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À première vue : la rentrée P.O.L. 2021


Intérêt global :


Quitte ou double P.O.L., épisode 2021.
Comme je le disais l’année dernière, pour cette maison d’édition dotée d’une ligne forte et exigeante, soit le programme de rentrée me passionne, soit il me laisse indifférent ou me hérisse. L’année dernière, j’avais eu une bonne surprise grâce à Lise Charles (
La Demoiselle à cœur ouvert, qui n’a certes pas marqué les esprits), et c’était tout.
Cette année, pas de folie non plus en vue, et plutôt des motifs d’agacement prononcé – même si deux romancières habituées du catalogue pourraient m’attirer dans leurs filets.


Ce que c’est qu’une existence, de Christine Montalbetti

Raconter, en une seule journée, plusieurs existences liées entre elles de près ou de loin. Voici le défi que se lance Christine Montalbetti (qui apparaît elle-même comme personnage) dans ce roman choral dont l’ambition est de raconter comment nous vivons tous au même moment des vies si différentes les unes des autres.
Un beau projet (qui rappelle un peu sur le papier celui de Laurent Mauvignier dans Autour du monde), que la fantaisie et l’empathie de l’auteure pourraient sublimer.

Hors gel, d’Emmanuelle Salasc

Durant des années, Emmanuelle Salasc a signé ses livres sous le pseudonyme de Pagano. Elle reprend son véritable nom pour ce nouveau roman, toujours chez P.O.L., campé en 2056.
L’écologie politique a pris le pouvoir et impose un respect drastique de la nature, désormais traitée avec un respect proche de la dévotion et placée sous haute surveillance. Dans une vallée de montagne, un village se retrouve sous la menace du glacier qui le surplombe, et qu’une poche d’eau menace de rompre, ravivant le souvenir d’une tragédie similaire, 150 ans plus tôt.
Au même moment, Lucie retrouve Clémence, sa sœur jumelle disparue depuis des années, qui lui demande de la cacher car elle serait poursuivi par un redoutable réseau de prostitution et de trafiquants de drogue.

Rabalaïre, d’Alain Guiraudie

Rabalaïre, en occitan, désigne une personne qui n’est jamais chez elle, « un mec qui va à droite, à gauche, un homme qui aime bien aller chez les gens ». Ici, le rabalaïre, c’est Jacques, chômeur, passionné de vélo, solitaire mais d’une humanité à toute épreuve, et qui, entre Clermont-Ferrand, les monts d’Auvergne et l’Aveyron, va connaître, plus ou moins malgré lui, toute une série d’aventures rocambolesques, mystérieuses, voire criminelles.
Le cinéaste Alain Guiraudie balance une pavasse de 1000 pages apparemment remplies d’aventure, de folie, de drogue et de sexe (forcément, c’est Guiraudie). Le truc imbitable façon P.O.L. (il y en a, c’est une composante constante du catalogue) qui fera friser d’orgasme une poignée d’admirateurs en rut, et laissera indifférent la grande majorité des lecteurs.


Mausolée, de Louise Chennevière
La narratrice, une jeune femme indépendante et soucieuse de sa liberté, se retrouve pourtant prise au piège d’une passion ardente et d’une rupture qui la fait durement souffrir. Ressassant une nuit entière ses souvenirs de manière obsessionnelle, elle éprouve l’absence jusqu’à son point limite et prend la plume pour pallier le manque, l’accepter et enterrer cette histoire dans un mausolée de mots.
220 pages dont j’aurai le bonheur de m’épargner la lecture.

Le Premier exil, de Santiago H. Amigorena
À Buenos Aires, au milieu des années 1960, Zeide, l’arrière-grand-père maternel de l’auteur, un Juif originaire de Kiev, décède. Mais la famille du narrateur a fui l’Argentine pour l’Uruguay afin d’échapper à la dictature, après le coup d’État militaire du général Juan Carlos Ongania en 1968. Un roman qui décrit l’enfance de S.H. Amigorena tout en dressant le portrait d’un continent blessé.
L’œuvre largement autobiographique d’Amigorena, qui a ses irréductibles fans, n’a jamais réussi à m’intéresser. Je passe, donc.

Pas dormir, de Marie Darrieussecq
Marie Darrieussecq souffre d’insomnie depuis des années.
Ça explique sans doute beaucoup de choses.


BILAN


Lecture probable :
Ce que c’est qu’une existence, de Christine Montalbetti

Lecture potentielle :
Hors gel, d’Emmanuelle Salasc

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À première vue : la rentrée Les Escales 2021


Intérêt global :


Première occurrence ici pour les Escales ! Un éditeur dont le catalogue m’est peu familier, dois-je l’avouer, mais dont un titre au moins me fait gentiment de l’œil en cette rentrée 2021.
Une raison comme une autre de lui faire une place dans la rubrique « à première vue », en espérant y faire de belles rencontres.


Nous vivions dans un pays d’été, de Lydia Millet
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Carole Bouet)

En été, dans une maison de vacances au bord d’un lac, douze adolescents étonnamment matures ainsi que leurs parents passent leurs journées dans une torpeur où se mêlent alcool, drogue et sexe.
Lorsqu’une tempête s’abat sur la région, les jeunes gens quittent les lieux en laissant là ces adultes dont l’inaction les exaspère et les effraie.
C’est le premier titre de l’Américaine Lydia Millet aux Escales, après plusieurs publications au Cherche-Midi et aux éditions Autrement.


Les aquatiques, d’Osvalde Lewat
Vingt ans après la mort de sa mère, l’enseignante Katmé Abbia apprend que sa tombe doit être déplacée. Son mari, Tashun, préfet de Yaoundé, voit là l’occasion inespérée de réparer ses erreurs et de donner un nouvel élan à sa carrière politique. Mais avec l’arrestation de son meilleur ami Samy, un artiste tourmenté, la vie de Katmé et les ambitions de Tashun entrent en collision.
Photographe et réalisatrice franco-camerounaise, Osvalde Lewat ajoute à sa palette artistique ce premier roman.

Ombres portées, d’Ariana Neumann
(traduit de l’anglais par Nathalie Peronny)

Récit de l’enquête familiale menée par l’auteure sur son père après la mort de ce dernier, lorsqu’elle découvre dans ses affaires des documents révélant qu’il avait vécu à Berlin sous une fausse identité pendant la Seconde Guerre mondiale.


BILAN


Lecture probable :
Nous vivions dans un pays d’été, de Lydia Millet

Lecture hypothétique :
Ombres portées, d’Ariana Neumann


Ça raconte Sarah, de Pauline Delabroy-Allard

Delabroy-Allard - Ca raconte SarahÇa raconte une femme, jeune, mère célibataire d’une petite fille. Professeur. Vivotant une relation avec un homme gentil, mais…
Ça raconte une rencontre. Un réveillon de jour de l’an sans intérêt, les invités compassés, l’ennui discret et cette horrible obligation de « faire la fête » parce qu’une année se termine et qu’une autre commence.
Ça raconte rien – puis Sarah. La tornade Sarah, la dévastation Sarah, l’irrévérence Sarah.
Ça raconte le foudroiement, l’embrasement des sens, l’explosion des passions. Ça raconte l’amour, ça raconte faire l’amour, autrement – parce qu’on ne peut pas faire autrement. Ça raconte le plaisir, la jouissance, l’orgasme. Ça raconte les corps qui se tordent et exultent et recommencent à peine repus.

Ça raconte aussi la violence, l’impatience, l’intransigeance. Les abandons, les menaces, les retrouvailles. L’impossibilité de survivre à une telle débauche de passion, et l’impossibilité de faire autrement.

Ça raconte encore la mort, qui vient. Ça raconte la dérive, la dévastation, la folie de l’infini chagrin.

Ça raconte finalement la naissance d’une voix unique, d’un art singulier pour manipuler les mots, les bousculer, les pousser dans leurs retranchements, les envoyer valdinguer contre les murs du silence pour en extirper les sons de la vie.
Ça raconte Pauline Delabroy-Allard, trente ans et un énorme talent.
Ça raconte un premier roman qui fracasse la rentrée.

Ça raconte Sarah. Et c’est à ne pas manquer.

