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Quelques romans pour les petits (2)

Signé Bookfalo Kill

Toujours en panne d’inspiration pour vos enfants ? Voici trois nouvelles chroniques de romans à destination de lecteurs un peu plus grands (8-11 ans).

Oster - Le Principal problème du prince PrudentLe Principal problème du prince Prudent, de Christian Oster, illustrations d’Adrien Albert
Éditions Ecole des Loisirs, coll. Mouche, 2014
ISBN 978-2-211-21671-5
51 p., 7,50€

Le prince Prudent, le bien nommé, se méfie de tout, y compris des jeunes filles que ses parents lui présentent afin qu’il se marie. Malheureusement, aucune n’est assez prudente à ses yeux. Jusqu’au jour où une certaine princesse Prudence se présente au château. Avec un prénom pareil, ils ne peuvent que s’entendre à merveille ! Sauf que Prudence est tout sauf prudente… Alors, lorsqu’un géant l’enlève sous ses yeux, le prince Prudent n’écoute prudemment que son courage et se lance prudemment à la poursuite du ravisseur.

Mon avis : avec son prince trouillard, ainsi que son écriture drôle et gentiment ironique, Christian Oster signe un joli petit bijou d’humour ! Un petit roman d’aventure et d’amour pas nunuche pour un sou, à partir de 7-8 ans.

Le Club de la Pluie au pensionnat des mystères, de Malika FerdjoukhFerdjoukh - Le Club de la pluie au pensionnat des mystères
Éditions École des Loisirs, coll. Neuf, 2014
ISBN 978-2-211-21790-3
82 p., 8,50€

En entrant au pensionnat des Roches-Noires, à Saint-Malo, Rose ne s’attend pas à vivre de folles aventures. Et pourtant, avec ses nouveaux amis Nadget, la jolie coquette à la tête bien faite, et Ambroise, le fils du concierge toujours suivi par son chien Clipper, elle va devoir résoudre de drôles de mystères.
Qui est enfermé dans la haute tour de l’internat, au point de devoir envoyer des messages d’appels à l’aide par la fenêtre ? Et qui est coupable de tous ces vols à Saint-Malo ? Ensemble, les trois amis mènent l’enquête.

Mon avis : deux enquêtes, L’Énigme de la tour et Le Voleur de Saint-Malo, sont réunies dans ce volume. Deux histoires brèves, dynamiques et pleins d’humour, dont les petits héros, hyper attachants, font preuve de débrouillardise et de solidarité. Un petit côté Club des Cinq moderne, pour les amateurs de roman policier en culottes courtes, à partir de 9-10 ans.

Turoche-Dromery - Martin gaffeur tout-terrainMartin, gaffeur tout-terrain, de Sarah Turoche-Dromery
Éditions Thierry Magnier, 2014
ISBN 978-2-36474-445-5
96 p., 6,90€

Martin est une catastrophe ambulante. Tout ce qu’il fait, même lorsqu’il est bien intentionné, se transforme immanquablement en gaffe ou en bêtise. Alors, quand il doit prendre l’avion avec son frère Sam pour rejoindre leurs parents en Italie et assister au mariage de leur cousin Angelo, c’est une véritable tornade d’ennuis qui s’abat sur les frangins…

Mon avis : sous ses côtés amusants, ce petit roman rythmé raconte de jolies choses sur la différence, la difficulté d’être frères, ou l’adolescence dans toute sa splendide complexité. Mais c’est surtout une succession d’aventures plus folles et rocambolesques les unes que les autres, qui réjouiront les jeunes lecteurs, à partir de 10 ans.

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Quelques romans pour les petits (1)

Signé Bookfalo Kill

Une fois n’est pas coutume, voici trois chroniques en une seule ! Et pour cause, il s’agit de romans pour les plus jeunes lecteurs, pas la peine donc d’en faire une thèse… Trois chouettes petits livres publiés dans la collection Mouche de l’École des Loisirs.

