
Intérêt global :

Du côté d’Albin Michel, on se félicite d’avoir fait des efforts en terme de parution, histoire d’absorber le choc économique lié à la crise du coronavirus, passant notamment de 400 (!!!) publications sur l’année, à « seulement » 300.
Pour la rentrée littéraire, cela se traduit par une cohorte de… onze écrivains. Ce qui est moins que les seize de 2018, en effet. Mais reste sans doute un peu excessif.
Une poignée de belles choses se détache néanmoins de ce programme. Au moins deux, en ce qui me concerne, avec un ou deux jokers en plus. C’est déjà pas si mal.
(Oui, j’ai décidé d’être aimable cette année. Pour l’instant, en tout cas. Le jeu ne fait que commencer.)
L’ÉVÉNEMENT
Nickel Boys, de Colson Whitehead
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé)
Jusqu’à présent, ils n’étaient que trois auteurs à avoir remporté deux fois le Pulitzer, le plus prestigieux prix littéraire américain : Booth Tarkington (auteur notamment en 1918 de La Splendeur des Amberson, adapté plus tard au cinéma par Orson Welles), William Faulkner et John Updike. Excusez du peu. Colson Whitehead rejoint donc ce club très fermé, puisque son nouveau roman vient d’être distingué, trois ans après le formidable Underground Railroad, où il revisitait avec brio et un souffle narratif exceptionnel l’histoire de l’esclavage aux États-Unis.
Nickel Boys aborde à nouveau la question noire, en s’inspirant cette fois d’un fait divers contemporain. En 2011, une terrible maison de redressement pour délinquants, l’école Dozier, ferme ses portes. Trois ans plus tard, on y découvre un charnier, cinquante tombes sans doute tués par le personnel de l’établissement au fil de ses effroyables années de sévices.
Par le prisme de la fiction, Whitehead investit l’histoire de ce lieu, qu’il rebaptise « Nickel Academy », en racontant l’histoire d’Elwood, un jeune Noir brillant et bien élevé qui, à la suite d’une erreur judiciaire, est arrêté à la place d’un autre. Nous sommes dans les années 60 et, si les États-Unis tentent de faire progresser le statut des Noirs, on est encore loin du compte. Sans pouvoir se défendre, Elwood est envoyé à la Nickel Academy, dont il découvre l’horreur, et tente d’y résister à sa manière, notamment en écrivant sans faillir tout ce dont il est témoin ou victime.
LE TRANSFUGE
Buveurs de vent, de Franck Bouysse
Pierre Fourniaud, le patron de la Manufacture de Livres, doit être assez embêté. Franck Bouysse, qu’il a révélé et qui a fait les beaux jours de sa petite maison d’édition avec (entre autres) Grossir le ciel, Né d’aucune femme ou Glaise, a cédé aux sirènes d’une grande maison. Le voici donc chez Albin Michel avec un très beau titre, Buveurs de vent, et une histoire bien dans son style.
On y rencontre quatre frères et sœur qui vivent dans la vallée du Gour Noir, où ils aiment à se retrouver près d’un viaduc devenu le centre de leur petit monde. Mal compris par leurs parents, ils tentent de se frayer un chemin dans la vie, soudés les uns aux autres. Et, comme tous ceux de la vallée, sous l’emprise de Joyce, qui règne en maître absolu sur les poumons économiques de la région, les carrières, le barrage et la centrale électrique…
L’INÉVITABLE
Les aérostats, d’Amélie Nothomb
S’il existait quelque part une statue d’Amélie Nothomb, personne n’arriverait à la déboulonner. La romancière belge attaque sa vingt-neuvième rentrée littéraire (record ? Sûrement !), avec un livre au titre énigmatique dont le pitch est, comme d’habitude, réduit à sa plus simple expression : « La jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir ». Pourquoi s’emmerder à écrire des résumés ? C’est Nothomb, il suffit de mettre sa bouille sur la couverture et ça se vend tout seul.
Plus sérieusement, elle y narre la rencontre entre deux adolescents déphasés (évidemment) : lui est un lycéen dyslexique, elle une étudiante trop sérieuse et mal à l’aise avec ses contemporains qu’elle ne comprend pas. Ensemble, ils vont affronter leurs manques.
