Huit crimes parfaits, de Peter Swanson

Éditions Gallmeister, 2021
ISBN 9782351782583
352 p.
23,40 €
Eight Perfect Murders
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Cuq
Libraire spécialisé en roman policier, Malcolm Kershaw reçoit la visite surprise du FBI. L’agent Gwen Mulvey enquête sur deux affaires étranges : une série de meurtres qui rappelle un roman d’Agatha Christie, et un « accident » qui fait écho à un livre de James Cain. Elle espère donc que l’avis d’un expert du genre lui permettra d’interpréter correctement les (rares) indices à sa disposition.
Et ce n’est pas tout : Malcolm, quinze ans plus tôt, a publié sur son blog une liste intitulée ”Huit crimes parfaits”, où figuraient ces deux intrigues. Serait-il possible qu’un tueur s’en inspire aujourd’hui ? Très vite, l’angoissante certitude s’impose : le tueur rôde déjà à proximité. Malcolm commence à le voir partout, et sent un véritable noeud coulant se resserrer autour de son cou…
Quand on se place sous le patronage de grandes références du genre policier, le danger est toujours de ne pas se montrer à la hauteur, même quand on le fait avec humour.
Quand, en plus, on s’aventure sur le terrain à haut risque du fantasme du crime parfait, la pente s’avère souvent irrémédiablement glissante, et emporte l’auteur impudent dans un dérapage plus ou moins contrôlable qui a toutes les chances de s’achever par un crash, au minimum une sortie de route.
Voilà le piège dans lequel Peter Swanson est tombé avec Huit crimes parfaits, sans toutefois s’écrabouiller complètement au fond du ravin, son roman faisant jouer quelques qualités pour éviter la catastrophe.
Adoptant un rythme modéré mais constant, le romancier américain réussit son entrée en matière en nous invitant dans la tête et dans la vie de Malcolm Kershaw, personnage solide, assez attachant, singulier par son métier de libraire, dont le quotidien est bouleversé par une agente du FBI et son apparente implication dans une curieuse enquête.
Assez vite néanmoins, Swanson révèle que Kershaw est un narrateur non fiable, c’est-à-dire une voix à laquelle le lecteur sait très vite qu’il ne peut pas faire totalement confiance, soit parce que le personnage ignore qu’il ne comprend pas tout ce qu’il raconte (alors que le lecteur, oui, en partie du moins), soit parce qu’il dissimule sciemment des éléments de vérité pour mieux nous balader et, au final, nous surprendre.
Remis au goût du jour et à la mode par quelques best-sellers récents (Les apparences, La Fille du train), le procédé n’est toutefois pas neuf, puisqu’il apparaît déjà sous la plume d’Agatha Christie dans l’un de ses plus célèbres romans… dont je vous tairai le nom si vous ne l’avez pas encore lu.
J’en profite au passage pour mentionner un détail d’importance : si vous n’aimez pas vous faire spolier, assurez-vous d’avoir lu les huit romans de crime parfait qui figurent sur la liste de Malcolm (quoique certains, totalement oubliés aujourd’hui, vous dérangeront moins que d’autres), et faites attention aux autres références régulièrement citées dans le livre. Peter Swanson, pour consolider son propos, a tendance à raconter quelques fins qu’il est gênant de connaître si l’on n’a pas lu les livres en question…
C’est le jeu, et je ne saurais reprocher à l’auteur de lever ces mystères indispensables à la compréhension de son intrigue et de ses personnages, mais je préférais vous avertir, par honnêteté.
À partir du moment où la fiabilité du narrateur est remise en cause, la solidité initiale de Huit crimes parfaits, bizarrement, s’érode peu à peu. Peter Swanson déploie beaucoup d’efforts, assez visibles, pour tresser de nœuds serrés une intrigue qui, à force, passe d’élaborée à alambiquée, et d’alambiquée à artificielle. Le style, classique et un peu fastidieux, n’aide pas, il faut le reconnaître.
