Par les routes

Sacha, un écrivain, décide de quitter Paris pour s’installer dans une petite ville du sud-est de la France, afin d’y retrouver le calme qui lui manquait de plus en plus dans la capitale pour travailler en paix. Ses bonnes intentions sont très vite battues en brèche : dans ce coin paisible de France, il a la surprise de retrouver un vieil ami de jeunesse, perdu de vue depuis longtemps. Un éloignement volontaire, car l’amitié de l’autostoppeur était aussi singulière que pesante.
L’autostoppeur ? Ainsi le désigne-t-il, car cet ami étrange avait alors une manie : celle de prendre la route, du jour au lendemain, et de voyager à l’instinct vers une destination hasardeuse en ne faisant que de l’autostop. Aujourd’hui, Sacha le retrouve en couple, père de famille, calme et rangé. En apparence du moins. Car il pratique toujours son art singulier de l’autostop. Et l’arrivée de Sacha semble le pousser à repartir, plus que jamais, laissant son ami prendre soin de Marie, sa compagne, et de son fils Agustín…
Certes, le voyage n’est pas le sujet principal de Par les routes, en dépit de son titre. Hormis à la fin, jamais on ne quitte cette petite ville du sud où Sylvain Prudhomme a installé son narrateur et son intrigue.
Mais cette idée d’autostoppeur compulsif est une merveille, qui autorise le romancier à des escapades par correspondance (dans tous les sens du terme, car l’autostoppeur aime envoyer des cartes depuis les coins où il échoue) souvent poétiques, parfois amusantes, quand le voyageur instinctif s’amuse à collecter les noms de villes et villages originaux, significatifs ou cocasses.
On devrait détester ce personnage en apparence égoïste, capable de délaisser une compagne et un fils attachants pour ces épopées routières sans signification flagrante. On pourrait lui en vouloir, ou en être jaloux. Mais la finesse du romancier nous l’interdit, qui nous laisse nous emparer du mystère pour mieux aimer ses personnages, s’interroger avec eux, et sonder leurs failles et leurs passions, leurs doutes et leurs espoirs.
Par les routes aurait pu être un pensum nombriliste, creux et sans âme. C’est au contraire un livre sensible, étonnamment lumineux, en tout cas optimiste ; résolument ouvert sur le monde, sur les autres, sur la nature et ses paysages qui jamais ne se ressemblent. C’est une déclaration d’amour aux gens, à l’humain, à l’aventure ou à son dédain. C’est un roman vibrant de belles choses, sur l’amour, la relation père-fils, l’amitié, la quête de soi, tout ce qui fait l’essentiel de ce que nous sommes.
De prime abord, le style de Sylvain Prudhomme semble pourtant pratiquer une forme de neutralité bienveillante où la langue ne prend pas vraiment parti. Les dialogues ne sont pas mis en valeur de manière usuelle (guillemets et/ou tirets), ils sont intégrés au récit et cherchent à restituer le caractère ordinaire de nos mots lorsque nous discutons.
Toujours se méfier de l’eau qui dort…
Il en résulte une forme fluide, comme en retrait, dont la fausse réserve va en réalité constituer une arme pour saisir au plus près la vérité des personnages. Leurs émotions, le cœur de leurs pensées, la valeur de leurs idées et la foi fragile en leurs idéaux. Le phrasé de Prudhomme crée un envoûtement discret, se fait caisse de résonance où vibre en écho l’éveil de nos propres sentiments, avec un mélange d’intime et de pudeur parfaitement dosé.
Très vite, je me suis surpris à marquer des pages, pour en retenir de nombreux passages d’une justesse rare à mes yeux. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué cet exercice. Signe que Par les routes touche juste, souvent, sur des sujets très divers – notamment sur l’écriture, la force des mots et des signes, l’importance vitale de la langue dans la vie de nos esprits. Que le narrateur soit écrivain, et Marie traductrice, est évidemment tout sauf un hasard, et ouvre la porte à ces réflexions d’une pertinence rassurante.