Moins ambitieux et risqué sans doute que Soif, son précédent qui donnait la parole à Jésus sur sa croix, mais cela reste du Nothomb dans le texte, version intimiste. Cela peut donner des jolies choses, toute ironie mise à part.
PLACE AUX FEMMES
Les évasions particulières, de Véronique Olmi
Il y a trois ans, Bakhita avait propulsé sur le devant de la scène Véronique Olmi, auteure jusqu’alors suivie par un lectorat fidèle, mais plus restreint que celui rencontré grâce à ce livre événement, finaliste malheureux du Goncourt. Son nouveau livre est donc beaucoup plus attendu. Il devrait être aussi plus classique, qui narre l’éducation d’une jeune fille, entre les années 60 et 80, partagée entre sa vie modeste avec sa famille, et des vacances nichées à Neuilly chez des proches dont l’éducation bourgeoise est très différente de la sienne.
On ne touche pas, de Ketty Rouf
Premier roman, consacré à une femme, Joséphine, professeur de philosophie le jour et stripteaseuse la nuit, histoire de pimenter son quotidien bien morne par ailleurs. Sa vie bascule lorsqu’un de ses élèves assiste un soir au spectacle et la reconnaît.
Elle voulait du piment ? Hé ben voilà : ça pique.
Calamity Gwenn, de François Beaune
C’est marrant comme, parfois, certains raccourcis troublants se créent. L’héroïne du nouveau roman de François Beaune, en effet, voudrait être Isabelle Huppert, mais se contente pour le moment de travailler dans un sex-shop à Pigalle. Une voisine de la Joséphine de Ketty Rouf ? À travers son journal, où elle consigne ses observations et sa vie, Beaune dresse un portrait de femme en forme de point d’interrogation sur notre société.
Pas la promesse la plus follement originale du programme, je vous l’accorde.
La Fièvre, de Sébastien Spitzer
Et on continue dans le raccourci évoqué ci-dessus : Spitzer s’empare en effet d’Annie Cook, personnage bien réel qui vécut à Memphis au XIXème siècle, où elle tenait… un bordel. Hé oui. Plutôt haut de gamme, mais il n’empêche, on reste dans le sujet.
Cela dit, ce n’est pas le thème du livre, et Annie Cook est une figure assez passionnante sur le papier, puisqu’elle transforma son établissement en hôpital improvisé lorsque la fièvre jaune déferla à Memphis dans les années 1870. Elle fut elle-même emportée par la maladie en 1878, non sans avoir aidé, soutenu, soigné comme elle le pouvait nombre de patients. Une véritable héroïne, dévouée et déterminée jusqu’à la mort, dont le destin bouleversa évidemment les Américains.
Pas impossible, par ailleurs, que des journalistes inspirés trouvent le moyen de tisser des liens entre l’intrigue du romancier et ce que nous vivons en ce moment…
AMERICA
Ohio, de Stephen Markley
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé)
On reste brièvement aux États-Unis avec le premier roman de Stephen Markley, qui met en scène le retour de quatre anciens élèves à New Canaan, la petite ville de l’Ohio où ils ont grandi. Quête amoureuse, quête de vengeance, règlements de compte familiaux ou errance personnelle, les quatre jeunes gens incarnent une certaine jeunesse américaine d’aujourd’hui, à la dérive. Sur le papier, un grand classique de littérature américaine, qui ne lui apportera peut-être grand-chose de neuf, mais pourrait plaire aux amateurs de ce qui est devenu un genre en soi.
DÉJÀ VU
De grandes ambitions, d’Antoine Rault
Les destins de huit protagonistes, des années 1980 jusqu’au début du XXIe siècle. Chacun parvient, dans le domaine qui est le sien, à un haut niveau de pouvoir. Clara sera chirurgienne, Diane, une actrice reconnue, Jeanne, cheffe du Parti National, Stéphane, son homme de l’ombre, Marc fera fortune dans l’Internet, Sonia finira ministre d’État et Frédéric, président de la République.
Du classique, là aussi. On a déjà pas mal lu ce genre de choses en littérature française, y compris chez Albin Michel (Le Bonheur national brut de François Roux, par exemple). Pas grand-chose de plus à en dire, donc.
