Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, de L.C. Tyler
Signé Bookfalo Kill
En guise de crise de la quarantaine, Ethelred Tressider, un médiocre auteur de polar anglais, décide de mettre les voiles en Inde avec la première femme venue. Largué en plein voyage par sa dulcinée, il revient se faire oublier dans un hôtel miteux de Chaubord, la ville des bords de Loire flanquée d’un célèbre château (oui oui, Chaubord). C’est là qu’Elsie Thirkettle vient le chercher, bien décidée à le ramener à Londres et à le remettre dans le droit chemin, c’est-à-dire au boulot.
Malheureusement, l’un des pensionnaires de l’hôtel a la mauvaise idée de se faire assassiner, bientôt imité par un autre, dans des conditions qui laissent penser que le coupable est forcément l’un de ceux se trouvant là. Consignés sur place, Ethelred et Elsie en profitent pour confronter leur goût naturel pour le mystère à la réalité, et décident de débusquer le meurtrier. Une tâche qui pourrait s’avérer plus complexe et moins glamour que dans les livres…
Je soupçonne qu’il y a quelqu’un, le traducteur ou un éditeur de chez Sonatine, qui prend un malin plaisir à imaginer les titres les plus loufoques pour les romans de L.C. Tyler. Après Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage, voici donc Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire – dont le titre original était tout de même Ten Little Herrings.
Rien à voir avec le pudding, donc, et si l’on y gagne en curiosité (un titre aussi long, forcément, ça intrigue), on y perd en subtilité, puisque traduire fidèlement le titre aurait donné Dix petits harengs… Ca vous rappelle quelque chose ?
Sans surprise, ce nouveau roman de Tyler est donc un hommage à l’œuvre d’Agatha Christie, dont on retrouve un certain nombre de situations fétiches : un huis clos dans un lieu partagé (ici un hôtel), un meurtre par empoisonnement, des personnages apparemment inoffensifs, étrangers les uns aux autres mais ayant tous quelque chose à cacher…
Un hommage appuyé et volontaire, dans la mesure où le romancier sème les allusions et les clins d’oeil aux intrigues de Christie, et où Ethelred cite souvent la reine du crime anglaise comme modèle, surtout pour tenter de faire avancer ses propres déductions.
Revenons toutefois à nos harengs. Subtilité supérieure de la part de L.C. Tyler, en anglais, l’expression « that’s a red herring » signifie au figuré une fausse piste – une expression que l’on doit à un autre grand maître du suspense, Sir Alfred Hitchcock himself, qui semait de ces fameux poissons dans la plupart de ses films. Tiens, le « red » de Ethelred rejoint les « herrings » du titre, nous y voilà.
L.C. Tyler pousse pourtant la référence encore plus loin, puisque, s’il recourt à des fausses pistes, comme dans tout bon roman policier, c’est surtout parce qu’il y a de la part de ses personnages de fausses interprétations. L’hommage à Agatha Christie devient alors joliment parodique, et Homicides… s’avère un festival d’humour anglais, où le bizarre côtoie le ridicule, l’approximation et l’hilarant, avec ce ton pince-sans-rire que nos amis d’outre-Manche maîtrisent si bien. La scène où tous les personnages se retrouvent pour une confrontation finale censée dévoiler le coupable est ainsi une petite merveille de détournement du genre.
Bref, si vous avez envie d’un polar amusant, léger et décalé, appuyé tout de même sur une histoire solide que Lady Agatha n’aurait sans doute pas reniée (la révélation du mystère est alambiquée mais crédible, et la double fin du roman, excellente… mais je n’en dis pas plus !), Homicides… est pour vous !
Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, de L.C. Tyler
Traduit de l’anglais par Elodie Leplat
Éditions Sonatine, 2013
ISBN 978-2-35584-223-8
278 p., 18€
La Bande dessinée, de Bastien Vivès
Signé Bookfalo Kill
Bon, maintenant, vous connaissez le principe, je ne vais donc pas m’étendre pendant des heures sur ce sixième et dernier opus de la série tirée du blog de Bastien Vivès. Sinon pour dire que je l’ai trouvée beaucoup plus sympathique et plus cohérent que le précédent sur La Guerre, constituant une conclusion logique et amusante à cette suite de publications.