Gutman & Boutavant - Chien PourriChien Pourri, de Colas Gutman, illustrations de Marc Boutavant
Chien Pourri est vraiment le plus pourri des chiens pourris. Il est né dans une poubelle, confond sa gauche et sa droite, pue la sardine et, disons-le clairement, il est bête comme ses pattes. Mais il est aussi très gentil et très affectueux. Encouragé par son ami Chaplapla, le chat aplati par un camion quand il était petit, il quitte alors sa poubelle, escorté par son fan-club de puces et de mouches, et part en quête du maître idéal. Une mission pas de tout repos quand on s’appelle Chien Pourri…

Mon avis : très drôles et bien écrites, les aventures de Chien Pourri sont assez irrésistibles dans leur genre, pleines d’imagination, relevées d’une jolie pointe d’ironie. Ou comment faire l’éloge du loser avec gaieté et affection ! Et les dessins de Marc Boutavant, surtout les animaux, sont épatants. A noter la parution récente de Chien Pourri à la plage, parfaitement assorti au sable de vos vacances ! A partir de 7-8 ans.

Gutman - Histoire pour endormir les parentsHistoire pour endormir ses parents, de Colas Gutman
Léonard en a marre des histoires nunuches que lui assènent ses parents tous les soirs ! Toujours des dragons, des chevaliers, à la longue, c’est nul. Alors cette fois, c’est Léonard qui raconte. De quoi faire tellement tourner la tête à Papa et Maman qu’ils n’auront plus qu’une envie : aller ses coucher…

Mon avis : Colas Gutman encore, avec des petits dessins rigolos et bicolores (noirs et roses), signés Delphine Perret. L’histoire est sympa et volontairement sans queue ni tête, mais fait passer un petit message sur la question de la propriété (qu’est-ce qui est à toi ou pas). A partir de 7 ans.

Bournay - Le Pouvoir du jaguarLe Pouvoir du jaguar, de Delphine Bournay
Maman en a marre des bêtises et des caprices de Guillaume et Gaspard ! Et quand elle en a marre, elle est d’une sale humeur, une humeur de jaguar…

Mon avis : trois petites histoires dessinées, plus B.D. que romans, faciles pour lecteurs débutants (dès 6 ans). Dépassée par les événements, la maman semble un peu dépressive, au point de carrément péter les plombs dans la troisième histoire. De quoi convaincre les petits monstres d’être un peu plus gentils avec leurs parents ? A voir…


Brochettes à gogo, d’Anne Fine

Signé Bookfalo Kill

Après avoir involontairement incendié la cuisine de sa maison, le jeune Harry est prié par ses parents d’aller voir ailleurs, le temps que les travaux de rénovation soient achevés. Pour échapper à l’insupportable tante Susan, il choisit de rejoindre Tristram, son oncle fantasque et imprévisible. Cela tombe bien, ce dernier part justement chez Belle-de-Jour, sa petite amie du moment, qui vit sur une île, si connectée à la nature qu’elle parle aux pommes et proscrit tout appareil de communication moderne.
Pour Harry, c’est l’horreur : pas de télé, pas d’ordinateur, pas même une radio, et beignets de pissenlit au menu tous les jours ! Pourtant, ces vacances forcées deviennent rapidement intéressantes, car cette drôle d’île recèle bien des secrets bizarres, entre pullulement de barbes et concours de brochettes…

Fine - Brochettes à gogoEn début d’année, Anne Fine terrorisait les ados avec le Passage du Diable, roman fantastique à la croisée de Henry James et Charles Dickens. Rien à voir, donc, avec cette franche comédie, pour lecteurs un peu plus jeunes, qui laisse libre et joyeux cours à l’imagination débordante de la romancière.

Je n’en dirai pas plus sur les péripéties qui attendent Harry, Tristram et Belle-de-Jour, qui méritent d’être découvertes au fur et à mesure qu’elles s’accumulent, plus catastrophiques les unes que les autres. Anne Fine manie l’art du quiproquo et de la dérision avec talent et, à l’évidence, s’amuse largement à créer personnages loufoques à souhait et situations absurdes ou délirantes, pleine d’affection pour ses héros si drôlement à côté de la plaque.

Une belle tranche d’humour, chaleureuse, tendre et farfelue, à partir de 10 ans.

