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L’œuvre de Steven Spielberg : l’art du blockbuster, de Victor Norek

Capable de donner vie aux blockbusters les plus complexes comme à des films plus intimistes, Steven Spielberg compte depuis plus de cinquante ans parmi les cinéastes majeurs du septième art. Derrière sa filmographie d’une grande diversité se cache une œuvre cohérente, à la richesse parfois insoupçonnée.
L’Œuvre de Steven Spielberg : L’art du blockbuster vous invite, que vous soyez néophytes ou cinéphiles aguerris, à porter un nouveau regard sur ses longs métrages. De manière claire et didactique, en se concentrant essentiellement sur la mise en scène, Victor Norek, alias Le CinématoGrapheur, décortique film par film la réalisation de Spielberg, les symboles et les métaphores qu’il exprime visuellement par le langage du cinéma.


Dans la famille Norek, il semblerait que le talent soit une richesse bien partagée.
On connaît bien celui d’Olivier, l’aîné, ancien capitaine de police reconverti dans le polar dont il est devenu l’une des grandes têtes d’affiche en France – non sans raison, puisque le garçon s’avère aussi créatif que rigoureux, voire minutieux, dans tout ce qu’il entreprend en littérature.
Si ce n’est déjà fait, il est temps de découvrir celui de Victor, frère cadet du précédent nommé, qui peut lui aussi se targuer d’un parcours original : chirurgien-dentiste de profession, le voici animateur confirmé et passionné d’une excellente chaîne d’analyse cinématographique, Le CinématoGrapheur, et donc désormais auteur.

Passionné

Le qualificatif est déterminant quand on parle de Victor Norek. Il suffit de regarder l’une de ses vidéos pour en être très vite convaincu. Regard pétillant, sourire en coin plein de malice, ton enflammé, rhétorique appuyée avec ferveur : quand il analyse un film ou l’œuvre d’un cinéaste, Victor Norek pèse chacun de ses mots avec l’envie de convaincre, autant que d’enchanter son auditoire.
Sa passion est celle d’un authentique amoureux du cinéma, notamment américain, avec une prédilection assumée pour les films de genre. Et surtout, un objectif : faire découvrir l’intelligence et la profondeur (parfois) insoupçonnées des blockbusters, et démontrer que derrière certains réalisateurs trop souvent réduits au rang d’amuseurs, de faiseurs voire de gros bourrins (pour les critiques les moins aimables), il peut y avoir de véritables auteurs.

Une reconnaissance tardive

Dans cette catégorie, Steven Spielberg est sans doute l’exemple le plus représentatif.
Coupable, avec une partie de la clique du Nouvel Hollywood, d’avoir renversé l’industrie cinématographique américaine, en créant dans les années 1970 les premiers blockbusters (avec la complicité de son ami George Lucas) et une nouvelle façon d’aller et de faire aller au cinéma, accusé d’avoir décérébré le public avec des films soi-disant naïfs, mièvres et lourds de bons sentiments, soupçonné de vouloir trop chercher à plaire, Spielberg a dû attendre les années 2010 pour recevoir pleinement la reconnaissance qu’il méritait depuis longtemps. Certes, dans l’intervalle, il avait reçu des Oscars, et pouvait tout de même compter sur certains défenseurs passionnés, mais ils n’étaient pas si nombreux, et aussitôt suspects de mauvais goût ou d’exagération dès qu’ils manifestaient trop fort leur enthousiasme.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Elles se sont même étrangement inversées. Alors que Spielberg aura 80 ans l’année prochaine, ses films ne font plus tellement recette – ils ne cherchent d’ailleurs plus forcément à en faire -, mais ils engrangent des listes impressionnantes de critiques élogieuses. De plus en plus de livres lui sont consacrés, et des expositions, et des hommages. On étudie de près son travail, on identifie ses thématiques, on célèbre ses mises en scène. Il a encore ses détracteurs, mais désormais, réduire Spielberg à un simple amuseur public doué mais sans cervelle, c’est juste faire la preuve qu’on méconnaît son art et qu’on le méprise par principe.

« Œuvre » et « blockbuster » dans la même phrase : une provocation ?

Le titre choisi par Victor Norek pour les deux énormes volumes de ses recherches illustre à merveille ce balancement apparemment contradictoire. Oui, Steven Spielberg a commis plusieurs blockbusters qui ont marqué l’histoire du Septième Art (Les Dents de la mer, Indiana Jones, E.T., Jurassic Park), mais ces films, loin d’être isolés, font partie d’une œuvre globale, traversée par des obsessions prégnantes, aussi bien thématiques que formelles, dont la cohérence s’avère frappante avec le recul.
C’est cette vision globale que Victor Norek s’attache à démontrer, avec passion donc, celle d’un véritable amoureux du cinéma de Spielberg, mais aussi avec minutie presque maniaque, qui s’attache à d’innombrables détails, parfois anodins, parfois invisibles, mais qui donnent précisément beaucoup de sens à son travail.