Église du village de Camarade (Ariège) – Par Paternel 1 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=50186285
Paru en automne dernier, Par les routes fut à l’époque l’un des rares livres de la rentrée à m’intéresser, puis à m’enthousiasmer. Il a reçu le Prix Femina 2019. Une récompense méritée qui aura permis, sans doute, de faire découvrir Sylvain Prudhomme à davantage de lecteurs. En espérant que nombre d’entre eux auront autant adoré que moi partir avec lui par les routes.
L’Etoile du Hautacam, de Pierric Bailly
Signé Bookfalo Kill
À la mort de sa grand-mère, Simon Meyer décide de quitter Paris pour venir s’installer dans la maison de son aïeule, dans le village de Stellange. A la capitale, il ne laisse que des regrets, un amour éteint, des amis qu’il ne comprend plus guère et des rêves de grandeur cinématographiques étouffés dans l’œuf.
Sur la route, pourtant, un étrange événement change tout. Voici qu’il retrouve Stellange, non plus en Lorraine, mais perché sur un plateau en suspension à quinze kilomètres au-dessus des Pyrénées, au-dessus de la station de Hautacam à laquelle il est relié par une tour de béton. Et lui, Simon, que l’on surnomme là-haut « l’enfant du soulèvement », est un peu le héros local, celui qui a permis au village de devenir L’Étoile du Hautacam l’un des lieux les plus courus du monde, lieu de plaisirs et d’une vie dont toute concurrence et toute mesquinerie semblent chassées. Mais les apparences valent-elles quelque chose dans un monde chimérique ?
Bien que le récit nous emmène très vite en haute altitude, il faut attendre la troisième partie du livre pour le voir décoller. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir campé auparavant force péripéties et personnages loufoques ; mais le style de Pierric Bailly, totalement neutre, n’est jamais en adéquation avec la folie d’un propos qu’il place notamment sous le patronage ambitieux de Lewis Carroll – l’étrange événement qui fait basculer l’intrigue est une rencontre autoroutière avec un lapin blanc…
Pendant les trois quarts du roman, le ton est donc d’une platitude désolante. Anecdotique ? On peut parfois se régaler d’un roman pas très bien écrit, mais dont le récit est si impeccablement mené qu’on en oublie les scories de la plume. Mais là, ça coince. Comment croire à ces quelques personnages loufoques (une vieille dame chauve qui passe des heures à parler aux poules, un homme qui se transforme en coq – oui, il y a un truc avec les gallinacés…) alors que la plupart des autres manquent totalement de personnalité, souvent réduits à un simple prénom ? Comment s’amuser des aventures de ces héros flous quand les descriptions sans relief s’enchaînent et que le rythme peine à s’emballer ? Vous devinez la réponse : je n’ai pas pu. J’ai traversé le roman sans jamais l’investir, pas rebuté mais jamais emballé non plus.
Quand je dis néanmoins que la fin de L’Étoile du Hautacam est meilleure que le reste, c’est parce que Pierric Bailly y explicite enfin son idée romanesque, celle de rendre hommage à la culture populaire, aux films de séries B ou Z, aux récits d’aventure – et que, soudain, l’écriture devient fluide, inspirée, comme si le romancier avait enfin trouvé la clef de la porte menant au pays des merveilles. Trop tard, malheureusement, juste de quoi donner au lecteur le regret d’être passé à côté d’une histoire qui aurait pu être digne de figurer de l’autre côté du miroir.
L’Étoile du Hautacam, de Pierric Bailly
Éditions P.O.L., 2016
ISBN 978-2-8180-2127-9
328 p., 17€
A première vue : la rentrée Stock 2014
L’année dernière, chez Stock, nous avions adoré la fable singulière et bouleversante de Karin Serres, Monde sans oiseaux. Trouverons-nous pareil miracle parmi les élus à la couverture bleue de cette rentrée 2014, dans une maison par ailleurs bouleversée par la mort de son éditeur mythique, Jean-Marc Roberts ? Pas sûr, mais il y a tout de même quelques belles promesses.