On s’amuse, tout de même, à essayer de deviner les chausse-trapes, à soupçonner tous les personnages à tour de rôle… pour, finalement, aboutir à une révélation qui, pour être bien racontée, déçoit un peu par son manque de relief, voire sa prévisibilité.
Plus ennuyeux, la conclusion tombe à plat. Alors que, dans un polar intitulé Huit crimes parfaits, je m’attendais au moins à une tentative, soit de twist final excitant, soit de réalisation du programme annoncé, c’est-à-dire un vrai grand beau crime parfait.
Raté, pour moi en tout cas, et je suis resté sur ma faim à la lecture des dernières pages, attendant en vain un dernier rebondissement, une ultime entourloupe qui aurait mis le roman sens dessus dessous et en aurait bouleversé la compréhension de fond en comble. Il n’y en a pas, d’où ma relative déception.
Huit crimes parfaits n’en reste pas moins une lecture plaisante mais qui, vous l’aurez compris, a peu de chances de marquer les esprits.
Nos richesses, de Kaouther Adimi

En 1935, Edmond Charlot, vingt ans, décide d’ouvrir à Alger une librairie qu’il nomme « Les vraies richesses », avec la bénédiction de Jean Giono à qui il a emprunté le titre d’un de ses textes. Passionné de littérature, se sentant l’âme d’un défricheur, Charlot a pour ambition de faire de son minuscule local un carrefour culturel pour les jeunes auteurs de la Méditerranée, sans distinction de langue, d’origine ou de religion. Il publie ainsi très vite L’Envers et l’endroit, premier livre d’un certain Albert Camus…
En 2017, Ryad, vingt ans, décroche un stage à Alger. Il doit débarrasser une vieille librairie abandonnée de ce qui l’encombre et la transformer en boutique de beignets. Fâché avec les livres, il ne trouve rien à y redire, mais la présence constante du vieil Abdallah, l’ancien gardien des lieux, et l’attitude hostile d’un quartier qui fait bloc pour sauvegarder l’esprit des « Vraies richesses » ne l’aident guère à accomplir sa mission…
Nos richesses est l’un des nombreux romans à paraître en cette rentrée qui concernent l’Algérie. Un pur concours de circonstance, a priori, mais qui donne des textes plus intéressants les uns que les autres, dont celui-ci. À 31 ans, Kaouther Adimi signe un troisième livre passionnant, puissant, intensément vivant, qui saisit l’histoire algérienne par le prisme de la littérature et de la culture.
Tout est aussi vrai que possible dans ce roman. Edmond Charlot a bel et bien existé, il a créé « Les vraies richesses », publié Camus, Roblès, Jules Roy, Vercors, Kessel, Gertrude Stein et tant d’autres… Tout est vrai, mais peu est vérifiable. En effet, les archives du libraire-éditeur ont disparu dans le plasticage en 1961 d’une autre boutique qu’il avait ouverte à Alger quelques années après la première.
Alors, dans le trou d’air causé par le fait divers, Kaouther Adimi s’est engouffrée pour réinventer la vérité. Pour raconter l’euphorie de la création et de la découverte, mais aussi les difficultés, les rivalités, les privations dues aux guerres, elle prête à Charlot une voix qu’elle distille dans un journal imaginaire d’une crédibilité totale. L’idée est lumineuse, elle offre à la romancière de nombreuses ellipses qui lui permettent de ne passer que par les moments de la vie de son héros qui l’intéressent, évitant le piège de la biographie littéraire tirant en longueur à force d’être surchargée en détails.
Par ailleurs, pour les pages contemporaines du récit, elle opte au contraire pour une voix globale, un « nous » qui exprime la voix de tout un quartier attaché à une page de son histoire en train d’être tournée de force, déchirée par la spéculation et la méfiance innée du pouvoir algérien envers la culture. Cette douleur, elle l’adoucit de traits d’humour et de scènes cocasses (la quête des pots de peinture par Ryad), grâce notamment à une belle galerie de personnages secondaires.