BLOUSON NOIR
Radical, de Tom Connan
La caution « jeune rebelle » de la rentrée Albin Michel, laquelle est bien plan-plan par ailleurs (ce qui est quand même l’esprit maison). Après deux romans auto-publiés, le jeune Tom Connan (25 ans) s’installe donc rue Huyghens pour balancer une histoire de rencontre amoureuse sur fond de malaise social. Soit la rencontre explosive entre un étudiant de gauche et un militant d’extrême-droite jouant les activistes dans la frange radicale des Gilets Jaunes.
Honnêtement, je passe mon tour.
FOLLE JEUNESSE
Longtemps je me suis couché de bonheur, de Daniel Picouly
Un point supplémentaire pour la jolie pirouette du titre. Sinon, le bon élève Picouly replante sa charrue dans la veine de fiction autobiographique qui avait fait le succès du Champ de personne, il y a bien longtemps. Son narrateur, dont l’avenir est suspendu à son éventuelle admission en seconde générale plutôt qu’en technique, tombe amoureux d’une jeune fille prénommée Albertine (oh, ah) qu’il voit acheter un roman de Proust (ah, oh) en librairie. Du coup, il se met à lire À la Recherche du temps perdu (oooh).
Lectures hautement probables :
Nickel Boys, de Colson Whitehead
Buveurs de vent, de Franck Bouysse
Lecture éventuelle :
Les aérostats, d’Amélie Nothomb
2 juillet 2020 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones | Tags: 2020, aérostats, adolescence, Aix-en-Provence, Albertine, Albin Michel, Amélie Nothomb, amour, années 60, Annie Cook, Antoine Rault, éducation, élève, évasions particulières, Bakhita, barrage, buveurs de vent, Calamity Gwenn, Cannibales Lecteurs, centrale, Charles Recoursé, Colson Whitehead, Daniel Picouly, dyslexique, Etats-Unis, extrême-droite, famille, fièvre, fièvre jaune, François Beaune, Franck Bouysse, fraternité, frère, gauche, gilets jaunes, Goncourt, Gour Noir, grandes ambitions, Isabelle Huppert, journal, Ketty Rouf, littérature, longtemps je me suis couché de bonheur, Memphis, Neuilly, New Canaan, Nickel Boys, Noir, Ohio, on ne touche pas, perdu, philosophie, Pigalle, professeur, Proust, radical, recherche, redressement, rencontre, rentrée littéraire, Sébastien Spitzer, sex-shop, société, soeur, Stephen Markley, striptease, temps, Tom Connan, USA, vallée, Véronique Olmi, violence, XIXème siècle | 11 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
On ne dirait pas comme ça, mais j’aime bien Alix de Saint-André. Je l’avais découverte il y a longtemps avec son premier livre, un polar joliment intitulé L’Ange et le réservoir de liquide à frein, à la fois drôle, tragique et étrangement mélancolique. D’autres livres sont passés par là depuis (Papa est au Panthéon, qui m’avait bien amusé, ou En avant, route !, récit assez hilarant de pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle), et ont contribué à me rendre sympathique cette journaliste écrivain fofolle et iconoclaste.
Si je rappelle tout ceci, c’est évidemment parce que L’Angoisse de la page folle ne m’a pas convaincu du tout. Pourtant, sur le papier, ce bouquin semblait lui aller comme un gant : elle y raconte comment un traitement au baclofène, médicament générique censé neutraliser les addictions, l’a conduite sur la voie de l’insomnie chronique, doublée d’une frénésie aussi générale qu’incontrôlable – la rendant au passage totalement hermétique au mal de l’écrivain, l’angoisse de la page blanche…
Un peu foutraque au départ, le récit se structure ensuite au fil d’emails reconstitués par Alix de Saint-André, puis d’un journal qu’elle a tenu, histoire de trouver par l’écrit la mémoire qui lui a fait défaut lorsque le traitement lui est monté au cerveau. Problème : le dispositif est longuet, plein de détails personnels et de références à des personnages que nous ne connaissons pas, parfois répétitif et au bout du compte assez inintéressant. Qu’a voulu faire la romancière finalement ? Un procès de la médication à outrance ? On ne dirait pas. Un récit personnel plein d’ironie et de sincérité ? Ouais, bon, oui, bof.
