître du rythme, distillateur de rebondissements insoutenables, concepteur de scènes hallucinantes, extrêmement visuelles, le jeune romancier m’a baladé dans tous les coins de son intrigue sans que je trouve seulement le temps de me poser pour protester.
Du côté des personnages, William Fawkes ayant disparu de la circulation depuis la fin de Ragdoll, j’ai aimé suivre la redoutable Emily Baxter en première ligne, ambivalente, parfois exaspérante, et pourtant follement attachante. Edmunds, toujours aussi juste, mériterait davantage d’espace. Quant aux petits nouveaux, notamment les Américains, ils apportent leur mélodie personnelle sans fausse note – avec une mention spéciale pour Damien Rouche, dont le côté décalé et lunaire apporte un contrepoint efficace à Baxter.
Bref, j’ai encore couru comme un lapin, j’ai adoré ça, et je persiste à recommander l’ami Daniel Cole avec le plus grand enthousiasme. En attendant de lire Les Loups, dont je n’ai fait que commencer les premières pages par manque de temps jusqu’à présent… Verdict final dans quelque temps, donc !
Un cadavre, six morts. Non content d’avoir assassiné six personnes non identifiées, un psychopathe particulièrement allumé s’est donné la peine de coudre ensemble différentes parties de leurs corps pour n’en former qu’un seul. Une macabre poupée de chair qu’il a ensuite suspendue derrière la baie vitrée d’un appartement, le doigt tendu vers l’immeuble d’en face. Ou, pour être plus précis, vers l’appartement de l’inspecteur William « Wolf » Fawkes. « Wolf » n’en demandait pas tant. Il reprend tout juste du service au Metropolitan Police Service de Londres, après avoir sévèrement pété les plombs quelques mois plus tôt à la fin d’une autre affaire effroyable, craquage en règle qui lui a valu un bref enfermement en hôpital psychiatrique. Autant dire qu’il n’avait pas besoin de replonger aussi vite dans le sordide intégral. Et encore moins besoin que le tueur, fin manipulateur, envoie à son ex-femme, journaliste de son état, une liste de six noms escortés de six dates annonçant le jour de leur mort. Surtout qu’il connaît très bien le dernier nom de la liste. C’est le sien…
Je serais tenté de m’exclamer « Quelle tuerie ! » au sujet de ce premier roman spectaculaire, mais étant donné le nombre de cadavres qui s’y accumulent, j’ai peur de tomber dans la mauvaise blague.
Néanmoins, cela faisait longtemps qu’un thriller ne m’avait pas embarqué avec autant de conviction, d’énergie et de savoir-faire. Pourtant, le résumé pourrait effrayer. Pas parce que l’histoire fait peur, mais parce que cette accumulation de violence, de folie et de vice semble un poil exagérée.
De fait, elle l’est. Ragdolln’est pas le genre de polar que l’on lit pour son réalisme. C’est un thriller « hénaurme », conçu pour être haletant, inlâchable, étourdissant. Plus c’est dingue, mieux c’est. Il faut garder en tête cette règle du jeu – parce que c’est un jeu, un jeu littéraire – et l’accepter sans condition, sous peine de ne pas adhérer à la mécanique du livre.
La comparaison avec le film Seven, de David Fincher, est un peu facile ; je me dois pourtant de la faire, car Ragdollchasse sur ces terres-là. Atmosphère lourde, crimes terrifiants, esprit criminel virtuose, indices et fausses pistes se mêlant à l’envi, flics tenaces : tous les ingrédients sont réunis. Et drôlement bien agencés, au rythme d’un thriller qui ne laisse aucun répit au lecteur, tout en le soulageant grâce à une savante distillation d’humour (souvent noir), et à des personnages formidablement campés. Autour de Wolf, archétype de flic fracassé de partout, forcément divorcé, les acteurs de ce drame sous haute tension ont le temps de creuser leur sillon. De Baxter, l’adjointe bravache et douée, à Edmunds, l’intello parachuté à la Criminelle, en passant par Andrea, la fameuse ex journaliste de Wolf, tous ont de l’épaisseur, et donnent envie de les suivre. Règle sine qua non de ce genre de livre : si on ne croit pas aux personnages, à leur humanité, tout le reste devient ridicule. Ce sont eux qui composent l’architecture invisible du thriller. Eux, qui nous font accepter l’improbable, et suivre l’enquête jusqu’au bout sans tergiverser.
En fait de comparaison, tiens, j’y pense : on pourrait plutôt citer l’excellente série de la BBC Luther(au moins les deux premières saisons), qui se rapproche plus encore de Ragdoll que Seven. Le Luther incarné par Idriss Elba constituerait une équipe de choc (mais totalement ingérable) avec Wolf. Et Londres, dans la série comme dans le roman, s’avère un formidable terrain de jeu (hé oui, le jeu, encore) pour un thriller à l’ambiance crépusculaire.
Seul petit bémol, si l’on doit en mentionner un : la fin de Ragdollannonce une suite, car c’est ainsi, en trilogie, que Daniel Cole a conçu son œuvre. Pour ne pas finir frustré, il faut donc se ruer sur L’Appât puis sur Les Loups, deuxième et troisième volets de cette histoire.
Évidemment, on en recause très vite.
Tout les éloigne. Pourtant, Freddy et Gloria se ressemblent plus qu’ils ne le croient. La vie de Freddy se résume à son vieux camion jaune, qu’il conduit de Gênes à Paris ou Londres pour livrer les délicieuses glaces de Pepino & Schultz. Il lui arrive, parfois, de ne parler à personne pendant trente ou quarante jours. Gloria, elle, est une hirondelle. Comme ses semblables, lorsque vient l’hiver, elle file à tire d’aile vers la chaleur de l’Afrique. Pourtant, en ce mois de décembre glacial, un appel irrésistible la porte vers le nord. Elle ignore son origine mais ne peut faire autre chose que d’y répondre. Freddy, pendant ce temps, conduit son camion vers Calais. Cela fait bientôt cent jours qu’il n’a parlé à personne. La neige se met à tomber. Et le destin, en tête de rassembler ceux qui se ressemblent plus qu’ils ne le croient.
Timothée de Fombelle, génial touche-à-tout, auteur de romans jeunesse (Vango, Le Livre de Perle, Tobie Lolness) ou adultes (Neverland) éblouissants, de pièces de théâtre, d’une comédie musicale (Georgia), d’une bande dessinée (Gramercy Park) ou d’albums pour plus petits, signe ici son premier conte de Noël. Certes, nous sommes un peu hors saison, mais comme tout est bon dans le Fomfom, je ne résiste pas à rattraper mon retard.