Brochettes à gogo, d’Anne Fine
Traduit de l’anglais par Agnès Desarthe
  Éditions Ecole des Loisirs, coll. Neuf, 2014
ISBN 978-2-211-20165-0
264 p., 11€


Lunerr, Morgan, de Frédéric Faragorn

AVERTISSEMENT, SPOILER !
Lunerr, Morgan
étant la suite directe de
Lunerr, je suis contraint d’évoquer certains éléments de l’histoire du premier tome, et notamment sa fin. Si vous souhaitez découvrir cette série sans rien perdre de son suspense, sautez le premier paragraphe de cette chronique…

Signé Bookfalo Kill

Après la catastrophe qui anéantit Keraël et provoque la disparition de nombreux habitants de la ville, dont sa propre mère, Lunerr emmène un groupe d’enfants survivants vers l’Ailleurs, en espérant pouvoir y trouver une vie meilleure, plus paisible, plus riche et plus égalitaire. Avec l’aide de ses amis, la jolie Morgane, l’habile Gwenc’hlan et la petite flûtiste Nolwy, ainsi que celle de son pitwak Mourf, toujours aussi déluré mais toujours aussi précieux, le jeune garçon entreprend d’édifier un nouveau village et d’y faire vivre tout le monde dans le meilleur esprit possible.
Mais les jalousies, les envies de pouvoir et les superstitions ne tardent pas à se réveiller, mettant autant en péril l’oeuvre de Lunerr que les menaces naturelles ou certains mystères sur lesquelles plane encore l’ombre inquiétante de son vieux maître Ken Werzh…

Faragorn - Lunerr, MorganUn peu plus d’un an après le superbe Lunerr, Frédéric Faragorn revient avec une suite tout aussi réussie, d’une ambition intellectuelle à saluer, où il creuse le sillon de thématiques difficiles, déjà abordées avec clairvoyance dans le premier volume de la série.

Le romancier confronte en effet ses jeunes lecteurs à des réflexions capitales sur les superstitions, la nécessité d’apprendre à penser et choisir par soi-même plutôt que suivre aveuglément le troupeau, même si cela implique des responsabilités et des dangers vertigineux. Des idées proches de celles de Sa Majesté des Mouches, par exemple, dont Lunerr, Morgan constitue un contrepoint d’une intelligence remarquable, beaucoup moins violent mais osant davantage mettre en question les dérives engendrées par un exercice dévoyé et rigide des religions ou de systèmes de pensée trop rigides.
A un moment de notre histoire où les haines et les extrémismes s’expriment avec une virulence effroyable, dans le monde comme (et surtout) en France, j’ai même envie de dire que la lecture de ces romans devrait même être reconnue de salubrité publique…

Par opposition, Frédéric Faragorn ne perd pas une occasion de valoriser la solidarité, l’amitié, l’écoute, la patience, autant de qualités dont la mise en œuvre produit les meilleurs résultats. C’est simple mais jamais manichéen, le romancier attribuant toujours erreurs et fragilités à ses personnages, qu’ils soient animés de bonnes intentions ou pas. Une bonne manière de rappeler que, dans la vie, plus on grandit, moins les choses sont évidentes…

Rendez-vous normalement en septembre 2014 pour un troisième volet, que la fin à nouveau très ouverte de ce deuxième tome annonce aussi excitant que périlleux !

A partir de 12 ans.

Lunerr, Morgan, de Frédéric Faragorn
Éditions École des Loisirs, coll. Médium, 2014
ISBN 978-2-211-21654-8
216 p., 16€


Le Passage du Diable, d’Anne Fine

Signé Bookfalo Kill

Les premières années de sa vie, Daniel Cunningham les a passées cloîtré dans sa chambre, persuadé qu’il était gravement malade et devait éviter toute fatigue inutile et tout contact avec quiconque. Sa mère Liliana était sa seule compagnie, et sa seule distraction, de nombreux livres et une maison de poupée sidérante de réalisme, reproduisant la maison d’enfance de Liliana.
A l’occasion d’une de ses rares sorties dans le jardin, le jeune garçon est remarqué par ses voisins, qui alertent les autorités. Séparé de sa mère, il est recueilli par le docteur Marlow, qui ne lui découvre aucune pathologie. En parfaite santé, enfin libre de vivre une vie normale, Daniel ne tarde pas à prendre des forces et à découvrir le monde, en compagnie des trois filles du médecin, en particulier Sophie, la petite dernière, gamine pleine d’entrain à la langue bien pendue.
Heureux de sa nouvelle existence, Daniel ne s’en interroge pas moins sur les motivations de sa mère. Pourquoi l’a-t-elle excessivement protégé, au point de lui mentir ? Qui est son oncle Severn, que le docteur Marlow finit par retrouver après de longues recherches, et qui réside toujours dans la maison d’enfance de sa soeur Liliana ? Et quels secrets cache la maison de poupée, seul souvenir que le jeune garçon garde de sa mère ?