Formellement, même si le rythme est soutenu et le ton enlevé, rien d’excitant non plus…
Bref, pas d’effets secondaires pour moi à la fin de cette lecture. Ni angoisse, certes (c’est déjà ça), ni plaisir (c’est bien dommage). Un oubli quasi instantané, à la limite, ce qui n’est guère plus glorieux.
L’Angoisse de la page folle, d’Alix de Saint-André
Éditions Gallimard, 2016
ISBN 978-2-07-017988-6
320 p., 21,50€
8 juin 2016 | Catégories: Romans Francophones | Tags: addiction, Alix de Saint-André, angoisse, autobiographie, Cannibales Lecteurs, cigarette, emails, folle, frénésie, Gallimard, hôpital, insomnie, internement, journal, médicament, page, récit, traitement | Poster un commentaire
Signé Bookfalo Kill
Voilà un drôle de petit livre. D’abord parce qu’il fait partie des titres inaugurant la collection de poche des éditions Sabine Wespieser, et qu’il en est le seul inédit – un texte d’ailleurs extrêmement atypique chez cette éditrice, on y reviendra un peu plus loin.
Ensuite parce que c’est un journal, tenu en français par une Américaine new yorkaise jusqu’au bout des ongles. Kelly Dowland est une « grande blonde extrêmement bien proportionnée qui joue du tuba », compagne d’un acteur shakespearien et maman d’un petit Elton à la langue bien pendue (comme sa mère). Elle fait corps avec Gros Doré, son instrument fétiche, impose son physique avantageux au milieu des hommes qui l’entourent sans jamais en abuser, élève son fils avec patience et humour, a une ribambelle de copines lesbiennes… Bref, une new yorkaise de cinéma.
Rien ne la prédisposait à écrire. Sauf que Jackie, sa Grand’Ma adorée, tout juste centenaire, tombe gravement malade. Embolie pulmonaire. A son âge, cela n’annonce rien de bon. Alors Kelly décide de tenir ce journal. Pour évoquer sa grand-mère, bien sûr, belle figure qui lui a transmis beaucoup de sa fougue, peut-être pour conjurer le sort et le retarder un peu ; mais aussi pour raconter sa propre vie et celle de ses proches alors que l’ombre de la mort d’un être cher pèse sur leur existence.
Jackie est tiraillé par ce déchirement fondateur entre la vie et la mort. D’un côté, c’est un petit livre malicieux, coquin, amusant, vivace, rempli de cet optimisme compact dont les Américains ont le secret. On sourit souvent, on s’attendrit, et on s’amuse du ton presque naïf de cette jeune femme dont le français, tout à fait correct, est toutefois loin d’être châtié – et c’est aussi ce qui fait son charme, même si, pour cette raison, la parution de ce livre chez Sabine Wespieser, habituée à publier des romans dont la langue est travaillée, maîtrisée, est assez inattendue.
D’un autre côté, passé l’étonnement des premières pages, on comprend assez vite ce qui a pu toucher l’éditrice dans ce journal. L’émotion très vite s’impose, au détour de quelques mots, esquissée avec sincérité et sobriété, notamment lorsque la mort s’approche à grands pas. Les dernières pages, bien sûr, sont bouleversantes, d’une dignité qui sera familière à tous ceux qui ont perdu des proches, et l’on regrette de quitter Kelly si vite, aussi sûrement qu’elle a regretté de voir partir sa Grand’Ma.
Portrait en creux d’une femme libre, Jackie est un livre plein de force et d’une beauté brute assez rare. Un témoignage de vie à déguster entre rires et larmes.
Jackie, de Kelly Dowland
Éditions Sabine Wespieser, coll. SW Poche, 2015
ISBN 978-2-84805-189-5
94 p., 7€
1 juillet 2015 | Catégories: Romans Francophones | Tags: Cannibales Lecteurs, famille, fils, grand-mère, humour, Jackie, journal, Kelly Dowland, maladie, mort, musique, New York, Sabine Wespieser, SW poche, témoignage, tuba | 1 commentaire
Léna Moukhina est une toute jeune fille de 16 ans. Elle aime sortir avec ses copines, elle aime bien manger, elle n’aime pas trop le lycée, mais elle y va pour les beaux yeux de Vovka. Elle vit en Russie, dans une ville qu’elle aime même si elle s’y ennuie un peu. C’est la vie du gamine qui va bientôt basculer.
