Scène de crime virtuelle, de Peter May
Signé Bookfalo Kill
Depuis la mort de sa femme Mora, rien ne va plus dans la vie de Michael Kapinsky. En dépit d’une psychanalyse assidue, il ne parvient pas à émerger de son chagrin et n’a plus goût à rien. Criblé de dettes, obligé de reprendre son métier de photographe pour la police scientifique, il débarque sur une scène de crime où il remarque un détail qui l’interpelle – un logo bleu, figé sur l’écran de la victime, un homme abattu de trois balles devant son ordinateur.
Ce logo est celui de Second Life, un gigantesque univers virtuel où des milliers de gens vivent des existences parallèles, souvent plus libres et exaltantes que la vraie. Invité à s’y inscrire par sa psy, qui y mène une expérience audacieuse sous la forme d’un groupe de parole cent pour cent pixel, Michael, sous la forme de son avatar dénommé Chas, devient détective privé, fait des rencontres inattendues – et surtout, commence à tisser des liens troublants entre la réalité et ce monde imaginaire, où la menace criminelle n’est jamais loin…
Après sa série chinoise et sa trilogie écossaise, Peter May revient là où on ne l’attendait pas du tout. Loin de ses intrigues lentes et atmosphériques, il signe un thriller haletant et plein d’invention, situé aux États-Unis et porté par une audace que lui permet l’immersion dans ce drôle d’univers qu’est Second Life.
Entre le jeu de rôle et le réseau social, cette espèce d’ancêtre bizarroïde de Facebook est un espace de liberté un peu fou, qui existe toujours (même si on en parle moins qu’à sa création), et dont May exploite les possibilités jusqu’au vertige. Dès lors qu’on y entre, tout est permis : les personnages volent, pénètrent dans les maisons des autres en un seul clic, prennent l’apparence de stars ou font du pole-dancing pour arrondir leurs fins de mois, achètent des flingues énormes ou des gadgets paralysants.
Dans ce polar débridé et extrêmement hormonal (on y couche beaucoup, surtout dans Second Life !), le romancier écossais s’amuse comme un fou, au point de multiplier les intrigues secondaires et de perdre parfois de vue la principale, qu’il rattrape néanmoins de temps à autre et à la fin, dans une résolution peut-être un peu prévisible, mais qui n’altère pas la réussite d’un roman dont l’intérêt est ailleurs.
En bon auteur britannique, Peter May s’attache avant tout à ses protagonistes, à leur profondeur, à leurs émotions, qu’il nous rend palpables quelle que soit la nature de ses personnages, réels ou virtuels – car ces derniers ne sont pas plus résumés à leur apparence électronique que les premiers. A travers eux, il développe surtout une réflexion sur la solitude moderne, entre isolement social, misère sexuelle et perte des repères dans un monde impitoyable envers les faibles, les oubliés ou les chagrinés.
Inattendu et original, Scène de crime virtuelle permet à Peter May de malmener joyeusement les codes du polar, grâce à la liberté totale que lui offre l’espace virtuel de son intrigue. Une bonne surprise !
Scène de crime virtuelle, de Peter May
Traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue
Éditions du Rouergue, 2013
ISBN 978-2-8126-0551-2
332 p., 22€
La Cité t.2 : la bataille des Confins, de Karim Ressouni-Demigneux
Signé Bookfalo Kill
AVERTISSEMENT
comme il s’agit d’une véritable série, je suis obligé de dévoiler dans cette chronique certains éléments de l’épisode précédent. Si vous n’avez pas encore lu le premier volume, je vous conseille avant tout d’aller lire ce que j’en disais ici : La Cité t.1 : la lumière blanche – et d’aviser ensuite !
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Je l’attendais depuis novembre dernier, histoire de vérifier si Karim Ressouni-Demigneux allait confirmer l’essai du premier tome de la Cité et m’embarquer aussi bien, et un peu plus loin, dans son univers.
Verdict : oui, mais…
Après le jeune parisien Thomas (alias Harry) dans la Lumière Blanche, c’est son amie Liza – Polly dans la vie réelle – qui prend la parole. Polly vit seule avec sa mère sur l’île de Sark, petit bout de terre presque coupé de tout, au large de Guernesey, le célèbre lieu de retraite de Victor Hugo en exil pendant le règne de Napoléon III. Le détail a, bien sûr, son importance…
Est-ce le changement de narrateur ? J’ai eu un peu plus de mal à entrer dans l’histoire. Sûrement parce que KRD prend le temps de présenter son nouveau personnage – qu’on connaissait seulement sous son visage virtuel jusqu’à présent – puis de relater comment Polly est devenue Liza dans la Cité, comment elle a rencontré ses amis, Arthur d’abord, puis Harry et JC. Des informations indispensables, mais qui retardent d’autant le récit de la suite des aventures de nos héros dans le jeu.
Il faut donc patienter une cinquantaine de pages avant de reprendre le fil de l’histoire, rompu à la fin du tome 1 par le vol de la Mémoire de la Cité (un ordinateur primordial du jeu) et l’enlèvement d’Arthur, deux événements orchestrés par un autre Harry virtuel – dans la vraie vie, Jonathan, l’ex-meilleur ami de Thomas.
Mais une fois qu’on y est, ça repart ! Et ce deuxième volume se dévore aussi vite que le premier. Comme attendu, l’auteur élargit la découverte de son univers, sans hésiter à y ajouter des couches complexes. Il poursuit les références littéraires : Tolkien toujours (et même plus que jamais), mais aussi Victor Hugo, dont l’œuvre comme la vie jouent un rôle important ici.