CRASH MYTHIQUE : Constellation, d’Adrien Bosc
C’est l’un des accidents aériens les plus connus de l’histoire. Le 28 octobre 1949, le Constellation, nouvel avion d’Air France voulu par le milliardaire excentrique Howard Hughes, s’écrase sur un îlot des Açores, tuant ses onze membres d’équipage et ses trente-sept passagers, parmi lesquels le boxeur Marcel Cerdan. Loin de ne s’intéresser qu’au sort du célèbre amant d’Edith Piaf, Adrien Bosc tisse un roman choral qui donne une voix à tous les disparus tout en questionnant les raisons du drame. Sur le papier, l’un des premiers romans les plus ambitieux de la rentrée.
COMME UN POT : Les mots qu’on ne me dit pas, de Véronique Poulain (lu)
Comme Jean-Louis Fournier, publié par la même maison, Véronique Poulain tire de l’humour d’une situation douloureuse, en l’occurrence le handicap, la surdité de ses parents. Comme Fournier, la néo-romancière aligne des chapitres courts et percutants qui disent la difficulté d’être la fille parlante et entendante de parents sourds, l’incompréhension, le poids du regard des autres, mais aussi l’amour qui se glisse dans tout cela, et bientôt la fierté lorsque les géniteurs de Véronique Poulain se retrouvent à la pointe du combat pour la reconnaissance des sourds dans la société. Un récit parfois grinçant, douloureux, mais souvent drôle et au bout du compte touchant et très juste.
ESCLAVAGE MODERNE : La Chance que tu as, de Denis Michelis (coll. la Forêt)
Un jeune homme est embauché dans un restaurant prestigieux. Nourri et logé, il y est rapidement soumis à des conditions de travail drastiques et aux mauvais traitements d’employeurs exigeants et manipulateurs. Alors que commence une descente aux enfers inexorable, il n’ose pourtant se plaindre, si chanceux de travailler pour une maison aussi prestigieuse… Un premier roman qui promet d’être dérangeant avec justesse.
TOILE LITTÉRAIRE : Selon Vincent, de Christian Garcin
Entre 1812 et 2013, des destins se répondent aux quatre coins du monde, de la Patagonie à la Russie. Un roman choral énigmatique par un écrivain-voyageur qui n’aime rien tant que croiser des histoires et raconter des personnages différents.
FORZA ITALIA : Les nouveaux monstres (1978-2014), de Simonetta Greggio
Suite du remarqué Dolce Vita, ce roman raconte l’Italie des trente-cinq dernières années, marquée notamment par l’irruption sur la scène politique d’un certain Silvio Berlusconi.
LOVE IS ALL : Tout ce que je sais de l’amour, de Michela Marzano
Deuxième auteure d’origine italienne chez Stock cette année, Michela Marzano poursuit son parcours singulier dans la lignée de son précédent livre, Légère comme un papillon, paru chez Grasset avec succès. Un récit autobiographique qui questionne l’impossible recherche du Prince Charmant, le désir d’enfant, la maternité, l’amour tout simplement.
BOUCHON A PRÉVOIR : L’Autoroute, de Luc Lang
Rencontre entre un arracheur de betteraves dans le nord et un couple imprévu qui vit dans une maison au bord d’une autoroute. C’est sans doute plus que cela, mais bon, voilà…
COMME C’EST ORIGINAL : Le Jour où tu m’as quitté, de Vanessa Schneider
Une femme divorcée et mère de deux enfants est quittée à nouveau. Déception, chagrin, incompréhension, vieux démons, crainte de ne pouvoir se reconstruire, tout ça… Je vous fais un dessin ou ça va ?