Léna se retrouve aux prises avec l’Histoire et va relater, pendant un an, sa vie durant le siège de Léningrad. Elle décrit avec angoisse l’avancée des troupes allemandes, les alertes à la bombe, les privations, les tickets de rationnement. Léna va perdre sa mère, sa tante et sa grand-mère en l’espace de quelques mois. Son journal rapporte l’adolescence d’une fille timide et complexée que la guerre va frapper de plein fouet.
Le journal a été retrouvé par trois historiens russes alors qu’il dormait depuis les années 60 dans une bibliothèque de Saint-Petersbourg. Les historiens se sont alors lancé dans une quête passionnée et passionnante à la recherche de Léna. Est-elle encore en vie? Si non, comment son journal intime est parvenu jusqu’à nous?
Léna Moukhina ne savait pas qu’en écrivant son journal, elle nous offrirait une analyse quasi-chirurgicale d’une ville assiégée. Une ado foudroyée par la barbarie humaine, qui va faire preuve de caractère et d’une volonté de fer, portée par la ferveur communiste, pour surmonter la guerre. Si le journal s’arrête en mai 1942, le siège lui, continuera jusqu’en janvier 1944, laissant une ville exsangue, vidée de ses habitants. Le siège de Léningrad aura fait environ un million de civils morts.
Le journal de Léna, de Léna Moukhina
Editions Robert Laffont
9782221133385
370p., 21€
Un article de Clarice Darling.
29 mars 2014 | Catégories: Histoire | Tags: adolescence, bombardements, enfance, faim, guerre, journal, Journal de Léna, journal intime, Léna Moukhina, Léningrand, Russie, Saint-Petersbourg, Seconde Guerre mondiale | 1 commentaire
J’avais lu il y a deux ans (déjà), Dear George Clooney, tu veux pas épouser ma mère? que j’avais beaucoup aimé. Cette fois, l’auteur change totalement de registre et nous entraîne dans le sillage de Henry, ado mal dans sa peau, qui vit seul avec son père et voit régulièrement un psychiatre depuis ÇA. ÇA, c’est la catastrophe qui a touché toute la famille d’Henry et l’a fait voler en éclats. Depuis, plus rien n’est comme avant. Henry et son père ont dû déménager pour tenter de se reconstruire. Le thérapeute d’Henry lui conseille d’écrire un journal. Idée qu’il déteste de prime abord mais à laquelle il va se prêter.
Susin Nielsen réussit encore une fois à rendre ses personnages attachants. Dans ses romans, point de mièvrerie. Surtout pas dans Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen. Un drame atroce a eu lieu dans sa famille et Henry doit survivre avec ce sentiment douloureux. Les adultes sont tout aussi paumés que lui, et Henry, déraciné, va devoir se familiariser avec un nouvel environnement, revenir peu à peu à la vie. Henry est un gamin rondouillard, fan de jeux vidéos et de catch, comme bon nombre d’ados. Ses copains sont aussi vrais que les miens, le père est complètement à l’ouest et les voisins sont un running-gag permanent.
L’auteur traite ainsi d’une très belle façon l’amitié, les premiers émois et le drame familial. Et prouve que, malgré l’horreur, la vie peut reprendre ses droits.
Le journal malgré lui d’Henry K. Larsen de Susin Nielsen
Editions Hélium, 2013
9782330022495
236p., 14€50
Un article de Clarice Darling.