Nos richesses est d’une grande fluidité et rayonne d’une belle humanité, qui donne envie d’aller traîner ses guêtres à Alger du côté de la rue Hamani, ex rue Charras, où l’on peut encore aujourd’hui admirer la vitrine de l’ancienne librairie « Les vraies richesses » – qui, en réalité, est toujours une annexe de la bibliothèque centrale d’Alger et n’est pas menacée de devenir une boutique de beignets. En espérant que ce ne soit jamais le cas, et que Kaouther Adimi, avec Nos richesses, contribue longtemps à en perpétuer le bel esprit.
Nos richesses, de Kaouther Adimi
Éditions du Seuil, 2017
ISBN 978-2-02-137380-6
240 p., 17€
Gabacho, d’Aura Xilonen
Signé Bookfalo Kill
Après avoir réussi à fuir le Mexique, le jeune Liborio troque sa vie de misère d’alors pour une vie de clandestin à peine plus enviable. Sauf qu’il n’a peur de rien, et surtout pas de se battre – dans tous les sens du terme. Il a le génie de la castagne et la peau dure comme celle d’un crocodile, comme insensible à la douleur. La seule chose qui lui fait perdre ses moyens, ce sont les filles. Surtout Aireen, qui vit en face de la librairie où il a trouvé à se faire embaucher (et où il dévore tout ce qui tombe sous la main)… Aireen, une gisquette tellement jolie qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour elle – et côté n’importe quoi, Liborio ne va pas tarder à être servi.
Quelle folie !!! Oh là là, silence mes agneaux, ce premier roman est totalement renversant. D’autant plus que son auteure, Aura Xilonen, n’avait que 19 ans lorsqu’il est paru… mais peut-être est-ce justement sa jeunesse qui a permis à la romancière mexicaine de signer un livre aussi libre, aussi énergique, aussi hirsute et malpoli.
L’essentiel du plaisir que m’a procuré Gabacho réside dans sa langue, que Xilonen bouscule et malmène avec une irrévérence parfaitement jubilatoire – pour qui n’est pas rétif à la grossièreté, autant le préciser. Fidèle au milieu défavorisé dans lequel elle plante son intrigue, la romancière balance des « fuck » comme des SCUD, on s’insulte comme on respire et le respect dû aux mamans est le dernier cadet des soucis des protagonistes de cette drôle d’histoire. Pourtant, rien de gratuit dans cette brutalité langagière faisant écho à celle des corps et des poings qui fréquemment s’entrechoquent ; Aura Xilonen nous plonge au ras du bitume le plus sale, et ne prend pas de gants car il n’y a pas à en prendre.
La preuve en un extrait :
« [Madame] lâche pas de gros mots non plus, pas comme le Boss avec ses mots introuvables dans l’assomme-crétin, ce fameux dictionnaire que je me suis farci de A à Z parce que je ne comprenais rien à ce que je lisais. Le Boss et ses mots scandaleux qui en disent plus long que les belles paroles, aussi décentes que bariolées, ces petites salopes édulcorées, pleines de chichis, de rhétorique archaïque, désuète, vieillotte, snob. Moi je préfère les pétasses un peu plus culottées, les phrases qui veulent tout dire et vous lâchent pas le sens du bout des dents. »
En gros, vous avez là toute la profession de foi littéraire d’Aura Xilonen, avec laquelle elle trousse un roman initiatique joyeusement déglingué, récit d’aventures foutraques où la réinvention du verbe raconte la réinvention d’une vie, celle du héros narrateur. Liborio, « né-mort » qui n’a « rien à perdre », est un personnage très attachant, drôle, impertinent, dont l’absence d’éducation lui permet de développer sur la vie une clairvoyance de vieux sage revenu de tout. Et il faut saluer le formidable travail de traduction de Julia Chardavoine, qui a dû beaucoup s’amuser avec ce livre, et en même temps s’en voir pour trouver des solutions françaises aux inventions langagières de la jeune romancière. Quoi qu’il en soit, à coup de néologismes ou de mots-valises, elle s’en sort à la perfection.
