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Pierre Bayard détextive privé t.1 : l’affaire Petit Prince, de Clémentine Beauvais

Interdit d’enquête depuis quelques années, Pierre Bayard, célèbre détextive, s’ennuie ferme en compagnie de son associée Édith. Jusqu’au jour où ils sont enfin appelés à l’aide pour résoudre une énigme ! Mais leur contact disparaît avant même d’avoir pu les rencontrer, ne laissant qu’un indice pointant vers l’un des textes les plus lus de tous les temps : Le Petit Prince.
Flanqués de leur ingénieux voisin de 12 ans, Minuit-Pile, et de sa meilleure amie, la frondeuse Bas-de Casse, Pierre Bayard et Édith se lancent aussitôt dans l’enquête…


Sur le papier, la rencontre entre Clémentine Beauvais et Pierre Bayard paraissait hautement improbable. D’un côté, une jeune autrice pour la jeunesse, iconoclaste, reine de l’imaginaire le plus débridé au service d’histoires profondes et de personnages bouleversants (Les petites reines, Âge tendre), et plume créative, volontiers virtuose (Songe à la douceur) ; de l’autre, un professeur de littérature française à l’université, accessoirement psychanalyste, auteur d’un corpus conséquent d’essais publiés aux très sérieuses éditions de Minuit, parmi lesquels Aurais-je été résistant ou bourreau ?, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus (incontournable pour les libraires), ainsi que des textes sur Romain Gary, Freud, Stendhal ou Choderlos de Laclos.

Bien entendu, les choses ne sont pas si simples.
D’abord parce que Clémentine Beauvais est, elle aussi, enseignante à l’université d’York, en Angleterre, et théoricienne de la littérature (je vous recommande en particulier Écrire comme une abeille : la littérature jeunesse, de la lecture à l’écriture, énorme somme à parcourir en tous sens pour se gorger des innombrables bonnes idées et réflexions qui nourrissent ses presque 500 pages). Elle pense l’acte d’écrire et de lire autant qu’elle écrit elle-même, ce qui n’est pas peu dire.
Ensuite parce que Pierre Bayard, aussi sérieux soit-il en apparence, partage avec elle un goût certain pour la fantaisie et l’irrévérence, que l’on retrouve particulièrement dans ses essais de décorticage de grands classiques policiers, par exemple L’Affaire du Chien des Baskerville, La Vérité sur Ils étaient dix, Qui a tué Roger Ackroyd ? ou, plus récemment, Hitchcock s’est trompé (analyse de Fenêtre sur cour) : des enquêtes minutieuses, érudites, qui entendent démontrer à chaque fois, preuves textuelles à l’appui, que leurs auteurs ont manipulé leurs lecteurs en désignant, sciemment ou non, le mauvais coupable.

Partie à la rencontre de Pierre Bayard avec l’idée d’appliquer cette fois sa méthode à des grands classiques de la littérature jeunesse, Clémentine Beauvais a finalement poussé le bouchon encore plus loin, en faisant de son nouveau compère le protagoniste d’une série de romans dont le premier, donc, s’attaque au Petit Prince.
Un monument absolu, qui dépasse naturellement les frontières supposées de la littérature jeunesse, et que la très grande majorité des lecteurs français a lu (sans forcément l’apprécier). Un livre célébrissime, apparemment intouchable donc… mais dont le duo d’empêcheurs de lire en rond va allègrement dénicher les failles, pour faire dire au texte d’Antoine Saint-Exupéry ce qu’on n’aurait jamais imaginé y trouver.

Et ça marche ? Bah oui, à fond les ballons. Comme dans les excellents essais précédents de Pierre Bayard, les hypothèses esquissées au fil d’une analyse à la fois précise et imaginative du texte original s’avèrent crédibles, voire carrément séduisantes. Le travail d’analyse et de déduction est donc une réussite, et cette partie du pari est relevé haut la main.
Néanmoins, pour que cela fonctionne, il fallait également un emballage littéraire à la hauteur. C’est là que le talent de Clémentine Beauvais intervient. Entourant son Pierre Bayard de héros de seconds rôles géniaux, fantasques, attachants, hilarants ou énervants, non dénués de surprise inattendue pour certains (je ne dis rien !), elle campe son enquête hors de notre époque – bien qu’il soit possible de la fixer dans le temps, au milieu des années 90 : en effet, la Bibliothèque Nationale François Mitterrand est déjà ouverte (inauguration en 1994), et les numéros de téléphone comptent encore huit chiffres (ils passeront à dix en octobre 1996).

L’idée, sans doute, est d’éloigner les lecteurs d’aujourd’hui des attendus contemporains – avoir toujours un portable à portée de main, mener une enquête sur ordinateur plutôt que dans des livres (ce que font les héros de L’Affaire Petit Prince, avec l’aide notamment d’une cabine téléphonique reconvertie en formidable assistante intelligente par le génie mécanique d’un jeune garçon de douze ans)…
Par l’enchaînement des péripéties, la drôlerie des personnages et des situations, le ton général du récit, Clémentine Beauvais y ajoute une atmosphère intemporelle à la Tintin tout à fait rafraîchissante, parfaitement appropriée à l’esprit de cette histoire.

L’Affaire Petit Prince inaugure donc en beauté la série des enquêtes de Pierre Bayard, détextive privé, dont j’attends le deuxième opus avec d’autant plus d’impatience qu’il concernera un texte qui me fascine tout particulièrement : Peter Pan, de James Matthew Barrie… Rendez-vous en septembre !

À partir de 12 ans (environ… et sans limite d’âge !)

Pierre Bayard détextive privé t.1 : L’Affaire Petit Prince, de Clémentine Beauvais
Éditions Sarbacane, 2025
ISBN 9791040806400
272 p., 14,90€

Une réponse à « Pierre Bayard détextive privé t.1 : l’affaire Petit Prince, de Clémentine Beauvais »

  1. J’avais lu ses autres romans, celui sur le chien des Baskerville et Roger Ackroyd. Je vais noter celui-ci, juste pour voir ce que ça donne ;)

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