16 octobre 2013 | Catégories: Romans jeunesse | Tags: adolescence, drame familial, Henry, journal, Le journal malgré lui de Henry K. Larsen, Susin Nielsen | 2 Commentaires
« Je suis bien conscient qu’il y a un risque que j’ai ou que j’aurai peut-être le SIDA. La probabilité est très forte et en fait, j’en ai déjà les symptômes. (…) Je ne sais pas s’il me reste cinq mois ou cinq ans, mais je sais que mes jours sont comptés. C’est pour cela que mes activités et mes projets ont tant d’importance en ce moment. Il faut en faire autant que possible le plus vite possible. Je suis sûr que ce qui survivra après ma mort est assez important pour que je sacrifie aujourd’hui mes convenances personnelles et mon temps de loisir. Le travail est tout ce que j’ai et l’art est plus important que la vie. »
Fans de Keith Haring, vous allez être gâtés. Ce Journal fut tenu par le peintre-graphiste du 29 Avril 1977 (peu avant ses 19 ans) au 22 septembre 1989 (cinq mois avant sa mort). Cependant, détrompez-vous. Il ne s’agit pas d’un journal intime. Il s’agit vraiment d’un journal artistique, où toutes ses toiles, fresques et autres dessins sont consignés. Ses voyages pour inaugurer telle ou telle exposition dans le monde, ses achats de pinceaux, ses visites dans les usines qui reproduisent ses oeuvres sur T-shirt, badges, etc…
J’ai été étonnée de la maturité de Keith Haring à 20 ans. Par moment, il s’agit véritablement d’un traité sur l’art, avec les aspects un peu ch***** que cela peut entraîner. Et puis à d’autres instants, on ressent l’artiste à nos côtés. Il est là, ce gamin de Pennsylvanie, qui, en l’espace de 15 ans, a réussi à faire éclore son oeuvre à la face du monde. Keith Haring, c’est un artiste inter-générationel, dont les couleurs et les traits transcendent les années. Dans son Journal, il discute avec Andy Warhol, drague des minets bellâtres, prend de la coke et râle contre la nuit, contre l’hiver, contre la maladie, qui l’empêchent de travailler.
Abondamment illustré, ce journal est un véritable traité sur l’art, la société de consommation et le besoin insatiable de peindre et dessiner. Art is life disait son ami Yves Arman. Un message que Keith Haring s’est borné à transmettre à travers son oeuvre.
Journal de Keith Haring
Editions Flammarion, 2012
9782081279421
422p., 26€
Un article de Clarice Darling.
30 juin 2012 | Catégories: Beaux-Arts | Tags: art, essai, exposition, fresques, graffiti, journal, Keith Haring, peinture, SIDA, traité | 2 Commentaires
Décidément, Jean-Louis Fournier n’a pas de chance. Mais vraiment pas de chance. Après ses deux garçons poly-handicapés dont l’un est décédé et l’autre survit en institut spécialisé, voici que sa seconde épouse décède comme ça, du jour en lendemain, sans prévenir.
Dans cet ouvrage, l’écrivain fait son travail de deuil, apprend (ou ré-apprend) à vivre malgré la perte d’un être cher. Alors bien sûr, c’est drôle, parce que c’est raconté à la sauce Fournier. De l’humour, des petites pointes d’amertume, parfois du chagrin, mais rien qui ne laisse présager la dévastation du « tsunami » qui vous saute à la gorge quand vous perdez votre conjoint, votre enfant, votre parent, votre meilleur(e) ami(e).
Bien sûr, c’est triste, mais Jean-Louis Fournier nous a fait déjà le coup du bouquin mi-grinçant/mi-tendre/mi-amer dans Où on va, Papa? Bien sûr, ça marche à tous les coups, parce qu’on veut tous croire qu’on peut survivre au chagrin. Et que Jean-Louis Fournier nous remonte le moral à sa façon. Il est déjà passé par là, il est encore en vie, drôle, touchant, on va donc logiquement survivre quand ça nous arrivera, à nous.
Mais je reste profondément et sincèrement persuadée que Jean-Louis Fournier peut faire mieux que cela. Mieux que ce style d’écriture derrière lequel il se cache, derrière sa « desprogerie », pour mieux masquer ses émotions. Sauf que j’aimerai lire un jour du vrai Jean-Louis Fournier, sans fioriture, sans blague pour auto-défense.
Alors, oui, Veuf est un livre plein d’espoir, parfois drôle, souvent émouvant et est un magnifique hymne à l’amour pour sa chère Sylvie, mais à traiter toutes les personnes et toutes les émotions sur la même tonalité littéraire, cela perd peut-être un peu de sa saveur.
Veuf de Jean-Louis Fournier
Editions Stock, 2011
9782234070899
157p., 15,50€
Un article de Clarice Darling.
3 décembre 2011 | Catégories: Romans Francophones | Tags: décès, deuil, femme, Jean-Louis Fournier, journal, mort, Veuf | Poster un commentaire