On découvre également de nouveaux espaces, dont les Enclaves, des lieux cachés du jeu ; on en apprend plus sur les personnages, sur leurs motivations et leurs caractères ; et on tombe sur de nouveaux mystères, venant s’ajouter aux précédents qui ne s’éclaircissent guère pour leur part…
Histoire de multiplier les actions, le romancier dédouble également les points de vue : si Liza est la narratrice principale du roman, Thomas reprend de temps en temps la parole – double narration signalée dans la marge par des symboles précisant qui parle. Une bonne idée, qui fonctionne parfaitement, et dont on peut imaginer qu’elle sera poursuivie par la suite, avec l’ajout d’autres narrateurs.
Mais voilà, je reste cette fois légèrement sur ma faim. Rien de grave à vrai dire. C’est même logique, quand on sait qu’il reste encore trois tomes à la série, et que Karim Ressouni-Demigneux ne peut pas encore dévoiler trop de choses. Mais j’ai l’impression qu’à force de retenir ses informations, l’auteur se bride un peu. Le roman y perd en intensité, notamment sur la fin, où la fameuse bataille des Confins promise dans le titre manque de suspense, d’impact et de spectaculaire ; elle semble presque expédiée – même si la dernière phrase relance le mystère et donne immanquablement envie de lire la suite.
Je serai donc au rendez-vous du tome 3, volume pivot de l’œuvre normalement, en espérant que la série franchira un cap indispensable à l’intérêt et à la force de l’ensemble. Mais je suis sûr que ce sera le cas !
La Cité t.2 : la bataille des Confins, de Karim Ressouni-Demigneux
Éditions Rue du Monde, 2012
ISBN 978-2-35504-203-4
238 p., 16,50€
La Cité t.1 : la lumière blanche, de Karim Ressouni-Demigneux
Signé Bookfalo Kill
Hormis le fait que sa mère est morte en le mettant au monde, Thomas est un ado normal. Il vit à Paris avec son père, il a quinze ans, des amis et une passion intense pour la magie qu’il partage avec son oncle Louis. Pourtant, son existence sage et tranquille bascule le jour où il découvre la Cité : un jeu vidéo en ligne totalement révolutionnaire, d’un réalisme visuel inouï, et si mystérieux que ses joueurs en ignorent même le but – s’il y en a un…
D’abord fasciné, Thomas – alias Harry dans le jeu – explore une ville qui semble illimitée, se fait des amis et découvre avec eux les étranges pouvoirs qu’ils sont capables de développer ensemble dans la Cité. Mais rien n’est si simple, des rumeurs commencent à circuler, certains joueurs ont des comportements étranges, et une menace indistincte semble peser sur les habitants virtuels – à commencer par cette lumière blanche, dont personne n’est sûr qu’il s’agisse d’une légende du jeu ou bien d’une terrifiante réalité…
Attention, ce roman rend dangereusement accro ! De la même manière que Thomas et ses compagnons profitent du moindre instant libre pour se connecter à la Cité, je n’ai pas pu faire autrement que de lire ce roman de bout en bout, presque sans m’arrêter. Karim Ressouni-Demigneux a l’art et la manière d’installer tout de suite une atmosphère électrique, à la fois excitante et inquiétante, et de nous rendre attachants ses personnages ; si bien qu’on n’a plus qu’une envie : explorer avec eux la Cité, en découvrir les nombreux secrets et savoir ce qui va arriver à Thomas et à ses amis.
L’univers inventé par l’auteur est vaste, ambitieux et riche de possibilités dont j’ai hâte de découvrir d’autres facettes dans les volumes à venir. On sent qu’il est loin d’avoir tout dit sur la Cité, qui récèle sûrement encore bien des mystères et des périls… Il a surtout un vrai talent d’écrivain, qui lui permet en quelques mots bien choisis de nous donner à voir sa ville imaginaire et de nous promener sans jamais nous y perdre dans ses rues, ses magasins, ses quartiers et ses passages secrets. Une réussite qu’il est loin d’être facile à obtenir.
Pour autant, KRD a l’intelligence de contenir son histoire dans un cadre familier. Ses personnages vivent des vies normales, évoluent dans un Paris contemporain très bien restitué, ont des références bien connues, en particulier des ados d’aujourd’hui (Harry Potter, World of Warcraft, le Seigneur des Anneaux…) Du coup, l’immersion du lecteur dans le roman est garantie, y compris – surtout, même – lorsqu’on bascule côté virtuel.
Du suspense, du mystère, de l’émotion, de l’action, de l’intelligence et de la réflexion : bref, il y a tout ici pour plaire ! Pour conclure, en trois mots : vivement la suite… (prévue en avril 2012).
La Cité tome 1 : la lumière blanche, de Karim Ressouni-Demigneux
Editions Rue du Monde, 2011
ISBN 978-2-355-04184-6
240 p., 16€
On en parle aussi ici : Le Fauteuil (blog).
Les Facebookiens peuvent également en savoir plus là : http://www.facebook.com/pages/LA-CIT%C3%89-le-livre/291350254226162
Et enfin, pour info, l’auteur sera présent au Salon du Livre Jeunesse de Montreuil, le samedi 3 décembre 2011, entre 15h et 17h, sur les stand des éditions Rue du Monde (E21).