Ça raconte Sarah, de Pauline Delabroy-Allard
Éditions de Minuit, 2018
ISBN 9782707344755
192 p., 15€


Par le vent pleuré, de Ron Rash

En 1969, une partie de l’Amérique vit au rythme libératoire du Summer of Love. Sexe, drogues et rock’n’roll – un cocktail dont la petite ville de Sylva, dans les Appalaches, est très éloignée. Bill et Eugene vivent avec leur mère sous la coupe de leur grand-père, l’influent médecin de la ville, qui finance leur existence à condition d’y exercer sa tyrannie ordinaire. Un jour de pêche au bord de leur rivière, les deux frèrRash par le vent pleure.inddes adolescents rencontrent Ligeia, une fille de leur âge à la beauté et aux moeurs incendiaires, envoyée par ses parents se calmer à Sylva pour éviter qu’elle ne fasse la bêtise de trop. A son contact, les garçons, surtout Eugene, le plus jeune, vivent une initiation accélérée à toutes sortes de plaisirs plus ou moins sains. Jusqu’à la disparition brutale de Ligeia, du jour au lendemain.
Plusieurs décennies plus tard, la rivière libère une poignée d’ossements cachés dans ses replis depuis autant d’années. Ce sont les restes de Ligeia. Pour Eugene, c’est un choc, et l’occasion de mettre au jour bien des secrets de sa jeunesse…

Ron Rash fait partie de ces auteurs américains si puissamment attachés à la région où ils sont nés et où ils vivent qu’ils en font le cœur de leur travail. Paysage emblématique des livres de Rash, les Appalaches n’en finissent donc pas de l’inspirer, et c’est tant mieux car, roman après roman, cet immense écrivain construit une œuvre exceptionnelle, d’une force littéraire si impressionnante qu’il figure pour moi parmi les meilleurs auteurs contemporains des États-Unis.
Par le vent pleuré creuse donc son sillon, en cultivant un certain nombre d’éléments récurrents chez le romancier : les secrets et les histoires de famille, la quête de liberté et d’émancipation, la force de la nature contre laquelle l’homme se heurte souvent, incarnée en particulier ici par la rivière (déjà omniprésente dans Le Chant de la Tamassee, sa précédente parution en France), le poids écrasant du passé et des non-dits…

Il y ajoute un aspect inédit en s’intéressant à cette période particulière de l’histoire des États-Unis, la fin des années 60 et le Summer of Love. Le décorum est connu, mais Rash le rend d’autant plus fascinant qu’il l’introduit dans un cadre, naturel et humain, qui en est très éloigné. La rudesse de la nature et des Appalachiens se heurte ainsi à la sauvagerie à la fois exaltante et dangereuse des corps et des âmes en quête de libération et d’abandon.
Plus maître de son style que jamais, Ron Rash observe ce frottement avec une précision d’ethnologue, jouant sur l’alternance entre le récit du présent (la découverte des restes de Ligeia et ses conséquences sur la vie d’Eugene et Bill) et celui du passé (la rencontre des deux frères avec la jeune fille) pour créer une tension sourde mais tenace. Cela vaut au roman d’être assez bref, tenaillé de doute et de mystère jusqu’au bout, et de monter en puissance à mesure que les ombres des personnages se dévoilent jusqu’aux révélations finales.

Sans être le livre le plus impressionnant ni le plus complexe de Ron Rash, Par le vent pleuré fait très belle figure dans son œuvre, et confirme s’il en est besoin la place incontestable que le romancier occupe dans les lettres américaines. Nous devrions découvrir l’année prochaine une autre facette de son travail, importante mais inédite chez nous, avec la publication d’un recueil de ses poèmes. Rash n’a pas fini de nous éblouir !

Par le vent pleuré, de Ron Rash
(The Risen, traduit de l’américain par Isabelle Reinharez)
Éditions du Seuil, 2017
ISBN 978-2-021-33855-3
208 p., 19,50€


Kabukicho, de Dominique Sylvain

Signé Bookfalo Kill

Dominique Sylvain a une immense passion pour le Japon, où elle a vécu longtemps – une influence qui apparaît à intervalles réguliers dans ses romans, dont le premier, Baka !, se déroulait déjà dans ce pays. Kabukicho lui permet d’y retourner une nouvelle fois, à l’occasion d’une plongée étonnante, trouble et sulfureuse, dans le quartier « chaud » de Tokyo qui donne son titre au roman.

sylvain-kabukichoKabukicho, en effet, est le quartier de la nuit de la capitale japonaise. Une sorte de Pigalle puissance mille, où se mêlent les appétits sexuels les plus débridés, des jeux de dupes et de masques vertigineux entre menteurs patentés, et l’emprise des yakuza, les mafieux locaux. Une poignée de personnages taillés au cordeau, comme toujours chez Dominique Sylvain, nous permet de traverser le miroir : Marie, jeune Française venue poursuivre son rêve du Japon et devenue par hasard hôtesse au Club Gaia, salon sélect où la prostitution n’est pas la bienvenue ; Yudai, hôte le plus célèbre du quartier, séduisant et charismatique ; Yamada, policier du commissariat de Shinjuku (l’arrondissement de Tokyo dont fait partie Kabukicho) rondouillard et partiellement amnésique…
Dans la fureur du quartier rouge, tous se cherchent et sont parvenus à un moment charnière de leur existence. Il suffit d’une disparition, celle de Kate Sanders, collègue de Marie au Club Gaia dont elle était la favorite, pour que tout bascule. Alors que Jason, le père de Kate, débarque à Tokyo comme un ouragan désespéré, tous vont tenter de savoir ce qu’est devenue la jeune Anglaise qui avait tout pour elle et aucune raison de s’évaporer ainsi.

Ce roman cache bien son jeu, c’est le moins que l’on puisse dire. De l’intrigue et de ses évolutions, je ne vous dirai bien sûr rien de plus. J’avoue pourtant que j’avais pressenti une partie de la solution – mais à aucun moment que Dominique Sylvain irait si loin dans la noirceur et la violence. Il faut dire que le rythme de Kabukicho est trompeur. A la manière des beaux mensonges dont les acteurs du quartier chaud de Tokyo sont les spécialistes, la romancière prend d’abord soin d’endormir son lecteur – non pas que le livre soit ennuyeux, au contraire ; mais hormis la disparition de Kate, actée dès le début, et le débarquement tonitruant de son père à Tokyo, il ne se passe pas énormément de choses dans les premiers chapitres.
En guide experte, Dominique Sylvain prend en effet le temps d’exposer son décor si particulier, et il y a beaucoup à dire. On est éberlué par la découverte de Kabukicho, ses rites et ses figures, qui mêlent des perversions humaines universelles à des éléments culturels typiquement japonais. Le mélange est détonnant et fascine très vite, d’autant que la romancière le décrit avec précision et sobriété, affûtant encore son style déjà considérablement aiguisé dans son précédent opus, L’Archange du chaos.

Puis, petit à petit, Dominique Sylvain fait tomber les masques, tandis que le tempo s’élève inexorablement et que le ton du roman se durcit. Kabukicho confirme la tendance de son auteure à oser totalement le noir, à assumer une tournure plus cruelle à ses histoires – évolution passionnante que ses précédents livres amorçaient et que ce nouvel opus appuie avec maestria, grâce notamment à une fin effarante (et réjouissante !)
Loin de rester confinée dans son confort de romancière reconnue et ses habitudes, Dominique Sylvain fait évoluer son œuvre, et cette remise en question audacieuse débouche aujourd’hui sur l’un de ses meilleurs livres. On ne peut que la féliciter, et attendre la suite avec une curiosité renouvelée.

Kabukicho, de Dominique Sylvain
Éditions Viviane Hamy, 2016
ISBN 978-2-87858-321-2
277 p., 19€


A première vue : la rentrée P.O.L. 2016

Chez P.O.L. cette année, on retrouve quelques noms connus de la maison (Amigorena, Boyer, Montalbetti) mais pas de grosse pointure médiatique. On attend donc de découvrir de jolies choses (comme Titus n’aimait pas Bérénice, l’un des succès surprises de l’année dernière signé Nathalie Azoulai), avec comme souvent de l’inattendu et du singulier au menu – même si les espoirs sont assez maigres en cette rentrée 2016, soyons honnêtes, à une exception près. Voire deux, avec un peu de chance.

