Papa, tu es fou, de William Saroyan
Signé Bookfalo Kill
En confrontant la liste de mes lectures et celle des articles publiés sur le blog, il m’arrive de réaliser que j’ai oublié de chroniquer certains livres. Parfois, il s’agit d’omissions volontaires, tel titre m’ayant tant déçu ou énervé que je n’ai pas envie de passer du temps à écrire dessus. Dans d’autres cas, il s’agit de coups de coeur si forts que je ressens le besoin de prendre un peu de distance avec mes émotions – à moins de me trouver dans l’incapacité de les transcrire par des mots – : le résultat est le même au final, pas de chronique.
Un an après l’avoir lu, impossible néanmoins de me rappeler pourquoi j’ai passé sous silence le magnifique Papa, tu es fou, de William Saroyan. La réédition ces jours-ci de son pendant féminin (Maman, je t’adore, qui fera l’objet d’un prochain article… si si !!!) me permet de corriger cet oubli, et de vous dire à quel point ce petit texte est précieux, délicieux, bref : indispensable.
L’histoire en est assez simple : les parents du narrateur, un jeune garçon d’une dizaine d’années, sont séparés ; tandis que la mère élève le gamin et sa petite soeur, le père, écrivain sans le sou, vit à quelques kilomètres de là dans une bicoque sur la plage de Malibu. Un jour, le paternel propose à son rejeton de venir vivre quelque temps avec lui, avec l’accord de la mère qui pose comme seule condition à son ex de faire manger l’enfant et de l’emmener à l’école.
Si le papa se plie tant bien que mal à ces règles, il en profite pour inviter son fils à une autre école, celle de la vie, où l’on court sur la plage, où l’on observe le ciel et les coquillages avec toute l’attention requise, où l’on apprend à se débrouiller avec presque rien (surtout sans argent), à se réjouir de tout et à penser par soi-même…
Quelle magnifique bouffée d’air frais ! Sous l’apparente naïveté (totalement maîtrisée) du style de Saroyan, on trouve un texte d’une intelligence éblouissante, qui remet bien des choses à leur place, à commencer par la nécessité de s’affranchir des règles absurdes et du prêt-à-penser. Papa, tu es fou est une ode merveilleuse à la plus pure des relations entre un père et son fils, bien sûr (un papa comme ça, même fauché comme les blés et un peu taré, qui n’en rêverait pas ?), mais c’est aussi un éloge de la liberté sous toutes ses formes, celle qui autorise à prendre la route sur un coup de tête comme celle qui oblige à se méfier des idées toutes faites.
De l’humour, une infinie tendresse, de la cocasserie, un peu de gravité bienvenue, le soleil et la mer de Californie, des recettes de cuisine économes, de belles réflexions sur l’écriture… Tout ça dans un si petit livre ? Mais oui, puisqu’on vous le dit !!!
Papa, tu es fou, de William Saroyan
(Papa you’re crazy, traduit de l’américain par Danièle Clément)
Éditions Zulma, 2015
ISBN 978-2-84304-743-5
144 p., 7,95€
P.S.: tu la vois venir, l’idée cadeau pour la prochaine fête des pères ? ;-)
Jason Murphy, de Paul Fournel
Signé Bookfalo Kill
Tous les lecteurs de la Beat Generation connaissent les poèmes de Jason Murphy, mais le bruit court qu’il aurait composé un roman, écrit sur un rouleau avant même le célèbre Sur la route de Jack Kerouac. Certains affirment que le professeur Marc Chantier l’aurait eu un moment en sa possession.
Un éditeur et une étudiante s’envolent sur la trace du fameux « scroll » de Paris à San Francisco. Chacun a ses raisons, chacun a ses chemins, chacun a ses moyens et c’est à qui arrivera le premier…
Contrairement à mes habitudes, le résumé ci-dessus n’est pas de moi mais de l’éditeur. Pourquoi ? Histoire de démontrer qu’on fait dire ce qu’on veut à une quatrième de couverture. Sans être mensonger, ce pitch est assez trompeur, puisqu’il donne l’impression d’une véritable chasse aux trésors à San Francisco, doublée d’une lutte à distance entre deux rivaux prêts à tout pour s’approprier l’objet de leur quête.
Or il n’en est rien. Le passage de l’éditeur sur place est expédié en un chapitre, et celui de Madeleine, l’étudiante, s’il est plus détaillé, ne survient qu’ensuite et à la fin du livre.
Maladresse ou malhonnêteté commerciale, peu importe, revenons au livre lui-même. Jason Murphy est un roman plutôt plaisant, avec des personnages vite attachants, bien que le tout soit écrit avec une nonchalance, voire parfois un dédain pour la langue qui ne satisfera pas le lecteur exigeant en la matière. Dès le premier chapitre, Paul Fournel aligne les dialogues (séparés d’espaces blancs, histoire d’augmenter le nombre de pages) et en fait l’essentiel du corps de son texte, ce qui en rend la lecture rapide et légère – pour ne pas dire souvent superficielle.
S’ajoutent à cela quelques clichés embarrassants (« Il la regarda intensément, droit dans les yeux, et la bouscula de son regard noir », p.54) et des tournures familières ou orales (« Elle la tenait enfin sa Tour Eiffel locale », p. 155), voire incorrectes (« Toute cette bande-là ne sont pas de très grands écrivains », p.84 – à qui le dites-vous…)
Bref, si certains passages sont nettement plus inspirés, heureusement, on ne lit pas Jason Murphy pour la plume de son auteur.
Reste le sujet. S’il semble sur le papier réservé aux fans de la Beat Generation, pas forcément les plus nombreux, il permet au néophyte (j’en suis) d’apprendre un certain nombre de choses sur ce mouvement littéraire américain, notamment grâce à une longue rencontre fictionnelle entre Madeleine et Lawrence Ferlinghetti, co-fondateur de la célèbre librairie City Lights à San Francisco et éditeur de Ginsberg, Kerouac et compagnie.
D’ailleurs le passage à San Francisco s’avère le meilleur du roman – coup de chance, il arrive dans le dernier tiers du livre et permet de quitter celui-ci dans des dispositions assez aimables. Fournel raconte joliment la ville du Golden Gate Bridge, du Panhandle au quartier mythique de Haight & Asbury, et en profite pour s’emparer enfin de son histoire. Il fait même preuve de subtilité en concluant presque entre les lignes, sur un joli pied de nez, l’histoire de Murphy et de son fameux rouleau.
Ah oui, quand même, une dernière chose avant que j’oublie. Jason Murphy n’existe pas. En dépit d’une sympathique tentative de mystification sur Wikipédia, une recherche basique sur le site de City Lights permet vite de s’en assurer. Hé oui, Paul Fournel fait partie de l’OuLiPo, il est donc joueur.
Jason Murphy, de Paul Fournel
Éditions P.O.L., 2013
ISBN 978-2-8180-1765-4
191 p., 16€