« On va faire un beau film ! »
Depuis que le producteur a validé ainsi son scénario, Boris est aux anges. La magnifique tragédie amoureuse qu’il a intitulée Les servitudes silencieuses verra le jour au cinéma, en noir et blanc, comme dans ses rêves les plus fous. Et tout semble décidément sourire à Boris quand il fait la rencontre d’Aurélie, une jeune femme cinéphile qui se passionne pour le projet. Pourtant le cinéma, comme l’amour, a ses aléas et ses contraintes. Du film d’auteur au navet, il n’y a parfois qu’un pas.
Fabcaro, l’auteur de bande dessinée, s’est fait connaître grâce à l’énorme succès de Zaï Zaï Zaï Zaï, en 2015. Fabrice Caro, le romancier, a explosé trois ans plus tard avec son deuxième roman, Le Discours. Deux facettes d’un même homme qui présentent évidemment bien des points communs, à commencer par un art consommé de l’absurde, un humour qui fait mouche mais aussi qui fait sens, saisissant d’une manière bien à lui les bizarreries humaines et autres travers sociaux dont nos existences sont le théâtre.
Chez le romancier transparaît aussi, souvent, une forme de désespoir existentiel plus prononcé que dans ses B.D., qui va de pair avec une déshérence sentimentale ; ce qui fait qu’on rit sans doute moins dans ses romans, mais qu’il s’y trouve quelque chose d’un peu plus profond, ou d’un peu plus touchant.

Pour être honnête, Journal d’un scénario n’est pas forcément le plus représentatif de ce que je viens d’énoncer. Si le narrateur y affronte son lot de galères sentimentales, le ton général est plus léger, plus fantaisiste, voire loufoque par moments. On s’y on s’amuse beaucoup, sur la trame classique de la dégringolade : toute l’intrigue, en effet, s’emploie à démonter une situation de départ idyllique, qui échappe peu à peu au contrôle de notre héros, jusqu’à devenir totalement grotesque.
Le cheminement peut paraître un peu prévisible, il n’en reste pas moins réjouissant. Caro se joue des pires clichés sur le cinéma français, aussi bien l’intello chiant (souvent couronné aux Césars) que la comédie balourde qui remplit les salles à défaut du cerveau des spectateurs. La mécanique est impossible à enrayer, on voit très bien où elle va, mais on se réjouit par avance, avec un rien de sadisme, de la catastrophe attendue.
La forme du journal intime, choisie par Fabrice Caro, permet de suivre au plus près la déconfiture artistique, psychologique et sentimentale du narrateur, tout en facilitant les sauts de puce chronologiques nécessaires pour aller à l’essentiel du récit. Là aussi, c’est sans surprise mais efficace, et offre une lecture rapide et joyeuse, sans le moindre gras.
Journal d’un scénario n’est pas le roman le plus marquant de Fabrice Caro, mais c’est un bon petit moment de lecture comédie, vraiment bien vu.
Journal d’un scénario, de Fabrice Caro
Éditions Gallimard, coll. Folio, 2024
ISBN 9782073084774
208 p., 8,50€

Première publication :
Éditions Gallimard, coll. Sygne, 2023
ISBN 9782073032263
208 p., 19,50€

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