Délicatement mis en images par le dessinateur italien Thomas Campi, qui réalise à peu près toutes les deux pages de superbes illustrations aux couleurs chaudes et riches, ce texte s’avère aussi inclassable que ses héros. Aussi à part. Là, peut-être, où se niche l’humanité la plus pure – désintéressée, tournée vers l’autre, désespérée de se battre pour ce que nous avons de meilleur en nous. Généreuse et lumineuse.
Écrit avec la profondeur que l’on connaît à l’écrivain, Quelqu’un m’attend derrière la neige (ce titre, quelle grâce !) confronte ses personnages à la noirceur du monde. Ce n’est pas parce qu’on écrit un conte de Noël qu’il faut céder de bout en bout à l’angélisme béat, semble nous dire l’auteur, plus inquiet qu’à l’ordinaire.
Si l’on suit à Freddy et Gloria, si l’on s’attache à la marge qui les sépare du monde – la mélancolie de l’un, l’obstination de l’autre -, on se demande où cette histoire peut bien nous mener. Comme souvent ces derniers temps (voir les twists de Gramercy Park ou du magnifique petit album de 2018, Capitaine Rosalie), Timothée de Fombelle
attend le dernier moment pour faire tomber le rideau. Et l’émotion prend à la gorge. En peu de mots et quelques images à l’unisson. En une révélation finale, qui lie merveilleusement des êtres hors normes et le monde qu’ils doivent affronter – une épreuve que l’on réussit toujours mieux ensemble. Surtout quand on se ressemble plus qu’on ne le croit.
Une manière d’affirmer qu’il y a toujours une raison d’espérer, et qu’il faut s’accrocher à ce rêve pour ne pas tomber.
Petit coup de mou chez Gallimard cette année, puisque je n’ai décompté que 17 nouveautés annoncées entre mi-août et fin septembre – il y en a tout un gros paquet qui déboule en octobre, bien entendu, mais comme j’ai fixé la date du 30 septembre comme limite à mes présentations, ça ne compte pas (et heureusement pour le peu de temps libre dont je dispose). Seulement 17 donc, mais sans atteindre la vingtaine rituelle de ces dernières années, ça laisse quand même la respectable maison loin en tête devant ses camarades. Alors, comme pour Albin Michel hier, on va tâcher d’être efficace en mettant en avant les titres les plus tentants du lot, pour ne laisser que quelques miettes de résumé aux autres – en toute subjectivité, je le rappelle pour les distraits du fond de la classe.
ENCHANTER LES VIVANTS :Un monde à portée de main, de Maylis de Kerangal
(éditions Verticales)
Si je devais désigner un auteur dans l’ensemble de la rentrée qui devrait faire parler de lui (d’elle, en l’occurrence) à peu près à coup sûr, je mettrais quelques billets sans hésiter sur Maylis de Kerangal. Celle qui avait frappé les esprits et conquis un large public avec ce roman fort et exigeant qu’était Réparer les vivants revient enfin, et le sujet promet d’être à la hauteur de ses ambitions littéraires. Soit l’histoire de Paula Karst qui, durant ses études aux Beaux-Arts de Bruxelles, fait l’apprentissage du trompe-l’œil, ce qui l’amènera à travailler pour le cinéma, notamment à Cinecitta, mais aussi sur un projet de reconstitution de la grotte de Lascaux.
Kerangal possède ce don unique de métamorphoser en belle littérature des sujets extrêmement techniques (la transplantation cardiaque dans Réparer les vivants, la construction d’un viaduc dans Naissance d’un pont), il y a donc tout dans ce qui est annoncé ici pour qu’elle nous propose un nouveau livre flamboyant. Grandes attentes !
FORTRESS :Le Train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu, de Boualem Sansal
Lui aussi, son précédent roman avait fait couler beaucoup d’encre (parfois polémique) et rencontré un grand succès en librairie. Après 2084, Sansal creuse le sillon de l’oppression des peuples par le fanatisme religieux, toujours de manière métaphorique, en imaginant cette fois une ville, Erlingen, encerclée par un ennemi inconnu, que la narratrice du roman désigne sous le nom de « Serviteurs ». Dernière héritière d’un grand empire industriel, cette femme écrit à sa fille, qui vit à Londres, pour lui raconter son quotidien et scruter l’évolution des pensées assiégées. Pendant ce temps, la population inquiète s’en remet à l’arrivée hypothétique d’un train qui pourrait l’évacuer…
KEYZER SÖZE :La Grande Idée, d’Anton Beraber
Ce premier roman de presque 600 pages est lancé par Gallimard comme la révélation de sa rentrée – avec l’espoir sans doute qu’il rencontre la même bonne fortune que Les Bienveillantes de Jonathan Littell ou L’Art de la guerre d’Alexis Jenni, tous deux couronnés d’entrée de jeu par le Goncourt. Dans les années 70, un étudiant se lance sur les traces d’un individu mystérieux du nom de Saul Kaloyannis, survivant d’une guerre perdue un demi-siècle auparavant. Les témoins qu’il rencontre dressent le portrait mouvant et insaisissable d’un homme qui parcourt le globe et l’Histoire du siècle, selon les dires héros gigantesque ou traître insondable.
De l’ambition ici à première vue, mais gare à l’indigestion toujours possible avec ce genre de pavé gallimardesque parfois trop bavard, appliqué ou cérébral. En revanche, si le style est là, ce pourrait être virtuose. Une vraie curiosité, en tout cas.
CHOU BI DOU WOUAH : Swing Time, de Zadie Smith
(traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson)
Petit à petit, l’Anglaise Zadie Smith a conquis son public. Dans ce nouveau roman, elle évoque le destin de deux fillettes métisses qui se rencontrent dans un cours de danse à Londres. Devenues amies, elles s’éloignent néanmoins au gré des péripéties de la vie, la première débutant une carrière prometteuse de danseuse tandis que l’autre, plus sage, devient assistante d’une chanteuse mondialement célèbre. Quelques années plus tard, à la suite d’événements choquants, leurs chemins se croisent à nouveau. Sujet assez classique, mais si c’est bien raconté…
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Sinon, en littérature étrangère, il y aura :
Asymétrie, de Lisa Halliday
(traduit de l’américain par Hélène Cohen)
A New York, Alice est abordée par un homme bien plus âgé qu’elle, en qui elle reconnaît le célèbre écrivain Ezra Blazer. C’est le début d’une relation autant charnelle qu’intellectuelle. A Londres, Amar Jaafari est retenu à l’aéroport alors qu’il tente de rejoindre sa famille en Irak. Ces deux récits en apparence étrangers l’un à l’autre se révèlent étroitement liés. Premier roman.