Montalbetti - La vie est faite de ces toutes petites chosesGRAVITY : La Vie est faite de ces toutes petites choses, de Christine Montalbetti
Dans l’espace, comment dort-on, comment fait-on la cuisine ou du sport ? A quoi pense-t-on avant le décollage de la navette qui doit vous emmener vers les étoiles ? Drôles de questions, n’est-ce pas ! Christine Montalbetti y répond, entre autres, dans ce roman extrêmement original qui nous fera découvrir toute la vie entourant l’aventure spatiale, au fil de petites scènes curieuses, surprenantes, amusantes… Assurément, un OVNI littéraire en perspective !

Bermann - Amours sur mesureLOVE ACTUALLY : Amours sur mesure, de Mathieu Bermann
Ah, l’amour ! Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, ce sera toujours un sujet pour les écrivains. Et c’est donc celui choisi par Mathieu Bermann pour son premier roman, dans lequel il ambitionne d’en cerner toutes les facettes : amitié, plan cul d’un soir, rencontre de hasard, affection, amour durable d’un couple…

Amigorena - Les toutes premières foisVERNISSAGES : Les premières fois, de Santiago H. Amigorena
Avec un titre pareil, vous me voyez venir, il va forcément être question d’amour. Oui, mais pas que – ouf ! Amigorena entreprend d’évoquer l’exaltation infinie que l’on ressent au moment où l’on accomplit en toute conscience quelque chose pour la première fois – tout en sachant que ce sentiment incroyablement puissant ne sera jamais restitué lors de la deuxième, troisième, dixième ou centième fois… Suivant les pas de son adolescence, il raconte donc ses premières fois, les reliant à la littérature et à l’art d’écrire.

COMME JE VOUS AIME, COMME J’AI PEUR DE VOUS : Yeux noirs, de Frédéric Boyer
Le narrateur tente de raconter un souvenir d’enfance perdu, l’histoire d’une rencontre troublante. Et un prétexte pour causer de quoi ? Hé ben, d’amour, tiens. Cf. Ci-dessus…

RIPLEY : Double nationalité, de Nina Yargekov
Le résumé Électre est vraiment rigolo : « Une jeune femme se réveille dans un aéroport, se questionnant à la fois sur son identité et sur sa destination. Dans son sac, elle dispose de deux passeports et d’une lingette rince-doigts. Que doit-elle faire ? » Bon, pas sûr que le roman soit aussi joueur qu’il n’en a l’air…


A première vue : la rentrée Albin Michel 2016

Ça dérape un peu chez Albin Michel ! Neuf titres français et trois étrangers rien qu’en août, c’est plus que les années précédentes et ce n’est pas forcément pour le meilleur, gare au syndrome Gallimard… Il devrait y avoir tout de même deux ou trois rendez-vous importants, comme souvent avec cette maison, que ce soit du côté des premiers romans comme des auteurs confirmés.

Gros - PossédéesLE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Possédées, de Frédéric Gros
C’est l’un des buzz de l’été chez les libraires, et c’est souvent bon signe. Pour son premier roman, l’essayiste et philosophe Frédéric Gros s’intéresse au cas des possédées de Loudun, sombre histoire de possession et exorcisme de bonnes sœurs soi-disant habitées par Satan réincarné sous la forme du curé Urbain Grandier. Nous sommes en 1632, Richelieu est au pouvoir et entend mener une répression sévère contre la Réforme ; humaniste, amoureux des femmes, Grandier est une cible parfaite… Une réflexion sur le fanatisme qui devrait créer des échos troublants entre passé et présent.

Guenassia - La Valse des arbres et du cielL’HOMME A L’OREILLE COUPÉE : La Valse des arbres et du ciel, de Jean-Michel Guenassia
Après un précédent roman (Trompe-la-mort) moins convaincant, l’auteur du Club des incorrigibles optimistes revient avec un roman historique mettant en scène les derniers jours de Vincent Van Gogh, en particulier sa relation avec Marguerite, une jeune femme avide de liberté, fille du célèbre docteur Gachet, connu comme l’ami des impressionnistes – mais l’était-il tant que ça ? Guenassia s’inspire aussi de recherches récentes sur les conditions de la mort de Van Gogh, fragilisant l’hypothèse de son suicide… On attend forcément de voir ce que ce grand raconteur d’histoire peut faire avec un sujet pareil.

Gougaud - LithiumWERTHER MINUS : Lithium, d’Aurélien Gougaud
Elle refuse de penser au lendemain et se noie dans les fêtes, l’alcool et le sexe sans se soucier du reste ; Il vient de se lancer dans la vie active mais travaille sans passion. Ils sont les enfants d’une nouvelle génération perdue qui reste assez jeune pour tenter de croire à une possibilité de renouveau. Premier roman d’un auteur de 25 ans, qui scrute ses semblables dans un roman annoncé comme sombre et désenchanté.

Hoffmann - Un enfant plein d'angoisse et très sage2ABOUT A BOY : Un enfant plein d’angoisse et très sage, de Stéphane Hoffmann
Ce titre, on dirait un couplet d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, tiens ! (C’est affectueux, hein.) Antoine, 13 ans, aimerait davantage de considération de la part de ses parents, duo d’égoïstes qui préfèrent le confier à un internat suisse ou à sa grand-mère de Chamonix plutôt que de l’élever. Mais le jour où ils s’intéressent enfin à lui, ce n’est peut-être pas une si bonne nouvelle que cela… Une comédie familiale pour traiter avec légèreté du désamour filial.

Lacroix - PechblendeQUAND NOTRE CŒUR FAIT BOUM : Pechblende, de Jean-Yves Lacroix
Deuxième roman d’un libraire parisien spécialisé dans les livres d’occasion – ce qui explique sans doute pourquoi le héros de ce livre est justement libraire dans une librairie de livres anciens (ah). A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le dit libraire tombe amoureux d’une assistante de Frédéric Joliot-Curie, mais se trouve confronté à un dilemme cruel lorsque le conflit éclate et que son patron décide d’entrer dans la clandestinité.

Rault - La Danse des vivants2MEMENTO : La Danse des vivants, d’Antoine Rault
A la fin de la Première Guerre mondiale, un jeune homme se réveille dans un hôpital militaire, amnésique mais parlant couramment aussi le français que l’allemand. Les services secrets français imaginent alors de l’affubler de l’identité d’un Allemand mort et de l’envoyer en infiltration de l’autre côté de la frontière… Après Pierre Lemaitre racontant l’impossible réinsertion des soldats survivants à la fin de la guerre dans Au revoir là-haut, le dramaturge à succès Antoine Rault s’intéresse au début de l’entre-deux-guerres dans l’Allemagne de Weimar. Une démarche intéressante, pour un livre présenté comme un roman d’aventures.

Nothomb - Riquet à la houppe2AMÉLIE MÉLO : Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb
Nothomb n’en finit plus de se recycler, et cette année, la peine est sévère. Je l’annonce tout net, j’ai tenu cinquante pages avant d’abandonner la lecture de ce pensum sans imagination, remake laborieux d’un conte qui rejoue grossièrement Attentat, l’un des premiers livres de la romancière belge. Franchement, si c’est pour se perdre dans ce genre de facilité, Amélie devrait prendre des vacances. Ça nous en ferait.

BATTLEFIELD : Avec la mort en tenue de bataille, de José Alvarez
Le parcours épique d’une femme, respectable mère de famille qui se lance corps et âme dans la lutte contre le franquisme dès 1936, se révélant à elle-même tout en incarnant le déchirement de l’Espagne d’alors.