Gabacho, c’est du Dickens pimenté à la sauce salsa, qui fait pétiller les papilles et brûle joyeusement le gosier. Un roman comme on n’en lit pas souvent, et ça fait un bien fou !
Gabacho, d’Aura Xilonen
(Campéon Gabacho, traduit de l’espagnol par Julia Chardavoine)
Éditions Liana Levi, 2017
ISBN 978-2-86746-880-3
368 p., 22€
Le Corps des libraires, de Vincent Puente
Signé Bookfalo Kill
Si vous fréquentez régulièrement ces hauts lieux de perdition (en tout cas pour qui aime vraiment les livres) que sont les librairies, vous n’êtes pas sans savoir que ceux qui les animent, ces drôles de bestioles dénommées libraires, sont pour la plupart des névropathes en puissance. Néanmoins, aucun de ceux que vous avez pu croiser durant vos pérégrinations ne peut être aussi bizarre ou iconoclaste que ceux présentés dans le Corps des libraires – qui, en dépit de son titre, n’est pas un essai d’anatomie commerçante, précisons-le d’emblée.
Ainsi, la librairie l’Ectoplasme, à Strasbourg, ne vend que des « fantômes », c’est-à-dire des faux livres destinés à faire joli dans une bibliothèque (ou à faire croire que vous êtes un gros lecteur alors que le dernier roman que vous ayez terminé était sans doute signé Enyd Blyton). Ou encore, à Saragosse, trois libraires affirment pouvoir deviner ce que vous souhaitez lire rien qu’en vous dévisageant ; ensuite ils vous imposent un livre, et malheur à celui qui refusera de l’acheter !
Une petite dernière ? Alors, pour le plaisir : à Ferrare, la librairie Maratoneta vous propose, soit d’acheter honnêtement votre livre, soit de tenter de le voler, la gageure pour le gagner officiellement étant d’échapper à la vélocité de libraires sévèrement formés à la course à pied ; en cas d’échec, il faudra s’acquitter de quatre fois le montant de l’ouvrage choisi…
D’une langue alerte et élégante, pleine de poésie et d’une délicieuse dérision, Vincent Puente (lui-même libraire, on ne se refait pas) dresse l’inventaire pince-sans-rire de ces magasins à nul autre pareil – et pour un certain nombre d’entre eux, heureusement… Son humour un rien dandy y fait souvent mouche, tandis que l’auteur joue des codes de l’érudition au fil de portraits loufoques ou de visites guidées dans des lieux aussi uniques qu’improbables.
Pas besoin d’être bibliophile pour apprécier cette exploration, c’est de l’insondable bizarrerie humaine dont il est question ici, et l’on se régale à chaque chapitre du coup d’œil fantasque de l’auteur.
Ah, tout de même, une dernière précision : Vincent Puente a précédemment écrit un livre intitulé Anatomie du faux.
Voilà.
Le Corps des libraires, de Vincent Puente
Éditions La Bibliothèque, 2015
ISBN 978-2-909688-71-8
122 p., 12€
Pétronille, d’Amélie Nothomb
Signé Bookfalo Kill
Bon, vous connaissez la chanson, je ne vais pas m’étendre sur le sujet outre mesure : qui dit rentrée littéraire dit Amélie Nothomb, et vice versa, voici donc le moment venu d’évoquer l’opus 2014 de la célèbre romancière chapeautée. Et cette année encore, c’est un bon cru, quoique pour des raisons différentes de la Nostalgie heureuse de l’année dernière.
Inscrit dans sa veine autobiographique à tendance drolatique, Pétronille relate l’amitié étrange (forcément) que noue la Belge la plus célèbre des lettres francophones contemporaines avec une jeune femme, Pétronille donc, Fanto de son patronyme, qui se présente à elle lors d’une séance de dédicaces. Nous sommes dans les années 90, au début de la carrière d’Amélie.