Évidemment, le sujet est davantage fait pour lui également, même si je craignais de le voir tomber trop souvent dans la private joke. Dans l’ensemble, il n’en est rien, et le premier strip donne d’ailleurs le ton : une mère consulte un médecin car elle craint que son fils soit retardé ; le praticien la rassure plus ou moins en lui apprenant que sa maladie consiste à faire de la B.D., activité sans danger même si elle peut avoir de sérieuses conséquences sociales…
On est bien dans le ton Vivès, sarcastique et distancié, mais accessible à tous, y compris aux gens qui ne sont pas familiers avec les codes du petit monde de la bande dessinée. Les connaisseurs seront peut-être plus sensibles que les autres aux parodies de séances de dédicaces (« Dédicace 20 ans », « Belgique »), et encore, cela reste drôle sans connaître le contexte.
La Bande dessinée contient en outre plusieurs strips qui caricaturent joyeusement certains aspects du Neuvième Art. Ainsi des comics, dans les conseils d’écriture de Brad (« Comics » et « Le gag »), qui trouvent un écho irrésistible à la dernière page du livre (« Festiblog »), ou dans les aventures délirantes de Flashman. Même chose avec les obsessions thématiques de certains auteurs (« Guerre mondiale ») et la maniaquerie forcenée des collectionneurs (« Astérix »).
Le plus frappant dans ce volume, c’est le sens de l’auto-parodie dont fait preuve Bastien Vivès. Il se met régulièrement en scène, et souvent en horrible personnage, arrogant et méprisant (« Lausanne », « Littérature », « Interview blog »), quand il ne se moque pas carrément de son œuvre (« Dédicace 20 ans », « Ciné »). Il joue ainsi de son image de sale gosse, ce qui ne manquera pas d’exacerber l’agacement de ceux qui le détestent déjà, autant que le soutien de ses fans de plus en plus nombreux.
Bref, le garçon est malin !
La Bande dessinée, de Bastien Vivès
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2013
ISBN 978-2-7560-2992-4
188 p., 9,95€
La Blogosphère, de Bastien Vivès
Signé Bookfalo Kill
Bastien Vivès, quatrième !
Le sale gosse de la blogosphère B.D. revient avec un quatrième petit volume tiré de son blog, consacré cette fois à… la Blogosphère – ou comment le serpent se mord joyeusement la queue.
Sans aucun respect (apparent) pour un exercice où il s’est fait connaître et où il est excelle, Vivès tire à boulets rouges sur les codes de la blogosphère, ses dérives, ses maniérismes et sa vanité occasionnelle. Pas très gentil, il ne rate pas une occasion de taquiner certains de ses collègues, dont Boulet, et surtout les filles (Margaux Motin dans « Vador 2 », Motin et Bagieu dans « Sorbonne »). Un strip complet, hilarant, présente d’ailleurs le mode d’emploi – hautement moqueur – pour réussir un bon « blog de fille ».
Le sommet du genre est atteint dans la suite de strips « Vador », où Bastien Vivès met en scène le Dark du même nom bien décidé à détruire la planète Festiblog… Il n’y a pas à dire, les parodies de Star Wars, ça marche quand même à tous les coups !
Sinon, le dessinateur passe à nouveau la thématique du livre sous le scan de son oeil critique : incompréhension entre générations (« Blog BD », « Facebook », « Fauteuil »), décalage avec les impératifs de la vie professionnelle (« Jimmy »)… Il évoque aussi les affres de la création (« Idée »), parfois sur le mode très ironique (« Chaussure », où Margaux Motin en prend encore pour son grade) ; ou encore, il part dans des délires certifiés Vivès, mettant en scène la Police des Blogs B.D. ou imaginant l’anéantissement futur de tout le Neuvième Art à cause de la blogosphère (« Sorbonne »).
Seule restriction éventuelle : comme dans le premier volume de la série, le Jeu vidéo, le discours est souvent référencé, et il faut sûrement connaître assez bien, soit le monde de l’édition, soit celui de la B.D., soit la blogosphère en elle-même, pour apprécier pleinement l’humour corrosif de Bastien Vivès.
Mais sinon, encore une fois, c’est du bon !
La Blogosphère, de Bastien Vivès
Éditions Delcourt, collection Shampooing, 2012
ISBN 978-2-7560-2990-0
192 p., 9,95€