Fine - Le Passage du DiableA elle seule, la longueur du résumé ci-dessus vous permettra de comprendre à quel point le nouveau roman d’Anne Fine est complexe. Auteur pour les jeunes enfants (la réjouissante série du Chat assassin) et les adolescents (La Tête à l’envers, superbe roman d’amitié, ou Mrs Doubtfire, popularisée par Robin Williams au cinéma), la romancière anglaise signe ici un roman étrange, d’inspiration gothique, avec sa vieille bâtisse pleine de terribles souvenirs, ses personnages fragiles (on pleure beaucoup dans Le Passage du Diable), troublants, ou effrayants, ou si délicieusement classiques qu’ils en sont terriblement attachants (les Marlow, merveilleuse famille de fiction qui aurait donné envie de se faire adopter si l’on avait vécu au XIXème siècle).

Prenant le temps de camper décors, intrigues et caractères, Anne Fine joue à fond la carte de la référence littéraire, jusque dans son style, extrêmement soigné sans être précieux, mais qui évoque sans peine les plumes de Dickens ou du Henry James version Tour d’écrou.
Livre dont l’emballage suranné est pleinement assumé sans paraître poussiéreux, Le Passage du Diable est un hommage réussi au roman fantastique anglais, plein de finesse, qui joue moins sur la terreur que sur la tension d’une atmosphère devenant subtilement pesante et inquiétante au fil des pages.

Par son niveau de langue et son classicisme affirmé, un roman à conseiller à de très bons lecteurs adolescents à partir de 13 ans… et pour les amoureux de ce genre si particulier, quel que soit leur âge !

Le Passage du Diable, d’Anne Fine
Traduit de l’anglais par Dominique Kugler
Éditions École des Loisirs, coll. Médium, 2014
ISBN 978-2-211-20983-0
307 p., 17,50€


Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dents ?, de Jerry Spinelli

Signé Bookfalo Kill

Dans la famille Tofer, je demande le frère et la soeur. Le premier, Greg, entre en troisième ; il a passé l’été à faire un régime drastique, de la musculation et à s’entretenir comme jamais pour se présenter à la rentrée en véritable canon. Objectif : séduire enfin Jennifer Wade, dont il est follement amoureux.
La seconde, Megin, est en cinquième ; elle aime passer du temps avec sa meilleure amie Sue Ann (sauf quand celle-ci fait une fixette sur une nouvelle qui arrive de Californie), est amoureuse du hockey sur glace et récupère en douce des donuts dans sa boutique préférée pour les offrir à une vieille dame qu’elle voit en cachette dans sa maison de retraite.
Ah oui, petit détail : Greg et Megin se détestent. Vraiment. Au point de prendre leur petit frère en otage, de se balancer des donuts à la figure ou de glisser un cafard dans les affaires de l’autre en sachant qu’il est phobique. En fait non, ils ne se détestent pas, ils se haïssent, au grand désarroi de leurs parents impuissants. Mais jusqu’où cette guerre peut-elle les mener ?

Spinelli - Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dentsVoici encore un roman jeunesse qui ne sombre pas dans l’angélisme ! Ainsi qu’un livre qui aidera peut-être certains parents dépassés par les disputes incessantes de leurs enfants. Dans sa description des rapports explosifs entre Greg et Megin, Jerry Spinelli se montre effectivement intraitable, dépeignant ses héros à tour de rôle avec le même réalisme vachard. S’ils se montrent souvent humains, drôles, fragiles, chaleureux, amicaux avec les autres, dès qu’ils sont confrontés l’un à l’autre, les deux adolescents sont sans limite dans la méchanceté. Au point d’en devenir parfois détestables, y compris pour le lecteur !