Le cœur converti, de Stefan Hertmans
(traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin)
Au début du XIe siècle, la jeune Vigdis, issue d’une puissante famille de Rouen, se convertit au judaïsme par amour pour David, le fils du grand rabbin de Narbonne. Le couple se réfugie à Monieux où il a trois enfants et mène une vie paisible. Mais les croisés font halte dans le bourg, tuent David et enlèvent les deux aînés. Vigdis, restée seule avec son bébé, part à la recherche de ses enfants.
Le Bûcher, de György Dragoman
(traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly)
Dans la Roumanie des années 1990, Emma, une orpheline de 13 ans, est adoptée par une inconnue qui dit être sa grand-mère. Elle suit dans son village natal cette femme étrange qui partage sa maison avec l’esprit de son mari défunt et pratique la sorcellerie. Peu à peu, la jeune fille découvre les secrets de cette ville et l’implication de ses grands-parents dans l’ancien régime totalitaire.
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Et chez les francophones, il y aura aussi :
Nuit sur la neige, de Laurence Cossé
En septembre 1935, le contexte politique est particulièrement violent en France mais Robin, 18 ans, accorde plus d’importance à ses tourments intimes qu’à l’actualité collective. Il noue une amitié intense et troublante avec Conrad, un camarade de classe préparatoire, et sa rencontre avec une jeune fille à Val-d’Isère l’initie à la féminité et à la mort.
Tenir jusqu’à l’aube, de Carole Fives
(coll. l’Arbalète)
Une jeune mère célibataire s’occupe de son fils de 2 ans. Sans crèche, sans famille à proximité, sans budget pour une baby-sitter, ils vivent une relation tendre mais trop fusionnelle. Pour échapper à l’étouffement, la mère s’autorise à fuguer certaines nuits, de plus en plus loin et toujours un peu plus longtemps.
François, portrait d’un absent, de Michaël Ferrier
(coll. L’Infini)
Une nuit, Michaël Ferrier reçoit un appel lui annonçant la mort par noyade de son ami François et de sa petite fille, Bahia. Après le choc de la nouvelle, la parole reprend et les souvenirs reviennent : la rencontre de Michaël et François, les années d’études, d’internat, la passion du cinéma et de la radio. La mémoire se déploie et compose peu à peu une chronique de leur amitié.
Dix-sept ans, d’Eric Fottorino
Un dimanche de décembre, une femme livre à ses trois fils le secret qui l’étouffe. En révélant une souffrance insoupçonnée, cette mère niée par les siens depuis l’adolescence se révèle ainsi dans toute son humanité, avec ses combats et ses blessures.
Deux mètres dix, de Jean Hatzfeld
Histoire de quatre sportifs de très haut niveau, deux Américains et deux Kirghizes, entre les jeux Olympiques de 1980 et aujourd’hui. Ils sont champions haltérophiles, elles sont sauteuses en hauteur, et leurs rivalités sont mêlées d’admiration et d’incompréhension réciproques. Entre les deux femmes, Sue et Tatyana, naît même une profonde amitié.
La Vérité sort de la bouche du cheval, de Meryem Alaoui
Jmiaa, prostituée de Casablanca, vit seule avec sa fille. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Chadlia, qui veut réaliser son premier film sur la vie d’un quartier populaire de la ville et cherche des actrices. Premier roman.
Maîtres et esclaves, de Paul Greveillac
Kewei naît en 1950 dans une famille de paysans, au pied de l’Himalaya. Au marché, aux champs et même à l’école, il dessine du matin au soir. Repéré par un Garde rouge, il échappe au travail agricole et part étudier aux Beaux-arts de Pékin, laissant derrière lui sa mère, sa jeune épouse et leur fils. Devenu peintre du régime, son ascension semble sans limite. Mais bientôt, l’histoire le rattrape.
Mauvaise passe, de Clémentine Haenel
A Paris, une jeune femme d’une vingtaine d’années vit une relation sentimentale chaotique avec un musicien de 40 ans. Quand ce dernier la quitte, elle sombre dans une spirale destructrice : tentative de suicide, internement en hôpital psychiatrique, séjours dans des squats où elle est victime de violences. Une grossesse inattendue la ramène peu à peu à la vie. Premier roman.
Je suis quelqu’un, d’Aminata Aidara
(coll. Continents Noirs)
Un secret hante les membres d’une famille éclatée entre la France et le Sénégal jusqu’au jour où le silence se rompt. Une quête de vérité commence et la parole se déploie : celle de Penda, la mère, qui se livre dans un journal intime et celle d’Estelle, sa fille, au travers de délires cathartiques. Face à elles, Eric, fils de harkis, entretient le trouble avec ses promesses. Premier roman.
En guerre, de François Bégaudeau
(éditions Verticales)
Dans une France contemporaine fracturée, François Bégaudeau met en regard violence économique et drame personnel, imaginant une exception romanesque comme pour mieux confirmer les règles implicites de la reproduction sociale.
On lira sûrement : Un monde à portée de main, de Maylis de Kerangal Le Train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu, de Boualem Sansal
On lira peut-être : La Grande Idée, d’Anton Beraber Swing Time, de Zadie Smith Le coeur converti, de Stefan Hertmans Asymétrie, de Lisa Halliday
Dans la famille hautement appréciable des maisons économes de leurs parutions, visant toujours avant tout la qualité et la conviction plutôt que la quantité et la dispersion, je demande Liana Levi. Jamais avare de belles surprises (Désorientale de Nagar Djavadi il y a deux ans, La Nuit des Béguines l’année dernière), l’éditrice propose cette année un premier roman français, un deuxième roman américain, et le nouveau livre de l’un de ses auteurs phares.
LA VIE SANS FARDS :Là où les chiens aboient par la queue, d’Estelle-Sarah Bulle
A la demande de sa nièce qui s’interroge sur son identité métisse, une femme raconte l’histoire de sa famille, les Ezechiel, avec en toile de fond la société guadeloupéenne de la seconde moitié du XXe siècle.
Sous la couverture estampillée Liana Levi, on peut s’attendre à un livre aussi vivant que passionnant. En tout cas, c’est un nouveau pari sur un premier roman, et chez cette éditrice, c’est rarement anodin. D’ailleurs, les premiers retours sont enthousiastes.
LA LA LAND :Route 62, d’Ivy Pochoda
(traduit de l’américain par Adélaïde Pralon)
Un homme athlétique court entièrement nu au milieu des embouteillages à Los Angeles. Tony, poussé par une force irrépressible, se met à le suivre. Au fil du récit, des flash-back se succèdent et éclairent le passé de ces deux hommes.