MON PÈRE CE HÉROS : Comment tu parles de ton père, de Joann Sfar
L’hyperactif Sfar revient au roman, ou plutôt au récit, puisqu’il évoque son père (tiens, quelle surprise). Je le laisse aux aficionados, dont je ne suis pas…

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James - Brève histoire de sept meurtres2BUFFALO SOLDIER : Brève histoire de sept meurtres, de Marlon James (un peu lu)
Cette première traduction mais troisième roman du Jamaïcain Marlon James a reçu le Man Booker Prize en 2015 et arrive en France auréolé d’une réputation impressionnante. Et pour cause, ce livre volumineux (850 pages) affiche clairement son ambition, celle d’un roman choral monumental qui s’articule librement autour d’un fait divers majeur, une tentative d’assassinat dont fut victime Bob Marley en décembre 1976 juste avant un grand concert gratuit à Kingston. En donnant une voix aussi bien à des membres de gang qu’à des hommes politiques, des journalistes, un agent de la CIA, des proches de Marley (rebaptisé le Chanteur) et même des fantômes, Marlon James entreprend une vaste radiographie de son pays.
Une entreprise formidable – peut-être trop pour moi : je viens de caler au bout de cent pages, écrasé par le nombre de personnages, le style volcanique et un paquet de références historiques que je ne maîtrise pas du tout… Ce roman va faire parler de lui, c’est certain, il sera sans doute beaucoup acheté – mais combien le liront vraiment ? Je suis curieux d’avoir d’autres retours.

Enia - Sur cette terre comme au cielRAGING BULL : Sur la terre comme au ciel, de Davide Enia
Une grande fresque campée en Sicile, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 90, qui entrelace le destin de trois générations, dont le petit Davidù, gamin de neuf ans qui fait l’apprentissage de la vie, de l’amour et de la bagarre dans les rues de Palerme. Premier roman de Davide Enia, finaliste du prix Strega, l’équivalent italien du Goncourt.

COLLISION : La Vie nous emportera, de David Treuer
Août 1942. Sur le point de s’engager dans l’U.S. Air Force, un jeune homme se trouve mêlé à un accident tragique qui bouleverse non seulement son existence, mais aussi de ses proches. Une fresque humaine et historique à l’américaine.


Celle que vous croyez, de Camille Laurens

Signé Bookfalo Kill

A quarante-huit ans, divorcée, embourbée dans une relation douloureuse avec un amant condescendant et volage, Claire Millecam décide de créer un faux profil Facebook pour pouvoir le surveiller, notamment en se liant d’amitié avec Chris, l’un de ses meilleurs amis. Sans imaginer que Chris pourrait tomber amoureux d’elle – ou du moins, de son identité fictive…

Je n’avais pas prévu de lire ce roman, dont la quatrième de couverture éveillait en moi, au mieux de l’indifférence, au pire de la méfiance. Après avoir senti mon a priori vaciller à la suite de bons retours, j’ai dû me résoudre à cette lecture, par obligation professionnelle. Comme quoi, il faut parfois pousser plus loin que le bout de son nez, car j’ai finalement apprécié Celle que vous croyez.

BLA_Laurens_Celle_CV.inddRendant de plus en plus floue au fil des pages la frontière entre réel et virtuel, réalité et fiction, le livre progresse au cours de ses trois parties de la fiction à l’autofiction, laissant imaginer de prime abord que tout n’est qu’invention pour mieux nous révéler qu’il y a du vécu derrière son intrigue, que la douleur de l’héroïne est aussi celle de l’auteure, qu’il y a du Camille derrière Millecam – anagramme un peu trop « clair », cela dit, figurant parmi les quelques ficelles grossières que tire parfois (rarement) la romancière pour étayer son propos.
Oui, tiens, puisqu’on en parle, il y a des petites choses agaçantes par-ci par-là, des jeux de mots faciles, des sentences trop définitives, une vision de l’humanité peut-être trop manichéenne qui oppose systématiquement les femmes soumises à une constante oppression (sociale, professionnelle, sexuelle), aux hommes manipulateurs, trompeurs, dominateurs – même s’il y a également beaucoup, beaucoup de vrai dans les réflexions de Camille Laurens, tiraillée entre un féminisme combatif et une profonde lassitude face à l’inégalité toujours renouvelée entre hommes et femmes.
Pour manquer un peu de finesse, sa critique entre les lignes de nos sociétés patriarcales n’en est pas moins valide, et il est difficile de rester insensible à la clairvoyance de ses analyses et à la sincère virulence de ses emportements.

Celle que vous croyez, roman militant ? Pas forcément. En tout cas, pas seulement. C’est aussi une réflexion sur la littérature, sur le pouvoir des mots, sur la manière dont le style peut permettre d’affronter le réel, sur la capacité du roman à donner sens à la vie – et non pas l’inverse. La force de ses convictions, assénées d’un style énergique qui mène le récit à grande vitesse, emporte souvent l’adhésion.
Quant à la structure même du livre, mise en abyme d’une grande habileté qui intègre un roman (écrit par Claire Millecam) au roman (de Camille Laurens), avant de brouiller les limites entre fiction et autofiction au point de ne les rendre fiables ni l’une ni l’autre, elle séduit d’autant plus qu’elle surprend, en nous amenant à repenser constamment le propos et à s’interroger sur ses vérités et ses mensonges.

Femme engagée, libre, volontaire mais fragile – ce livre le dit, ô combien, notamment dans une troisième partie où elle évoque sans fard mais avec une honnêteté qui force le respect les ravages d’une humiliation masculine incroyablement douloureuse -, Camille Laurens met autant à nu sa littérature que son cœur et son corps. Elle le fait avec pudeur, grâce à sa manière de tordre le genre de l’autofiction pour en faire une matière à penser, et non pas juste un lieu d’épanchement psychanalytique – loin d’une Christine Angot, par exemple (et heureusement). Pour le dire autrement, en mettant à distance l’autofiction, en l’amenant en bout de course et en l’assimilant fortement au romanesque qui l’a précédée, au point de faire douter de sa véracité, elle met à distance le voyeurisme et universalise son propos, au lieu de le garder exclusif.
Dissimulé sous l’intrigue initiale qui prend à parti la perversité des réseaux sociaux, l’exercice est confondant d’audace, surtout qu’il avance masqué. Ce qui fait de Celle que vous croyez un roman prenant, très plaisant à lire, qui amène à réfléchir. Utile, donc.

Celle que vous croyez, de Camille Laurens
Éditions Gallimard, 2016
ISBN 978-2-07-014387-0
185 p., 17,50€


Les ennemis de la vie ordinaire, d’Héléna Marienské

Signé Bookfalo Kill

Psychiatre spécialiste des addictions, Clarisse imagine de monter une thérapie de groupe pour ses cas les plus sévères. Elle réunit donc dans la même pièce un curé cocaïnomane et sosie du Pape François, une alcoolique en perdition, un professeur d’université fornicateur au dernier degré, une ado junkie, un joueur obsédé par la roulette, une acheteuse compulsive de vêtements et un sportif tellement accro que son corps ne suit plus et se casse en morceaux. En les confrontant à leurs perditions respectives, Clarisse espère les voir se réfréner spontanément.
Mais c’est tout le contraire qui se produit : après quelques frottements dus aux caractères explosifs des forces en présence, les sept patients, loin de se soigner, commencent à se refiler leurs obsessions et à devenir polyaddicts…

Marienské - Les ennemis de la vie ordinaireBon, oui, je sais, présenté de cette manière, ce roman pourrait ne pas en faire rêver certains d’entre vous. Je ne vais pas vous jouer de la flûte, ce n’est pas le roman de la rentrée littéraire. MAIS – mais c’est tout de même un bon livre, pour peu qu’on apprécie les comédies bien déjantées, qui n’ont peur de rien et surtout pas de cramer allègrement toutes les limites possibles de la décence et du réalisme.

La principale qualité des Ennemis de la vie ordinaire, c’est de commencer de manière tranquille (relativement tout de même, on y revient), pour ensuite voguer avec régularité vers les excès les plus loufoques, sans remords ni jamais mollir, jusqu’à un final d’anthologie.
Au début, Héléna Marienské est prise par un impératif simple : cadrer ses nombreux personnages, les poser dans leurs addictions respectives, ce qui l’oblige à les présenter l’un après l’autre. Le procédé n’évite pas le piège du systématisme ni celui de certains clichés, mais il est indispensable pour en arriver au cœur du récit : la joyeuse mise en commun des obsessions, qui s’épanouit bientôt dans un projet complètement dingue nécessitant les qualités et défauts respectifs des héros, éloge de la solidarité et de l’amitié décomplexées.