Au-delà de ce sujet extrêmement bien traité par le romancier, Qui a mis des cheveux… raconte joliment les années collège, avec ses amitiés puissantes, ses jalousies, ses passions. Il saisit fort bien les préoccupations des deux héros en fonction de leur âge : Greg, véritable ado, obnubilé par son corps qui mute et à la recherche du mode d’emploi des filles ; et Megin, à peine préado, tiraillée entre son ébullition intérieure et ses instincts de petite fille, entre les câlins à la peluche de sa meilleure amie (ou à sa crosse de hockey) et son envie de grandir. Un double portrait équilibré que permet la construction du roman, en donnant en alternance la parole aux deux héros à chaque chapitre.

Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dents ? est donc un roman très réussi sur les guerres fratricides, parfois cruel mais aussi souvent drôle (grâce aux personnages des parents, surtout du père, assez irrésistible quand il s’y met), en tout cas plein de finesse, d’intelligence et, au final, de tendresse jamais nunuche. De quoi refermer le livre le coeur serré d’une émotion sobre mais sincère, et donner à réfléchir aux jeunes lecteurs qui, parfois, s’agacent de leurs frères et sœurs sans trop savoir pourquoi.

A partir de 12 ans.

Qui a mis des cheveux sur ma brosse à dents ?, de Jerry Spinelli
Traduit de l’américain par Laura Brimo
Éditions École des Loisirs, coll. Médium, 2013
ISBN  978-2-211-20112-4
277 p., 11,50€


3000 façons de dire je t’aime de Marie-Aude Murail

3000faconsCela faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman jeunesse et j’ai été scotchée par l’approche de Marie-Aude Murail. Bastien, Chloé et Neville sont scolarisés dans un collège d’une petite ville de province. Tous les trois se sont inscrits à l’atelier théâtre, mais ils ne sont pas dans les mêmes classes et ne s’adressent qu’à peine la parole. Une fois le bac en poche, ils se retrouvent dans l’atelier théâtral de Monsieur Jeanson, un soir par semaine après les cours à la fac. C’est à partir de ce moment précis que les trois comparses se redécouvrent et deviennent amis. 

Monsieur Jeanson, vieil homme grincheux mais au coeur tendre, va les conduire tous les trois vers le concours du Conservatoire de Paris. Y arriveront-ils? Leur amitié survivra-t-elle à la compétition féroce qu’ils devront livrer contre eux-mêmes? 

Marie-Aude Murail aborde sans complexe des sujets délicats avec une simplicité désarmante. L’incompréhension des parents, la misère financière, la bisexualité, l’alcool sont traités en surface mais arrivent à point nommé dans ce roman touchant. Le théâtre est le fil conducteur de ce roman et l’auteur émaille le livre de citations et d’extraits empruntés aux plus grands. Mais la raison d’être de cet ouvrage, c’est la découverte de soi, le passage de l’ado à l’adulte qui n’est pas chose aisée, le besoin éperdu d’être entouré d’amis pour passer plus facilement ce cap, que dis-je, cette péninsule!

3000 façons de dire je t’aime de Marie-Aude Murail
Editions Ecole des Loisirs, 2013
9782211212014
263p., 16€

Un article de Clarice Darling.


Lunerr, de Frédéric Faragorn

Signé Bookfalo Kill

Pour avoir prononcé par mégarde le mot « Ailleurs » en classe, Lunerr est fouetté jusqu’au sang puis devient un paria, tout comme sa mère, employée de maison, que tous ses patrons renvoient pour souligner l’infamie commise par son fils. A Keraël, les drouiz, gardiens du culte, enseignent qu’il n’y a rien en-dehors de leur ville, rien au-delà du désert qui l’entoure, île civilisée perdue au milieu d’une immensité de sable et de pierre. Ne faire que serait-ce que penser à ce qu’il pourrait y avoir ailleurs va donc à l’encontre des lois fondamentales de la cité.
Le crime involontaire de Lunerr intéresse pourtant Ken Werzh. Le plus vieux notable de Keraël, qui vit quasi reclus dans sa luxueuse maison toute en bois, est un érudit que l’on respecte autant qu’on le craint, à la fois pour son apparence effrayante de vieillard décharné aux yeux morts, pour son caractère ombrageux et ses idées étranges. Il embauche la mère de Lunerr pour assurer son ménage, et propose au jeune garçon de devenir son secrétaire particulier. De quoi changer la vie de Lunerr – mais en bien ou en mal ?…