Deuxième roman d’Ivy Pochoda après le très remarqué Du côté des docks, paru chez nous il y a déjà cinq ans. Le pitch est intriguant et annonce un roman kaléidoscopique à l’américaine. A voir.
GAMES WITHOUT FRONTIERS :Vilnius, Paris, Londres, d’Andreï Kourkov
(traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne)
En décembre 2007, la Lituanie entre dans l’espace Schengen et ses habitants peuvent désormais traverser la frontière sans passeport. Trois couples d’amis partagent leurs projets d’avenir à Londres, à Paris ou en Italie. En contrepoint, le vieux Kukutis entreprend un périple à travers le continent pour sauver la vie d’un homme.
Découvert grâce à un Pingouin de belle mémoire, le romancier ukrainien, féroce adversaire de Poutine et observateur clinique des sociétés post-soviétiques, balance cette fois un pavé de 650 pages qui devrait ratisser large, entre comédie humaine et regard socio-politique acéré.
On lira sûrement : Route 62, d’Ivy Pochoda
On lira peut-être : Là où les chiens aboient par la queue, d’Estelle-Sarah Bulle
Nouvelles venues dans notre panorama de la rentrée littéraire, les éditions Globe méritent d’être suivies de près, autant pour la rareté (cinq à six titres par an en moyenne) que pour la qualité et la singularité de leurs publications. Nous avons dit récemment tout le bien que nous pensions de La Note américaine, de David Grann. Il faudra se pencher sur les deux livres proposés par l’éditrice Valentine Gay, qui promettent beaucoup d’originalité narrative et de force dans le propos.
BROTHERS :La Chute des frères Lehman, de Stefano Massini
(traduit de l’italien par Nathalie Bauer)
Souvenez-vous : la crise économique du XXIème siècle a explosé en 2008, causant notamment la faillite de la banque Lehman Brothers. Mais qui étaient ces fameux frères Lehman ? Depuis l’arrivée aux États-Unis de Heyum Lehman, le 11 septembre 1844, jusqu’à l’effondrement de l’empire financier le 15 septembre 2008, Stefano Massini narre le destin hors du commun d’une fratrie et de ses héritiers, et à travers eux, une grande page de l’histoire américaine. Ce pourrait déjà être un sujet passionnant en soi, mais la forme très atypique choisie par le romancier – entre poésie et prose, entre narration et litanie, entre couplets et refrains, au fil d’un entrelacs de phrases courtes et de formules neuves – devrait permettre d’engloutir avec ferveur les 864 pages de ce qui s’annonce comme l’un des titres les plus forts et singuliers de la rentrée.
SISTER :L’Écart, d’Amy Liptrot
(traduit de l’anglais par Karine Reignier-Guerre)
Noyée d’alcoolisme, étourdie de Londres et de sa frénésie, l’auteure raconte comment elle a choisi de se reconstituer en se confrontant aux éléments hostiles des îles Orkney, archipel rugueux et battu par les vents au nord de l’Écosse, et en s’investissant tout particulièrement dans l’étude et la protection d’une espèce d’oiseau en voie de disparition. On anticipe un texte aussi gracieux que brûlant.
Cette année, chez les éditions Christian Bourgois, on voit des éléphants roses partout. Et derrière, surtout des auteurs étrangers, comme souvent chez cet éditeur représentant davantage ce qui s’écrit hors de nos frontières. Il y aura tout de même un auteur français – un Mouton. Comme quoi. Bon, à part ces plaisanteries douteuses, j’avoue que ce programme ne me fait guère rêver, à la différence de l’année dernière où Bourgois nous avait permis de découvrir l’extraordinaire premier roman de Harry Parker, Anatomie d’un soldat.
MENSONGES SUR LE DIVAN :Imitation de la vie, d’Antoine Mouton
Deux psychanalystes en couple réalisent qu’ils ont le même patient. Ce dernier venant de disparaître, ils enquêtent et découvrent un manuscrit qu’il a laissé derrière lui, intitulé Imitation de la vie.
LA DROGUE C’EST MAL :Eléphant, de Martin Suter
(traduit de l’allemand par Olivier Mannoni)
Un sans-abri découvre un petit éléphant rose dans une grotte de Zurich. L’animal est le fruit de manipulations génétiques menées par un chercheur cupide qui souhaite en faire une sensation mondiale ; mais Kaung, un Birman qui sait parler à l’oreille des éléphants et a accompagné la naissance de cet animal extraordinaire, décide de le soustraire au savant pour le protéger.
COME ON UP FOR THE NOTHING :L’Air de rien, de Hanif Kureishi
(traduit de l’anglais par Florence Cabaret)
Cloîtré chez lui pour raison de santé, un réalisateur londonien soupçonne sa jeune femme d’avoir une liaison avec l’un de ses amis. Ça le rend fumasse, alors il entreprend de prouver l’adultère et songe à se venger. Bon, c’est Kureishi, ça pourrait être bien voire plus que ça. Et ça fait 170 pages, donc ça peut se tenter sans perdre trop de temps.
ESPRIT D’ÉTÉ :Le Passé, de Tessa Hadley
(traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet)
Trois sœurs et leur frère se retrouvent un été dans la maison familiale avec leurs conjoints et enfants. Et bim, souvenirs, secrets, tensions, vas-y que ça tabasse. C’est vrai, sur le papier ça a l’air déjà lu, mais Bourgois ne publie pas n’importe quoi non plus (même si on n’est pas obligé d’être excité par tout ce que sort cette respectable maison). Alors, pourquoi pas. Ça pourrait même être une bonne surprise.
PAPAOUTAI :La Distance qui nous sépare, de Renato Cisneros
(traduit de l’espagnol (Pérou) par Serge Mestre)
Né à Lima en 1976, Renato Cisneros est le fils de Luis Cisneros Vizquerra, dit El Gaucho, ancien ministre péruvien qui cultiva des amitiés sulfureuses avec des dictateurs tels Pinochet. L’écrivain confronte l’image intime du père et celle du politicien.
SAGA AFRICA :Avenue Yakubu, des années plus tard, de Jowhor Ile
(traduit de l’anglais (Nigeria) par Catherine Richard-Mas)
Puisqu’on cause dictature, allons au Nigeria en 1995, où la vie de la famille Utu bascule lorsque le fils aîné, âgé de 17 ans, disparaît un soir pour ne plus donner signe de vie ensuite.
(Ouais, non, en fait, à part l’éléphant rose et le Mouton, pas de quoi rire dans cette rentrée, j’avoue.)