Dans son dernier tiers, le roman devient totalement barge, et on sent, à sa verve et au rythme trépidant du récit, que la romancière s’est particulièrement amusée à partir de ce moment-là. Ça tombe bien, son enthousiasme est contagieux. Je me suis franchement amusé avec ce final prenant pour cadre un tournoi international de poker, où Héléna Marienské lâche la bride à ses personnages et leur laisse la main.

Ce n’est pas toujours très subtil, mais Les ennemis de la vie ordinaire permettent de passer un bon moment, irrévérencieux (mention spéciale au curé sosie du pape : l’idée paraît balourde, mais la romancière l’exploite avec talent), assez original et au final plutôt joyeux. Rien que pour cela, ce livre est un spécimen assez rare, surtout dans une rentrée littéraire dure et morose. Donc, si vous cherchez un échappatoire singulier, votez Marienské !

Les ennemis de la vie ordinaire, d’Héléna Marienské
Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-08-136659-6
320 p., 19€


A première vue : la rentrée Seuil 2015

Les éditions du Seuil font partie des grosses écuries dont nous n’avons pas encore parlé cette année. Qu’à cela ne tienne, c’est parti ! Néanmoins, pas de quoi sauter au plafond non plus… Du côté des francophones, à part Alain Mabanckou, qu’on voit mal nous décevoir, les titres annoncés ne nous excitent pas plus que cela (constat entièrement personnel, évidemment). Ca pourrait être mieux du côté des étrangers – ça pourrait. Et dans le meilleur des mondes, nous pourrions aussi nous tromper complètement. Réponse(s) à la rentrée.

Mabanckou - Petit PimentÇA PIQUE, ÇA LANCE ET ÇA REPIQUE DERRIÈRE : Petit Piment, d’Alain Mabanckou
Petit Piment est un orphelin de Pointe-Noire dont la vie est pour le moins agitée. Pensionnaire d’une institution catholique dirigée par le tyrannique et corrompu Dieudonné Ngoulmoumako, il profite de la révolution socialiste pour s’évader, faire les quatre cent coups, puis se réfugier dans la maison close de Maman Fiat 500. Il y coule enfin des jours paisibles, jusqu’au au jour où le maire décide de s’attaquer à la prostitution. Ulcéré, Petit Piment passe en mode vengeance…

Desbiolles - Le Beau tempsON EN A GROS : Le Beau temps, de Marilyne Desbiolles (lu)
Roman biographique ou biographie romancée, roman documentaire, exofiction : les noms flous ne manquent pas pour tenter de définir ce genre très (trop ?) à la mode mêlant travail littéraire et personnages ou faits réels. Si Patrick Deville, Jean Echenoz et Eric Vuillard, entre autres, s’y sont brillamment illustrés, Marilyne Desbiolles aurait mieux de s’abstenir. Sa tentative, consacrée à Maurice Jaubert (compositeur de musique de films du début XXème) n’a définitivement rien d’un roman ; pas sublimée par un style, c’est une biographie assez pauvre et sans intérêt, ses rares incursions dans le texte pour ajouter de la matière littéraire s’avérant souvent ratées.

Delerm - Les eaux troubles du mojitoY’A DE LA RELANCE SUR LE DEJA-VU : Les eaux troubles du mojito, de Philippe Delerm
Sous-titré « et autres belles raisons d’habiter sur terre », ce petit livre ramène Delerm sur le chemin balisé qu’il avait ouvert avec La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, celui de textes courts et poétiques sur les petites choses qui font le sel de la vie quotidienne. C’était il y a dix-huit ans et rien n’a changé ou presque.

Holder - La Saison des BijouxUN ROI A LA TAVERNE : La Saison des Bijoux, d’Eric Holder
Écrivain de l’intime, Eric Holder revient avec une immersion dans le monde des marchands ambulants. Le temps d’un été, Jeanne, Bruno et leur tribu s’installent dans une petite ville de la côte Atlantique et tiennent un stand sur le marché. Entre les différents artisans et maraîchers présents autour d’eux, Forgeaud, le patron des lieux, est subjugué par Jeanne et se promet de la posséder avant la fin de la saison… Un huis-clos au grand air, passionnel et intimiste, qui sert de prétexte à une galerie de personnages hauts en couleur.

Kebabdjian - Les désoeuvrésUNAGI : Les Désœuvrés, d’Aram Kebabdjian
La Cité est une résidence où se côtoient de nombreux artistes, uniquement préoccupés de créer en ce lieu pensé pour eux. Chaque chapitre de ce long premier roman s’intéresse à une œuvre et à un artiste imaginés de toutes pièces par l’auteur, composant une vision de l’art contemporain. L’idée est intéressante, mais sur 512 pages, j’espère qu’on verra évoluer les personnages et que le livre ne se résumera pas à une longue énumération, sous peine de finir par manquer d’intérêt…

Majdalani - Villa des femmesELLE EST OÙ LA POULETTE ? : Villa des femmes, de Charif Majdalani
Le romancier libanais (qui écrit en français) met en parallèle, dans le Liban des années 60, la guerre de succession suivant le décès de Skandar Hayek, un homme d’affaires prospère dont la famille se déchire, et la guerre civile qui ébranle le pays. L’occasion pour les femmes de la famille de prendre le pouvoir…

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Grossman - Un cheval entre dans un barLA PENTE FATALE : Un cheval entre dans un bar, de David Grossman
(traduit de l’hébreu par Nicolas Weill)
Sous les yeux du juge Avishaï Lazar, un ancien ami d’école, un comédien monte sur la scène d’un club miteux d’Israël, où son numéro de comique vulgaire dérape soudain vers une confession inattendue et terrible. Depuis Une femme fuyant l’annonce, prix Médicis étranger 2011, le romancier israélien est très suivi.

Kapoor - Un mauvais garçonIL TABASSE LE ROUQUIN : Un mauvais garçon, de Deepti Kapoor
(traduit de l’anglais (Inde) par Michèle Albaret-Maatsch)
Sa mère est morte, son père est parti, elle a vingt ans à New Delhi. Elle voudrait brûler sa vie mais se plie aux conventions sociales, pas le choix. Jusqu’au jour où elle rencontre ce mauvais garçon qui l’attire irrésistiblement. Sexe, drogue, alcool, elle plonge corps et âme avec lui dans une ville beaucoup plus dangereuse et palpitante qu’elle ne l’imaginait.

Cuenca Sandoval - Les hémisphèresJ’AI UN PIVERT DANS LA TÊTE, C’EST NORMAL ? : Les hémisphères, de Mario Cuenca Sandoval
(traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon)
En vacances à Ibiza, deux amis s’adonnent à tous les plaisirs, abusant notamment de dantéine, une drogue en forme de poudre orange. Sous son emprise, ils tuent accidentellement une jeune femme au volant de leur voiture. Des années plus tard, ils restent obsédés par l’image de celle qu’ils nomment « la Première Femme », croyant la voir réincarnée dans d’autres silhouettes féminines qu’ils pourchassent sans relâche.

(Merci à Alexandre Astier pour les titres introduisant chaque présentation !)


A première vue : la rentrée Actes Sud 2015

À première vue, en 2015, les éditions Actes Sud ne perdront pas le nord (ah ah) grâce à Mathias Enard, dont Boussole devrait aimanter leur rentrée vers la pôle position (voire jusqu’à un prix ?)
Pour le reste, entre ces dames et ces messieurs, il y a du solide, du curieux, de l’original, du moins séduisant – et le plus gros événement médiatique de la rentrée, pas forcément pour les meilleures raisons… (Rendez-vous en fin d’article pour découvrir de quoi il s’agit !)

Enard - BoussoleUN PEU PLUS À L’OUEST : Boussole, de Mathias Enard
A travers les réflexions et souvenirs fiévreux d’un homme frappé d’insomnie le temps d’une nuit, Enard revisite l’histoire des relations entre Orient et Occident. Tout simplement ! Un voyage érudit, sans doute puissamment littéraire connaissant l’auteur, fruit d’un long travail, qui devrait marquer la rentrée et semble un candidat sérieux à un prix (pour autant qu’un prix ait l’ambition cette année de couronner une véritable œuvre).