Difficile de ne pas penser au Passeur de Lois Lowry quand on lit ce roman. Même lieu isolé et comme coupé du monde, même communauté fermée sur elle-même, intrigue similaire : un jeune garçon rencontre un vieux sage en marge de la société, qui lui offre la possibilité de découvrir l’envers du décor, les vérités que les autorités souhaitent garder secrètes parce qu’elles dérangent le monde tel qu’elles l’ont conçu… La mécanique est connue et efficace.

Cependant, la comparaison s’arrête là, d’abord parce que Lunerr n’a pas la puissance et la grâce unique du Passeur. Ensuite car le monde imaginé par le romancier français est tout sauf utopique. Les différences sociales sont flagrantes et a vie à Keraël est particulièrement dure, presque archaïque, dénuée de progrès technologiques. La récolte de l’eau, denrée rare, se fait ainsi à l’aide de grands filets tendus dans le désert pour capturer le brouillard et en extraire l’humidité. (Une technique inspirée de faits réels par ailleurs.)

Le grand intérêt de Lunerr est d’aborder des sujets essentiels de la vie des hommes avec clairvoyance, voire avec audace. La question de la religion est ainsi centrale, et Faragorn n’hésite pas à remettre en question l’utilité des rites lorsque ceux-ci, à force d’être répétés de manière automatique et sans âme, finissent par être dénués de sens… Une réflexion qui trouve un écho dans bien des pratiques religieuses aujourd’hui, quelque que soit l’objet de la foi d’ailleurs.
Frédéric Faragorn parle aussi de transmission, d’héritage, d’éducation, et surtout de liberté de penser – autant de sujets fondamentaux, et susceptibles de faire écho aux interrogations de ses jeunes lecteurs.

Enfin, le roman ne serait pas réussi sans de bons personnages, et à ce titre, Lunerr est excellent, du jeune héros à son pitwak, animal de compagnie parlant drôle et touchant, en passant par son vieux maître, énigmatique et inquiétant, sa mère, ses amis, les drouiz… Une galerie riche et bien en place dans un décor imaginaire d’une grande force visuelle.

Un roman qui assume son équilibre précaire entre noirceur et espoir, et dont la chute, très ouverte, laisse espérer une suite… A partir de douze ans.

Lunerr, de Frédéric Faragorn
Éditions École des Loisirs, collection Médium, 2012
ISBN  978-2-211-20962-5
189 p., 14,20€


Jolene, de Shaïne Cassim

Signé Bookfalo Kill

A dix-sept ans, Aurélien n’aime finalement que la musique – et pas n’importe quelle musique : le blues, le rock, la musique des racines, celle qui vous fouille aux tripes à coups de guitare électrique, de voix rocailleuse et d’harmonica. Pourtant, beau jeune homme du genre ténébreux, il n’a aucun mal à faire tourner la tête des filles. Mais lorsqu’elles tombent, elles prennent en même temps leur ticket pour le chagrin d’amour ; car lui, amoureux, il ne sait pas l’être. Il n’a jamais su. La faute à ses parents peut-être, incapables de s’aimer comme il faut, entre son père qui passe son temps à partir avec une autre puis à revenir, et sa mère qui laisse faire…
Puis débarque Jolene (prononcer « Djoline », elle est américaine.) L’amour, le vrai, l’énorme, aussi étrange et imprévisible qu’un concert de Bob Dylan. Le bonheur? Probablement. Sauf que le malheur n’est jamais très loin, prêt à prendre n’importe quelle forme pour tout détruire.

Shaïne Cassim a déjà écrit plusieurs romans, mais je la découvre avec Jolene, le dernier paru. Je reviendrai à ses autres œuvres, sans aucun doute. Quel choc ! Voilà un roman pour les ados – les grands – écrit à la fois à leur hauteur et pour les élever. Un roman coup de poing, humain, de chair et de sang, qui parle d’amour sans niaiserie. Qui illustre à quel point l’amour est le sentiment le plus immense que l’on puisse éprouver, si violent qu’il nous laisse sans défense, dépouillé, en panique – et en même temps prêt à tout, ouvert à tout.