La maison Albin Michel fait partie de ces éditeurs chez qui la production dérape quelque peu : quinze romans sont en effet alignés pour cette rentrée 2017, douze français pour trois étrangers. Un menu d’autant plus étouffe-chrétien que tous les plats ne semblent pas spécialement raffinés… Alors, comme votre temps est précieux (et le nôtre aussi), on va essayer d’aller à l’essentiel – en toute subjectivité, comme d’habitude.
(Allez au bout de l’article quand même, on finira en causant de littérature étrangère et ça ira un peu mieux.)
CRUELLA :Frappe-toi le coeur, d’Amélie Nothomb (lu)
Une jeune fille d’une beauté renversante se délecte de l’admiration haineuse qu’elle provoque chez ses rivales. Jusqu’au jour où elle tombe amoureuse d’un garçon et rapidement enceinte de lui. Elle a dix-neuf ans et pense que sa vie est déjà finie. L’indifférence et la jalousie qu’elle voue à sa fille, dont on découvre très vite qu’elle est encore plus jolie que sa mère, vont bouleverser bien des existences…
Si elle ne nous épargne pas certaines facilités ou niaiseries occasionnelles, Nothomb surprend avec cette intrigue beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, se déroulant sur plusieurs décennies et abordant des thèmes approchés au début de son œuvre : la malédiction de la beauté, la jalousie maladive, mais aussi l’égoïsme de l’ambition, les déceptions amoureuses, filiales ou amicales… Plutôt un bon cru – bien plus intéressant que celui de l’année dernière, et de loin.
SECRETS ET MENSONGES :La Gloire des maudits, de Nicolas d’Estienne d’Orves
Brillant mais dilettante, Nicolas d’Estienne d’Orves est capable du meilleur comme du pire. Avec ce nouveau roman, proche dans l’esprit des Fidélités successives, on l’espère du bon côté de la barrière. Il raconte ici l’histoire de Gabrielle Valoria, fille d’un collabo exécuté sous ses yeux à la Libération, qui se prépare à écrire la biographie de Sidonie Porel, grande romancière et figure fascinante de cet après-guerre agité. En enquêtant sur son sujet, Gabrielle plonge dans un monde de manipulations et de trahisons…
ZIGGY :De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia
Guenassia n’arrête plus. Après avoir laissé passer vingt-trois ans entre ses deux premiers romans, puis encore trois entre le deuxième et le troisième, le voici qui enchaîne les titres au rythme d’un par rentrée littéraire depuis 2015. Cette fois, il nous présente Paul, jeune homme de 17 ans au look androgyne qui se plaît à brouiller les frontières tout en cultivant son amour exclusif des femmes. Bientôt, c’était inévitable, sa route croise celle d’un certain David Bowie… Opportuniste, Guenassia ? On peut se poser la question.
AMISTAD :Bakhita, de Véronique Olmi
Habituée des textes courts, Véronique Olmi se lâche : 464 pages pour raconter le destin de Bakhita, enlevée à sept ans dans son village du Darfour, réduite en esclavage, avant d’être rachetée par le Consul d’Italie et d’être ensuite affranchie. Elle décide ensuite de devenir religieuse et de se consacrer aux enfants pauvres. Albin Michel y croit beaucoup et annonce un grand livre. A voir.
SEUL CONTRE TOUS :Sangliers, d’Aurélien Delsaux
Entre l’Isère et le Dauphiné, Les Feuges est un village où le loyer dans la zone pavillonnaire est moins élevé qu’ailleurs, où la chasse aux sangliers fédère les hommes qui passent leur temps dans le seul bistrot du coin, où les enfants subissent la violence paternelle en toute impunité. C’est là que survient la première tuerie raciste dans un lycée français (résumé Electre).
THE DARK TOWER :La Tour abolie, de Gérard Mordillat
Au coeur de la Défense s’élève la tour Magister. Au sommet, l’état-major, qui lutte pour ses profits. Dans ses sous-sols, un petit peuple misérable, qui lutte pour sa survie. Quand les damnés du progrès décident d’investir la tour et d’atteindre ses hauteurs, tout est remis en cause et la violence explose au grand jour. Homme de gauche jusqu’à la caricature, Mordillat creuse son sillon de révolté social et politique. Pas forcément avec finesse sur ce coup.
LA PARITÉ, C’EST PAS GAGNÉ :Le Courage qu’il faut aux rivières, d’Emmanuelle Favier
Dans son village des Balkans, Manushe est « vierge jurée ». Elle a renoncé à sa condition de femme pour jouir des mêmes droits que les hommes. Sa rencontre avec Adrian, homme énigmatique et ardent, bouscule ses certitudes et met en péril son serment. Premier roman.
MARKETING VIRAL :Un dissident, de François-Régis Guenyveau
Un jeune scientifique rejoint une entreprise américaine très mystérieuse, dont le projet est de façonner l’homme de demain grâce à tous les moyens offerts par la science et les nouvelles technologies. D’abord enthousiaste, ce qu’il découvre sur place et les doutes sur sa propre personnalité remettent en question son engagement initial. Premier roman également.
Et encore, en vrac :
SUR LE FIL :La Nuit des enfants qui dansent, de Franck Pavloff
Un jeune funambule et un vieil Hongrois vivant confit dans son passé décident de partir ensemble à un festival rock à Budapest. (Je fais très court mais je ne sais pas comment vous donner envie, même avec les versions les plus longues des résumés.)
LE CLUB DES INCORRIGIBLES OPTIMISTES II :Le Songe du photographe, de Patricia Reznikov
A Paris, un adolescent en rupture de famille trouve refuge dans une communauté d’artistes d’Europe de l’est. Auprès d’eux, le garçon fait son éducation historique, esthétique et sentimentale. Un hommage à la culture de la Mitteleuropa.
CONNECTING PEOPLE :Vous connaissez peut-être, de Joann Sfar
C’est l’histoire d’un type qui rencontre une fille sur Facebook et qui adopte un chien à qui il essaie d’apprendre à ne pas tuer ses chats. C’est la suite de Comment tu parles à ton père. Que je n’ai pas lu. Donc je ne pourrai pas lire celui-ci. Dommage.
PARDON ? :La Vengeance du pardon, d’Eric-Emmanuel Schmitt
Quatre histoires sur le pardon. Désolé, donc.