Larnaudie - Notre désir est sans remèdeÉCRAN CREVÉ : Notre désir est sans remède, de Mathieu Larnaudie
Grandeur et décadence à Hollywood d’une actrice trop belle, trop libre pour ne pas déranger les bonnes consciences : à travers le portrait de Frances Farmer, star déchue du cinéma américain dans les années 30, Larnaudie interroge la perversion de la célébrité et du poids de l’image.

Benameur - Otages intimesRETOUR DU FRONT : Otages intimes, de Jeanne Benameur
Enfin libéré après avoir longuement été retenu en otage, un photographe de guerre revient chez lui, dans le village de sa jeunesse, pour se remettre et affronter, sereinement si possible, les souvenirs du chaos qu’il a vécu. Un parcours qu’il accomplit auprès de deux amis d’enfance, tous trois cherchant à comprendre ce qui nous rend tous plus ou moins otages de moments de notre vie.

Claro - Crash-TestCORPS SAUVAGES : Crash-Test, de Claro
Trois personnages sont à la croisée d’une réflexion poétique sur le corps et la violence : un homme chargé de réaliser des crash-tests avec des cadavres, une strip-teaseuse exposée chaque soir aux regards incandescents des hommes, un adolescent s’adonnant au sexe solitaire dans sa chambre avec des bandes dessinées pour adultes. Sur le papier, quelque chose du Crash de J.G. Ballard, bien sûr, mais avec Claro, il ne faut pas s’attendre à un simple décalque.

Lachaud - Ah ! Ca iraTHOMAS MORE RELOADED : Ah ! Ca ira…, de Denis Lachaud
Avec ce gros roman (432 pages), Lachaud esquisse une utopie politique, dans laquelle la révolte contre les dérives de la société passe, non plus par la violence, mais par le passage à l’acte citoyen. Au cœur du livre, un père et sa fille. Le premier, en 2016, accomplit un geste qui l’envoie en prison. En 2037, lorsqu’il recouvre la liberté, c’est sa fille qui prend la relève et mène le combat à sa manière, dans un mouvement visant à rejeter la démocratie telle que nous la subissons.

Garat - La SourceÀ LA CLAIRE FONTAINE : La Source, d’Anne-Marie Garat
Dans un domaine reculé de Franche-Comté, une vieille femme raconte à la narratrice qu’elle accueille pour quelques jours l’histoire de la maison et de ses habitants. Mais ses récits sont-ils véridiques, ou tisse-t-elle la toile d’une étrange fiction ? Et que vient chercher ici la narratrice, dont le passé familial recèle de sombres secrets ? Un gros roman romanesque comme les aime Anne-Marie Garat.

SIM CITY : Bâtisseurs de l’oubli, de Nathalie Démoulin
Dans la région de Sète, l’architecte Marc Barca s’est échiné durant des années à repenser le paysage urbain, confrontant ses rêves de béton aux vestiges romains antiques qui émergent régulièrement de la terre. Face à lui, la Méditerranée, personnage à part entière du roman.

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Côté étrangers, nous avons un peu de mal à délimiter les contours du programme pour le moment, aussi nous concentrerons-nous sur deux titres en particulier, ce qui sera déjà pas mal…

MENTEUR MENTEUR : L’Imposteur, de Javier Cercas
(traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic)
Le gros morceau de la rentrée étrangère chez Actes Sud, c’est lui. Et ce roman évoquant le dévoilement de la supercherie d’un nonagénaire barcelonais, porte-parole des survivants espagnols de l’Holocauste pendant des années, qui s’avère n’avoir jamais connu lui-même l’horreur des camps contrairement à ce qu’il prétendait, ne manquera pas de faire parler. D’après les premiers retours, en (très) bien !

Gilbert - & filsAU REVOIR LES ENFANTS : & fils, de David Gilbert
(traduit de l’américain par Clément Baude)
Décidément, ces dernières années, l’écrivain culte est à la mode dans les romans. Après notamment Joël Dicker (La Vérité sur l’affaire Harry Quebert) et cette année Alice Zeniter (Juste avant l’oubli), voici l’Américain David Gilbert, qui raconte les tentatives du dit écrivain pour renouer avec ses fils.

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Et enfin, nous l’annoncions en préambule, LE titre médiatique de la rentrée, le rouleau compresseur qui va faire saigner les stylos des critiques et s’énerver fans et détracteurs à partir du 26 août :

Lagercrantz - Millenium 4, Ce qui ne me tue pasLA SUITE QUI N’AURAIT JAMAIS DÛ ÊTRE ÉCRITE : Millénium 4 – Ce qui ne me tue pas, de David Lagercrantz
(traduit du suédois par Hege Roel Rousson)
Tout a été et sera encore dit au sujet de ce roman, résumons donc le plus possible : un aimable (et ma foi courageux) faiseur, auteur notamment de l’autobiographie de Zlatan Ibrahimovic (si si), a été mandaté pour écrire la suite de la trilogie mythique de Stieg Larsson, interrompue pour cause de décès prématuré de ce dernier. Lagercrantz a ainsi la lourde tâche de ressusciter Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander, dans une nouvelle enquête sur un complot impliquant les services secrets américains. On tâchera de juger la bête avec autant d’objectivité que possible…


A première vue : la rentrée Flammarion 2015

Flammarion continue à jouer la carte de la sobriété en 2015, avec seulement sept titres français et un étranger (comme l’année dernière). Et, à première vue, la qualité s’en ressent, puisque le panel est assez intéressant et varié cette année.

Reverdy - Il était une villeSIX FEET UNDER : Il était une ville, de Thomas B. Reverdy (en cours de lecture)
L’auteur des Évaporés campe son nouveau roman dans les rues abandonnées de Detroit, capitale emblématique de la crise aux Etats-Unis. Tout en dressant le tableau effarant d’une ville en faillite, désertée et quasi rendue à l’état sauvage, Reverdy suit les destins parallèles d’Eugène, un ingénieur automobile français parachuté là pour un projet bidon ; Charlie, jeune garçon qui décide d’accompagner un de ses amis maltraité par sa mère dans une escapade à la Stephen King ; et le lieutenant Brown, policier usé mais tenace qui enquête sur le nombre très élevé de disparitions d’enfant en ville… Soit un mélange étonnant, qui met un peu de temps à prendre mais finit par très bien fonctionner.

Marienské - Les ennemis de la vie ordinaireBREAKING BAD : Les ennemis de la vie ordinaire, d’Héléna Marienské (lu)
Les ennemis du titre, ce sont les patients de Clarisse, tous atteints d’addictions sévères, que ce soit au jeu, à la drogue, au sexe et autres réjouissances. Persuadée d’avoir l’idée du siècle, la psychiatre décide de les réunir pour une thérapie du groupe qui devrait, selon elle, leur permettre de résoudre collectivement leurs problèmes. Mais au contraire, loin de se soigner, les sept accros finissent par se refiler leurs addictions… Une comédie trash et malpolie (voire olé-olé par moments), de plus en plus drôle et attachante jusqu’à un final complètement délirant. Ça ne plaira pas à tout le monde, mais Marienské assume son idée avec une gouaille réjouissante.

Zeniter - Juste avant l'oubliCASTLE : Juste avant l’oubli, d’Alice Zeniter
Changement de registre pour l’auteure du salué Sombre dimanche, histoire d’une famille hongroise au XXe siècle. Cette fois, elle met en scène un couple, Franck et Emilie : lui est très amoureux d’elle, elle n’en a que pour un auteur de polar culte, disparu mystérieusement en 1985, dont elle est une spécialiste. A l’occasion d’un colloque qu’Emilie organise sur une île, Franck décide de la suivre et de la demander en mariage. Mais tout va vite déraper… Très tentant pour nous, notamment pour la mise en scène apparemment très réussie d’un romancier qui n’existe pas, on en reparlera à coup sûr !

HOUSE OF CARDS : Vladimir Vladimirovitch, de Bernard Chambaz
Il l’ignore sûrement, mais Poutine a un parfait homonyme prénommé Vladimir Vladimirovitch. Lequel Vladimir Vladimirovitch, après avoir surpris une once d’émotion sur le visage de marbre du Président, se passionne pour la vie de son célèbre homonyme (vous suivez ?) Portrait en creux de l’un des hommes les plus puissants et dangereux de la planète, ce roman vaudra ou non le coup d’oeil selon la profondeur du regard de l’auteur.