Une somme extraordinaire

Ces deux livres, qui passent en revue les trente-cinq longs métrages réalisés par Spielberg, de Duel (1971) à The Fabelmans (2022), ne sont ni biographiques, ni hagiographiques. Les chapitres qui se succèdent ne sont pas des critiques, mais des analyses. La distinction est essentielle. À aucun moment Victor Norek ne tend à dire : tel film est un chef d’œuvre, tel film est moyen, tel film est raté. On devine juste, à l’intensité et au nombre de pages avec lesquels il s’attarde sur certains films plus que d’autres, où vont discrètement ses affinités.

Mais son propos est toujours, et avant tout, de mettre en relief ce qui fait œuvre dans le travail du réalisateur américain, et de souligner l’importance de certains films plus que d’autres dans cette perspective. Pour cela, il organise ses analyses en grandes parties thématiques : Spielberg autobiographique, cinématographique, politique dans le premier tome ; l’héritage de Spielberg, déconstruire Hollywood et Spielberg sur fond de guerre dans le deuxième (avec quelques intermèdes globaux pour prendre encore un peu plus de hauteur).
Un choix qui permet d’éviter l’alignement chronologique, pas toujours captivant, et de créer des passerelles entre des longs métrages dont on n’aurait pas soupçonné le cousinage sans prendre le temps d’y réfléchir (du Terminal à Munich en passant par La Guerre des mondes, par exemple.)

Le boulot hallucinant de Victor Norek est sans aucun doute le plus fourni, le plus intelligent, le plus subtil et le plus complet que j’aie jamais lu sur le cinéma de Spielberg – et j’aime autant vous dire que ma bibliothèque spielbergienne est fournie.
Depuis les premiers essais de Jean-Pierre Godard, déjà fort pertinents et très en avance sur leur temps puisqu’ils datent des années 80 et 901, aucun auteur n’était allé aussi loin dans la compréhension de son œuvre. J’ignore si on trouve l’équivalent de sa démarche outre-Atlantique, mais de notre côté de l’océan, c’est assurément le meilleur.
Certaines de ses théories sont tout simplement stupéfiantes, et offrent la possibilité de relire entièrement certains films à côté desquels on est peut-être passé, tout ou partie. Par exemple, son décryptage sur Minority Report, et en particulier sur sa fin, est d’une intelligence sidérante ; et même s’il est toujours possible de le remettre en question, on est bien forcé d’admirer l’articulation épatante de sa démonstration, qui donne franchement envie d’y adhérer !

(En tout cas, pour moi, son analyse a mis des mots sur un pressentiment qui me tenaillait depuis ma découverte du film à sa sortie en salle, et qui revenait ensuite à chaque visionnage. Je trouvais invraisemblable que Spielberg flingue d’un happy end aussi bêta une œuvre par ailleurs parfaitement sombre, glauque, violente, voire d’un pessimisme assumé. Et la solution que propose Victor Norek, simplement à l’appui d’une étude minutieuse des images, du montage et des dialogues, ainsi que du contexte de réalisation du film et de sa place dans la filmographie de Spielberg, est vraiment formidable.)

En tant que spielbergien convaincu, je n’ai pas été long à être séduit, puis envoûté par ces plus de 1000 pages d’une rigueur impressionnante, accompagnées d’illustrations en noir et blanc qui apportent un supplément de compréhension aux explications.
Il est probable que ces livres s’adressent avant tout à des amateurs plus ou moins éclairés de l’auteur de La Liste de Schindler, c’est certain. Et il est indispensable d’avoir déjà vu chaque film au moins une fois, car Norek est bien obligé de spoiler pour cerner chaque film dans son ensemble.
Mais il n’en reste pas moins que, pour un simple curieux de cinéma, pas forcément très au fait de l’œuvre de Steven Spielberg, il y a sans doute beaucoup plus à glaner que ce qu’on pourrait imaginer au départ. Et, peut-être, songer que l’intelligence ne se niche pas forcément là où elle semble s’étaler le plus.

L’Œuvre de Steven Spielberg : l’art du blockbuster, de Victor Norek
Éditions Third

Volume 1 (2023)
ISBN 9782377844258
432 p., 29,90€

Volume 2 (2025)
ISBN 9782377845231
520 p., 29,90€

1 : Steven Spielberg, de Jean-Pierre Godard, éditions Rivages, première édition en 1987, deuxième édition enrichie en 1994.

POUR FINIR : on en cause, et drôlement bien, chez L’Infini Détail ou Game Cover, par exemple. Plus une excellente interview de Victor Norek chez Furyosa, tiens.

3 réponses à « L’œuvre de Steven Spielberg : l’art du blockbuster, de Victor Norek »

  1. Grand merci pour le clin d’oeil et compliment tout à fait réciproque! Un travail aussi minutieux et accessible que celui de Victor mérite d’être célébré.

    1. On est bien d’accord ! Que ça fait plaisir de constater qu’on rend enfin justice à l’œuvre de Spielberg, et d’aussi belle manière…

  2. […] : en complément, l’avis très enthousiaste de Cannibales Lecteurs […]

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