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LE P’TIT TRAIN S’EN VA DANS LA CAMPAGNE :Underground Railroad, de Colson Whitehead
(traduit de l’américain par Serge Chauvin)
Attention, voici venir le prix Pulitzer 2017 et le National Book Award 2016 – autant dire qu’on ne boxe plus du tout dans la même catégorie. Whitehead y relate le périple d’une jeune esclave qui parvient à fuir la plantation de coton où elle est asservie, et entreprend de rallier les États libres du nord des États-Unis, un terrifiant chasseur d’esclaves sur ses talons. L’Underground Railroad du titre était le nom donné à un réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite ; le romancier le matérialise sous la forme d’un véritable train souterrain. Rien que pour cette idée, ça donne envie d’embarquer, non ?
TIC-TAC :Cox ou la course du temps, de Christoph Ransmayr
(traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Kreiss)
Grand maître horloger à Londres, au XVIIIème siècle, Alistair Cox est convoqué en Chine par l’empereur tyran Quianlong. Ce dernier lui ordonne de lui confectionner une série d’horloges capables de mesurer les subtiles variations du temps. Cox s’attèle à sa tâche au péril de sa vie, car les humeurs de l’empereur sont changeantes et ses exigences toujours plus élevées…
(C’est marrant, dès qu’on passe en littérature étrangère, proposer un résumé des livres est tout de suite plus intéressant !)
MAD MAX :Les sables de l’Amargosa, de Claire Vaye Watkins
(traduit de l’américain par Sarah Gurcel)
Dans une Californie transformée en désert, au cœur de Los Angeles livrée aux pillards et à la menace d’une dune de sable mouvant qui s’apprête à l’engloutir, Ray et Luz trouvent l’espoir d’un avenir meilleur en la personne d’une fillette qu’ils ravissent à un groupe de marginaux. Ils prennent alors la route, à la recherche d’une colonie mystérieuse où ils espèrent refaire leur vie.
À treize ans, Jay a un vrai don pour la musique : compositeur, parolier, guitariste, il rêve d’en faire son métier, de devenir une star. Pas facile quand on joue avec ses amis, qui n’ont pas forcément les mêmes ambitions, surtout son meilleur pote pour qui la batterie est plus un défouloir qu’un instrument rythmique…
Excellente élève, jeune fille discrète, Summer se préoccupe avant tout de l’état de santé vacillant de sa grand-mère, la seule à l’élever dans des conditions assez misérables – son père n’a jamais donné signe de vie et sa mère survit sûrement quelque part entre une cellule de prison et un squat de cocaïnomanes. Pourtant, sa voix exceptionnelle lui vaut d’être embarquée dans une drôle d’aventure avec trois filles rockeuses au tempérament de feu…
Quant à Dylan, s’il végète dans un pensionnat pour gosses de riches, il a de la musique plein la tête, mais ne veut pas perdre son temps dans des cours sans intérêt et l’orchestre d’amateurs balbutiants de son école. Brièvement contraint de s’engager dans l’équipe de rugby, il parvient à échapper à ce cauchemar et trouve par hasard un groupe prometteur parmi ses camarades…
Rien à faire, Robert Muchamore est doué. Doué pour camper des personnages d’ados plus vrais que nature, aussi bien dans leurs comportements, souvent ambivalents (jalousie, colère, folie hormonale – mais aussi amitié, générosité, enthousiasme plein d’innocence), que dans leur langage, pas forcément toujours très châtié… Doué aussi pour bâtir des intrigues efficaces et mener son récit à un rythme implacable, à base de chapitres courts et de points de vue alternés, passant de l’un de ses héros à un autre sans que jamais l’on se perde entre leurs différentes histoires.
Le romancier anglais a largement fait ses preuves dans le genre polar/espionnage avec CHERUB(qui s’achèvera l’année prochaine sur le tome 17 !) et sa dérivée Henderson’s Boys, deux séries au long cours qui ont emballé nombre de jeunes lecteurs. Le voici qui se risque à récidiver dans le domaine de la musique, confrontant ses héros autant à des épreuves de vie (les parents, les amis, les ennemis) qu’à des concerts tremplins où il faut faire ses preuves en dix minutes, tandis qu’une émission de téléréalité musicale nommée « Rock War », dévoilée à la fin de ce tome 1, devrait les entraîner vers leurs rêves de gloire…
En appliquant les mêmes recettes, Muchamorene prend pas de risque mais réussit tout aussi bien. Le suspense est au rendez-vous, les personnages sont attachants, on a envie de savoir lequel s’en sortira, qui parviendra à ses fins, qui apprendra le plus de ses erreurs… Bref, on attend la suite avec impatience !
Rock War t.1, de Robert Muchamore (Rock War, traduit de l’anglais par Antoine Pinchot) Éditions Casterman, 2016 ISBN 978-2-203-09001-9 345 p., 16,90€
Pour leur troisième rentrée littéraire automnale (après avoir notamment lancé l’extraordinaire Faillir être flingué de Céline Minard il y a deux ans), les éditions Rivages ont le bon goût de ne pas surcharger de travail les libraires en ne proposant que deux romans français et deux étrangers. Ouf ! Il faut doublement les saluer, car elles ont de plus le courage de sortir côté français deux premiers romans, ce qui représente tout de même un drôle de pari de nos jours…
SHYAMALANESQUE :Les loups à leur porte, de Jérémy Fel (en cours de lecture)
Les premières pages de ce roman m’ont irrésistiblement fait penser au Village, le film poisseux de M. Night Shyamalan (mais si, vous savez, l’ancien réalisateur prodige de Sixième Sens transformé en tâcheron épouvantable depuis quelques nanars affligeants) : atmosphère rurale, menace sourde lorsque la nuit tombe, créature angoissante… Ce n’est que le début et cela ne présage en rien de la suite, que l’éditeur présente comme une exploration de « la face monstrueuse du self made man américain ». À mi-lecture désormais, le pari semble tenu, et ce livre s’annonce bluffant, moins pour son style que pour sa construction très élaborée et sa réflexion sur la violence et les zones d’ombre que chaque être humain porte en lui.
NEW YORK, NEW YORK :Mary, d’Emily Barnett
Comme son petit camarade de rentrée, cet autre premier roman prend les États-Unis pour cadre, et la Grosse Pomme en particulier, puisque c’est là, dans le New York d’après-guerre, qu’évolue l’héroïne. Enfance, adultère, maternité et filiation sont les thèmes annoncés du livre.
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RÉTROVISEUR :Corps subtils, de Norman Rush
(traduit de l’américain par Hélène Papot)
Norman Rush, né en 1933, est un écrivain tardif, puisqu’il a commencé à écrire alors qu’il allait sur ses soixante ans. On le retrouve ici mettant en scène un groupe d’amis quinquagénaires qui, à l’occasion de la mort de l’un d’eux et découvrant de lui une part d’ombre inconnue, ce qui les pousse à repenser leurs 20 ans. Rien d’original sur le papier, certes.