Il s’avère que cette Pétronille, d’apparence « si jeune » qu’elle ressemble à « un garçon de quinze ans », est une fine lettrée, étudiante en littérature élisabéthaine ; qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche, et qu’elle semble donc avoir toutes les qualités pour devenir la compagne de beuverie idéale d’Amélie Nothomb. Car, oui, l’objectif suprême de la romancière depuis qu’elle est arrivée en France est de trouver quelqu’un avec qui partager régulièrement sa boisson favorite : le champagne…
Si vous êtes un tant soit peu familiers avec l’œuvre de Nothomb, vous reconnaissez dans ce résumé des éléments clefs de nombre de ses livres. Une relation d’amitié complexe et possessive, qui suscite fatalement des dialogues de haute volée, de l’humour, du champagne… et de la littérature, car Pétronille Fanto devient elle aussi romancière, suscitant l’admiration de sa célèbre consœur. Entre deux aventures rocambolesques d’Amélie (dont une visite d’anthologie chez Vivienne Westwood) et des considérations diverses sur la France ou les libraires, la parution des livres de Pétronille, auxquels l’auteur d’Hygiène de l’assassin rend de vibrants hommages, rythme le récit.
Pétronille Fanto existe bel et bien, sous un autre nom évidemment, elle a fait paraître plusieurs romans qu’Amélie Nothomb s’amuse à déguiser sous des titres synonymes. C’est sans doute cette véracité qui rend ce nouveau livre si vif, si drôlement sincère, à défaut d’être original dans l’œuvre de l’auteure belge. Ah si, quand même, la fin, brusque et inattendue, vaut le détour et permet de quitter Pétronille sur une note aussi déconcertante que réjouissante.
Bref, pour les amateurs, un Nothomb de très bonne tenue, amusant et bien vu. En fait, Amélie a rendu le plus bel hommage qui soit à sa boisson favorite, elle a inventé la littérature champagne !
Pétronille, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2014
ISBN 978-2-226-25831-1
169 p., 16,50€
La Femme au carnet rouge, d’Antoine Laurain
Signé Bookfalo Kill
Un soir, une jeune femme prénommée Laure se fait agresser dans la rue, devant son immeuble, par un homme qui lui dérobe violemment son sac à main.
Le lendemain matin, un libraire prénommé Laurent remarque un beau sac à main de femme, abandonné sur une poubelle en pleine rue. Il le récupère, l’examine en espérant y trouver un nom, une adresse ; en vain. Il n’y déniche que quelques menus objets, et un carnet rouge où la jeune femme note ses impressions, ses envies, ses pensées. Fasciné, Laurent décide de jouer les apprentis détectives et d’essayer d’identifier la mystérieuse jeune femme. Il ignore que sa curieuse quête va bouleverser sa vie, tout comme celle de Laure…
L’année dernière, j’avais été très agréablement surpris par le précédent roman d’Antoine Laurain, le malin et pétillant Chapeau de Mitterrand. J’attendais donc beaucoup de son retour en librairie – ce qui est souvent le meilleur moyen d’être déçu.
Le Chapeau de Mitterrand avait pour lui scénario très habile, parfaitement exploité de bout en bout. Le romancier essaie de recréer un schéma similaire, avec cette histoire de sac à main et de carnet rouge dont le contenu oriente l’enquête de Laurent. (Vous noterez au passage : le héros se prénomme Laurent, l’héroïne Laure, dans un roman d’Antoine Laurain… Hum, bref.)
Malheureusement, le dispositif ne fonctionne pas aussi bien, probablement parce que l’idée de départ est moins original que celle de faire avancer toute une histoire grâce à un simple chapeau ; et faire apparaître cette fois Patrick Modiano en personne dans l’intrigue n’y fait pas grand-chose (même si la scène est un bel hommage).
Que dire d’autre ? Pas grand-chose, en fait. La Femme au carnet rouge est un roman plaisant, une comédie romantique qui évite l’écueil majeur de la gnangnanterie, c’est déjà ça. Mais il ne se distingue en rien du reste de cette production légère pour lecteurs occasionnels, qui ne tire à aucune conséquence, même si, à l’image des livres de Grégoire Delacourt, elle peut engendrer d’énormes succès de librairie. C’est évidemment tout le mal que je souhaite à Antoine Laurain.