Seksik - L'exercice de la médecineGREY’S ANATOMY : L’Exercice de la médecine, de Laurent Seksik
Une femme femme, cancérologue à Paris, tente d’échapper à l’héritage d’une famille pratiquant la médecine à chaque génération. Un roman généalogique qui sert de prétexte à une balade dans le siècle, de la Russie tsariste ou stalinienne au Berlin des années 20.

Angot - Un amour impossibleDESPERATE HOUSEWIFE : Un amour impossible, de Christine Angot
Il paraitrait à ce qu’il paraît que l’Angot nouveau est supportable, voire appréciable. Revenant une fois encore sur son histoire familiale (pour ceux qui l’ignoreraient, elle a été violée par son père lorsqu’elle était adolescente), la délicieuse Christine se focalise cette fois, mais gentiment, sur sa mère. D’où le côté plus aimable, plus apaisé, de ce roman.

SEPT A LA MAISON : Le Renversement des pôles, de Nathalie Côte
Deux couples partent en vacances sur la Côte d’Azur dans deux appartements voisins. Ils espèrent en profiter, mais la période estivale va être surtout l’occasion d’exprimer non-dits et rancoeurs. Des faux airs de Vacances anglaises, le roman de Joseph Connolly, dans ce pitch. A voir si ce sera aussi méchant ! (Premier roman)

Harrison - Péchés capitauxPEAKY BLINDERS : Péchés capitaux, de Jim Harrison
Retour sous la plume de l’illustre romancier américain de l’inspecteur Sunderson, apparu dans Grand Maître. Désormais retraité, Sunderson s’installe dans le Michigan et s’accommode de voisins quelques peu violents, le clan Ames, dont il aide même l’un des membres à écrire un polar. Mais le jour où Lily Ames, sa femme de ménage, est tuée, rien ne va plus…


L’Audience, d’Oriane Jeancourt Galignani

Signé Bookfalo Kill

Les meilleures intentions ne font pas forcément les meilleurs romans. Cet axiome frappe le nouveau livre d’Oriane Jeancourt Galignani qui, sans être raté, loin de là, n’est pas aussi réussi qu’on pouvait l’espérer à la lecture de son synopsis.

L’Audience, comme son titre l’indique, s’articule autour d’un récit judiciaire. Plus précisément, des quatre jours que dure le procès de Deborah Aunus, une enseignante accusée d’avoir couché avec quatre de ses élèves. Qu’ils fussent majeurs et consentants au moment des faits ne change rien à l’affaire, car nous sommes au Texas, État qui proscrit toute forme de relation sexuelle entre un professeur et ses étudiants, peu importe leur âge.
Tandis que l’accusée reste étrangement en retrait durant les débats, si apathique qu’elle en paraît parfois antipathique, témoins, proches et « victimes » défilent à la barre, recréant le contexte des événements…

Jeancourt-Galignani - L'AudienceDans l’imaginaire collectif, le Texas, c’est Dallas, le pétrole, la dynastie Bush et le culte des armes à feu. Pour les Américains des grandes villes, de San Francisco à New York, les Texans sont les bas du front par excellence. Outre le fait qu’elle s’inspire d’un fait divers réel, rien d’étonnant donc à voir Oriane Jeancourt Galignani camper son roman, inspiré d’ailleurs d’une histoire vraie, dans un État aussi symptomatique des paradoxes américains.
Elle y trouve une matière toute prête pour fusiller le puritanisme hypocrite des Américains, ainsi qu’un terreau de rêve pour un romancier, celui d’une petite ville où tout le monde se connaît, microcosme putride où s’épanouissent naturellement rumeurs et rancœurs, et ce voyeurisme effroyable, tiraillé entre un dégoût de bon aloi et une fascination profonde, teintée de jalousie, pour la liberté sexuelle affichée de l’héroïne.

Sur ces aspects, L’Audience est réussie, la romancière captant ces sentiments d’égout avec un réel brio. Là où, pour moi, le roman boite un peu, c’est dans sa construction, qui alterne moments du procès et flashbacks ; or ces derniers se réduisent un peu trop souvent à de nombreuses scènes de sexe, certes utiles à la compréhension du récit puisqu’elles constituent le chef d’accusation qui soumet Deborah Aunus à la justice. Mais leur accumulation finit par écraser le portrait en creux que tente de saisir Oriane Jeancourt Galignani de son héroïne.

A l’occasion de ses ébats ou lorsqu’elle se laisse séduire par ses étudiants, Deborah est ainsi souvent décrite comme une grande femme d’une mollesse sensuelle, aux seins lourds, sorte d’objet de fantasme caricatural pour adolescents en chaleur. Même lors du procès, elle est incarnée par son physique pesant, charnu. Comme si, dans sa volonté louable de ne pas dresser un portrait psychologique en règle de sa protagoniste, Oriane Jeancourt Galignani l’avait involontairement réduite à sa seule incarnation charnelle. Ce qu’on lui reproche, en somme, et si le lecteur n’a pas forcément envie de la condamner pour cela, elle ne sort de ce portrait ni grandie ni même aimable.

Intéressante et pertinente dans son accusation subtile du puritanisme et du légalisme systématique des Américains, L’Audience manque d’un je ne sais quoi, de puissance, de virtuosité littéraire, d’une colère aussi. En refusant de s’engager dans la tête de sa protagoniste, en en faisant un personnage passif – un choix estimable mais risqué -, Oriane Jeancourt Galignani est un peu passée à côté d’elle.

L’Audience, d’Oriane Jeancourt Galignani
  Éditions Albin Michel, 2014
ISBN 978-2-226-25830-4
297 p., 19€


A première vue : la rentrée Gallimard 2014

Quoi de neuf du côté de la vénérable maison de la rue Sébastien-Bottin (rebaptisée rue Gaston-Gallimard d’ailleurs) ? Rien en ce qui concerne le nombre de parutions, hélas toujours pléthorique. En trois salves (21, 28 août et 4 septembre), Gallimard tire seize fois !
Du coup, comme l’année dernière et en toute subjectivité, nous nous permettons de ne jeter un éclairage particulier que sur les romans qui nous semblent les plus intéressants et de simplement citer les autres. Et on commence avec le plus surprenant sans doute…

Foenkinos - CharlotteL’INATTENDU : Charlotte, de David Foenkinos (lu)
Habitué des listes de best-sellers pour des romans que l’on classe souvent, peut-être avec tort mais pas tant que ça, à côté des Pancol, Gavalda, Delacourt et consorts, Foenkinos créera forcément la surprise avec ce chant en prose, ce roman en vers libres dont aucun n’est plus long que la largeur d’une page, consacré à Charlotte Salomon, jeune peintre juive déportée et morte à Auschwitz à 26 ans. Un livre qui divisera fatalement, mais qu’on se le dise tout de suite, il n’y a rien d’opportuniste dans cette œuvre de Foenkinos, qui a porté longtemps ce sujet en lui avant de trouver la manière de le raconter et semble parfaitement sincère dans sa démarche.

Sorman - La peau de l'oursDANS… : La Peau de l’ours, de Joy Sorman (lu)
Joy Sorman continue à creuser son sillon singulier. Après Comme une bête, où un homme amoureux des vaches devenait apprenti-boucher, voici le récit d’une créature mi-ours mi-homme, née du viol d’une femme par un ours, de nature animale mais de conscience humaine, qui mène une vie d’aventure et de voyage, tantôt monstre de foire, tantôt bête de cirque, tantôt captif de zoo, qui observe les humains avec le recul de sa condition particulière et aime de loin les femmes. Superbement écrit, un roman étonnant et déconcertant.