DOUBLE FACE :J’ai vu un homme, d’Owen Sheers
(traduit de l’anglais par Mathilde Bach)
Qui est réellement Michael ? Un homme brisé par la mort de sa femme, reporter de guerre tuée au Pakistan ? Ou un personnage beaucoup moins recommandable, capable de s’introduire chez ses voisins londoniens un jour où ils sont absents ? Un pitch intriguant pour ce deuxième roman d’Owen Sheers.
Pour sa troisième année à la tête de Stock, l’éditeur Manuel Carcassonnne propose une rentrée solide quoique un peu trop riche (onze romans, neuf français et deux étrangers), où des valeurs sûres de la maison accueillent deux premiers romans, dont un aura sûrement la faveur des médias, et quelques transfuges aux noms prestigieux, dont le Britannique Nick Hornby et le romancier-psychanalyste Tobie Nathan.
DANS MON ARBRE IL Y A… :La Cache, de Christophe Boltanski
Si son nom vous est familier, ce n’est pas un hasard. Grand reporter au Nouvel Obs, Christophe Boltanski est aussi le fils du sociologue Luc Boltanski et le neveu de l’artiste Christian Boltanski. Ces précisions ont un sens, puisque c’est l’histoire de sa drôle de famille que livre ici le néo-romancier, en articulant son récit autour des pièces de la maision familiale à Paris. Le point de départ : la cache, un réduit minuscule où son grand-père s’est caché des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, et qui est devenu par la suite le point névralgique de la demeure. La presse sera probablement au rendez-vous de ce gros premier roman.
RACINES :Nous serons des héros, de Brigitte Giraud
Joli titre pour le nouvel opus de la romancière lyonnaise, qui relate l’arrivée en France d’une femme et de son jeune fils, Olivio, tous deux ayant fui la dictature portugaise. Recueillis par un rapatrié d’Algérie, ils espèrent un nouveau départ mais l’homme ne supporte pas l’adolescent. Celui-ci se lie d’amitié avec Ahmed, un immigré algérien de son âge… Un roman où amours, tensions et quêtes de soi et de son identité seront au cœur du récit.
POMME TOMBÉE DE L’ARBRE :Eva, de Simon Liberati
Enfant, elle a posé nue pour sa mère, la photographe Irina Ionesco, souvent dans des poses érotiques qui ont fait scandale. Une expérience traumatisante qui a laissé des traces et a marqué durablement sa vie, entre jeunesse tumultueuse et procès retentissant contre sa génitrice. Depuis, récemment, elle est devenue la femme de Simon Liberati, qui lui consacre donc ce récit intime, après l’avoir croisé plusieurs fois au fil des années, et s’en être inspiré pour son premier roman alors qu’il ne la connaissait pas encore. Là aussi, presse attendue… pour de bonnes raisons, on espère.
BRANCHES :Il faut tenter de vivre, d’Eric Faye
Sandrine Broussard non plus n’a pas eu la vie facile. De son enfance maltraitée, elle a eu l’idée de se venger en séduisant à la chaîne qu’elle arnaquait ensuite avant de disparaître, multipliant identités, vies et fuites. Depuis longtemps fasciné par cet femme insaisissable, le narrateur finit par la rencontrer et se lier à elle. Un roman autobiographique auquel Eric Faye tient beaucoup.
INCENDIAIRE :Un homme dangereux, d’Emilie Frèche
Attention, sujet sensible. Ce roman met en scène un homme convainquant une femme de tout quitter, son mari et ses filles partis en Israël, pour vivre avec lui. Mais son véritable projet est de la détruire, pour la seule raison qu’elle est juive… Une œuvre post-Charlie qui pourrait faire grincer des dents.
PETIT POUCET PERDU DANS LA FORÊT DES SENTIMENTS :L’illusion délirante d’être aimé, de Florence Noiville
L’illusion délirante d’être aimé est une véritable maladie, potentiellement dangereuse, connue sous le nom de « syndrome de Clérambault », du nom du psychiatre qui l’a diagnostiquée. L’héroïne de ce roman, Laura, en souffre, accusant une ancienne amie de la harceler. Sauf que personne dans son entourage n’est témoin de rien…
CANOPÉE :Ce pays qui te ressemble, de Tobie Nathan
Une grande fresque historique prenant pour cadre l’Egypte, dont est originaire Tobie Nathan. Suivant depuis longtemps une double carrière de psychanalyste réputé et de romancier, l’écrivain retrace à travers le parcours extraordinaire de Zohar, né dans le ghetto juif du Caire, l’histoire récente de son pays, depuis le roi Farouk jusqu’à l’islamisation grandissante de ces dernières années.
DÉRACINÉE :Sœurs de miséricorde, de Colombe Schneck
Une Bolivienne quitte son pays et sa pauvreté pour Paris, où elle espère gagner sa vie. Elle se heurte à une autre vision du monde, froide et désincarnée, notamment chez les riches qui l’emploient. Si ce roman est inspirée d’une rencontre qu’elle a faite, pour une fois Colombe Schneck ne parle pas d’elle. C’est déjà ça.
DÉRACINÉS :Les bannis, de Laurent Carpentier
C’est l’autre premier roman de la rentrée Stock. Inspiré de faits réels, il relate le bannissement, l’excommunication, l’exil et l’exploitation des membres d’une famille dans le tumulte du XXe siècle dans un texte qui oscille entre vie et mort, entre horreur et humour.
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BOURGEONS :Funny Girl, de Nick Hornby
(traduit de l’anglais par Christine Barbaste)
Un grand nom de la littérature anglaise contemporaine rejoint Stock ! L’auteur de Carton jaune, Pour un garçon, Haute fidélité ou Juliet, Naked évoque les Swinging Sixties, à travers l’histoire d’une actrice, Sophie Straw, star d’une comédie à succès de la BBC dans les années 60. Un roman que l’on attend comme toujours enlevé, humain, chaleureux et drôle.
RADICELLES :Avant la fête, de Sasa Stanisic
(traduit de l’allemand par Françoise Toraille)
Ce n’est que le second roman de Sasa Stanisic, romancier d’origine yougoslave qui vit en Allemagne, et connut un gros succès avec son premier titre, Le Soldat et le Gramophone – c’était en 2008, déjà. Cette fois, il raconte un village et ses habitants, le temps d’une nuit, avant la fête de la Sainte-Anne, moment important de la communauté.