La Femme au carnet rouge, d’Antoine Laurain
Éditions Flammarion, 2014
ISBN 978-2-08-129594-0
237 p., 18€
Jason Murphy, de Paul Fournel
Signé Bookfalo Kill
Tous les lecteurs de la Beat Generation connaissent les poèmes de Jason Murphy, mais le bruit court qu’il aurait composé un roman, écrit sur un rouleau avant même le célèbre Sur la route de Jack Kerouac. Certains affirment que le professeur Marc Chantier l’aurait eu un moment en sa possession.
Un éditeur et une étudiante s’envolent sur la trace du fameux « scroll » de Paris à San Francisco. Chacun a ses raisons, chacun a ses chemins, chacun a ses moyens et c’est à qui arrivera le premier…
Contrairement à mes habitudes, le résumé ci-dessus n’est pas de moi mais de l’éditeur. Pourquoi ? Histoire de démontrer qu’on fait dire ce qu’on veut à une quatrième de couverture. Sans être mensonger, ce pitch est assez trompeur, puisqu’il donne l’impression d’une véritable chasse aux trésors à San Francisco, doublée d’une lutte à distance entre deux rivaux prêts à tout pour s’approprier l’objet de leur quête.
Or il n’en est rien. Le passage de l’éditeur sur place est expédié en un chapitre, et celui de Madeleine, l’étudiante, s’il est plus détaillé, ne survient qu’ensuite et à la fin du livre.
Maladresse ou malhonnêteté commerciale, peu importe, revenons au livre lui-même. Jason Murphy est un roman plutôt plaisant, avec des personnages vite attachants, bien que le tout soit écrit avec une nonchalance, voire parfois un dédain pour la langue qui ne satisfera pas le lecteur exigeant en la matière. Dès le premier chapitre, Paul Fournel aligne les dialogues (séparés d’espaces blancs, histoire d’augmenter le nombre de pages) et en fait l’essentiel du corps de son texte, ce qui en rend la lecture rapide et légère – pour ne pas dire souvent superficielle.
S’ajoutent à cela quelques clichés embarrassants (« Il la regarda intensément, droit dans les yeux, et la bouscula de son regard noir », p.54) et des tournures familières ou orales (« Elle la tenait enfin sa Tour Eiffel locale », p. 155), voire incorrectes (« Toute cette bande-là ne sont pas de très grands écrivains », p.84 – à qui le dites-vous…)
Bref, si certains passages sont nettement plus inspirés, heureusement, on ne lit pas Jason Murphy pour la plume de son auteur.
Reste le sujet. S’il semble sur le papier réservé aux fans de la Beat Generation, pas forcément les plus nombreux, il permet au néophyte (j’en suis) d’apprendre un certain nombre de choses sur ce mouvement littéraire américain, notamment grâce à une longue rencontre fictionnelle entre Madeleine et Lawrence Ferlinghetti, co-fondateur de la célèbre librairie City Lights à San Francisco et éditeur de Ginsberg, Kerouac et compagnie.
D’ailleurs le passage à San Francisco s’avère le meilleur du roman – coup de chance, il arrive dans le dernier tiers du livre et permet de quitter celui-ci dans des dispositions assez aimables. Fournel raconte joliment la ville du Golden Gate Bridge, du Panhandle au quartier mythique de Haight & Asbury, et en profite pour s’emparer enfin de son histoire. Il fait même preuve de subtilité en concluant presque entre les lignes, sur un joli pied de nez, l’histoire de Murphy et de son fameux rouleau.
Ah oui, quand même, une dernière chose avant que j’oublie. Jason Murphy n’existe pas. En dépit d’une sympathique tentative de mystification sur Wikipédia, une recherche basique sur le site de City Lights permet vite de s’en assurer. Hé oui, Paul Fournel fait partie de l’OuLiPo, il est donc joueur.
Jason Murphy, de Paul Fournel
Éditions P.O.L., 2013
ISBN 978-2-8180-1765-4
191 p., 16€