ACTUEL : L’Aménagement du territoire, d’Aurélien Bellanger
Deuxième roman de cet ancien libraire après la remarquée Théorie de l’information, et nouveau gros roman ancré dans le réel. Il y est question cette fois d’un projet de construction d’une ligne de TGV à proximité d’un village, source d’enjeux complexes et de réactions épidermiques…

COMÉDIE INFORMATIQUE : L’Ordinateur du Paradis, de Benoît Duteurtre
Sous la houlette de Saint-Pierre, le Paradis n’échappe pas à la norme de l’époque, et croule sous les consignes de sécurité, tandis que sur Terre, les ordinateurs soudain se dérèglent, le réseau s’ouvre et étale à la vue de tous les autres la vie privée de chacun, notamment la moins reluisante. Des situations loufoques mais contemporaines dont on attend du rire et de l’esprit.

Prudhomme - Les grandsGUINEE-BISSAU SOCIAL CLUB : Les grands, de Sylvain Prudhomme (coll. L’Arbalète)
Inspiré par le groupe Super Mama Djombo, dont les chansons ont servi d’hymne au peuple guinéen au moment de la guerre d’indépendance dans les années 70, ce roman retrace quarante ans de l’histoire de ce petit pays africain méconnu, tout en vibrant de musique et des souvenirs d’une histoire d’amour flamboyante entre Couto, guitariste du groupe, et Dulcie, sa chanteuse…

– LES PREMIERS ROMANS –

AUDACIEUX : Dans le jardin de l’ogre, de Leïla Slimani
Récit du parcours erratique d’une femme, mariée et mère d’un petit garçon, qui ne peut s’empêcher de courir les hommes et de multiplier les rencontres sexuelles les plus extrêmes. En découvrant la vérité, son mari, plutôt que de la rejeter, décide d’essayer de l’aider… Sur un sujet sulfureux, tout dépendra du style et de la profondeur du propos. A voir.

Finkelstein - L'OubliPOLÉMIQUE : L’Oubli, de Frederika Amalia Finkelstein (coll. L’Arpenteur)
On en parlera forcément aussi. D’abord parce que l’auteure est très jeune (24 ans), ensuite parce que le sujet ne devrait pas manquer de faire réagir : le récit, largement autobiographique, d’une jeune femme juive qui ne veut plus entendre parler de la Shoah, alors que son grand-père, le héros familial, est un rescapé des camps de la mort. On attend les cris outragés de Claude Lanzmann…

BOLANO : Blanès, de Hedwige Jeanmart
Ce livre tourne autour de la célèbre figure du romancier chilien Roberto Bolano, et de la ville balnéaire espagnole de Blanès, où il a vécu, et qui est un lieu de pèlerinage pour les admirateurs de l’écrivain. L’histoire, elle, est étrange : un couple fait une excursion à Blanès qui tourne court ; dès leur retour chez eux, le mari disparaît, et sa femme décide d’essayer de le retrouver en retournant dans la fameuse ville, où elle rencontre beaucoup d’autres étranges pèlerins en quête de quelque chose.

Bordas - Chant furieuxARTISTE DU BALLON ROND : Chant furieux, de Philippe Bordas
Photographe, Bordas a suivi Zinédine Zidane durant trois mois en 2006, entre le Real Madrid et l’équipe de France, pour sa dernière Coupe du Monde dont tout le monde se souvient comment elle s’est achevée… A la demande de Zidane, Bordas ne publiera pas les photos, mais il entreprend ici le récit de cette expérience hors du commun, dans un style furieux et inventif, qui est aussi l’aventure d’une appropriation de la langue par l’auteur, venu des cités comme le footballeur.


Un mot rapide sur les autres parutions :

L’Amour et les forêts, d’Eric Reinhardt : rencontre entre le narrateur-écrivain et une de ses lectrices, qui lui raconte sa vie conjugale si misérable qu’elle en a contracté un cancer. Hmpf.

La loi sauvage, de Nathalie Kuperman : parce que la maîtresse de sa fille a émis en coup de vent un jugement très négatif sur l’enfant, Sophie subit un choc qui la ramène à sa propre enfance ébranlée par des insultes antisémites.

Une éducation catholique, de Catherine Cusset : tout est dans le titre.

Mon âge, de Fabienne Jacob : tout est dans le titre, on vous dit !

Ne pars pas avant moi, de Jean-Marie Rouart : récit autobiographique du vieil académicien, qui évoque notamment son amitié avec Jean d’Ormesson.

Le Cercle des tempêtes, de Judith Brouste : roman sur le poète Percy Shelley et sa femme Mary, auteure de Frankenstein.

La Route des clameurs, d’Ousmane Diarra (coll. Continents Noirs) : en dépit des brimades et des menaces, un artiste-peintre résiste aux islamistes qui mettent le Mali, son pays, en coupe réglée.


A première vue : la rentrée Actes Sud 2014

Chez Actes Sud, on attendait de grosses pointures habituelles : Laurent Gaudé, Matthias Enard… qui ne seront finalement pas du grand jeu de la rentrée littéraire. La plupart des sept romans en lice ne manquent néanmoins ni de noms connus, ni d’intérêt.

Vuillard - Tristesse de la terreCONQUÊTE DE L’OUEST : Tristesse de la terre : une histoire de Buffalo Bill Cody, d’Eric Vuillard (lu)
Peu connu (pour l’instant) du grand public, Eric Vuillard est à l’inverse un chouchou des libraires, à qui ses récits documentaires plaisent beaucoup. En s’intéressant à l’une des grandes mais complexes figures de la conquête de l’ouest, William Frederick Cody dit Buffalo Bill, et à son spectacle itinérant, le Wild West Show, ce romancier atypique élabore une réflexion qui entremêle culture du spectacle à l’américaine, détournement de l’Histoire, traitement inhumain des Indiens et le rapport que nous entretenons, nous, avec tout ceci. Une œuvre pleine d’acuité, d’empathie et d’humanité. Foudroyant d’intelligence.

Ferney - Le Règne du vivantÉCOLO : Le Règne du vivant, d’Alice Ferney
On n’attendait pas forcément la romancière dans ce registre, mais tant mieux. A travers l’histoire d’un journaliste embarquant sur un navire partant lutter contre la pêche illégale en zone protégée, Alice Ferney s’intéresse ici à la défense de l’environnement, notamment par des activistes dans l’esprit de ceux de Greenpeace, qui luttent par tous les moyens contre les pilleurs des mers et les destructeurs sans morale de la faune. Prometteur.

ICÔNES ET DÉCHÉANCES : Bye bye Elvis, de Caroline de Mulder
Un roman étonnant, sur le papier au moins, qui confronte la trajectoire du roi du rock, Elvis Presley himself – notamment sa déchéance et sa triste fin -, à celle d’un vieil Américain vivant à Paris, au service duquel entre une femme qui va tout faire pour l’aider. Un lien existe-t-il entre les deux hommes, ne serait-ce que par la fiction ? Réponse à trouver dans ce livre intriguant.

Biancarelli - Orphelins de DieuWESTERN CORSE : Orphelins de Dieu, de Marc Biancarelli
Si Clint Eastwood était corse, il ferait sûrement un film de cette sombre histoire de vengeance, celle d’une jeune femme qui s’adjoint les services de l’Infernu, un tueur à gages terrifiant, pour retrouver ceux qui ont défiguré son frère et lui ont tranché la langue. S’engage alors, dans ces montagnes corses du XIXème siècle, une poursuite sanglante et… impitoyable, bien sûr.

PATRIARCAL : A l’origine notre père obscur, de Kaoutar Harchi
Dans la maison des femmes sont redressés les torts, réels ou supposées, des épouses, soeurs, filles… Une jeune femme qui y est enfermée cherche l’amour de sa mère, qui elle n’attend que la délivrance de son mari. (Résumé Electre)

Py - ExcelsiorIN OU OFF ? : Excelsior, d’Olivier Py
Le nouveau directeur du Festival d’Avignon publie également un roman cette année, l’histoire d’un célèbre architecte qui sait avoir bâti des chefs d’oeuvre mais n’y trouve pas la marque de Dieu, et laisse tout tomber pour se remettre en cause. Quête mystique en perspective.

BRANCHOUILLE : Du sexe, de Boris Le Roy
Voici comment Electre, la base de données des livres chère aux libraires, présente ce livre : « Un roman qui se veut provocateur sur fond de sexe et de théorie du genre. » Je ne sais pas pour vous, mais moi, d’avance, j’ai juste envie de fuir ce truc.