Bon, je m’énerve après les éditions du Rouergue ou pas ? Je préfèrerais ne pas devoir le faire, puisque après tout, c’est cette maison qui a le mérite d’avoir découvertDan Waddellet de publier aujourd’hui son troisième roman. Néanmoins…
Bref, on verra plus tard. Parlons d’abord du livre, c’est le plus important.La Moisson des innocentsmarque le retour de Grant Foster après les excellentsCode 1879etDepuis le temps de vos pères. Un dimanche matin très tôt, il est appelé sur une scène de crime atypique : un homme est mort brûlé vif dans sa voiture. Meurtre ou suicide par immolation ? Très vite, Foster fait une découverte qui le bouleverse beaucoup plus : l’identité du mort, David Lowell, s’avère fictive et cache en réalité un certain Glen Dibb. Une vingtaine d’années plus tôt, alors simple inspecteur à Newcastle, Foster l’avait arrêté en compagnie de son ami Craig Schofield pour le meurtre sauvage d’un vieux mineur. Ce crime avait bouleversé l’Angleterre à l’époque, et pour cause : les deux assassins n’avaient alors que dix ans. Obligé de remonter dans le temps et de se confronter à un passé qu’il a fui pour d’autres raisons, Grant Foster n’imagine pas jusqu’où cette enquête tortueuse et pleine de surprises sordides va le conduire…
Après deux romans où la généalogie jouait un rôle important,Dan Waddelllaisse un peu cette discipline de côté, tout en continuant à creuser le sillon du rapport au passé, essentiel dans son œuvre. Centré presque exclusivement sur Grant Foster (son adjointe Heather Jenkins joue les seconds rôles occasionnels, tout comme le reste de son équipe),la Moisson des innocentsest un polar plus classique, qui évoque notamment l’atmosphère des livres de Ian Rankin – une sérieuse référence, queWaddelltient haut la main. Ce jeune auteur relève décidément de cette tradition du roman policier britannique, où les ambiances et les personnages comptent autant que l’intrigue, voire parfois plus.
N’allez pas croire néanmoins que le suspense est sans intérêt ici. La première moitié du roman déroule tranquillement mais solidement l’histoire des ex-enfants tueurs et de ceux qui les ont approchés à l’époque, dont Foster lui-même, mettant au jour des vérités beaucoup plus complexes et désagréables qu’on ne pouvait le croire. Puis, à mi-parcours, surprise :Dan Waddellplace une petite bombe qui réoriente l’intrigue et l’élargit, rappelant d’une manière inattendue sur le devant de la scène Nigel Barnes, le généalogiste héros de Code 1879 et Depuis le temps de vos pères.
Et c’est TOUT ce que je vous dirai – à la différence de l’ahuri, excusez-moi si je m’énerve mais ça m’agace vraiment très fort, qui a cru bon de tout dévoiler sur la quatrième de couverture. Bon sang, amis du Rouergue, croyez-vous vraiment queDan Waddell s’est amusé sans raison à repousser la révélation d’un élément aussi important de son roman à plus de la moitié de celui-ci ? Vous ne voulez pas raconter la fin, pendant que vous y êtes ? Et vous savez ce qui me rend dingue ? C’est la deuxième fois que le Rouergue fait le coup avecDan Waddell. Relisez ma chronique deDepuis le temps de vos pères, je déplorais déjà la même faute, incroyable pour un éditeur qui publie régulièrement des polars et devrait connaître l’importance des rebondissements et des surprises dans une bonne intrigue.
Bref, amateurs de policiers de qualité, faites-vous plaisir, courez acheter cette excellenteMoisson des innocents– mais par pitié, dans votre propre intérêt, ne lisez pas la quatrième de couverture. Vous me remercierez !
La Moisson des innocents, deDan Waddell Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue Éditionsdu Rouergue, 2014 ISBN 978-2-8126-0622-9 311 p., 21,90€
Parce que sa mère est d’origine belge et que son père a tenu un pub pendant des années, Thomas Foley, jeune employé du Bureau Central d’Information, est choisi pour administrer le Britannia, reconstitution d’un authentique pub anglais érigé à proximité du pavillon britannique de l’Exposition Universelle qui se tient à Bruxelles en cette année 1958. Thomas saisit l’occasion de fuir son quotidien morose, sa femme tristounette et leur petite fille qui vient à peine de naître. Et il n’est pas déçu : à peine arrivé, il se retrouve lié à un journaliste russe particulièrement affable, une jeune actrice américaine plutôt délurée, un collègue britannique censé vanter les mérites d’une machine révolutionnaire aux propriétés incertaines, ou encore une délicieuse hôtesse belge de l’Exposition – sans parler de ces deux types étranges, aussi courtois que loufoques, qui surgissent sur son chemin aux moments les plus inopinés et semblent vouloir l’embarquer dans des affaires bien mystérieuses…
Après avoir passé au crible de son scanner satirique différentes périodes de l’histoire récente de l’Angleterre (les années 80 dans Testament à l’anglaise, les années 70 puis 90 dans le diptyque Bienvenue au club et le Cercle fermé, les années 2000 dans la Vie très privée de Mr Sim),Jonathan Coeexplore une nouvelle époque dansExpo 58, à savoir la fin des années 50. Le roman saisit le ton de ce moment particulier, entre soulagement post-Seconde Guerre mondiale, essor irrésistible de la mondialisation, volonté de pacification et de compréhension entre les peuples et, paradoxalement, Guerre Froide sévère sur fond de progrès techniques fulgurants et d’antagonismes politiques exacerbés par les expérimentations nucléaires des uns et des autres.
Expo 58permet en outre àCoed’aborder un genre nouveau pour lui, l’espionnage. Loin de se prendre pour John Le Carré ou Ian Fleming, il s’empresse de le maquiller de quelques coups de patte personnels, pour en faire une véritable comédie, pétillante, enlevée, pleine de subtiles touches d’humour et de considérations paisibles sur le couple et la famille, l’amour, la place de chacun dans l’existence… Les personnages sont tous épatants, surtout Wayne et Radford, les Dupont et Dupond des services secrets anglais dont chaque apparition garantit un franc moment de rigolade, à tel point qu’on finit par guetter leurs irruptions improbables avec impatience et gourmandise. Bref, là aussi, c’est duJonathan Coe100% pur scone.
Si ce n’est pas son roman le plus ambitieux,Expo 58est une délicieuse friandise littéraire, souvent drôle (même si elle vire légèrement douce-amère vers une fin plus émouvante), qui se dévore en un rien de temps et rafraîchit le talent deJonathan Coeen le montrant capable de se renouveler tout en restant lui-même, sans se prendre au sérieux. La marque des grands.
Expo 58, deJonathan Coe Traduit de l’anglais par Josée Kamoun Éditions Gallimard, 2014 ISBN 978-2-07-014279-8 326 p., 22€