Si ce n’était que cela, Jolene serait déjà un superbe roman. Mais si l’amour est là, sous toutes ses formes (pour un fils, pour un petit frère, pour sa mère, pour un grand-père), Shaïne Cassim ne câline pas pour autant ses lecteurs. Fleurs bleues, foutez le camp, voici venir la faux… Son roman est rude, plein de révélations et de surprises, dont de très mauvaises. Impossible d’en dire plus, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut rester insensible à la puissance de la romancière, à la hardiesse de son histoire, à la profondeur qu’elle extirpe de ses personnages. On rit et on pleure, bouleversé à parts égales.

Totalement investie dans son récit, Cassim écrit comme on joue le blues ou le rock, avec passion, entre espoir et désespoir, entre chagrin et lumière. A coups de phrases tranchantes et passionnées. Son style pur et précis fait vibrer les sentiments comme les basses des enceintes. On sort de son livre comme on sort d’une salle de concert, ivre et k.o. debout.

Jolene est une merveille déchirante. Une rareté dans sa catégorie. A recommander à tous, à partir de 14 ans – et sans limite d’âge.

Jolene, de Shaïne Cassim
  Éditions École des Loisirs, collection Médium, 2012
ISBN 978-2-211-20873-4
180 p., 10,20€


Le Bal d’anniversaire, de Lois Lowry

Signé Bookfalo Kill

La princesse Patricia Priscilla s’ennuie. Elle a pourtant tout pour être heureuse : une chatte qu’elle idôlatre, des serviteurs aux petits soins, bref : une vie de château dont rêvent toutes les petites filles. Mais elle s’ennuie, et à un point !…
Sans compter que, d’ici quelques jours, elle va avoir seize ans – soit l’âge, à l’occasion d’une grande fête, de rencontrer ses prétendants et de choisir l’un d’entre eux afin d’en faire son époux. Problème : ses prétendants sont tous épouvantables. D’abord, il y a le duc Desmond de Dyspepsie, qui ressemble à un phacophère et a fait interdire tous les miroirs dans son royaume afin de mieux se persuader qu’il n’est pas hideux. Ensuite, le sombre prince Percival de Pustule, qui hait tout et tout le monde hormis lui-même, et dont le passe-temps favori est de se mirer dans tout reflet à proximité de sa personne. Enfin, les comtes joints Colin et Cuthbert, des siamois attachés par le flanc, qui n’aiment rien tant que se chamailler et dire des gros mots.
En discutant avec sa dix-septième femme de chambre, la princesse a l’idée d’échanger ses vêtements avec elle et de se glisser incognito à l’école du village, comme une simple manante. Là, elle fait la connaissance de Rafe, le maître d’école…

Auteur incontournable de la littérature jeunesse contemporaine, l’Américaine Lois Lowry signe avec le Bal d’anniversaire un conte de fées drôle et enlevé. On retrouve son habileté coutumière à planter en quelques mots des décors, des personnages et des atmosphères – ici, celle d’une vie médiévale de conte, avec sa princesse candide, ses roi et reine à côté de la plaque, ses princes pas charmants et ses villageois modestes mais généreux.
L’histoire est simple et racontée avec simplicité, dans le style fluide et sobre de la romancière. On rit beaucoup, surtout aux dépens des princes, superbement ridicules – mais, au final, dûment éduqués et « récupérés ». Au terme du récit, la morale est sauve et l’issue joyeuse, dans la bonne humeur et sans aucune mièvrerie.

Si, par le passé, Lois Lowry a emmené le roman jeunesse vers des sommets supérieurs (le Passeur, chef d’oeuvre du genre), son Bal d’anniversaire est un beau petit roman, frais et joyeux. A conseiller à partir de 9-10 ans !

Le Bal d’anniversaire, de Lois Lowry
Editions Ecole des Loisirs, collection Neuf, 2011
Traduit par Agnès Desarthe
ISBN 978-2-211-20337-1
224 p., 11€