Lunerr, de Frédéric Faragorn
Signé Bookfalo Kill
Pour avoir prononcé par mégarde le mot « Ailleurs » en classe, Lunerr est fouetté jusqu’au sang puis devient un paria, tout comme sa mère, employée de maison, que tous ses patrons renvoient pour souligner l’infamie commise par son fils. A Keraël, les drouiz, gardiens du culte, enseignent qu’il n’y a rien en-dehors de leur ville, rien au-delà du désert qui l’entoure, île civilisée perdue au milieu d’une immensité de sable et de pierre. Ne faire que serait-ce que penser à ce qu’il pourrait y avoir ailleurs va donc à l’encontre des lois fondamentales de la cité.
Le crime involontaire de Lunerr intéresse pourtant Ken Werzh. Le plus vieux notable de Keraël, qui vit quasi reclus dans sa luxueuse maison toute en bois, est un érudit que l’on respecte autant qu’on le craint, à la fois pour son apparence effrayante de vieillard décharné aux yeux morts, pour son caractère ombrageux et ses idées étranges. Il embauche la mère de Lunerr pour assurer son ménage, et propose au jeune garçon de devenir son secrétaire particulier. De quoi changer la vie de Lunerr – mais en bien ou en mal ?…
Difficile de ne pas penser au Passeur de Lois Lowry quand on lit ce roman. Même lieu isolé et comme coupé du monde, même communauté fermée sur elle-même, intrigue similaire : un jeune garçon rencontre un vieux sage en marge de la société, qui lui offre la possibilité de découvrir l’envers du décor, les vérités que les autorités souhaitent garder secrètes parce qu’elles dérangent le monde tel qu’elles l’ont conçu… La mécanique est connue et efficace.
Cependant, la comparaison s’arrête là, d’abord parce que Lunerr n’a pas la puissance et la grâce unique du Passeur. Ensuite car le monde imaginé par le romancier français est tout sauf utopique. Les différences sociales sont flagrantes et a vie à Keraël est particulièrement dure, presque archaïque, dénuée de progrès technologiques. La récolte de l’eau, denrée rare, se fait ainsi à l’aide de grands filets tendus dans le désert pour capturer le brouillard et en extraire l’humidité. (Une technique inspirée de faits réels par ailleurs.)
Le grand intérêt de Lunerr est d’aborder des sujets essentiels de la vie des hommes avec clairvoyance, voire avec audace. La question de la religion est ainsi centrale, et Faragorn n’hésite pas à remettre en question l’utilité des rites lorsque ceux-ci, à force d’être répétés de manière automatique et sans âme, finissent par être dénués de sens… Une réflexion qui trouve un écho dans bien des pratiques religieuses aujourd’hui, quelque que soit l’objet de la foi d’ailleurs.
Frédéric Faragorn parle aussi de transmission, d’héritage, d’éducation, et surtout de liberté de penser – autant de sujets fondamentaux, et susceptibles de faire écho aux interrogations de ses jeunes lecteurs.
Enfin, le roman ne serait pas réussi sans de bons personnages, et à ce titre, Lunerr est excellent, du jeune héros à son pitwak, animal de compagnie parlant drôle et touchant, en passant par son vieux maître, énigmatique et inquiétant, sa mère, ses amis, les drouiz… Une galerie riche et bien en place dans un décor imaginaire d’une grande force visuelle.
Un roman qui assume son équilibre précaire entre noirceur et espoir, et dont la chute, très ouverte, laisse espérer une suite… A partir de douze ans.
Lunerr, de Frédéric Faragorn
Éditions École des Loisirs, collection Médium, 2012
ISBN 978-2-211-20962-5
189 p., 14,20€
Lunerr Morgan, le tome 2 de Lunerr sort le 5 février 2014. Et le tome 3 en septembre 2014.
En espérant que Lunerr Morgan trouvera encore ici une belle chronique ; celle du tome 1 était déjà très agréable à lire pour moi. La comparaison, (un peu en ma défaveur, mais no problemo ), avec le Passeur de Lois Lowry n’est pas sans me déplaire. Petite anecdote : lorsque j’ai confié mon premier manuscrit de Lunerr à la représentante en Bretagne de l’Ecole des loisirs, lors d’une dédicace du Chantelune, elle m’a conseillé de lire le Passeur. Je l’ai donc acheté le jour même, beaucoup aimé, n’y ai pas vraiment vu de points communs avec Lunerr, sans doute aussi parce que j’avais l’histoire complète de Lunerr en tête.
Je l’ai ensuite moi-même conseillé à l’un de mes fils, et lire le Passeur lui a déclenché une envie de littérature ; il s’est mis à dévorer des romans à partir de là…
Faragorn
https://fr-fr.facebook.com/pages/Lunerr-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Faragorn/309961152452650
28 novembre 2013 à 09:40
Cher Frédéric,
Merci pour votre message – et quelle bonne nouvelle elle contient ! J’ai vraiment hâte de lire cette suite, car la fin du premier tome était pleine de promesses, et donc frustrante…
Comparer votre roman au Passeur était vraiment un compliment, j’espère que c’est bien ainsi que vous l’avez entendu – même si j’ai exprimé une différence entre les deux œuvres qui paraît un peu défavorable à la vôtre : je considère le roman de Lois Lowry comme l’un des tout meilleurs romans pour la jeunesse que j’ai jamais lus, c’est donc forcément un modèle ombrageux ! Et vous avez pu constater vous-même l’effet assez magique de ce livre sur ses lecteurs (jeunes ou moins jeunes)… Je ne peux que souhaiter à votre série Lunerr le même succès.
Cela dit, la comparaison s’arrêtait assez vite à la mise en place de l’histoire, aux ingrédients de base ; le contexte, l’évolution du récit et les sujets traités nous emmenaient assez vite Ailleurs (c’est le cas de le dire !) Raison pour laquelle j’espérais une suite, et voici que vous me l’annoncez, j’en suis vraiment très heureux, et impatient de la découvrir.
Rendez-vous début février, donc !
D’ici là, bonne continuation, et à bientôt.
Cannibalement,
B.K.
28 novembre 2013 à 09:55